Le samedi 15 février 1947.
134> 567.1 – Jésus
se trouve avec les femmes
disciples et les deux apôtres sur une des
premières ondulations des montagnes en arrière d'Éphraïm. Jeanne
n'a pas avec elle les enfants ni Esther.
Je pense qu'ils ont déjà été envoyés à Jérusalem, avec Jonathas.
Il y a seulement en plus de la Mère de Jésus, Marie de Cléophas,
Marie Salomé,
Jeanne, Élise,
Nikê
et Suzanne.
Les deux sœurs de Lazare ne sont pas encore là.
Élise et Nikê sont en train de plier des vêtements qui ont certainement été
lavés à un ruisseau qui brille tout en bas ou apportés ici du torrent sur le
plateau ensoleillé et Nikê, après en avoir regardé un, le porte à Marie de
Cléophas en disant :
"À celui-là aussi ton fils a décousu l'ourlet."
Marie d'Alphée prend le vêtement et le met près des autres qu'elle a près
d'elle sur l'herbe.
Toutes les disciples sont occupées à coudre, à réparer les déchirures qui se
sont produites pendant les nombreux mois où les apôtres étaient seuls.
Élise, qui s'approche avec d'autres vêtements secs, dit :
"On voit bien que depuis trois mois vous n'avez pas eu avec vous une
femme au courant ! Il n'y a pas un vêtement en ordre, sauf celui du Maître
qui en compensation n'en a que deux. Celui qu'il porte et celui lavé
aujourd'hui."
"Il les a donnés tous. Il semblait pris par la frénésie de ne plus rien
avoir. Il a des vêtements de lin depuis déjà plusieurs jours" dit Judas.
"Heureusement que ta Mère
a pensé à en apporter des neufs. Celui qui est teint en pourpre est vraiment
très beau. Il te fallait cela, Jésus, bien que tu sois si bien ainsi vêtu de
lin. Tu ressembles vraiment à un lys !" dit Marie d'Alphée.
"Un lys très grand, Marie !" satirise Judas.
"Mais pur comme certainement tu ne l'es pas, ni non plus comme l'est Jean.
Toi aussi, tu es vêtu de lin mais, crois-le, tu ne sembles pas un lys !"
réplique franchement Marie d'Alphée.
"Moi, je suis brun de cheveux et de teint. Pour cela je suis
différent."
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135> "Non. Ce n'est pas dû à cela.
C'est que toi, la candeur, tu l'as sur toi, et Lui l'a à l'intérieur. Elle transpire
de son regard, de son sourire, de sa parole. C'est cela. Ah ! comme on est
bien ici avec mon Jésus." Et la bonne Marie pose l'une de ses mains
flétries de vieille femme et de travailleuse sur le genou de Jésus qui
caresse cette main honnête.
567.2 – Marie Salomé,
qui est en train de regarder un vêtement, s'écrie :
"Ceci est pire qu'une déchirure ! Oh ! mon fils ! Qui a bouché le trou
de cette façon ?"
Et scandalisée, elle montre à ses compagnes une sorte de... nombril tout
froncé de sorte qu'il fait un anneau qui ressort sur l'étoffe et que tiennent
ensemble certains points capables d'horrifier une femme. L'étrange réparation
est l'épicentre d'une série de plis en éventail qui s'élargissent sur
l'épaule du vêtement. Tout le monde rit, à commencer par Jean, l'auteur de la
reprise, qui explique :
"Je ne pouvais rester avec la déchirure et alors... je l'ai bouchée
!"
"Je le vois, pauvre de moi ! Je le vois ! Mais ne pouvais-tu pas le
faire coudre par Marie
de Jacob ?"
"Elle est presque aveugle, la pauvre femme ! Et puis... le malheur c'est
que ce n'était pas une déchirure ! C'était un vrai trou. Le vêtement est
resté attaché au fagot que je portais sur l'épaule et, en enlevant le fagot
de sur mon épaule, le morceau de vêtement est venu avec. Alors j'ai réparé
ainsi !"
"Tu l'as abîmé ainsi, mon fils. Il me faudrait... "
Elle examine le vêtement, mais secoue la tête et dit :
"J'espérais pouvoir enlever l'ourlet, mais il n'y en a plus..."
"C'est moi qui l'ai enlevé à Nobé,
car le pli était coupé. Mais j'ai donné à ton fils la partie que j'avais
enlevée..." explique Élise.
"Oui, mais je m'en suis servi pour faire une corde à mon sac..."
"Pauvre fils ! Comme il est nécessaire que nous soyons près d'eux
!" dit Marie très Sainte
qui répare le vêtement de je ne sais qui.
"Et pourtant, ici il faut de l'étoffe. Regardez. Les points ont fini de déchirer
tout autour, et d'un mal déjà grand en est venu un irréparable; à moins
que... l'on puisse trouver quelque chose qui remplace l'étoffe manquante.
Alors... cela se verra encore... mais ce sera passable."
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136> "Tu m'as donné l'idée pour une
parabole..."
dit Jésus.
Et en même temps Judas dit :
"Je crois avoir au fond de mon sac un morceau d'étoffe de cette couleur.
C'est le reste d'un vêtement qui était trop déteint pour que je le porte, je
l'ai donné à un petit homme qui était tellement plus petit que moi, que nous
avons dû en couper presque deux palmes. Si tu attends, je vais le chercher.
Mais auparavant je voudrais entendre la parabole."
"Que Dieu te bénisse. Écoute aussi. Pendant ce temps, je remets les
cordons du vêtement de Jacques. Ils sont tout élimés."
"Parle, Maître. Ensuite je ferai plaisir à Marie Salomé."
567.3 – "Je parle. Je compare
l'âme à une étoffe. Quand elle est infusée, elle est nouvelle, sans
déchirure. Elle a seulement la tache originelle, mais elle n'a pas de
blessures dans sa constitution, ni d'autres taches, ni de consomption. Puis,
avec le temps, et à cause des vices qu'elle accueille, elle s'use jusqu'à se
couper, elle se tache par ses imprudences, elle se déchire par ses désordres.
Maintenant, quand elle est déchirée, il ne faut pas la ravauder
maladroitement, ce qui serait la cause de déchirures plus nombreuses, mais il
faut de patientes et de longues et parfaites reprises pour faire disparaître
le plus possible la ruine qui s'est produite. Et si l'étoffe est trop
déchirée, et même si elle est déchirée au point d'avoir perdu un morceau, on
ne doit pas orgueilleusement prétendre supprimer la ruine par soi-même, mais
aller trouver Celui que l'on sait pouvoir rendre l'âme de nouveau intègre
parce qu'il Lui est permis de tout faire et parce que Lui peut tout faire. Je
parle de Dieu, mon Père, et du Sauveur que je suis. Mais l'orgueil de l'homme est tel que, plus grande est la ruine de son âme, et plus
il cherche à la rapiécer par des remèdes incomplets qui créent une infirmité
de plus en plus grande.
Vous pourrez m'objecter qu'une déchirure se verra toujours.
Marie Salomé l'a dit aussi. Oui, on
verra toujours les blessures qu'une âme a subies, mais l'âme livre sa
bataille et il s'ensuit donc qu'elle soit blessée, si nombreux sont les
ennemis qui l'entourent. Mais personne ne peut dire, en voyant un
homme couvert de cicatrices, qui sont les signes d'autant de nombreuses
blessures reçues en combattant pour obtenir la victoire, personne ne peut
dire : "Cet homme est immonde". On dira au contraire : "Celui-ci
est un héros. Voilà les marques empourprées de sa valeur". Et on ne
verra jamais un soldat éviter de se faire soigner par honte d'une glorieuse
blessure, mais au contraire il ira trouver le médecin et lui dira avec un
saint orgueil : "Voilà, j'ai combattu et j'ai vaincu.
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137> Je ne me suis pas épargné, tu le
vois. Maintenant remets-moi en état, pour que je sois prêt pour d'autres
batailles et d'autres victoires". Au contraire, celui qui a des plaies
de maladies immondes, produites en lui par des vices indignes, celui-là a
honte de ses plaies devant ses parents et ses amis, et même devant les
médecins, et parfois il est si absolument stupide qu'il les tient cachées
jusqu'à ce que leur puanteur les révèle. Mais alors, il est trop tard pour
réparer.
Les humbles sont toujours sincères
et même ce sont des valeureux qui n'ont pas à avoir honte des blessures
reçues dans la lutte. Les orgueilleux sont toujours menteurs et lâches. À
cause de leur orgueil, ils arrivent à la mort, faute de vouloir aller vers Celui
qui peut les guérir et Lui dire : "Père, j'ai péché. Mais si tu veux, tu
peux me guérir". Nombreuses sont les âmes qui, à cause de l'orgueil de
ne pas avoir à confesser une faute initiale, arrivent à la mort. Et alors,
pour elles aussi, c'est trop tard. Elles ne réfléchissent pas que la
miséricorde divine est plus puissante et plus vaste que toute gangrène, si
puissante et si étendue qu'elle soit, et qu'elle peut tout guérir. Mais
elles, les âmes des orgueilleux, quand elles s'aperçoivent qu'elles ont
méprisé tout moyen de salut, tombent dans le désespoir, puisqu'elles sont
sans Dieu, et en disant : "Il est trop tard", elles se donnent la
dernière mort, celle de la damnation.
567.4 – Et
maintenant, Judas, va prendre ton étoffe..."
"J'y vais, mais elle ne m'a pas plu cette parabole. Je ne l'ai pas
comprise."
"Mais elle est si limpide ! Je l'ai comprise, moi, qui suis une pauvre
femme !" dit Marie Salomé.
"Et moi, pas. Autrefois tu en disais de plus belles.
Maintenant... les abeilles... l'étoffe... les villes qui changent de nom...
les âmes qui sont des barques... Des choses si pauvres et si confuses, qu'elles ne me plaisent plus et que je ne
comprends pas... Mais maintenant, je vais prendre l'étoffe, car pratiquement
je dis qu'elle est nécessaire, mais que ce sera toujours un vêtement
abîmé"
Judas se lève et s'éloigne.
Marie a toujours plus incliné la tête sur son travail pendant que Judas
parlait. Jeanne, au contraire, l'a levée en fixant l'imprudent d'un air
indigné. Élise aussi l'a levée, mais ensuite elle a imité Marie, et de même
Nikê.
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138> Suzanne a écarquillé ses grands
yeux, stupéfaite, et elle a regardé Jésus au lieu de l'apôtre, comme si elle
se demandait pourquoi il ne réagissait pas. Aucune n'a parlé ni fait de
gestes. Mais Marie Salomé et Marie d'Alphée, plus populaires, se sont regardées
en hochant la tête et, Judas à peine parti, Marie Salomé dit :
"C'est lui qui a la tête mal en point !
"Oui, et c'est pour cela qu'il ne comprend rien, et je ne sais même pas
si tu pourras la lui remettre en place. Si mon fils était ainsi, je la lui
romprais complètement. Oui, comme je la lui ai faite pour qu'elle fût une
tête de juste, ainsi je lui la romprais. Il vaut
mieux avoir le visage balafré que le cœur !" dit Marie d'Alphée.
"Sois indulgente, Marie. Tu ne peux comparer tes enfants qui ont grandi
dans une famille honnête, dans une ville comme Nazareth, avec cet homme"
dit Jésus.
"Sa mère
est bonne. Son père
n'était pas mauvais, je l'ai entendu dire" réplique Marie d'Alphée.
"Oui, mais son cœur ne manquait pas d'orgueil. C'est pour cela qu'il a
éloigné le fils de sa mère trop tôt, et qu'il a contribué, lui aussi, à développer l'hérédité morale,
qu'il avait donnée à son fils, en l'envoyant à Jérusalem. Il est douloureux
de le dire, mais certainement le Temple n'est pas un endroit où l'orgueil
héréditaire soit susceptible de diminuer…" dit Jésus.
"Aucune place de Jérusalem, qui soit une place d'honneur, n'est indiquée
pour diminuer l'orgueil et tout autre défaut, dit Jeanne en soupirant. Et
elle ajoute : Ni non plus toute autre place d'honneur que ce soit à Jéricho
ou à Césarée de Philippe, à Tibériade comme à l'autre Césarée..."
Et elle coud rapidement en penchant son visage sur son travail plus qu'il
n'est nécessaire.
"Marie de Lazare
a de l'autorité, mais elle n'a pas d'orgueil" observe Nikê.
"Maintenant. Mais avant elle était très fière, à l'opposé de ses parents
qui ne furent jamais ainsi" répond Jeanne.
"Quand vont-elles venir ?" demande Marie Salomé.
"Bientôt, si nous devons partir d'ici trois jours."
"Travaillons rapidement, alors. Nous avons à peine le temps de tout
finir" dit Marie d'Alphée pour les faire presser.
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139> 567.5 – "On
a tardé de venir à cause de Lazare. Mais ce fut bien, car beaucoup de fatigue
a été épargnée à Marie" dit Suzanne.
"Mais te sens-tu capable de faire tant de chemin ? Tu es si pâle et si
lasse, Marie !" demande Marie d'Alphée en mettant sa main sur les genoux
de Marie et en la regardant avec peine.
"Je ne suis pas malade, Marie, et certainement je puis marcher."
"Malade non, mais si affligée, Mère. Je donnerais dix et dix ans de ma
vie, j'embrasserais toutes les douleurs pour te revoir comme je t'ai vue la
première fois" dit Jean qui la regarde avec pitié.
"Mais ton amour est déjà un remède, Jean. Je sens mon cœur se calmer en
voyant comme vous aimez mon Fils. Car il n'y a pas d'autre cause de ma
souffrance, pas d'autre que de voir qu'il n'est pas aimé. Ici, près de Lui,
et parmi vous, si fidèles, je refleuris déjà. Mais certainement... ces
derniers mois... seule à Nazareth... après l'avoir vu partir déjà si
tourmenté, déjà si persécuté... et entendant toutes ces rumeurs... Oh !
Quelle douleur ! Mais, près de Lui, je vois, je dis : "Au moins mon
Jésus a sa Maman qui le console, qui Lui dit des paroles qui couvrent
d'autres paroles" et je vois aussi que tout amour n'est pas mort en
Israël. Et j'ai la paix, un peu de paix. Pas beaucoup... car..."
Marie n'en dit pas davantage. Elle baisse son visage qu'elle avait levé pour
parler à Jean, et on ne voit plus que le haut de son front que fait rougir
une émotion muette... et puis deux larmes brillent sur le vêtement sombre
qu'elle reprise.
Jésus soupire et se lève de sa place pour aller s'asseoir à ses pieds devant
elle. Là, il abandonne sa tête sur les genoux de Marie, il baise la main qui
tient l'étoffe et reste ainsi ensuite, comme un enfant qui se repose. Marie
enlève l'aiguille de l'étoffe pour ne pas blesser son Fils, puis elle met sa
main droite sur la tête de Jésus penchée sur ses genoux et elle lève son
visage en regardant le ciel. Elle prie certainement bien que ses lèvres ne
remuent pas; toute son attitude dit qu'elle prie. Puis elle se penche pour
baiser son Fils sur les cheveux, près des tempes découvertes.
567.6 – Les autres ne parlent pas
jusqu'au moment où Marie Salomé dit :
"Mais comme il tarde Judas ! Le soleil va se coucher ! Et je n'y verrai
pas bien !"
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140> "Peut-être quelqu'un l'a
arrêté, répond Jean et il demande à sa mère : Veux-tu que j'aille lui dire de
se hâter ?"
"Tu ferais bien. Car s'il ne trouve pas l'étoffe pareille, je vais
raccourcir les manches, d'autant plus que l'été arrive, et pour l'automne je
te préparerai un autre vêtement car celui-là ne peut plus aller, et avec le
morceau enlevé, je t'arrangerai ici. Pour aller à la pêche il sera encore
bon, car certainement, après la Pentecôte, vous reviendrez en Galilée."
"Alors, j'y vais, dit Jean, et toujours aimable, il demande aux autres
femmes : Avez-vous des vêtements déjà prêts, que je puisse emporter dans nos
maisons ? Si oui, donnez-les-moi, vous serez moins chargées pour
revenir."
Les femmes rassemblent ce qu'elles ont déjà réparé et le donnent à Jean qui
se tourne pour s'en aller.
567.7 – Mais il s'arrête tout à coup
en voyant arriver en courant Marie de Jacob.
La bonne petite vieille marche péniblement et s'empresse autant que le lui le
permettent ses nombreuses années et elle crie à Jean :
"Le Maître est-il ici ?"
"Oui, mère. Que veux-tu ?"
La femme répond en continuant de courir :
"Ada
est mal... Et son mari voudrait la consoler en appelant Jésus... Mais depuis
que ces samaritains ont été... si mauvais, il n'ose pas... Je lui ai dit :
"Tu ne le connais pas encore. Moi j'y vais et... il ne... me dira pas
non".
La petite vieille est toute essoufflée par la course et la montée.
"Ne cours pas davantage. Je viens avec toi, ou plutôt je te précède.
Suis-nous tranquillement. Tu es vieille, mère, pour courir ainsi" lui
dit Jésus.
Et puis à sa Mère et aux femmes disciples :
"Je reste au village. Paix à vous."
Il prend Jean par un bras et descend rapidement avec lui. La petite vieille
qui a repris son souffle les suivrait après avoir répondu aux femmes qui
l'interrogent :
"Hum ! Seul le Rabbi peut la sauver. Autrement elle va mourir comme Rachel.
Elle se refroidit et perd ses forces et se débat déjà dans les convulsions de
la douleur".
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141> Mais les femmes la retiennent en lui
disant :
"Mais vous n'avez pas essayé des briques chaudes sous les reins ?"
"Non ! Il vaut mieux l'envelopper dans de la laine imbibée de vin
aromatisé, le plus chaud possible."
"À moi, pour Jacques, me firent du bien les onctions d'huile et puis les
briques chaudes."
"Faites-la boire beaucoup."
"Si elle pouvait se tenir debout et faire quelques pas, et que pendant
ce temps on lui frictionne les reins fortement."
Les femmes-mères, c'est-à-dire toutes sauf Nikê et Suzanne, et Marie qui ne
souffrit pas les peines de toute femme en mettant son Fils au jour,
préconisent une chose ou l'autre.
"Tout ! On a tout essayé. Mais ses reins sont trop fatigués. C'est son
onzième enfant ! Mais maintenant j'y vais. J'ai repris mon souffle. Priez
pour cette mère ! Que le Très-Haut la garde vivante jusqu'à ce que le Rabbi
arrive à elle."
Et elle s'en va en trottinant, la pauvre vieille seule et bonne.
567.8 – Jésus, pendant ce temps,
descend rapidement vers la ville que le soleil réchauffe. Il entre dans la
ville par l'endroit opposé à celui où se trouve leur maison, c'est-à-dire par
le nord-ouest d'Éphraïm alors que la maison de Marie de Jacob est au sud-est.
Il marche rapidement, sans s'arrêter à parler avec ceux qui voudraient le
retenir. Il les salue et s'éloigne.
Un homme remarque :
"Il est fâché contre nous. Ceux des autres villages ont mal agi. Il a
raison."
"Non. Il va chez Janoé. Sa femme meurt à son onzième
enfantement."
"Pauvres enfants ! Et le Rabbi y va ? Trois fois bon. Offensé, il comble
de bienfaits."
"Mais Janoé ne l'a pas offensé ! Aucun de nous ne l'a offensé !"
"Mais ce sont toujours des hommes de Samarie."
"Le Rabbi est juste, et il sait distinguer. Allons voir le
miracle."
"Nous ne pourrons pas entrer. C'est une femme et qui doit
enfanter."
"Mais nous entendrons pleurer l'enfant et ce sera une voix de
miracle."
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142> Ils s'en vont en courant pour
rejoindre Jésus. D'autres aussi viennent avec eux pour voir.
567.9 – Jésus arrive à la maison
désolée par l'imminent malheur. Les dix enfants — la plus grande est une
fillette en larmes contre laquelle se serrent ses petits frères en pleurs —
restent dans un coin de l'entrée, près de la porte grande ouverte. Des commères
qui vont et viennent, des murmures, des bruits de pieds déchaussés qui
courent sur le pavage de briques.
Une femme voit Jésus et pousse un cri :
"Janoé ! Espère ! Il est venu !"
Et elle s'en va en courant avec un broc fumant.
Un homme accourt, se prosterne. Il ne fait qu'un geste et il dit :
"Je crois. Pitié, pour eux" et il montre ses enfants.
"Lève-toi et prends courage. Le Très-Haut aide celui qui a foi, et Il a
pitié de ses enfants affligés."
"Oh ! viens, Maître ! Viens. Elle est
déjà noire. Elle est étranglée par les convulsions. Elle ne respire quasi
plus. Viens !"
L'homme qui a déjà perdu la tête, la perd complètement en entendant une
commère qui l'appelle :
"Janoé, accours ! Ada se meurt !"
Il pousse, il tire Jésus pour le faire aller vite, vite, vite, vers la pièce
de la mourante, sourd aux paroles de Jésus qui dit :
"Va, et aie foi !"
De la foi, il en a, le pauvre homme, mais ce qui lui manque c'est de pouvoir
comprendre le sens de ces paroles, le sens secret qui lui donne déjà la
certitude du miracle. Et Jésus, poussé et tiré, monte l'escalier pour entrer
dans la pièce où se trouve la femme. Mais Jésus s'arrête sur le palier de
l'escalier, à environ trois mètres de la porte ouverte qui laisse voir un
visage exsangue, livide même, déjà étiré dans le masque de l'agonie .
Les commères ne tentent plus rien. Elles ont recouvert la femme jusqu'au
menton et elles regardent. Elles sont pétrifiées dans l'attente du trépas.
Jésus étend ses bras et il crie :
"Je veux !" et il se retourne pour partir.
Le mari, les commères, les curieux, qui se sont rassemblés, restent déçus
parce que, peut-être, ils espéraient que Jésus ferait quelque chose de plus
extraordinaire, la naissance immédiate de l'enfant. Mais Jésus, en se frayant
un passage, les regarde en face en passant devant eux et leur dit :
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143> "Ne doutez pas. Encore un peu
de foi. Un moment. La femme doit payer l'amer tribut de l'enfantement, mais
elle va bien."
Et il descend l'escalier, les laissant interdits. Au moment de sortir dans la
rue, il dit en passant aux dix enfants apeurés :
"Ne craignez pas ! La mère est sauvée".
Et, en le disant, il caresse de la main les petits visages craintifs. À ce
moment un grand cri retentit dans la maison et arrive jusque dans la rue où
arrive aussi Marie de Jacob qui crie : "Miséricorde !" en croyant
que ce cri annonce la mort.
"Ne crains pas, Marie ! Et va vite ! Tu vas voir naître le petit. Les
forces sont revenues avec les douleurs, mais bientôt ce sera la joie."
567.10 – Il s'en va avec Jean. Personne
ne le suit car tout le monde veut voir si le miracle s'accomplit, et même
d'autres accourent vers la maison, car la nouvelle s'est répandue que le
Rabbi est allé sauver Ada. Et ainsi Jésus, en se faufilant par une ruelle,
peut arriver sans encombre à une maison où il entre en appelant :
"Judas ! Judas !"
Personne ne répond.
"Il est allé là-haut, Maître. Nous pouvons nous aussi aller à la maison.
Je dépose ici les vêtements de Judas, de Simon et de ton frère Jacques, et puis je mettrai les autres de Simon Pierre, d'André, de Thomas
et de Philippe
dans la maison d'Anne."
C'est ce qu'ils font et je comprends que pour faire place aux femmes
disciples, les apôtres s'en sont allés dans d'autres maisons, sinon tous, au
moins une partie d'entre eux.
Désormais débarrassés des vêtements, ils s'en vont en parlant entre eux, vers
la maison de Marie de Jacob et y entrent par la petite porte du jardin qui
est seulement poussée. La maison est silencieuse et vide. Jean voit posée à
terre une amphore pleine d'eau et, pensant peut-être que la petite vieille
l'a déposée là avant qu'on ne l'appelle pour assister la femme, il la prend
et se dirige vers une pièce fermée. Jésus s'attarde dans le couloir pour
enlever son manteau et le plier avec son soin habituel avant de le déposer
sur le coffre de l'entrée.
567.11 – Jean ouvre la porte et pousse
un "ah !" presque terrifié. Il laisse tomber le broc et couvre ses
yeux de ses mains, en se courbant, comme pour se faire petit, pour
disparaître, pour ne pas voir. De la pièce arrive un bruit de pièces de monnaie
qui se répandent sur le sol en résonnant.
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144> Jésus est déjà à la porte. Il m'a fallu
plus de temps pour décrire qu'à Lui pour arriver. Il écarte vivement Jean qui
gémit : "Va-t'en ! Va-t'en !" Il ouvre la porte entrouverte. Il
entre.
C'est la pièce où, depuis que les femmes sont là, ils prennent leurs repas.
Il s'y trouve deux coffres anciens ferrés et devant l'un d'eux, juste en face
de la porte, se trouve Judas, livide, ses yeux étincellent de colère et en
même temps d'effroi, avec une bourse dans les mains... Le coffre fort est
ouvert... et à terre sont répandues des pièces et d'autres tombent par terre
en glissant hors d'une bourse qui est sur le bord du coffre, ouverte, et à
moitié couchée. Tout témoigne d'une manière qui ne peut laisser aucun doute
de ce qui se passe. Judas est entré dans la maison, il a ouvert le coffre et
il a volé. Il était en train de voler.
Personne ne parle. Personne ne bouge. Mais c'est pire que si tous criaient et
se lançaient les uns contre les autres. Trois statues : Judas, le
démon ; Jésus, le Juge ; Jean, le terrorisé par la révélation de la
bassesse de son compagnon.
La main de Judas qui tient sa bourse est agitée par un tremblement et les
pièces qui s'y trouvent laissent entendre un bruit étouffé.
Jean est tout tremblant et, bien qu'il soit resté les mains serrées sur sa
bouche, ses dents claquent alors que ses yeux effrayés regardent Jésus plus
que Judas.
Jésus ne frémit pas. Il est debout et glacial, tout à fait glacial tellement
il est rigide.
Finalement il fait un pas, un geste et prononce un mot. Un pas vers Judas, un
geste pour faire signe à Jean de se retirer et un mot :
"Va !"
Mais Jean a peur et gémit :
"Non ! Non ! Ne me renvoie pas. Laisse-moi ici. Je ne dirai rien... mais
laisse-moi ici, avec Toi."
"Va-t-en ! Ne crains pas ! Ferme toutes les
portes... et s'il vient quelqu'un... n'importe qui... même ma Mère... ne les
laisse pas venir ici. Va ! Obéis !"
"Seigneur !..."
Il semble que ce soit Jean le coupable, tant il est suppliant et abattu.
"Va, te dis-je. Il n'arrivera rien. Va !"
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145> Jésus adoucit son commandement en
mettant sa main sur la tête du Préféré avec un geste caressant, et je vois
que cette main maintenant tremble. Jean la sent trembler, il la prend et la
baise avec un sanglot qui dit tant de choses. Il sort.
567.12 – Jésus ferme la porte avec un
verrou. Il se retourne pour regarder Judas, qui doit être bien anéanti
puisqu'il n'ose pas lui, si audacieux, un mot ou un geste.
Jésus va tout droit devant lui, en tournant autour de la table qui occupe le
milieu de la pièce. Je ne sais dire s'il va rapidement ou lentement. Je suis
trop effrayée par son visage pour mesurer le temps. Je vois ses yeux et j'ai
peur comme Jean. Judas lui-même a peur, il s'arrête entre le coffre et une
fenêtre grande ouverte par laquelle la lumière rouge du couchant se déverse
toute sur Jésus.
Quels yeux a Jésus ! Il ne dit pas un mot. Mais
quand il voit que de la ceinture du vêtement de Judas dépasse une sorte de
crochet, il a une réaction effrayante. Il lève le bras avec le poing fermé,
comme pour frapper le voleur, et sa bouche commence le mot : "Maudit
!" Mais il se domine. Il arrête le bras qui allait tomber et coupe le
mot aux trois premières lettres. Et faisant pour se maîtriser un effort qui
le fait trembler tout entier, il se borne à desserrer son poing fermé, à
abaisser son bras levé à la hauteur de la bourse que Judas a dans les mains,
et à l'arracher pour la jeter contre le sol, en disant d'une voix étouffée
alors qu'il foule aux pieds la bourse et les pièces, et les disperse avec une
fureur contenue mais terrible :
"Au loin ! Ordure de Satan ! Or maudit ! Crachat d'enfer ! Venin de
serpent ! Au loin !"
Judas, qui a poussé un cri étouffé quand il a vu Jésus près de le maudire, ne
réagit plus. Mais de l'autre côté de la porte fermée, un autre cri résonne
quand Jésus lance la bourse contre le sol, et ce cri de Jean exaspère le
voleur et lui rend son audace démoniaque. Il en devient furieux. Il se jette
presque contre Jésus en criant :
"Tu m'as fait espionner pour me déshonorer, espionner par un garçon
imbécile qui ne sait même pas se taire, qui me fera honte en face de tous !
Mais c'est cela que tu voulais. Et du reste... Oui ! Moi, je le veux aussi.
Je veux cela ! T'amener à me chasser ! T'amener à me maudire ! À me maudire !
À me maudire ! J'ai tout essayé pour me faire chasser."
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de page.
146> Il est enroué par la colère et brutal
comme un démon. Il halète comme s'il avait quelque chose qui l'étrangle.
Jésus lui répète à voix basse mais terrible :
"Voleur ! Voleur ! Voleur !" et il termine en disant :
"Aujourd'hui voleur, demain assassin. Comme Barabbas. Pire que
lui."
Il lui souffle cette parole au visage car maintenant ils sont très proches.
567.13 – Judas reprend haleine et
répond :
"Oui, voleur, et par ta faute. Tout le mal que je fais, c'est par ta
faute et tu ne te lasses jamais de me ruiner. Tu sauves tout le monde. Tu
donnes de l'amour et des honneurs à tous. Tu accueilles les pécheurs, les
prostituées ne te dégoûtent pas, tu traites en amis les voleurs et les
usuriers et les ruffians de Zachée, tu accueilles comme si c'était le
Messie l'espion
du Temple, ô sot que tu es ! Et tu nous
donnes pour chef
un ignorant, pour trésorier un gabeleur, et pour ton confident
tu prends un imbécile. Et à moi tu mesures la moindre piécette, tu ne me
laisses pas d'argent, tu me tiens près de Toi comme un galérien est tenu près
de sa place au banc de rameur. Tu ne veux même pas que nous, je dis nous,
mais c'est moi, moi seul, qui ne dois pas accepter d'obole des pèlerins. C'est
pour que je ne touche pas l'argent que tu as ordonné de ne prendre l'argent
de personne. Parce que tu me hais. Eh bien : moi aussi je te hais ! Tu
n'as pas su me frapper et me maudire tout à l'heure. Ta malédiction m'aurait
réduit en cendres. Pourquoi ne l'as-tu pas donnée ? Je l'aurais préférée
plutôt que de te voir si incapable, si faible, un homme fini, un homme
vaincu..."
"Tais-toi !"
"Non ! As-tu peur que Jean entende ?
As-tu peur que lui finalement comprenne qui tu es, et qu'il t'abandonne ? Ah
! Tu l'as cette peur, Toi qui fais le héros ! Oui, tu as peur ! Et tu as peur
de moi. Tu as peur ! C'est pour cela que tu n'as pas su me maudire. C'est
pour cela que tu feins l'amour, alors que tu me hais ! Pour me flatter ! Pour
me tenir tranquille ! Tu sais que je suis une force ! Tu le sais que je
suis la force. La force qui te hait et qui te vaincra ! Je t'ai promis
que je te suivrais jusqu'à la mort, en t'offrant tout, et je t'ai tout
offert, et je resterai près de Toi, jusqu'à ton heure et jusqu'à mon heure.
Roi magnifique qui ne sait pas maudire et chasser ! Roi des nuages !
Roi idole ! Roi imbécile ! Menteur ! Traître à ton propre destin. Tu m'as
toujours méprisé, dès notre première rencontre. Tu n'as pas su me comprendre.
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de page.
147> Tu te croyais sage. Tu es un idiot.
Je t'enseignais le bon chemin. Mais Toi... Oh ! Tu es le pur ! Tu es la
créature qui est homme mais qui est Dieu, et tu méprises les conseils de l'Intelligent. Tu t'es trompé dès
le premier moment, et tu te trompes. Tu... Tu es... Ah !"
567.14 – Le flot de paroles cesse
brusquement et après c'est un silence lugubre après tant de cris et une
lugubre immobilité après tant de gestes. Pendant que j'écrivais sans pouvoir
dire ce qui se passait, Judas courbé, semblable, oui, semblable à un chien
féroce qui guette sa proie et s'en approche, prêt à s'élancer dessus, s'est
approché de plus en plus de Jésus, avec un visage dont la vue est
insoutenable, les mains crispées, les coudes serrés contre le corps, comme si
réellement il allait l'attaquer. Jésus ne montre pas la moindre peur et
tourne même le dos à l'autre, qui pourrait l'assaillir et Lui sauter au cou,
sans pourtant le faire. Jésus se retourne pour ouvrir la porte et regarder
dans le couloir si Jean vraiment s'en est allé. Le couloir est vide et presque
obscur, car Jean a fermé la porte qui donne sur le jardin après être sorti de
là. Alors Jésus referme la porte et la verrouille et s'adosse contre elle, en
attendant, sans un geste ni une parole, que tombe la furie de Judas.
Je ne suis pas compétente, mais je crois ne pas me tromper en disant que par
la bouche de Judas, c'est Satan lui-même qui parlait, que c'est un moment de
possession évidente de Satan dans l'apôtre perverti, déjà au seuil du Crime,
déjà damné par sa propre volonté. La manière même dont s'arrête le flot de
paroles, laissant l'apôtre comme abasourdi, me rappelle d'autres scènes de possessions, vues pendant les
trois années de la vie publique de Jésus.
Jésus, adossé à la porte, tout blanc contre
le bois sombre, ne fait pas le moindre geste. Seulement ses yeux jettent sur
l'apôtre un regard puissant de douleur et de ferveur. Si on pouvait dire que
les yeux prient, je dirais que les yeux de Jésus prient pendant qu'il regarde
le malheureux; en effet ce n'est pas seulement la maîtrise qui sort de ces
yeux si affligés, mais c'est aussi la ferveur d'une prière. Puis, vers la fin
de l'altercation de Judas, Jésus ouvre ses bras qui étaient serrés contre son
corps, mais il ne les ouvre pas pour toucher Judas, ni pour faire un geste
vers lui, ou pour les lever vers le ciel. Il les ouvre horizontalement, en
prenant la pose du Crucifié, là contre le bois sombre et le mur rougeâtre.
C'est alors que dans la bouche de Judas se ralentissent les dernières paroles
et que sort le "Ah" qui interrompt son discours.
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148> Jésus reste comme il est, les bras
ouverts, et regarde toujours l'apôtre de ce regard douloureux et priant.
Judas, comme quelqu'un qui sort du délire, se passe la main sur le front, sur
son visage en sueur... réfléchit et, se souvenant de tout, s'écroule par
terre et je ne sais s'il pleure ou non. Certainement il s'affale par terre
comme si les forces lui manquaient.
567.15 – Jésus abaisse son regard et
ses bras et, à voix basse mais distincte, lui dit :
"Eh bien ? Est-ce que je te hais ? Je pourrais te frapper du pied,
t'écraser en te traitant de "ver", je pourrais te maudire, comme je
t'ai délivré de la force qui te fait délirer. Tu l'as prise pour de la
faiblesse mon impossibilité de te maudire. Oh ! ce n'est pas de la faiblesse
! C'est que je suis le Sauveur. Et le Sauveur ne peut maudire. Il peut
sauver. Il veut sauver... Tu as dit : "Je suis la force. La force qui te
hait et qui te vaincra". Moi aussi je suis la Force et même : je suis
l’unique Force. Mais ma force n’est
pas de la haine c'est de l'amour. Et l'amour ne hait pas et ne maudit
pas, jamais. La Force pourrait triompher aussi dans les duels comme celui-ci
entre toi et Moi, entre Satan qui est en toi et Moi, et t'enlever ton maître,
pour toujours, comme je viens de le faire en devenant le signe qui sauve, le
Tau que Lucifer ne peut voir. Il pourrait aussi remporter la victoire dans
ces duels, comme il vaincra dans le combat prochain contre Israël incrédule
et assassin, contre le monde et contre Satan vaincu par la Rédemption. Il
pourrait même vaincre dans ces duels, comme il vaincra dans cette ultime
bataille, lointaine pour celui qui compte les siècles, proche pour qui mesure
le temps en le comparant à l'éternité.
Mais à quoi servirait-il de violer les règles parfaites de mon Père ?
Serait-ce justice ? Serait-ce mérite ? Non. Il n'y aurait ni justice ni
mérite. Pas de justice à l'égard des autres hommes
coupables, auxquels ne serait pas enlevée la liberté de l'être, qui
pourraient au dernier jour me demander le pourquoi de leur condamnation et me
reprocher ma partialité à l'égard de toi seul. Ils seront des dizaines et des
centaines de mille, septante fois des dizaines et des centaines de mille,
ceux qui feront les mêmes péchés que toi et se livreront au démon par leur
propre volonté, et qui offenseront Dieu, tortureront leurs pères et mères, et
seront des assassins, des voleurs, des menteurs, des adultères, des
luxurieux, des sacrilèges, et enfin des déicides, en tuant matériellement le
Christ un jour prochain, en le tuant spirituellement dans leurs cœurs dans
les temps futurs.
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149> Et tous pourraient me dire, quand
je viendrai séparer
les agneaux des boucs, pour bénir les
premiers et pour maudire, alors oui, pour maudire les seconds, pour
maudire car alors il n'y aura plus de rédemption, mais gloire ou
condamnation, pour les maudire de nouveau après les avoir déjà maudits en
particulier à leur mort et à leur jugement particulier.
En effet l'homme, tu le sais pour me l'avoir entendu dire des centaines et
des milliers de fois, l'homme peut se sauver tant que dure sa vie, jusqu'à
son dernier soupir. Il suffit d'un instant, d'un millième de minute, pour que
tout soit dit entre l'âme et Dieu, pour qu'elle demande pardon et obtienne
l'absolution... Tous, disais-je, pourraient me dire, tous ces damnés :
"Pourquoi ne nous as-tu pas attachés au Bien, comme tu as fait pour
Judas ?" Et ils auraient raison.
567.16 – Car tout homme naît avec les
mêmes choses naturelles et surnaturelles; un corps, une âme.
Et alors que le corps, étant engendré par des hommes, peut être plus ou moins
robuste, plus ou moins sain à sa naissance, l'âme, créée par Dieu, est
pareille pour tous, douée des mêmes propriétés, des mêmes dons de Dieu. Entre
l'âme de Jean, je parle du Baptiste, et la tienne, il n'y avait pas de
différence quand elles furent infusées dans la chair. Et pourtant je
te dis que même si la Grâce ne l'avait pas présanctifié, pour que le Héraut
du Christ fût sans tache, comme il conviendrait que le fussent tous ceux
qui m'annoncent, du moins pour ce qui regarde les péchés actuels, son âme
aurait été, serait devenue bien différente de la tienne, ou plutôt la
tienne serait devenue différente de la sienne.
En effet il aurait conservé son âme dans la fraîcheur de l'innocence, il
l'aurait même ornée toujours plus de justice en secondant la volonté de Dieu
qui désire que vous soyez justes, en développant les dons gratuits reçus avec
une perfection toujours plus héroïque. Toi, au contraire... Tu as dévasté ton
âme et dispersé les dons que Dieu lui avait faits. Qu'as-tu fait de ton libre
arbitre ? De ton intelligence ? As-tu conservé à ton esprit la liberté qu'il
possédait ? As-tu employé l'intelligence de ton esprit avec intelligence ?
Non. Tu ne veux pas m'obéir à Moi, je ne dis pas à Moi-Homme,
mais même pas à Moi-Dieu, tu as obéi à Satan. Tu t'es servi de l'intelligence
de ta pensée et de la liberté de ton esprit pour comprendre les Ténèbres.
Volontairement.
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150> Tu as été placé devant le Bien et
le Mal. Tu as choisi le Mal. Et même, tu n'as été placé que devant le Bien, Moi. L'Éternel, ton Créateur, qui a
suivi l'évolution de ton âme, qui même connaissait cette évolution, car
l'Éternelle Pensée n'ignore rien de ce qui se fait depuis que le temps
existe, t'a placé devant le Bien, seulement devant le Bien, car Il sait que
tu es faible plus qu'une algue de fossé.
567.17 – Tu m'as crié que je te hais.
Or, puisque je suis Un avec le Père et avec l'Amour,
Un ici comme au Ciel — si en Moi existent les deux natures, et le Christ, par la nature humaine et tant que
sa victoire ne l'aura pas libéré des limites humaines, est à Éphraïm et ne
peut être autre part en cet instant; comme Dieu : Verbe de Dieu,
je suis au Ciel comme sur la Terre, ma Divinité étant
toujours omniprésente et toute puissante.
Or, puisque je suis Un avec le Père et l'Esprit-Saint, l'accusation que tu as
faite contre Moi, c'est contre le
Dieu Un et Trin que tu l'as faite. Contre ce Dieu-Père qui t'a créé par amour, contre ce Dieu-Fils qui
s'est incarné pour te sauver par amour, contre ce Dieu-Esprit qui t'a
parlé tant de fois pour te donner de bons désirs, par amour. Contre ce Dieu
Un et Trin, qui t'a tant aimé, qui t'a amené sur mon chemin, en te rendant
aveugle au monde pour te donner le temps de me voir, sourd au monde pour te
donner la possibilité de m'entendre.
Et toi !... Et toi !... Après m'avoir vu et entendu, après être venu
librement au Bien, te rendant compte par ton intelligence que c'était
l'unique chemin de la vraie gloire, tu as repoussé le Bien et tu t'es
donné librement au Mal. Mais si tu l'as voulu par ton libre arbitre, si tu as
toujours plus rudement repoussé ma main qui s'offrait à toi pour te tirer
hors du gouffre, si tu t'es toujours plus éloigné du port pour t'enfoncer
dans la mer furieuse des passions, du Mal, peux-tu me dire, à Moi, à Celui de
qui je procède, à Celui qui m'a formé comme Homme pour essayer de te sauver,
peux-tu dire que nous t'avons haï ?
Tu m'as reproché de vouloir ton mal... Même l'enfant malade reproche au
médecin et à sa mère les remèdes amers qu'ils lui font boire et les choses
agréables qu'ils lui refusent pour son bien. Satan t'a rendu tellement
aveugle et fou, que tu ne comprends plus la vraie nature des précautions que
j'ai prises en ta faveur et que tu puisses arriver à appeler malveillance,
désir de te ruiner, ce qui était un soin prévoyant de ton Maître, de ton
Sauveur, de ton Ami pour te guérir ? Je t'ai gardé près de Moi... Je t'ai
enlevé l'argent des mains.
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151> Je t'ai empêché de toucher ce métal
maudit qui te rend fou... Mais tu ne sais pas, mais tu ne te rends pas compte
que c'est comme un de ces breuvages magiques qui éveillent une soif
inextinguible, qui produisent dans le sang une ardeur, une fureur qui mène à
la mort ?
Toi, je lis ta pensée, tu me reproches : "Et alors, pourquoi pendant si
longtemps m'as-tu laissé être celui qui était chargé de l'argent ?"
Pourquoi ? Parce que si je t'avais empêché plus tôt de toucher l'argent,
tu te serais vendu plus tôt et tu aurais volé plus tôt. Tu t'es vendu quand
même, parce que tu pouvais voler peu de choses... Mais Moi, je
devais essayer de l'empêcher sans violenter ta liberté. L'or est ta
ruine.
567.18 – À cause de l'or tu es devenu
luxurieux et traître..."
"Voilà ! Tu as cru aux paroles de Samuel ! Je ne suis pas..."
Jésus, dont la parole s'était animée de plus en plus, mais sans jamais
prendre un ton violent ou annonciateur de châtiment, pousse un cri imprévu de
domination, je dirais de fureur. Il darde son regard sur le visage que Judas
a levé pour dire cette parole et il lui impose un "Tais-toi !" qui
semble l'éclat de la foudre.
Judas retombe sur ses talons et n'ouvre plus la bouche.
Un silence pendant lequel avec un effort visible Jésus redonne à son humanité
une attitude tranquille, une maîtrise si puissante qu'elle témoigne à elle
seule du divin qui est en Lui. Il recommence à parler de sa voix habituelle,
chaude, douce même quand elle est sévère, persuasive, conquérante... Il n'y a
que les démons qui puissent résister à cette voix.
"Je n'ai pas besoin que Samuel ou n'importe qui parle pour connaître tes
actions. Mais, ô malheureux ! Sais-tu devant qui tu te trouves ? C'est
vrai ! Tu dis que tu ne comprends plus mes paraboles. Tu ne comprends
plus mes paroles. Pauvre malheureux ! Tu ne te comprends même plus toi-même.
Tu ne comprends même plus le bien et le mal. Satan à qui tu t'es donné de
multiples façons, Satan que tu as suivi dans toutes les tentations qu'il te
présentait, t'a rendu imbécile. Mais pourtant, autrefois, tu me comprenais !
Tu croyais que je suis Celui que je suis ! Et ce souvenir n'est pas éteint en
toi. Et tu peux croire que le Fils de Dieu, que Dieu a besoin des paroles
d'un homme pour connaître la pensée et les actions d'un autre homme ? Tu n'es
pas encore perverti au point de ne pas croire que je suis Dieu, et c'est en
cela que réside ta faute la plus grande.
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152> Car, que tu me crois tel, le prouve
la peur que tu as de ma colère. Tu sens que tu ne luttes pas contre un homme,
mais contre Dieu-même, et tu trembles. Tu trembles parce que, Caïn, tu ne
peux voir Dieu et te le représenter autrement que comme Celui qui se venge
Lui-même et qui venge les innocents. Tu as peur qu'il arrive pour toi comme à
Coré, Datân et Abiron (Abiram) et à leurs partisans .
Et pourtant, sachant qui je suis, tu luttes contre Moi. Je devrais te dire :
"Maudit !" Mais je ne serais plus le Sauveur...
567.19 – Tu voudrais que Moi, je te
chasse. Tu fais tout, dis-tu, pour y arriver. Cette raison ne justifie pas
tes actions, car tu n'as pas besoin de pécher pour te séparer de Moi. Tu peux
le faire, te dis-je. Je te le dis depuis Nobé, quand tu es revenu vers Moi
dans une pure matinée, souillé par le mensonge et l'impureté, comme si
tu étais sorti de l'enfer pour tomber dans la fange des porcs, ou sur la
litière de guenons libidineuses .
J'ai dû faire effort sur Moi-même pour ne pas te repousser avec le bout de la
sandale comme un chiffon dégoûtant et pour arrêter la nausée qui me
bouleversait non seulement l'esprit, mais aussi les entrailles. Je te l'ai
toujours dit, même avant de te recevoir, même avant de venir ici. Alors,
c'est vraiment pour toi, pour toi seul, que j'ai fait ce discours.
Mais tu as toujours voulu rester. Pour ta ruine. Toi ! Ma plus grande
douleur !
Mais voilà que tu penses et que tu dis, ô hérétique, chef de file de
beaucoup qui viendront, que je suis au-dessus de la douleur.
Non. Je ne suis au-dessus que du péché, que
de l'ignorance : au-dessus du péché puisque je suis Dieu, au-dessus de l'ignorance
car il ne peut y avoir d'ignorance dans une âme qui n'est pas blessée par la
Faute d'Origine. Mais je te parle comme Homme, comme l'Homme, comme l'Adam
Rédempteur venu pour réparer la Faute d'Adam pécheur, et pour montrer ce
qu'aurait été l'homme s'il était resté dans l'état où il fut créé : innocent.
Parmi les dons de Dieu à cet Adam n'y avait-il pas peut-être une
intelligence intacte et une science très grande, puisque l'union avec Dieu
versait les lumières du Père tout Puissant dans son fils béni ? Moi, nouvel
Adam, je suis au-dessus du péché par ma propre volonté...
567.20 – Un jour, dans un temps
lointain, tu t'es étonné que j'ai été tenté, et tu m'as demandé si je n'avais
jamais cédé .
Tu t'en souviens ? Et je t'ai répondu... Oui, comme je pouvais te répondre...
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153> Car toi, dès ce moment, tu étais
ainsi... un homme tellement déchu, qu'il était inutile de te mettre sous les
yeux les perles très précieuses des vertus du Christ. Tu n'en aurais pas
compris la valeur et... tu les aurais prises pour... des cailloux, tant leur
grandeur était exceptionnelle. Dans le désert aussi, je t'ai répondu en te
répétant les paroles ,
le sens des paroles que je t'avais dites en allant vers le Gethsémani. Si cela avait été Jean ou même Simon le
Zélote à me répéter cette question,
j'aurais répondu d'une autre manière, car Jean est un pur et il ne l'aurait
pas faite avec la malice avec laquelle tu la faisais, plein de malice comme
tu l'étais... et parce que Simon est un vieux sage et, sans ignorer la vie
comme Jean, il est arrivé à une sagesse qui sait contempler tout événement
sans en être troublé dans son moi. Mais eux ne m'ont pas demandé si je
n'avais jamais cédé aux tentations, à
la tentation la plus commune, à cette tentation. Car dans la pureté intacte
du premier, il n'y a pas de souvenirs de luxure, et dans l'esprit méditatif
du second, il y a une si grande lumière pour voir resplendir la pureté en Moi
Tu as demandé... et je t'ai répondu, comme je pouvais. Avec cette prudence qui ne doit jamais se séparer de la sincérité,
l'une et l'autre, saintes aux yeux de Dieu. Cette prudence qui est comme le
triple voile tendu entre le Saint et le peuple, tendu pour cacher le secret
du Roi . Cette prudence qui règle les paroles selon le
sujet qui les entend, selon sa capacité intellective de comprendre, sa pureté
spirituelle et sa justice. Car certaines vérités, dites à des gens souillés,
deviennent pour eux objet de risée, non de vénération...
567.21 – Je ne sais si tu te souviens
de toutes ces paroles. Moi je m'en souviens, et je te les répète ici, en
cette heure où toi et Moi sommes tous les deux sur le bord de l'Abîme. Parce
que... Mais il n'est pas besoin de dire cela. Je l'ai dit dans le désert
en réponse au "pourquoi" que ma première explication n'avait pas
apaisé : "Le Maître ne s'est jamais senti supérieur à l'homme pour être
le 'Messie'. Au contraire, sachant qu'il était l'Homme, il a voulu l'être en
tout sauf pour le péché. Pour être maître, il faut avoir été élève. Moi, je
savais tout comme Dieu. Mon intelligence divine pouvait me faire comprendre
même les luttes de l'homme, par puissance intellective et intellectuellement.
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154> Mais un jour quelqu'un de mes
pauvres amis aurait pu me dire : 'Tu ne sais pas ce que cela veut dire d'être
homme et d'avoir les sens et les passions'. Le reproche aurait été juste. Je
suis venu ici pour me préparer non seulement à la mission, mais aussi à la
tentation, à la tentation satanique, car l'homme n'aurait pas pu avoir de
pouvoir sur Moi. Satan est venu à la fin de mon union solitaire avec Dieu, et
j'ai senti que j'étais l'Homme avec une vraie chair sujette aux
faiblesses de la chair : la faim, la lassitude, la soif, le froid. J'ai senti
la matière avec ses exigences, le moral avec ses passions. Et si par ma
volonté, j'ai dompté dès leur naissance toutes les passions qui ne sont pas
bonnes, j'ai laissé croître les saintes passions". Te souviens-tu de ces
paroles ?
Et j'ai dit encore, la première
fois, à toi, à toi seul : "La vie est un don saint et
alors elle doit être aimée saintement. La vie est un moyen qui sert à la fin,
qui est l'éternité". J'ai dit : "Donnons
alors à la vie ce qui lui sert pour durer et pour
servir l'esprit dans sa conquête : continence de la chair dans ses appétits,
continence de l'esprit dans ses désirs, continence du cœur dans toutes les
passions qui appartiennent à l'humain, et élan sans limites vers les passions
du Ciel : amour pour Dieu et le prochain, volonté de servir Dieu et le
prochain, obéissance à la voix de Dieu, héroïsme dans le bien et dans la
vertu".
567.22 – Et tu m'as dit, alors, que Moi
je le pouvais parce que j'étais saint, mais que toi tu ne le pouvais pas, parce que tu étais un homme jeune, plein de vitalité. Comme si
la jeunesse et la vigueur étaient une excuse pour le vice, comme s'il n'y
avait que les vieux ou les malades, par suite de l'âge ou de la faiblesse,
impuissants pour ce que tu pensais, brûlé comme tu l'es par la luxure, qui
fussent soustraits aux tentations des sens ! J'aurais pu te répliquer tant de
choses, alors. Mais tu n'étais pas en état de les comprendre. Tu ne l'es même
pas maintenant, mais au moins maintenant tu ne peux sourire de ton sourire
incrédule si Moi je te dis que l'homme sain peut être chaste, s'il
n'accueille pas de lui-même les séductions du démon et des sens.
La chasteté est une affection spirituelle, c'est un mouvement qui se
répercute sur la chair et l'envahit toute entière, l'élève, la parfume, la
préserve. Celui qui est saturé de chasteté n'a pas de place
pour les autres mouvements qui ne sont pas bons. La corruption n'entre pas en
lui. Il n'y a pas de place pour elle. Et puis, la corruption n'entre pas du
dehors.
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155> Ce n'est pas un mouvement de
pénétration de l'extérieur dans l'intérieur. Mais c'est un mouvement qui de
l'intérieur, du cœur, de la pensée, sort pour pénétrer et envahir l'enveloppe
: la chair. C'est pour cela que j'ai dit que c'est du cœur que sort la
corruption sous toutes ses
formes .
Tout adultère, toute luxure, tout péché sensuel, il n'en est pas dont
l'origine soit à l'extérieur, mais il vient de l'activité de la pensée qui,
corrompue, revêt d'un aspect excitant tout ce qu'elle voit. Tous les hommes
ont des yeux pour voir. Et comment arrive-t-il alors qu'une femme qui laisse
indifférents dix hommes qui la regardent comme une créature semblable à eux,
qui la voient même comme une belle œuvre de la Création, mais sans pour cela
sentir se soulever en eux des attraits et des imaginations obscènes,
trouble-t-elle le onzième homme et l'amène-t-elle à des désirs indignes ? C'est que ce onzième a
corrompu son cœur et sa pensée et où dix voient une sœur, lui voit une
femelle.
567.23 – Pourtant, sans te dire cela
alors, je t'ai dit que je suis venu justement pour les hommes, non pour les
anges .
Je suis venu pour rendre aux hommes leur royauté de fils de Dieu, en leur
enseignant à vivre en dieux. Dieu est exempt de luxure, ô Judas. Mais j'ai
voulu vous montrer que l'homme aussi peut être exempt de luxure. Mais j'ai
voulu vous montrer que l'on peut vivre comme je l'enseigne. Pour vous le
montrer, j'ai dû prendre une vraie chair pour pouvoir souffrir les
tentations de l'homme et dire à l'homme, après l'avoir instruit :
"Faites comme Moi".
Et tu m'as demandé si j'avais péché, étant tenté. T'en souviens-tu ? Je t'ai
répondu, puisque tu ne pouvais comprendre que j'eusse été tenté sans être
tombé ,
car il te semblait que la tentation ne
convenait pas pour le Verbe et qu'il était impossible que l'Homme ne pèche
pas, je t'ai répondu que tous peuvent être tentés, mais que ne sont pécheurs
que ceux qui veulent l'être. Ton étonnement fut grand, tu ne croyais pas, au
point que tu as insisté : "Tu n'as jamais péché ?"
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156> Alors tu pouvais être incrédule.
Nous nous connaissions depuis peu. La Palestine est pleine de rabbis dont la
doctrine qu'ils enseignent est l'antithèse de la vie qu'ils mènent. Mais
maintenant tu sais que je n'ai pas péché, que je ne pèche pas. Tu le sais que
la tentation, même la plus violente, tournée vers l'homme sain, viril, vivant
parmi les hommes, entouré par eux et par Satan, ne me trouble pas jusqu'au
péché. Mais au contraire, toute
tentation, bien que de la repousser en augmentait la virulence, car le démon
la rendait toujours plus violente pour me vaincre, était une plus grande
victoire. Et ce n'est pas seulement pour la luxure, tourbillon qui a tourné
autour de Moi sans pouvoir ébranler ni érafler ma volonté.
Il
n'y a pas de péché là où on
ne consent pas à la tentation, Judas. C'est déjà un péché là où, même sans consommer l'acte,
on accueille la tentation et
où on s'y arrête. Ce sera un péché
véniel, mais c'est déjà se diriger vers le péché mortel qu'il prépare en
vous, car accueillir la tentation et vous y arrêter par la pensée, suivre
mentalement les phases d'un péché, c'est vous affaiblir vous-mêmes. Satan le
sait, et c'est pour cela qu'il essaie des coups répétés, espérant toujours
que l'un d'eux pénètre et travaille à l'intérieur... Après... il serait
facile que celui qui est tenté se change en coupable.
Toi, alors, tu n'as pas compris. Tu ne pouvais comprendre. Maintenant,
tu le peux. Maintenant, tu mérites moins qu'alors de comprendre, et pourtant
je te répète ces paroles que j'ai dites à toi, pour toi, parce que toi, et
non pas Moi, es quelqu'un pour qui la tentation repoussée ne s'apaise pas...
Elle ne s'apaise pas parce que tu ne la repousses pas totalement. Tu
n'accomplis pas l'acte, mais tu en couves la pensée. Aujourd'hui ainsi, et
demain... Demain tu tomberas dans le vrai péché. C'est pour cela que je t'ai
enseigné, alors, de demander l'aide du Père contre la tentation, je t'ai
enseigné à demander au Père de ne pas t'induire en tentation. Moi, le Fils de
Dieu, Moi, déjà victorieux de Satan, j'ai demandé de l'aide au Père parce que
je suis humble. Toi, non. Tu n'as pas demandé au Père le salut, la
préservation. Tu es orgueilleux, et c'est pour cela que tu t'enfonces...
567.24 – Te souviens-tu de tout cela ?
Et peux-tu maintenant comprendre ce que c'est pour Moi, vrai Homme, avec
toutes les réactions de l'homme, et vrai Dieu, avec
toutes les réactions de Dieu, ce que c'est pour Moi de te voir ainsi :
luxurieux, menteur, voleur, traître, homicide ?
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157> Sais-tu
quel effort je m'impose pour te supporter près de Moi ? Sais-tu quelle peine
pour me maîtriser, comme maintenant, pour accomplir jusqu'au bout ma mission
sur toi ? Tout autre homme t'aurait saisi à la gorge, en te voyant voleur,
occupé à crocheter et à prendre l'argent, en te sachant traître, et plus que
traître... Moi, je t'ai parlé. Avec pitié, encore. Regarde. Ce n'est pas
l'été et par la fenêtre entre la brise fraîche du soir. Et pourtant je sue
comme si j'avais fatigué dans le plus rude travail. Mais ne te rends-tu pas
compte de ce que tu me coûtes ? De ce que tu es ? Tu veux que je te chasse ?
Non, jamais. Quand quelqu'un se noie, est un assassin celui qui le laisse
aller. Tu es entre deux forces qui t'attirent. Satan et Moi. Mais si je te
laisse, tu n'auras que lui seul. Et comment te sauveras-tu ? Et pourtant tu
me quitteras... Tu m'as déjà quitté par
ton esprit... Eh bien :
je garde auprès de Moi, malgré cela, la chrysalide de Judas, ton corps dénué
de la volonté de m'aimer, ton corps inerte au Bien. Je la garde tant que tu
n'exiges pas aussi ce rien qu'est ta dépouille afin de la réunir à ton esprit
pour pécher avec tout toi-même.
567.25 – Judas !... Tu ne me parles
pas, ô Judas ! ? Tu n'as pas un mot pour ton Maître ? Tu n'a pas une prière à
me faire ? Je n'exige pas que tu me dises : "Pardon !" Je t'ai
pardonné trop de fois sans résultat. Je sais que cette parole n'est qu'un son
sur tes lèvres. Ce n'est pas un mouvement de l'esprit contrit. Je voudrais un
mouvement de ton cœur. Es-tu mort au point de n'avoir plus un désir ? Parle !
As-tu peur de Moi ? Oh ! si tu me craignais ! Cela au moins ! Mais tu ne me
crains pas. Si tu me craignais, je te dirais les paroles que je t'ai dites en
ce jour lointain où nous parlions de tentations et de péchés
: "Moi je te dis que même après le Crime des crimes, si celui qui en est
coupable courait aux pieds de Dieu, avec un vrai repentir, et si en pleurant
il le suppliait de le lui pardonner en s'offrant pour expier avec confiance,
sans désespoir, Dieu le lui pardonnerait, et par l'expiation le coupable
sauverait encore son esprit". Judas ! Si tu ne me crains pas, Moi, je
t'aime encore. À mon amour infini, n'as-tu rien à demander à cette heure
?"
"Non. Ou du moins une seule chose : que tu imposes à Jean de ne pas
parler. Comment veux-tu que je puisse réparer si je suis l'opprobre parmi
vous ?"
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158> Il le dit avec hauteur. Et Jésus
lui répond :
"Et c'est ainsi que tu le dis ? Jean ne parlera pas. Mais toi au moins,
c'est Moi qui te le demande, agis de façon que rien ne transparaisse de ta
ruine.
567.26 – Ramasse ces pièces et remets-les
dans la bourse de Jeanne... Je m'arrangerai pour fermer le coffre... avec le
fer dont tu t'es servi pour l'ouvrir..."
Et pendant que de mauvaise grâce Judas ramasse les pièces qui ont roulé de
tous côtés, Jésus s'appuie comme s'il était las au coffre ouvert. La lumière
baisse dans la pièce, mais pas assez pour ne pas laisser voir que Jésus
pleure sans bruit, en regardant l'apôtre penché pour ratisser les pièces
dispersées.
Judas a fini. Il va au coffre, il prend la grosse et lourde bourse de Jeanne
et y met les pièces, la ferme, et dit :
"Voilà !"
Il s'écarte.
Jésus allonge la main pour prendre le crochet rudimentaire fabriqué par Judas
et, d'une main qui tremble, il fait agir le déclic et ferme le coffre fort.
Puis, appuyant le fer contre son genou, il le plie en V, puis avec le pied il
finit de le déformer pour le rendre inutilisable et il le ramasse pour le
cacher dans son sein. Pendant qu'il le fait, des larmes tombent sur son
vêtement de lin.
Judas a finalement un mouvement de regret.
Il se couvre le visage de ses mains et il éclate en sanglots en disant :
"Maudit que je suis ! Je suis l'opprobre de la Terre !"
"Tu es le malheureux éternel ! Et penser que si tu voulais, tu pourrais
encore être heureux !"
"Jure-moi, jure-moi que personne ne saura rien... et moi, je te jure que
je me rachèterai" crie Judas.
"Ne dis pas : "et moi, je me rachèterai". Tu ne peux pas. Moi seul
puis te racheter. Celui qui auparavant parlait par tes lèvres ne peut
être vaincu que par Moi. Dis-moi la parole de l'humilité : "Seigneur,
sauve-moi !" et je te délivrerai de celui qui te domine. Ne comprends-tu
pas que je l'attends cette parole, plus que le baiser de ma Mère ?"
Judas pleure, pleure, mais il ne dit pas cette parole.
"Va ! Sors d'ici, monte sur la terrasse. Va où tu veux, mais ne fais pas
de scène bruyante. Va ! Va ! Personne ne te découvrira car je veillerai. À
partir de demain, tu garderas l'argent. Tout est inutile désormais."
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159> Judas sort sans répliquer. Jésus,
resté seul, s'abandonne sur un siège près de la table et la tête appuyée sur
ses bras croisés sur la table, il verse des pleurs angoissés.
567.27 – Quelques minutes après Jean
entre doucement et il reste un moment sur le seuil. Il est pâle comme un
mort. Puis il court vers Jésus et l'embrasse en suppliant :
"Ne pleure pas, Maître ! Ne pleure pas ! Je t'aime aussi pour ce
malheureux..."
Il le relève, l'embrasse, boit les pleurs de son Dieu et pleure à son
tour. Jésus l'embrasse, et les deux têtes blondes, l'une près de l'autre,
échangent larmes et baisers.
Mais Jésus se domine bientôt et il dit :
"Jean, par amour pour Moi, oublie tout cela. Je le veux."
"Oui, mon Seigneur. J'essaierai de le faire. Mais Toi, ne souffre
plus... Ah ! Quelle douleur ! Et il m'a fait pécher, mon Seigneur. J'ai
menti. J'ai dû mentir car les femmes disciples sont revenues. Non, d'abord
ceux de la femme. Ils te demandaient pour te bénir. Un garçon est né sans
inconvénients. J'ai dit que tu étais retourné sur la montagne... Puis les
femmes sont venues et j'ai recommencé de mentir en disant que tu étais parti
et que peut-être tu étais à la maison où est né le garçon... Je n'ai rien
trouvé d'autre à dire. J'étais tellement abasourdi ! Ta Mère a vu que j'avais
pleuré et elle m'a demandé : "Qu'as-tu, Jean ?" Elle était
agitée... Elle paraissait savoir. J'ai menti pour la troisième fois en disant
: "Je me suis ému pour cette femme..." À quoi peut conduire le
voisinage d'un pécheur ! Au mensonge... Absous-moi, ô mon Jésus."
"Sois en paix. Efface tout souvenir de cette heure. Rien. Rien n'est
arrivé... Un rêve..."
"Mais ta douleur ! Oh ! comme tu es changé, Maître ! Dis-moi ceci, ceci
seulement : Judas s'est-il au moins repenti ?"
"Et qui peut comprendre Judas, mon fils ?"
"Aucun de nous. Mais Toi, si."
Jésus ne répond que par de nouvelles larmes silencieuses sur son visage
fatigué.
"Ah ! Il ne s'est pas repenti !..."
Jean est terrifié.
"Où est-il maintenant ? L'as-tu vu ?"
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160/161> "Oui. Il s'est
montré à la terrasse, a regardé s'il y avait quelqu'un, et n'ayant vu que
moi, qui étais assis angoissé sous le figuier, il est descendu en courant et
il est sorti par le portillon du jardin. Et alors, moi, je suis venu..."
"Tu as bien fait. Remettons en place ici les sièges dérangés et prends
l'amphore, qu'il n'y ait pas de traces..."
"Il a lutté avec Toi."
"Non, Jean. Non."
567.28 – "Tu es trop troublé, Maître,
pour rester ici. Ta Mère comprendrait... et elle en aurait du chagrin."
"C'est vrai. Sortons... Tu donneras la clef à la voisine. Je te précède
sur les rives du torrent, vers le mont..."
Jésus sort et Jean reste pour remettre tout en ordre. Puis il sort à son
tour. Il donne la clef à une femme qui a sa maison à
côté et il s'enfuit en courant parmi les buissons de la rive pour qu'on ne le
voie pas.
À une centaine de mètres de la maison, Jésus est assis sur un rocher. Il se
tourne au bruit des pas de l'apôtre. Son visage blanchit dans la lumière du
soir. Jean s'est assis par terre tout près de Lui, et il pose sa tête sur ses
genoux, en levant son visage pour le regarder. Il voit qu'il y a encore des
larmes sur les joues de Jésus.
"Oh ! ne souffre plus ! Ne souffre plus, Maître ! Je ne puis te voir
souffrir !"
"Et puis-je ne pas souffrir de cela ? Ma plus grande douleur !
Souviens-toi de cela, Jean : ce sera éternellement ma plus grande douleur
! Tu ne peux encore tout comprendre... Ma plus grande douleur..."
Jésus est accablé, Jean le tient serré, en l'embrassant à la taille, angoissé
de ne pouvoir le consoler.
Jésus lève la tête, ouvre ses yeux qu'il gardait clos pour retenir ses
larmes, et il dit : "Rappelle-toi que nous sommes trois à savoir : le
coupable, toi et Moi. Et que personne d'autre ne doit savoir."
"Personne ne le saura de ma bouche .
Mais comment a-t-il pu ? Tant qu'il prenait de l'argent à la bourse
commune... Mais à cela !... J'ai cru être fou quand je l'ai vu... Horreur
!"
"Je t'ai dit d'oublier..."
"Je m'efforce, Maître. Mais c'est trop horrible..."
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