Le mercredi 17
janvier 1945.
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80.1 – Une très belle aube dans un
lieu sauvage. Une aube en haut d'une pente montagneuse. À peine la première
lueur du jour Dans le ciel les dernières étoiles visibles et un étroit
croissant de la lune en décours qui reste, virgule d'argent, sur le velours
sombre du ciel.
La montagne semble indépendante, sans liaison avec d'autres chaînes. Mais,
c'est un vrai mont, pas une colline. La cime est beaucoup plus en haut et
pourtant, à mi-hauteur on découvre un large horizon ce qui témoigne qu'on
s'est élevé beaucoup au dessus du niveau du sol. Dans l'air frais du matin où
se fraie sa route la lumière incertaine, blanc-verdâtre de l'aube, et qui se
fait plus claire, se révèlent les contours et les détails que dissimulait
d'abord la brume qui précède le jour, toujours plus sombre qu'une nuit, car
la lumière des astres, dans le passage de la nuit au jour diminue et je
dirais qu'elle s'efface. Je vois ainsi que la montagne est de roche nue,
coupée d'anfractuosités qui forment des grottes, des antres et refuges dans
la montagne.
Dans les seuls endroits où un peu de terre s'est accumulée
pour pouvoir recueillir aussi l'eau du ciel, et la conserver, il y a des
touffes de verdure, des plantes qui n'ont guère qu'une tige épineuse, avec un
rare feuillage et des buissons ligneux à ras de terre de végétaux qui
semblent des baguettes vertes, et dont je ne sais pas le nom.
En bas se trouve une étendue, plus aride encore, plate, pierreuse et qui
devient toujours plus aride à mesure qu'on se rapproche d'un point obscur,
plus long que large, au moins cinq fois plus long que large. Je pense qu'il
s'agit d'une oasis luxuriante qu'ont fait naître des eaux souterraines dans
ce paysage désolé. Cependant, quand la lumière se fait plus vive, je vois que
c'est une étendue d'eau. Une eau stagnante, sombre, morte. Un lac d'une
tristesse infinie. Dans cette lumière encore incertaine, cela me remet en
mémoire la vision du monde mort.
Le lac semble attirer à lui l'image sombre du ciel, et toute la tristesse du
paysage environnant. Il semble refléter dans ses eaux immobiles, le vert
sombre des plantes épineuses et des herbes rigides qui sur des kilomètres et
des kilomètres, en plaine et sur les pentes, sont l'unique parure du sol, et
en faire un philtre de sombre tristesse qui s'en dégage et se répand sur tout
l'environnement. Quelle différence avec le lumineux et riant lac de
Génésareth !
En haut, en regardant le ciel, d'une absolue sérénité qui se fait toujours
plus clair, en regardant la lumière qui de l'orient se répand comme une marée
lumineuse, l'esprit redevient joyeux. Mais la vue de cette immense étendue
d'eau morte vous serre le cœur. Aucun oiseau ne la survole. Aucun animal sur
ses rives. Rien.
Dessin de Lorenzo
Ferri réalisé sur les indications de Maria
Valtorta.
80.2 – Pendant que je regarde cette
désolation, la voix de Jésus vient me secouer : "Et,
nous voici arrivés où je voulais." Je me retourne. Je le vois derrière
moi, au milieu de Jean, Simon
et Judas, près de la pente rocheuse de la
montagne, là où arrive un sentier... il vaudrait mieux dire : là où un long
travail des eaux, à la saison des pluies a érodé le calcaire, creusant au
cours des siècles un canal à peine dessiné qui sert à l'écoulement des eaux
venant des sommets et qui maintenant est un chemin pour les chèvres sauvages
plutôt que pour les hommes.
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20> Jésus regarde tout autour et
répète :
"Qui, c'est là que je voulais vous amener. Là le Christ s'est préparé à
sa mission."
"Mais, ici, il n'y a rien !"
"Il n'y a rien, tu l'as dit."
"Avec qui étais-tu ?!"
"Avec mon esprit et avec le Père."
"Ah ! ce fut une halte de quelques heures !"
"Non, Judas, non pas de quelques heures, mais de plusieurs
jours..."
"Mais, qui te servait ? Où as-tu dormi ?"
"J'avais pour serviteurs les onagres qui, la nuit, venaient dormir dans
leur tanière... dans celle-ci où Moi aussi je m'étais réfugié. J'avais à mon
service les aigles qui me disaient : "Il fait jour" avec leur
cri sauvage quand ils partaient en chasse. J'avais pour amis les petits
lièvres qui venaient brouter les herbes sauvages, pour ainsi dire à mes
pieds... Ma nourriture et ma boisson c'était ce qui est nourriture et boisson
pour les fleurs sauvages la rosée de la nuit, la lumière du soleil. Rien
d'autre."
"Mais, pourquoi ?"
"Pour bien me préparer, comme tu dis, à ma mission. Les
choses bien préparées réussissent bien. Tu l'as dit. Et mon affaire
n'était pas la petite, l'inutile affaire de me mettre en lumière Moi,
Serviteur du Seigneur, mais de faire comprendre aux hommes ce qu'est le
Seigneur et par le moyen de cette compréhension de le faire aimer en esprit
de vérité. Misérable le serviteur du Seigneur qui pense à son triomphe et non
à celui de Dieu ! Qui cherche à en tirer profit, qui songe à s'élever
sur un trône fabriqué... oh ! fabriqué avec les intérêts de Dieu, avilis
jusqu'à traîner par terre, eux qui sont des intérêts célestes. Ce n'est plus
un serviteur, celui-là, même s'il en a l'aspect extérieur. C'est un marchand,
un trafiquant, un être faux qui se trompe lui-même, qui trompe les hommes et
voudrait tromper Dieu... un malheureux qui se prend pour un prince et qui est
un esclave... Esclave du Démon son roi et son maître de mensonge. Ici, dans
cette tanière, le Christ, pendant un grand nombre de jours a vécu de
mortifications et de prière pour se préparer à sa mission.
80.3 – Et où voudrais tu que je sois
allé pour me préparer, Judas ?"
Judas est perplexe, désorienté. Il répond finalement :
"Mais je ne saurais... Je pensais... chez quelque rabbi... près des Esséniens... Je
ne sais."
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21> "Et pouvais-je trouver un rabbi qui m'en dît
davantage de ce que me disait la puissance et la sagesse de Dieu ? Et
pouvais-je Moi - Moi, Verbe éternel du Père, qui étais quand le Père créa
l'homme et qui sais par quel esprit immortel il est animé et de quelle
capacité de libre jugement le Créateur l'a doté - pouvais-je aller chercher
science et compréhension chez des gens qui nient l'immortalité de l'âme en
niant la résurrection finale, qui nient le libre arbitre de l'homme en
renvoyant dos à dos vertus et vices, actions saintes et mauvaises réglées par
une destinée qu'ils disent fatale et invincible ? Ah ! non.
Vous avez une destinée, oui. Vous l'avez. Dans l'esprit de Dieu qui vous a
créés, il existe pour vous une destinée. Le Père la désire pour vous, et
c'est une destinée d'amour, de paix, de gloire : "la sainteté qui
fait de vous ses fils". Tel est le destin qui, présent à la pensée
divine au moment où, avec de la boue, fut fait Adam, sera présent jusqu'à la
création de la dernière âme humaine.
Mais le Père ne vous fait pas violence dans votre
condition de roi. Le roi, s'il est prisonnier, n'est plus roi : il est
déchu. Vous êtes rois parce que vous êtes libres dans votre petit royaume
individuel, dans votre moi. En lui, vous pouvez faire ce que vous
voulez, comme vous voulez.
80.4 – En face, et aux frontières de
votre petit royaume, vous avez un Roi ami et deux puissances ennemies. L'Ami
vous montre les règles qu'il a faites pour rendre heureux ceux qui sont à
Lui. Il vous les montre. Il vous dit : "Les voilà, avec elles, est assurée l'éternelle victoire". Il vous les
montre, Lui, le Sage et le Saint pour que vous puissiez, si vous le voulez,
les mettre en pratique et en tirer une gloire éternelle. Les deux puissances
ennemies sont Satan et la chair. Sous le
nom de chair, je mets la vôtre et celle du monde : c'est à dire les
pompes et les séductions du monde, c'est à dire la richesse, les fêtes, les
honneurs, les puissances qui viennent du monde et qui s'y trouvent et qu'on
n'acquiert pas toujours honnêtement et dont on sait encore moins user
honnêtement si l'homme y parvient par suite d'un ensemble de circonstances.
Satan, maître de la chair et du monde s'adresse à nous par lui-même et par la
chair. Lui aussi a ses règles... Oh ! s'il en
a !... Et puisque le moi est entouré de chair et que la chair
recherche la chair comme les parcelles de fer se dirigent vers l'aimant, et
parce que le chant du Séducteur est plus doux que les roulades du rossignol
énamouré au clair de lune dans le parfum de la roseraie, il est plus facile
d'aller vers ces règles, de se soumettre à ces puissances, de leur
dire : "Je vous tiens pour des amies. Entrez".
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23> Entrez...
Avez-vous jamais vu un allié qui reste toujours honnête, sans demander le cent
pour un pour l'aide qu'il apporte ? Ainsi font-elles. Elles entrent...
Elles deviennent maîtresses. Maîtresses ? Non : tyranniques. Elles vous
attachent ô hommes aux bancs de galériens, elles vous y enchaînent, elles ne
vous laissent plus dégager le cou de leur joug et leur fouet vous laisse des
traces sanglantes si vous cherchez à leur échapper.
Oh ! se faire frapper jusqu'à en devenir une masse de chair broyée,
devenue inutilisable au point que leur pied cruel la repousse, ou mourir sous
les coups.
Si vous savez vous donner ce martyre, vous donner ce martyre voilà
alors que passe la Miséricorde, l'Unique qui puisse encore avoir pitié de
cette répugnante misère pour laquelle le monde, un des deux maîtres, éprouve
du dégoût et sur laquelle l'autre maître, Satan, décoche ses flèches vengeresses.
Et la Miséricorde l'Unique qui passe auprès, se penche, l'accueille, la
soigne, guérit et lui dit : "Viens, ne crains pas, Ne te regarde
pas. Tes plaies ne sont plus que des cicatrices, mais tellement innombrables
qu'elles te feraient horreur, tellement elles te défigurent. Mais, Moi, ce
n'est pas elles que je regarde, je regarde ta volonté. À cause de cette bonne
volonté, tu es ainsi marqué d'un signe, à cause de ce signe, je te dis :
"je t'aime, viens avec Moi", et elle la porte dans son Royaume. Alors
vous comprenez que Miséricorde et amitié Royale sont une même personne. Vous
retrouvez les règles que Lui vous avait montrées et que vous n'aviez pas
voulu suivre. Maintenant vous en avez la volonté... et arrivez à paix de la
conscience d'abord, à la paix de Dieu ensuite.
Dites-moi, alors. Est-ce que cette destinée a été imposée par un Seul à tous,
ou si personnellement chacun l'a voulue pour lui-même ?"
"C'est chacun qui l'a voulue."
"Tu juges bien, Simon. Pouvais-je, Moi aller trouver ceux qui nient la
bienheureuse résurrection et le don de Dieu pour me former ?
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24> 80.5 – C'est ici que je suis venu.
J'ai pris mon âme de Fils l'homme et me la suis travaillée par les ultimes
touches, tenant le travail de trente années d'anéantissement et de
préparation pour aborder avec perfection mon ministère. Maintenant, je vous
demande de rester avec Moi, quelques jours, dans cette tanière. L'attente
sera toujours moins désolée car nous serons quatre amis pour nous défendre
contre les tristesses, les peurs, les tentations, les nécessités de la chair.
Moi, j'étais seul. Ce sera moins pénible parce que
maintenant c'est l'été, et ici, en altitude, il y le vent des sommets pour
tempérer la chaleur. Moi j'y vins à la fin de la lune de Tebet et glacial était le vent qui descendait des neiges de la
cime. L'attente sera moins torturante parce que plus courte et parce que nous
avons maintenant ce minimum de nourriture qui peut apaiser notre faim, et
dans les gourdes que je vous ai fait donner par les bergers, il y a assez
d'eau pour ce court séjour. Moi... Moi, j'ai besoin
d'arracher deux âmes à Satan. Il n'y a que la pénitence qui
puisse en venir à bout. Je vous demande de l'aide. Cela servira aussi à votre
formation. Vous apprendrez comment on arrache les proies à Mammon. Pas tant
avec les paroles qu'avec le sacrifice... Les paroles !... Le vacarme
satanique empêche qu'on les écoute… Les âmes qui sont la proie de l'Ennemi
sont emportées dans un tourbillon de voix infernales... Voulez-vous rester
avec Moi ? Mais si vous, vous ne voulez pas, partez. Moi je reste. Nous
nous retrouverons à Tecua, près du marché."
"Non, Maître, je ne t'abandonne pas " dit Jean pendant qu'en même
temps Simon s'écrie :
"C'est pour nous élever que tu nous veux avec Toi dans cette
rédemption."
Judas... ne me paraît pas très enthousiaste mais il fait bon visage au... destin
et dit :
"Moi, je reste."
"Prenez alors les gourdes, les sacs et portez-les à l'intérieur et,
avant que le soleil ne soit brûlant, cassez du bois et entassez-le près de
l'ouverture. La nuit est froide, même en été ici, et toutes les bêtes ne sont
pas inoffensives. Allumez tout de suite une branche, là de cette plante
d'acacia gommeux. Il brûle bien. Nous la promènerons à travers les
fissures pour chasser avec le feu aspics et scorpions. Allez-y "...
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25> 80.6 – ... Le même point de la
montagne. Seulement, maintenant, c'est la nuit. Une nuit toute étoilée. Une
beauté du ciel nocturne, comme je crois on ne peut jouir que dans ces pays
déjà tropicaux. Étoiles d'une grandeur et d'un brillant merveilleux. Les
grandes constellations semblent des grappes de brillants, de clairs topazes,
de pâles saphirs, de doux opales, de tendres rubis. Elles tremblent,
s'allument, s'éteignent, comme les regards quand les paupières les voilent un
instant, et reprennent un éclat plus merveilleux. De temps à autre, une
étoile filante trace dans le ciel une ligne de feu et disparaît vers on ne
sait quel horizon. Un trait lumineux qui paraît le cri de joie d'une étoile
charmée de voler ainsi dans ces prairies illimitées.
Jésus est assis à l'entrée de la caverne et parle aux trois
qui font cercle avec Lui. Il doit y avoir eu du feu, parce qu'au milieu du
cercle formé par les quatre, un tas de tisons a encore des lueurs de braises
et rougit de son reflet les quatre visages.
"Oui, le séjour est terminé. Ce séjour. L'autre fois, il
dura quarante jours... Et je vous redis encore : c'était encore l'hiver sur
ces pentes... et je n'avais pas de nourriture. Un peu plus difficile que
cette fois, n'est-ce pas ? Je sais que vous avez souffert aussi
maintenant. Le peu que nous avions et que je vous donnais n'était rien
spécialement pour la faim des jeunes. C'était tout juste pour vous empêcher
de tomber de faiblesse. L'eau, il y en avait encore moins avec la chaleur
torride du jour. Et vous direz que cela n'existait pas en hiver. Mais alors
c'était un vent sec qui descendait de la cime en brûlant les poumons et
s'élevait de la plaine, chargé de la poussière du désert et desséchait plus
encore que cette chaleur estivale que l'on peut adoucir en suçant ces fruits
acidulés qui sont presque mûrs. Alors la montagne ne donnait que vent et
herbes brûlées par le gel autour des acacias squelettiques. Je ne vous ai pas
donné tout, car j'ai réservé les derniers pains et le dernier fromage avec la
dernière gourde pour le retour ...Je sais ce que fut le retour, épuisé comme
je l'étais dans la solitude du désert... Rassemblons nos affaires et partons.
La nuit est encore plus claire que celle où nous sommes arrivés. Il n'y a pas
de lune, mais le ciel pleut de la lumière. Partons. Gardez le souvenir de
cette place. Sachez vous souvenir de la façon dont
se prépara le Christ et dont se préparent les apôtres. C'est comme je l'ai
enseigné que se préparent les apôtres."
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26> 80.7 – Ils se lèvent. Simon, avec une
branche remue les braises, les ravive, avant de les éteindre avec les pieds,
avec des herbes sèches, et, à la flamme il allume un rameau d'acacia et le
tient en l'air à l'entrée de la grotte pendant que Judas et Jean rassemblent
les manteaux, les sacs et les gourdes dont une seule est encore pleine. Puis
il éteint le rameau en le secouant contre le: roches, se charge de son sac,
et comme tous les autres, se met le manteau en l'attachant à la taille pour
qu'il ne gêne pas la marche.
Ils descendent sans plus parler l'un derrière l'autre par un
sentier très rapide mettant en fuite de petits animaux qui broutent le peu
d'herbes qui résiste encore au soleil. Le chemin est long et difficile.
Finalement, ils arrivent à la plaine. La marche n'est
pas très aisée non plus, ici, où pierres et éclats de pierres roulent
traîtreusement sous le pied, en le blessant aussi, parce que la terre réduite
en poussière les cache et qu'on ne peut les éviter, et où des buissons
épineux brûlés par le soleil griffent les pieds et gênent la marche en
s'accrochant au bas des vêtements. Mais le chemin est plus direct.
Là-haut, les étoiles sont toujours plus belles.
Ils vont, ils vont, et vont, pendant des heures. La terre est toujours plus
stérile et plus triste. Des éclats scintillants brillent dans des petites
rides du sol, dans des trous parmi les aspérités du terrain. On dirait des
éclats de brillants ternis. Jean se baisse pour les regarder.
"C’est le sel du sous-sol. Il en est saturé. Il affleure avec les crues
du printemps et puis se dessèche, Voilà pourquoi la vie ne résiste pas ici.
La mer Orientale, par des veines profondes répand la mort à plusieurs stades
alentour. Là seulement où des sources d’eau douce s’opposent à son action, là
seulement on peut trouver des arbres pour s’abriter" explique Jésus.
80.8 – Ils marchent encore. Puis
Jésus s’arrête près de la grotte où je l’ai vu tenté par Satan.
"Arrêtons-nous ici. Assoyez-vous. D’ici peu ce sera le chant du coq.
Depuis six heures nous marchons et vous devez avoir faim et soif, être
fatigués. Prenez. Mangez et buvez assis ici autour de Moi, pendant que Je
vous dis encore une chose que vous direz aux amis et au monde."
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27> Jésus a ouvert son sac et en a tiré
pain et fromage qu’il coupe et distribue et il verse de l’eau de sa calebasse
dans un bol et la distribue aussi.
"Tu ne manges pas Maître ?"
"Non. Je vous parle. Écoutez. Il y eut une fois
quelqu’un, un homme, qui me
demanda si je n'avais jamais été tenté. Qui me demanda si je
n’avais jamais péché. Qui me demanda si, au cours de la tentation, je n’avais
jamais cédé. Et qui fut stupéfait de ce que Moi, le Messie, j’eus demandé,
pour résister, l’aide du Père en disant : ''Père, ne m’induis pas en tentation".
Jésus parle doucement, comme s’il racontait un fait ignoré de tous... Judas
baisse la tête comme s’il était gêné. Mais les autres sont tellement
attentifs à regarder Jésus qu’ils ne s’en aperçoivent pas.
Jésus continue :
"Maintenant, vous, mes amis, vous pourrez savoir ce que très légèrement
cet homme apprit. Après le Baptême - j’étais pur, mais on ne l’est jamais
suffisamment par rapport au Très-Haut et l’humilité de dire : “Je suis un
homme pécheur”
est déjà un baptême qui purifie le cœur - après le Baptême, je suis venu ici.
J’avais été appelé “l’Agneau de Dieu” par celui qui, saint et prophète,
voyait la Vérité et voyait l’Esprit descendre sur le Verbe et le faire l’oint
par son chrême d’amour pendant que la voix du Père remplissait les cieux du
son de ses paroles en disant : “Voici mon Fils Bien-Aimé, en qui je me suis
complu ”. Toi, Jean, tu étais présent quand le Baptiste a répété les
paroles... Après le Baptême, bien que pur par nature et pur par ma
personnalité, je voulus “me préparer” Oui, Judas. Regarde-moi. Mon œil te dit
ce qu'encore tait ma bouche. Regarde-moi, Judas. Regarde ton Maître qui n’a
pas eu conscience d’être supérieur à l’homme du fait qu’il était le Messie
et qui, même sachant qu’Il était l’Homme, a voulu l’être en tout, sauf dans
la condescendance au mal. Voilà : c’est ainsi."
Maintenant Judas a levé le visage et regarde Jésus qu’il a en vis-à-vis. La
lumière des étoiles fait briller les yeux de Jésus comme si c’était deux
étoiles éclairant son pâle visage.
80.9 – "Pour se préparer à être
Maître, il faut avoir été écolier. Moi, je savais tout comme Dieu. Mon
intelligence pouvait aussi me faire comprendre les luttes de l’homme par mon
intelligence et intellectuellement.
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28> Mais un jour, quelque pauvre ami à
moi, quelque pauvre fils à moi, aurait pu dire et me dire : “Tu ne sais
pas ce que c’est que d’être un homme et d’avoir sentiments et passions“.
Ç'aurait été un reproche juste. Je suis venu ici-même, là, sur ce mont, pour
me préparer... non seulement à la mission... mais à la tentation.
Voyez-vous ? Là où vous êtes assis, Moi je fus tenté. Par qui ? Par
un mortel ? Non. Trop faible aurait été sa puissance. J’ai été tenté par
Satan, directement.
J’étais épuisé. Depuis quarante jours, je ne
mangeais plus... Mais tant que j’avais été perdu dans l’oraison, tout s’était
anéanti, dans la joie de parler avec Dieu, plus qu’anéanti : devenu
supportable. Je le ressentais comme un amoindrissement matériel, qui se
bornait à la matière seule... Puis, je suis revenu au monde... sur les routes
du monde... et j’ai ressenti les besoins de qui vit en ce monde. J’ai eu
faim. J’ai eu soif. J’ai senti le froid piquant de la nuit du désert. J’ai
senti mon corps brisé par le manque de repas, de couche, et du long chemin
accompli dans de telles conditions d’épuisement qu’elles m’empêchaient
d’aller plus loin...
Car j’ai une chair,
Moi aussi, amis. une vraie chair. Et elle est sujette aux mêmes faiblesses
qu’éprouvent toutes les chairs. Et avec la chair, j’ai un cœur. Oui. De
l’homme j’ai pris la première et la seconde des trois parties qui constituent
l’homme. J’ai pris la matière avec ses exigences et la sensibilité avec ses
passions. Si par l’effet de ma volonté j’ai réduit dès avant leur naissance
toutes les passions
qui ne sont pas bonnes, j’ai laissé croître, puissantes comme des cèdres
centenaires, les saintes passions de l’amour filial, de l’amour de la patrie,
des amitiés, du travail, de tout ce qui est excellent et saint. Et ici, j’ai
senti la nostalgie de la Maman lointaine, j’ai ressenti le besoin de ses
soins sur ma fragilité d’homme. Ici, j’ai senti se renouveler la souffrance
de m’être séparé de l’unique qui m’aimât parfaitement. Ici, j’ai ressenti la
souffrance qui m’était réservée et la douleur de sa douleur, pauvre Maman,
qui n’aura plus de larmes, tant elle devra en répandre pour son Fils et à
cause des hommes. Ici, j’ai ressenti la lassitude du héros et de l’ascète
qui, en une heure de prémonition, se rend compte de l’inutilité de son
effort... J’ai pleuré... La tristesse.. appel
magique pour Satan. Ce n’est
pas péché d’être triste si l’heure est torturante. C’est péché de
s’abandonner à la tristesse et de tomber dans l’inertie ou le désespoir. Mais
Satan s’amène tout de suite quand il voit quelqu’un qui tombe dans la
langueur spirituelle.
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29> Il est venu, en habits de voyageur
serviable. Il prend toujours un aspect sympathique... J’avais faim.., et
j’avais mes trente ans dans le sang. Il m’a offert son aide et il a commencé
par me dire : “Dis à ces pierres qu’elles deviennent des pains“. Mais,
avant encore... oui... encore avant, il m’avait parlé de la femme...
Oh ! il sait en parler. Il la connaît à fond. Il a commencé par la
corrompre pour s’en faire une alliée dans son oeuvre
de corruption. Je ne suis pas seulement le Fils de Dieu. Je suis Jésus,
l’artisan de Nazareth. À cet homme qui me parlait alors, me demandant si je connaissais la tentation et m’accusait
presque d’être injustement heureux parce que je n’avais pas péché, à cet homme j’ai dit : “L’acte
s’apaise dans la satisfaction. La tentation quand on la repousse ne tombe
pas, mais se fait plus forte surtout parce que Satan l’excite“. J’ai repoussé
la double tentation de la faim de la femme et de la faim du pain. Et sachez
que Satan me proposait la première et il n’avait pas tort, d’après le
jugement des hommes, comme la meilleure alliée pour m’imposer dans le monde.
La Tentation, qui n’était pas vaincue par mon : “Ce
n’est pas seulement des sens que vit l’homme“, me parla alors de ma mission.
Elle voulait séduire le Messie après avoir tenté l’homme jeune. Elle me
poussa à annihiler les indignes ministres du Temple par un miracle... Le
miracle, flamme du Ciel, ne se prête pas à se faire cercle d’osier pour qu’on
s’en fasse une couronne... Et on ne tente pas Dieu en Lui
demandant des miracles à des
fins humaines. C’est cela que voulait Satan. Le motif présenté était un
prétexte; la vérité était : “Glorifie-toi d’être le Messie“, pour
m’amener à l’autre concupiscence, celle de l’orgueil.
Pas vaincu par mon : “Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu” il
chercha à me circonvenir par la troisième force de sa nature: l’or : Oh ! l’or.
Grande chose que le pain et plus grande la femme pour qui est affamé de pain
ou de jouissance. Très grande chose l’acclamation des foules pour l’homme...
Pour ces trois choses que de fautes se commettent ! Mais l’or... mais
l’or... Clef qui ouvre, moyen de corruption, c’est l’alpha et l’oméga de
quatre vingt dix neuf actions sur cent pour les hommes. Pour le pain et la
femme, l’homme devient voleur. Pour la puissance il va jusqu’à l’homicide.
Mais, pour l’or, il devient idolâtre. Le roi de l’or : Satan, m’a offert
son or pour que je l’adore... Je l’ai transpercé avec les paroles
éternelles : “Tu n’adoreras que le Seigneur ton Dieu ”
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de page.
30> C’est ici, ici que cela est
arrivé."
80.10 – Jésus s’est levé. Il paraît
plus grand qu’à l’ordinaire dans la plaine qui l’entoure, dans la lumière légèrement
phosphorescente qui tombe des étoiles. Les disciples se lèvent aussi. Jésus
continue a parler en fixant intensément Judas.
"Alors sont venus les anges du Seigneur... L’Homme
avait remporté la triple victoire. L’Homme savait ce que voulait dire être
homme et il avait vaincu. Il était épuisé. La lutte avait été plus épuisante
que le jeûne prolongé... Mais l’esprit dominait... Je crois que les Cieux ont
tressailli à mon affirmation complète de créature douée de raison. Je crois
que, de ce moment est venu en Moi le pouvoir du miracle. J’avais été Dieu.
J’étais devenu l’Homme. Maintenant, triomphant de l’animal conjoint à la
nature humaine, voilà que j’étais l’Homme-Dieu.
Je le suis. Et comme Dieu, je puis tout. Et comme Homme j’ai l’expérience de
tout. Agissez, vous aussi, comme Moi, si vous voulez faire ce que je fais. Et
faites-le en souvenir de Moi.
Cet homme
s’étonnait que j’eusse demandé l’aide du Père et que je l’eusse prié de ne
pas m’induire en tentation. De ne pas m’abandonner donc au risque d’une tentation qui
dépasserait mes forces. Je crois que cet homme, maintenant qu’il sait, ne
s’étonnera plus. Agissez vous aussi de même en souvenir de Moi, et pour
vaincre comme Moi et ne doutez jamais en me voyant fort dans toutes les
épreuves de la vie, victorieux dans la bataille des cinq sens, de la
sensibilité et du sentiment, sur ma nature de véritable Être humain, et en
plus d’Être divin. Rappelez-vous de tout cela.
80.11 – Je vous avais promis de vous
conduire là où vous auriez pu connaître le Maître... depuis l’aube de son
jour : une aube pure comme celle qui va se lever jusqu’au midi de sa vie, ce
midi d’où je suis parti pour aller à la rencontre du soir de ma vie... J’ai
dit à l’un de vous : “Moi aussi, je me suis préparé “. Vous voyez que c’était
vrai. Je vous remercie de m’avoir tenu compagnie dans ce retour à mon lieu de naissance et à mon lieu de pénitence. Les premiers contacts avec le monde,
m’avaient déjà donné la nausée et apporté le découragement. Il est trop laid.
Maintenant mon âme s’est nourrie de la moelle du lion : de la fusion avec le
Père dans l’oraison et dans la solitude. Je puis retourner dans le monde pour
reprendre ma croix, ma première croix de Rédempteur : celle du contact avec
le monde, avec le monde où trop peu nombreuses sont les âmes qui s’appellent Marie, qui s’appellent Jean ...
Haut de page.
31> Maintenant, écoutez, toi spécialement Jean. Nous
revenons vers la Mère et vers les amis. Je vous en prie : ne dites pas à
la Mère la dureté qui s'est opposée à l'amour de son Fils. Elle en
souffrirait trop. De cette cruauté de l'homme Elle souffrira tellement,
tellement, tellement... mais ne lui présentons pas le calice dès maintenant.
Il sera si amer quand il lui sera donné ! Si amer, que tel un poison, il
se glissera comme un serpent dans ses viscères saintes et dans ses veines et
les mordra, lui glacera le cœur. Oh ! ne dites pas à ma Mère que Bethléem et Hébron m'ont repoussé comme un chien ! Pitié pour
Elle ! Toi Simon, tu es âgé et bon, tu es réfléchi et ne parleras pas,
je le sais. Toi, Judas, tu es juif et tu ne parleras pas par fierté patriotique.
Mais toi, Jean, toi galiléen et jeune, ne tombe pas dans le péché d'orgueil,
de critique, de cruauté. Tais-toi. Plus tard... plus tard tu diras aux autres
ce que, maintenant je te prie de taire. Même aux autres. Il y a déjà tant à
dire en ce qui concerne le Christ. Pourquoi y mêler ce qui vient de Satan
contre le Christ ? Amis, me promettez-vous tout cela ?"
"Oh ! Maître, bien sûr que nous te le
promettons ! Sois tranquille !"
"Merci. Allons jusqu'à cette petite oasis. Il y a là une source, une
citerne pleine d'eau fraîche, de l'ombre, de la verdure. La route vers le
fleuve est en lisière. Nous pourrons y trouver nourriture et repos jusqu'au
soir. À la clarté des étoiles, nous atteindrons le fleuve, le gué. Nous
attendrons Joseph où nous nous joindrons à lui, s'il est déjà revenu.
Allons."
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