Vision
du vendredi 2 mars 1945
336> 587.1 – Jésus est à
Béthanie. C'est le soir, un soir tranquille d'avril. Par les larges fenêtres
de la salle du banquet on voit le jardin de Lazare tout en fleurs et,
au-delà, le verger qui semble une nuée de pétales légers. Un parfum de
verdure nouvelle, du doux-amer des fleurs des arbres à fruits, de roses et
d'autres fleurs se mélange, en entrant avec le tranquille vent du soir qui
fait onduler légèrement les rideaux tendus sur les portes et trembler les
lumières du lampadaire du milieu de la pièce, à un vif parfum de tubéreuse,
de muguet, de jasmin, mélangés à l'essence rare, qui reste encore du baume
dont Marie de Magdala a parfumé son Jésus
dont les cheveux sont restés plus sombres par suite de l'onction.
Dans la salle se trouvent encore Simon, Pierre, Matthieu et Barthélemy. Les autres
manquent comme s'ils étaient déjà sortis pour leurs occupations.
Jésus s'est levé de table et observe un rouleau de parchemin que Lazare Lui a montré.
Marie de Magdala circule dans la salle... on dirait un papillon attiré par la
lumière. Elle ne sait que tourner autour de son Jésus. Marthe surveille les
serviteurs qui enlèvent les splendides nappes précieuses étendues sur la
table.
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337>
Jésus pose le rouleau sur une haute crédence à incrustations d'ivoire qui
ressortent du bois noir et brillant, et il dit :
"Lazare, viens dehors. J'ai besoin de te parler."
"Tout de suite, Seigneur" et Lazare se lève de son siège près de la
fenêtre et suit Jésus dans le jardin où la dernière lumière du jour se mêle
aux premiers rayons d'un splendide clair de lune.
587.2 – Jésus
marche en se dirigeant au-delà du jardin, là où se trouve le tombeau qui fut
celui de Lazare et qui maintenant présente un grand encadrement de roses
toutes en fleurs sur la bouche vide. En haut, sur la roche légèrement
inclinée, est gravé : "Lazare, viens dehors !" Jésus s'arrête là.
La maison ne se voit plus, cachée qu'elle est par des arbres et des haies. Il
y a un silence absolu et une absolue solitude.
"Lazare, mon ami" demande Jésus en restant debout en face de son
ami, et en le fixant avec une ombre de sourire sur son visage amaigri et pâle
plus qu'à l'ordinaire. "Lazare, mon ami, sais-tu qui je suis ?"
"Toi ? Mais tu es Jésus de Nazareth, mon doux Jésus, mon saint Jésus,
mon puissant Jésus !"
"Cela pour toi. Mais pour le monde, qui suis-je ?"
"Tu es le Messie d'Israël."
"Et puis ?"
"Tu es le Promis, l'Attendu... Mais pourquoi me demandes-tu cela ?
Doutes-tu de ma foi ?"
"Non, Lazare. Mais je veux te confier une vérité. Personne ne la sait,
sauf ma Mère et l'un
des miens. Ma Mère parce qu'elle n'ignore
rien. Un autre parce qu'il participe à cette chose. Aux autres je l'ai
dite, pendant ces trois années qu'ils sont avec Moi, maintes et maintes fois.
Mais leur amour leur a fait l'effet du népenthès et fait obstacle à la vérité annoncée. Ils n'ont pas pu tout
comprendre... Et il vaut mieux qu'ils n'aient pas compris, autrement, pour
empêcher un crime, ils en auraient commis un autre. Inutile, car ce qui doit
arriver arrivera, malgré tout meurtre. Mais à toi, je veux la dire."
"Penses-tu que je t'aime moins qu'eux ? De quel crime parles-tu ? Quel
crime doit arriver ? Parle, au nom de Dieu !" Lazare est agité.
"Je parle, oui. Je ne doute pas de ton amour. J'en doute si peu que
c'est à toi que je confie mes volontés..."
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338>
"Oh ! mon Jésus ! Mais cela on le fait quand on est près de mourir !
Moi, je l'ai fait quand j'ai compris que tu ne viendrais pas et que je devais
mourir."
"Et Moi, je dois mourir."
"Non !" Lazare pousse un profond gémissement.
"Ne crie pas. Que personne n'entende. J'ai besoin de parler à toi seul.
587.3 – Lazare,
mon ami, sais-tu ce qui arrive en ce moment où tu es près de Moi, dans
l'amitié fidèle que tu m'as donnée dès le premier moment, et qui n'a jamais
été troublée par aucun motif ? Un homme, avec
d'autres hommes, est en train de débattre le prix de l'Agneau. Tu sais quel
nom a cet Agneau ? Il s'appelle : Jésus de Nazareth."
"Non ! Tu as des ennemis, c'est vrai. Mais personne ne
peut te vendre ! Qui ? Qui est-ce ?"
"C'est un des miens. Ce ne pouvait être que quelqu'un de ceux que j'ai
le plus fortement déçus et qui, las d'attendre, veut se débarrasser de Celui
qui désormais n'est plus qu'un danger personnel. Il croit se refaire une
réputation, d'après ce qu'il pense, auprès des grands du monde. Au contraire,
il sera méprisé par le monde des bons et par celui des criminels. Il est
arrivé à se lasser ainsi de Moi, de l'attente de ce que par tous les moyens
il a essayé d'atteindre : la grandeur humaine, qu'il a poursuivie d'abord au
Temple, qu'il a cru atteindre avec le Roi d'Israël, et que maintenant il
cherche de nouveau, au Temple et auprès des romains... Il espère... Mais
Rome, si elle sait récompenser ses serviteurs fidèles... sait piétiner sous
son mépris les vils délateurs. Il est las de Moi, de l'attente, du fardeau
qu'il a d'être bon. Pour celui qui est mauvais, être bon, devoir feindre de l'être, c'est un fardeau accablant.
Il peut être supporté pendant quelque temps... et puis... et puis on ne peut
plus... et on s'en débarrasse pour redevenir libre. Libre ? C'est ce que croient
les mauvais. C'est ce qu'il croit. Mais ce n'est pas la liberté. Appartenir
à Dieu, c'est la liberté. Être
contre Dieu, c'est une prison avec des fers et des chaînes, des fardeaux et
des coups de fouet, qu'aucun galérien à la rame, qu'aucun esclave aux
constructions, ne supporte sous le fouet du garde-chiourme."
"Qui est-ce ? Dis-le-moi. Qui est-ce ?"
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339> "C'est inutile."
"Si, c'est utile... Ah !... Ce ne peut être que lui : l'homme qui a
toujours été une tache dans ton groupe, l'homme qu'il n'y a pas longtemps a
offensé ma sœur. C'est Judas de Kériot !"
"Non. C'est Satan. Dieu a pris chair en Moi : Jésus. Satan a pris chair en
lui : Judas de Kériot . Un jour... très lointain... ici, dans ton jardin, j'ai
consolé des pleurs et j'ai excusé un esprit tombé dans la boue. J'ai dit que la possession c'est la
contagion de Satan qui inocule ses sucs dans l'être et le dénature. J'ai dit
que c'est le mariage d'un esprit avec Satan et avec l'animalité
. Mais la possession est encore peu de chose par rapport
à l'incarnation. Je serai possédé par mes saints , et eux seront possédés par Moi. Mais c'est seulement en Jésus Christ qu'est Dieu tel qu'il est
au Ciel, car je suis le Dieu fait Chair. Il n'y a qu'une Incarnation
divine. De même aussi dans un seul sera Satan, Lucifer, comme il est dans son royaume, car
c'est seulement dans l'assassin du Fils de Dieu que Satan s'est incarné. Lui,
pendant que je te parle, est devant le Sanhédrin. Il s'occupe de mon meurtre
et s'y emploie. Mais ce n'est pas lui : c'est Satan.
587.4 – Maintenant
écoute, Lazare, ami fidèle. Je te fais certaines requêtes. Tu ne m'as jamais
rien refusé. Ton amour a été si grand que, sans enfreindre le respect, il a
été toujours actif à mes côtés par mille aides, par tant d'aides prévoyantes
et de sages conseils que j'ai toujours reçus, parce que je voyais dans ton
cœur un vrai désir de mon bien."
"Oh ! mon Seigneur ! Mais c'était ma joie de m'occuper de Toi ! Que
ferai-je maintenant si je n'ai plus à m'occuper de mon Maître et Seigneur ?
C'est trop peu, trop peu que tu m'as permis de faire !
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340>
Ma dette envers Toi, qui as rendu Marie à mon amour et à l'honneur, et qui
m'as rendu la vie est telle que... Oh ! pourquoi m'as-tu rappelé de la mort
pour me faire vivre cette heure ? Désormais toute l'horreur de la mort et
toute l'angoisse de l'esprit, porté à la peur par Satan au moment de me
présenter au Juge Éternel, je l'avais surmontée, et c'était l'obscurité...
Qu'as-tu, Jésus ? Pourquoi frémis-tu et deviens-tu plus pâle encore que tu
n'étais ? Ton visage est plus pâle que cette rose de neige qui languit sous
la lune. Oh ! Maître ! Il semble que le sang et la vie t'abandonnent..."
"Je suis en fait comme quelqu'un qui meurt, les veines ouvertes.
Jérusalem toute entière, et par là je veux dire "tous mes ennemis parmi
les puissants d'Israël", attache à Moi ses bouches avides et aspire ma
vie et mon sang. Ils veulent faire taire la Voix qui pendant trois ans les a
tourmentés, tout en les aimant... parce que toutes mes paroles, même si
c'étaient des paroles d'amour, étaient une secousse qui invitait leurs âmes à
se réveiller, et ils ne voulaient pas entendre cette âme qui était la leur et
qu'ils avaient liée par la triple sensualité. Et non seulement les grands...
Mais Jérusalem toute entière va s'acharner sur l'Innocent et vouloir sa
mort... et avec Jérusalem, la Judée... et avec la Judée, la Pérée, l'Idumée,
la Décapole, la Galilée, la Syro-Phénicie... Israël tout entier s'est
rassemblé à Sion pour le "Passage" du Christ de la vie à la mort...
587.5 – Lazare,
toi qui es mort et qui es ressuscité, dis-moi : qu'est-ce que la mort ?
Qu'as-tu éprouvé ? De quoi te souviens-tu ?"
"La mort ?... Je ne me rappelle pas exactement
ce que ce fut. À la grande souffrance succéda une grande langueur... Il me
semblait ne plus souffrir et d'avoir seulement un profond sommeil... La
lumière et le bruit devenaient de plus en plus faibles et lointains...
Mes sœurs et Maximin disent que je
donnais les signes d'une âpre souffrance... Mais moi, je ne m'en souviens
pas..."
"Oui. La pitié du Père émousse
pour les mourants le
sensorium intellectuel de sorte qu'ils souffrent uniquement dans la chair qui elle doit être purifiée par ce prépurgatoire qu'est l'agonie. Mais
Moi... Et de la mort que te rappelles-tu ?"
"Rien, Maître. J'ai un espace obscur dans l'esprit, un espace vide.
J'ai, dans le cours de ma vie, une interruption que je ne sais comment
remplir. Je n'ai pas de souvenirs. Si je regardais au fond de ce trou noir
qui m'a gardé pendant quatre jours, bien que ce soit la nuit et que j'y
serais comme une ombre, je sentirais sans le voir le froid humide monter de
ses viscères et me souffler en face. C'est déjà une sensation. Mais si je
pense à ces quatre jours, je n'ai rien.
Rien. C'est le mot."
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341>
"Oui. Ceux qui reviennent ne peuvent
parler... Le mystère se dévoile graduellement pour celui qui y entre. Mais
Moi, Lazare, je sais ce que je souffrirai. Je sais que je souffrirai en pleine
conscience. Il n'y aura aucun adoucissement de boissons ou de langueur
pour que mon agonie devienne moins atroce. Je me sentirai mourir. Déjà
je le sens... Déjà je meurs, Lazare. Comme quelqu'un qui souffre d'une
maladie incurable, j'ai continué de mourir pendant ces trente-trois ans. Et
la mort s'est toujours plus accélérée à mesure que le temps me rapprochait de
cette heure. Tout d'abord, la mort c'était de savoir que j'étais né pour être
le Rédempteur. Puis, ce fut la mort de Celui qui se voit combattu, accusé,
ridiculisé, persécuté, entravé... Quelle fatigue ! Puis... la mort d'avoir à
mes côtés de plus en plus près, jusqu'à l'avoir enlacé à Moi comme une
pieuvre au naufragé, celui qui devait être pour Moi le traître. Quelle nausée
! Maintenant je meurs déchiré de devoir dire "adieu" aux amis les
plus chers, et à ma Mère..."
587.6 – "Oh
! Maître ! Tu pleures ? ! Je sais que tu as pleuré aussi devant mon tombeau
parce que tu m'aimais. Mais maintenant... Tu pleures de nouveau. Tu es tout
glacé. Tu as les mains déjà froides comme un cadavre. Tu souffres... Tu
souffres trop !..."
"Je suis l'Homme, Lazare. Je ne suis pas seulement le Dieu. De l'homme
j'ai la sensibilité et les affections. Et mon âme éprouve de l'angoisse quand
je pense à ma Mère... Et même, je te le dis, elle est devenue tellement
monstrueuse ma torture de subir le voisinage du Traître, la haine
satanique de tout un monde, la surdité de ceux qui, sans haïr, ne savent pas
aimer activement, car aimer activement c'est d'arriver à être tel que l'aimé
le veut et l'enseigne, et au contraire, ici !... Oui,
beaucoup m'aiment. Mais ils sont restés "eux". Ils n'ont pas pris
un autre "moi" par amour pour Moi. Sais-tu qui, parmi mes plus
intimes, a su changer sa nature pour devenir du Christ, comme le Christ le
veut ? Une seule : ta sœur Marie. Elle est partie d'une animalité
complète et pervertie pour atteindre une spiritualité angélique. Et cela par
l'unique force de l'amour."
"Tu l'as rachetée."
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342>
"Je les ai tous rachetés par
la parole. Mais elle seule s'est changée totalement par activité
d'amour. Mais je disais : elle est tellement monstrueuse la souffrance qui me
vient de toutes ces choses que je ne soupire qu'après le complet
accomplissement. Mes forces plient... La croix sera moins lourde que cette
torture de l'esprit et du sentiment..."
"La croix ? ! Non ! Oh ! non ! C'est trop atroce ! C'est trop infamant !
Non !" Lazare, qui a tenu depuis un moment les mains glacées de Jésus
dans les siennes, debout en face de son Maître, les laisse et il s'affaisse
sur le siège de pierre qui est près de lui. Il cache son visage dans ses
mains et il pleure désespérément.
587.7 – Jésus
s'approche de lui, met la main sur ses épaules que secouent des sanglots, et
il dit :
"Et quoi ? C'est Moi qui meurs qui dois te consoler toi qui vis ? Ami,
j'ai besoin de force et d'aide. Et je te le demande. Je n'ai que toi qui
puisses me le donner. Les autres, il est bon qu'ils ne sachent pas, car s'ils
savaient... Il coulerait du sang. Et je ne veux pas que les agneaux
deviennent des loups, même par amour pour l'Innocent. Ma Mère... oh ! comme
j'ai le cœur transpercé de parler d'elle !... Ma Mère est déjà tellement
angoissée ! Elle aussi est une mourante épuisée... Voilà trente-trois ans
qu'elle meurt, elle aussi, et maintenant elle n'est qu'une plaie comme la
victime d'un atroce supplice. Je te jure que cela a été un combat entre mon esprit
et mon cœur, entre l'amour et la raison, pour décider s'il était juste de
l'éloigner, de la renvoyer dans sa maison où elle ne cesse de rêver à l'Amour
qui l'a rendu Mère, goûte la saveur de son baiser de feu, tressaille dans
l'extase de ce souvenir, et avec les yeux de l'âme ne cesse de voir souffler
l'air frappé et remué par la lueur angélique. En Galilée la nouvelle de la
Mort arrivera quasi au moment où je pourrai lui dire : "Mère, je suis le
Victorieux !" Mais je ne puis pas, non, je ne puis pas faire cela. Le
pauvre Jésus, chargé des péchés du monde, a besoin d'un réconfort, et ma Mère
me le donnera. Le monde encore plus pauvre a besoin de deux Victimes. Parce que l'Homme a
péché avec la femme; et la Femme
doit racheter, comme l'Homme rachète. Mais tant que l'heure ne sera
pas sonnée, je donne à ma Mère un sourire assuré... Elle tremble... je le
sais. Elle sent que la Torture s'approche. Je le sais. Et elle la repousse
par dégoût naturel et par un saint amour, comme Moi je repousse la Mort parce
que je suis un "vivant" qui doit mourir.
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343>
Mais malheur si elle savait que d'ici cinq
jours... Elle n'arriverait pas vivante à cette heure, et je la veux vivante
pour tirer de ses lèvres la force comme j'ai tiré la vie de son sein. Et Dieu
la veut sur mon Calvaire pour mêler l'eau de ses larmes virginales au vin du
Sang divin et célébrer la première Messe. Sais-tu ce que sera la Messe ? Tu
ne sais pas. Tu ne peux pas savoir. Ce sera ma mort appliquée perpétuellement
au genre humain vivant ou souffrant. Ne pleure pas, Lazare. Elle est forte.
Elle ne pleure pas. Elle a pleuré pendant toute sa vie de Mère. Maintenant
elle ne pleure plus. Elle a crucifié le sourire sur son visage... As-tu vu
quel visage elle a pris ces derniers temps ? Elle a crucifié le sourire sur
son visage pour me réconforter. Je te demande d'imiter ma Mère.
587.8 – Je
ne pouvais plus garder pour Moi seul mon secret. J'ai regardé autour de Moi
pour chercher un ami sincère et sûr. J'ai rencontré ton regard loyal. J'ai
dit : "À Lazare". Moi, quand tu avais un poids sur le cœur, j'ai
respecté ton secret et je l'ai défendu contre la curiosité même naturelle du
cœur. Je te demande le même respect pour le mien. Plus tard... après ma mort,
tu en parleras. Tu parleras de cette conversation. Pour que l'on sache que Jésus est allé consciemment à la mort, et à des tortures connues et que l'on
sache aussi qu'il n'avait rien ignoré ni pour les personnes ni pour son
destin. Pour que l'on sache que pendant qu'il pouvait encore se sauver il ne
l'a pas voulu, parce que son amour infini pour les hommes ne brûlait que
de consommer son sacrifice pour
eux."
"Oh ! Sauve-toi, Maître ! Sauve-toi ! Je peux te faire fuir, cette nuit
même. Une fois aussi tu as fui en Égypte ! Fuis aussi maintenant. Viens,
partons. Nous prenons avec nous Marie et mes sœurs, et nous partons. Aucune
de mes richesses ne me retient, tu le sais. Ma richesse et celle de Marie et
de Marthe, c'est Toi. Partons."
"Lazare, alors j'ai fui car ce n'était pas l'heure. Maintenant c'est
l'heure. Et je reste."
"Et alors je viens avec Toi. Je ne te quitte pas."
"Non. Tu restes ici. Puisqu'il est permis quand la demeure n'est pas
plus loin que le chemin du sabbat de consommer l'agneau dans sa maison, voilà
que comme toujours, tu consommeras ici ton agneau. Pourtant, laisse venir tes
sœurs... À cause de Maman... Ah ! que te cachaient, ô Martyr,
les roses de l'amour divin ! L'abîme ! L'abîme ! Et de là, maintenant
s'élèvent et s'élancent les flammes de la Haine pour te mordre le cœur ! Tes
sœurs, oui. Elles sont courageuses et actives... et Maman sera un être qui
agonise, penché sur ma dépouille.
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344>
Jean ne suffit pas.
C'est l'amour, Jean, mais il manque encore de maturité. Oh ! il mûrira pour
devenir un homme dans le déchirement de ces prochains jours. Mais la Femme a besoin des femmes sur ses terribles blessures. Me les
donnes-tu ?"
"Mais je t'ai toujours tout donné, absolument tout, avec joie, et je
souffrais seulement que tu me demandes si peu !..."
"Tu le vois. De personne d'autre je n'ai accepté autant que de mes amis
de Béthanie. Cela a été une des accusations que l'injuste m'a faite plus
d'une fois. Mais je trouvais ici, parmi vous, assez pour consoler l'Homme de
toutes ses amertumes d'homme. À Nazareth, c'était le Dieu qui se consolait
auprès de l'Unique délice de Dieu. Ici, c'était l'Homme. Et avant de monter
vers la mort, je te remercie, ami fidèle, affectueux, gentil, empressé,
réservé, docte, discret et généreux. Je te remercie de tout. Mon Père, plus
tard, t'en récompensera..."
"J'ai tout eu déjà avec ton amour et avec la rédemption de Marie."
"Oh ! non. Tu dois encore avoir beaucoup.
Et tu l'auras.
587.9 – Écoute.
Ne te désespère pas ainsi. Donne-moi ton intelligence pour que je puisse te dire
ce que je te demande encore. Tu resteras ici à attendre..."
"Non. Cela, non. Pourquoi Marie et Marthe, et pas moi ?"
"Parce que je ne veux pas que tu te corrompes comme tous les hommes se
corrompront. Jérusalem, dans les jours qui viennent, sera corrompue comme
l'est l'air autour d'une charogne en décomposition, qui éclate à l'improviste
par un imprudent coup de talon d'un passant. Infectée et répandant
l'infection. Ses miasmes rendront fous même les moins cruels, et jusqu'à mes
disciples. Ils s'enfuiront. Et où iront-ils dans leur désarroi ? Chez Lazare.
Que de fois, en ces trois années, ils sont venus pour chercher du pain, un
lit, protection, un abri, et le Maître !... Maintenant ils vont revenir.
Comme des brebis débandées par le loup qui s'est emparé du berger, ils
courront à un bercail. Ras semble-les. Rends-leur courage. Dis-leur que je
leur pardonne. Je te confie mon pardon pour eux. Ils n'auront pas de paix à
cause de leur fuite. Dis-leur de ne pas tomber dans un plus grand péché en
désespérant de mon pardon."
"Tous fuiront ?"
"Tous, sauf Jean."
Haut de page.
345> "Maître, tu ne me demanderas pas d'accueillir Judas
? Fais-moi mourir torturé, mais cela, ne me le demande pas. Plusieurs fois ma
main a frémi sur mon épée anxieuse de tuer l'opprobre de la famille, et je ne
l'ai pas fait parce que je ne suis pas un violent. Je fus seulement tenté de
le faire. Mais je te jure que si je revois Judas je l'égorge comme un bouc
émissaire."
"Tu ne le verras jamais plus. Je te le jure."
"Il fuira ? N'importe. J'ai dit : "Si je le vois". Maintenant
je dis : "Je le rejoindrai, fût-ce aux confins du monde, et je le
tuerai".
"Tu ne dois pas le désirer."
"Je le ferai."
"Tu ne le feras pas car où il sera, tu ne pourras aller."
"Au sein du Sanhédrin ? Dans le Saint ? Là aussi je le rejoindrai et je le
tuerai."
"Il ne sera pas là."
"Chez Hérode ? Je serai tué,
mais auparavant je le tuerai."
"Il sera chez Satan, et toi, tu ne seras jamais chez Satan. Mais
abandonne tout de suite cette pensée homicide, car autrement je te
quitte."
"Oh ! oh !... Mais... Oui, pour Toi... Oh ! Maître ! Maître ! Maître
!"
"Oui, ton Maître... Tu accueilleras les disciples, tu les réconforteras.
Tu les ramèneras vers la paix. Je suis la Paix. Et même ensuite... Ensuite tu
les aideras. Béthanie sera toujours Béthanie tant que la Haine ne fouillera
pas en ce foyer d'amour croyant en disperser les flammes, et au contraire
elle les répandra sur le monde pour l'allumer tout entier.
587.10 – Je
te bénis, Lazare, pour tout ce que tu as fait et pour ce que tu
feras..."
"Rien, rien. Tu m'as tiré de la mort et tu ne me permets pas de te
défendre. Qu'ai-je fait alors ?"
"Tu m'as donné tes maisons. Tu vois ? C'était écrit. Le premier logement
à Sion dans une terre qui t'appartient. Le dernier encore dans l'une d'elles.
C'était mon destin d'être ton Hôte. Mais de la mort, tu ne pourrais pas me
défendre. Je t'ai demandé au commencement de cette conversation :
"Sais-tu qui je suis ?" Maintenant je réponds : "Je suis le
Rédempteur". Le Rédempteur doit consommer le sacrifice jusqu'à la
dernière immolation.
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346>
Du reste, crois-le : Celui qui montera sur la croix et qui sera exposé aux
regards et au mépris du monde, ne sera pas un vivant mais un mort. Je suis
déjà un mort, tué par l'absence
d'amour davantage et avant de l'être par la torture. Et encore une
chose, ami. Demain, à l'aurore, je vais à Jérusalem, et tu
entendras dire que Sion a acclamé comme un triomphateur son Roi plein de
douceur, qui y entrera monté sur un ânon. Que ce triomphe ne t'illusionne pas
et ne te fasse pas juger que la Sagesse qui te parle n'a pas été sage dans
cette paisible soirée. Plus rapide que l'astre qui raie le ciel et disparaît
à travers des espaces inconnus, disparaîtra la faveur du peuple, et dans cinq
soirs, à cette même heure, je commencerai la torture avec un baiser trompeur
qui ouvrira les bouches, occupées demain à clamer des hosannas, en un chœur
d'atroces blasphèmes et de cris féroces de condamnation.
587.11 – Oui,
tu vas l'avoir finalement, ô cité de Sion, ô peuple d'Israël, l'Agneau pascal
! Tu vas l'avoir dans ce prochain rite. Le voici. C'est la Victime préparée
depuis des siècles. L'amour l'a engendrée, en préparant comme couche nuptiale
un sein où il n'y avait pas de tache. Et l'Amour la consume. Voilà. C'est la
Victime consciente. Non comme l'agneau qui, pendant que le boucher affile son
couteau pour regorger, broute encore l'herbe du pré, ou ignorant heurte de
son museau rosé contre le sein maternel. Mais Moi, je suis l'Agneau qui
conscient dit : "Adieu !" à sa vie, à sa Mère, à ses amis, et va
vers le sacrificateur en disant : "Me voici !" Je suis la
Nourriture de l'homme. Satan a mis une faim qui n'est jamais rassasiée, qui
ne peut se rassasier. Il n'y a qu'un aliment qui le rassasie car il calme
cette faim. Et cet aliment, le voici. Homme, voici ton pain, voici ton vin.
Consomme ta Pâque, Ô Humanité ! Traverse ta mer rouge des flammes sataniques.
Teinte de mon Sang, tu passeras, race de l'homme, préservée du feu infernal.
Tu peux passer. Les Cieux, pressés par mon désir, entrouvrent déjà les portes
éternelles. Regardez, ô esprits des morts ! Regardez, Ô hommes vivants !
Regardez, Ô âmes qui prendrez un corps dans l'avenir
! Regardez, anges du Paradis ! Regardez, démons de l'Enfer ! Regarde, ô Père,
regarde, ô Paraclet ! La Victime sourit, elle ne pleure plus...
587.12 – Tout
est dit. Adieu, ami. Toi aussi, je ne te verrai plus avant de mourir. Donnons-nous
le baiser d'adieu. Et ne doute pas. Ils te diront : "C'était un fou !
C'était un démon ! Un menteur ! Il est mort alors qu'il disait qu'il était la
Vie".
Haut de page.
347>
À eux, et spécialement à toi-même, réponds : "Il était et il est la
Vérité et la Vie. Il est le Vainqueur de la mort. Je le sais. Il ne peut
être mort pour toujours. Je l'attends. Et
elle ne sera pas consumée toute l'huile de la lampe que l'ami tient toute prête
pour faire de la lumière au monde invité aux noces du Triomphateur que Lui,
l'Époux, reviendra. Et la lumière, cette fois, ne pourra
jamais plus être éteinte. Crois-le, Lazare. Obéis à mon désir. Tu entends ce rossignol comme il chante après
s'être tu à cause de tes sanglots ? Fais comme lui. Ton âme, après les
inévitables pleurs sur la Victime, qu'elle chante avec assurance l'hymne de
ta foi. Sois béni, par le Père, par le Fils, par le Saint-Esprit."
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