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   Le vendredi 28 mars 1947. 
  
  323>   586.1 – La
  cène a été préparée dans la salle toute blanche où Jésus a parlé aux femmes disciples. C'est
  toute une splendeur de blanc et d'argent, où mettent une nuance moins
  neigeuse et moins froide des bouquets de branches de pommiers ou de poiriers,
  ou d'autres arbres fruitiers, candides comme la neige, mais avec un léger
  souvenir de rose qui fait penser à de la neige effleurée par un baiser d'une
  lointaine aurore.    
   
  324> Elles se dressent dans des vases
  pansus ou de grêles amphores d'argent, sur des tables et sur des coffrets et
  des crédences qui sont le long des murs de la salle. Les fleurs répandent à
  travers la salle l'odeur caractéristique des fleurs des arbres à fruit,
  fraîche, un peu amère, du pur printemps...          
   
  Lazare
  entre dans la salle à côté de Jésus. Derrière, deux par deux, ou en groupes
  plus nombreux, les apôtres. En dernier lieu, les deux sœurs de Lazare avec Maximin.       
   
  Je ne vois pas les femmes
  disciples. Je ne vois pas même Marie.
  Peut-être elles ont préféré rester dans la maison autour de la Mère affligée.          
   
  On approche du crépuscule. Mais il reste quelques rayons de soleil pour
  frapper la frondaison bruissante de quelques
  palmiers qui forment un groupe à quelques mètres de la salle, et la cime d'un
  laurier gigantesque où des passereaux se disputent avant de prendre leur
  sommeil. Au-delà du palmier et du laurier, au-delà des haies de roses et de
  jasmins, des parterres de muguets et d'autres fleurs, et
  des plantes odoriférantes, la tache blanche saupoudrée de vert tendre des
  premières feuilles d'un groupe de pommiers ou de poiriers tardifs. Elle
  semble une nuée restée accrochée dans les branches.  
   
    586.2 – Jésus, en passant près d'une
  amphore garnie de branches, observe :          
   
  "Elles avaient déjà les premiers petits fruits. Regarde ! À la cime des
  fleurs alors que plus bas la fleur est déjà tombée et que l'ovaire se
  gonfle."         
   
  "C'est Marie
  qui a voulu les cueillir. Elle en a apporté des bouquets aussi à ta Mère.
  Elle s'est levée à l'aube, craignant qu'un jour de soleil de plus n'abîmât
  ces fragiles corolles. J'ai appris depuis peu ce massacre, mais je n'en ai
  pas été indigné comme les serviteurs agricoles. J'ai pensé, au contraire,
  qu'il était juste de t'offrir toutes les beautés de la création, à Toi, Roi
  de toutes les choses."          
   
  Jésus s'assoit en souriant à sa place et il regarde Marie qui, avec sa sœur, se dispose à servir comme si elle
  était une servante, apportant les coupes pour la purification et les
  serviettes, puis versant le vin dans les calices et mettant les plateaux des
  mets sur la table à mesure que les serviteurs les apportent de la cuisine ou
  les présentent, après les avoir découpés sur les crédences. 
    
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  325> Naturellement, si
  les sœurs servent avec courtoisie tous les convives, leur empressement va
  spécialement aux deux convives qui leur sont les plus chers : Jésus et
  Lazare.   
   
    586.3 – À un certain moment Pierre, qui mange avec appétit, observe :     
   
  "Regarde ! Je m'en aperçois maintenant ! Tous les plats comme on les
  sert en Galilée. Il me semble... mais oui ! Il me semble être à un repas de
  noces. Cependant ici le vin ne manque pas comme il manqua à Cana."     
   
  Marie sourit en versant à l'apôtre un nouveau calice de vin ambré, très
  limpide, mais elle ne parle pas.       
   
  C'est encore Lazare qui explique :          
   
  "En effet, c'était l'intention des sœurs et spécialement de Marie :
  servir un repas dans lequel le Maître aurait l'impression d'être dans sa
  Galilée, certainement meilleure, bien meilleure, bien que pourtant imparfaite
  que ce qui se fait en cet endroit..."         
   
  "Mais pour le Lui faire penser, il aurait fallu Marie à cette table. À
  Cana, elle y était. C'est par elle qu'arriva le miracle" observe Jacques d'Alphée.           
   
  "Ce devait être un grand vin celui-là !"  
   
  "Le vin est symbole de gaieté, et devrait l'être aussi de fécondité,
  puisque c'est le jus de la vigne féconde. Mais il ne me
  semble pas qu'il ait beaucoup fécondé : Suzanne n'a pas d'enfant" dit l'Iscariote.       
   
  "Oh ! c'était un vin ! Il a fécondé notre esprit..." dit Jean,
  rêvant un peu comme il l'est toujours quand il contemple en son intérieur les
  miracles opérés par Dieu, Et il termine :          
   
  "C'est par une vierge que cela a été fait... et une influence de pureté
  descendit en celui qui le goûta."       
   
  "Mais crois-tu Suzanne vierge ?" demande l'Iscariote en riant.       
   
  "Je n'ai pas dit cela. Vierge est la Mère du Seigneur. La virginité
  découle de tout ce qui est accompli par elle. Je ne cesse de penser comme
  sont virginisantes toutes les choses qui se font
  par Marie..." et il rêve de nouveau, souriant à je ne sais quelle
  vision.         
   
  "Bienheureux ce garçon ! Je crois qu'il ne se rappelle même plus le
  monde en ce moment. Observez-le" dit Pierre en montrant Jean qui,
  allongé sur son lit, déplace sans y penser des petits morceaux de pain,
  oubliant de manger.  
   
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  326> Jésus aussi se penche un peu pour
  regarder Jean qui est à un angle du côté de la table disposée en U, et par
  conséquent un peu en arrière du Seigneur qui est au milieu du côté central,
  avec son cousin Jacques à gauche et Lazare à droite, et après Lazare, il y a
  le Zélote
  et Maximin, comme après Jacques et l'autre Jacques
  se trouve Pierre. Jean, au contraire, est entre André et Barthélemy,
  puis il y a Thomas
  qui a Judas en face, avec Philippe
  et Matthieu,
  et le Thaddée
  qui est exactement à l'angle où commence la table longue, centrale. 
    
    586.4 – Marie de Lazare
  sort de la salle alors que Marthe met sur la table des plateaux
  remplis de fleurs de figues nouvelles, de tiges vertes de fenouil et
  d'amandes fraîches cueillies, des fraises ou des framboises, je ne sais, qui
  semblent encore plus rouges au milieu des fenouils vert pâle et des fleurs et
  à côté des amandes, des petits melons et autres fruits du même genre... qui
  me rappellent les melons verts de la basse Italie, et des oranges dorées.         
   
  "Ces fruits déjà ? Je n'en ai vu nulle part de mûrs" dit Pierre en
  écarquillant les yeux, en montrant les fraises et les melons.    
   
  "Ils sont venus en partie de la côte au-delà de Gaza où j'ai un jardin
  de ces produits, et en partie des serres que j'ai au-dessus de la maison, les
  pépinières des petites plantes plus délicates qu'il faut protéger de la
  gelée. Un ami romain m'en a enseigné la culture... C'est tout ce qu'il m'a
  appris de bon..."           
   
  Lazare s'assombrit, Marthe soupire... Mais Lazare redevient de suite l'hôte
  parfait qui n'attriste pas ses invités.      
   
  "On est très habitué dans les villas de Baïes 
  et de Syracuse, 
  et le long du golfe de Sybaris, 
  à cultiver ces délices par cette méthode pour les avoir de bonne heure.
  Mangez : les derniers fruits des oranges de Lybie, les primeurs des melons
  d'Égypte, qui ont poussé dans les solariums et en eux les fruits latins, et
  les amandes blanches de notre patrie, les fèves tendres, les tiges digestives
  qui ont goût d'anis...  
    586.5 – Marthe, as-tu pensé à l'enfant ?"          
   
  "J'ai pensé à tout. Marie a été émue en se rappelant l'Égypte..."      
   
  "Nous en avions quelques plantes dans notre pauvre jardin.
  Dans les grandes chaleurs, c'était une fête de plonger les melons dans le
  puits du voisin, qui était profond et frais, et en manger le soir... Je me
  souviens... Et j'avais une chèvre gourmande qu'il fallait garder car elle
  était avide de jeunes pousses et de fruits tendres..."   
   
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  327> Jésus, qui parlait la tête un peu
  inclinée, lève la tête et il regarde les palmiers qui bruissent dans le vent
  du soir qui tombe.         
   
  "Quand je vois ces palmiers... Toujours quand je les vois, je revois
  l'Égypte, sa terre jaune et sableuse que le vent soulevait si facilement, et
  au loin tremblaient dans l'air raréfié les pyramides... et les hauts fûts des
  palmiers... et la maison où... mais il est inutile d'en parler. À chaque
  époque ses soucis... et avec ses soucis sa joie... Lazare, me donnerais-tu
  quelques-uns de ces fruits ? Je voudrais les apporter à Marie
  et à Matthias, je ne crois pas
  que Jeanne
  en ait."  
   
  "Elle n'en a pas. Elle en parlait hier se proposant d'en mettre à Béther en faisant construire des
  solariums. Mais je ne te les donne pas maintenant. J'ai cueilli tout ce que
  j'en avais et pendant quelques jours on va manquer de fruits mûrs. Je te les
  enverrai, ou plutôt, envoie les prendre d'ici jeudi. Nous en préparerons une
  gracieuse corbeille pour ces enfants, n'est-ce pas, Marthe ?"          
   
  "Oui, mon frère. Et nous y mettrons les petits lys des vallées qui
  plaisent tant à Jeanne."   
   
    586.6 – Marie-Madeleine rentre. Elle a
  dans les mains une amphore au col très fin, qui se termine par un bec
  gracieux comme celui d'un oiseau. L'albâtre est d'une couleur précieuse jaune
  rosé, comme certaines carnations de blondes. Les apôtres la regardent,
  croyant peut-être qu'elle apporte quelque friandise rare. Mais Marie ne va
  pas au centre, à l'intérieur de l'U de la table où se trouve sa sœur. Elle
  passe derrière les lits-sièges, et va se placer entre celui de Jésus et
  Lazare et celui où sont les deux Jacques.     
   
  Elle ouvre le vase d'albâtre et met sa main sous le bec, pour recueillir
  quelques gouttes d'un liquide filant qui coule lentement de l'amphore
  ouverte. Une odeur pénétrante de tubéreuse et d'autres
  essences, un parfum intense et très agréable se répand à travers la salle.
  Mais Marie n'est pas contente du peu qui arrive. Elle se penche et casse d'un
  coup sûr le col de l'amphore contre le coin du lit de Jésus. Le col fin tombe
  par terre, répandant sur le marbre du pavé des gouttes parfumées. Maintenant
  l'amphore a une large ouverture et l'abondance de l'onguent en déborde en un
  jet épais.            
   
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  328> Marie se place derrière Jésus et
  répand l'huile épaisse sur la tête de son Jésus, elle en enduit toutes les
  boucles, les allonge et puis les met en ordre, sur la tête adorée, avec le
  peigne qu'elle enlève de ses cheveux. La tête blonde-rouge de Jésus resplendit
  comme de l'or foncé, très brillant après cette onction. La lumière du
  lampadaire, que les serviteurs ont allumé, se reflète sur la tête blonde du
  Christ, comme sur un très beau casque de bronze cuivré. Le parfum est
  enivrant; il pénètre dans les narines, monte à la tête, à force d'être
  piquant comme de la poudre à éternuer tant il est pénétrant, répandu ainsi
  sans mesure.       
   
  Lazare tourne la tête en arrière. Il sourit en voyant avec quel soin Marie
  oint et peigne les boucles de Jésus pour que sa tête paraisse en ordre après
  l'odorante friction. Elle ne se soucie pas que ses tresses ne sont plus
  maintenues par le large peigne qui aide les épingles à les tenir en place, et
  elles tombent de plus en plus sur le cou, prêtes à tomber complètement sur
  les épaules. Marthe aussi regarde et sourit. Les autres parlent entre eux à
  voix basse et avec des expressions diverses sur le visage.         
   
  Mais Marie n'est pas encore satisfaite. Il y a encore beaucoup d'onguent dans
  le vase brisé, et les cheveux de Jésus, si touffus qu'ils soient, en sont
  déjà saturés. Alors Marie répète le geste d'amour d'un soir lointain .
  Elle s'agenouille au pied du lit, dénoue les lacets des sandales de Jésus,
  déchausse ses pieds et, plongeant dans le vase les longs doigts de sa très
  belle main, elle en tire tout ce qu'elle peut d'onguent, et l'étend sur les
  pieds nus, doigt par doigt, puis sur la plante et le talon et au-dessus à la
  cheville, qu'elle découvre en rejetant en arrière le vêtement de lin, et afin
  sur le dos du pied, elle s'attarde sur les métatarses où entreront les clous
  redoutables, insiste jusqu'à ce qu'elle ne trouve plus de baume dans le creux
  du vase. Alors elle le brise contre le sol et puis ayant les mains libres,
  enlève ses grosses épingles, défait rapidement ses lourdes tresses et emporte
  avec cet écheveau d'or, vivant, doux, coulant, ce qui reste de l'onction des
  pieds de Jésus, qui laissent dégoutter le baume.          
   
    586.7 – Judas jusque-là s'était tu,
  observant d'un regard impur de luxure et d'envie la femme très belle et le
  Maître dont elle oignait la tête et les pieds. Il élève la voix, seule voix
  d'un reproche déclaré. Les autres, pas tous, mais certains, avaient quelque
  peu murmuré ou fait un geste de désaccord étonné mais paisible.         
   
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  329> Mais Judas, qui s'est même mis
  debout pour mieux voir l'onction des pieds du Christ, dit avec mauvaise grâce
  :        
   
  "Quel gaspillage inutile et païen ! Pourquoi le faire ? Et après cela,
  on ne veut pas que les Chefs du Sanhédrin parlent de péché ! Ce sont des
  actes de courtisane lascive et ils ne s'harmonisent pas avec la nouvelle vie
  que tu mènes, Ô femme. Ils rappellent trop ton passé !"         
   
  L'insulte est telle que tous restent abasourdis. Elle est telle que tous
  s'agitent, les uns s'assoyant sur leurs lits, les autres se levant. Tous
  regardent Judas comme s'il était devenu subitement fou.          
   
  Marthe rougit. Lazare se lève brusquement en donnant un coup de poing sur la
  table et il dit : "Dans ma maison..." mais ensuite il regarde Jésus
  et s'arrête.          
   
  "Oui. Vous me regardez ? Tous, vous avez murmuré dans votre cœur. Mais
  maintenant que je me suis fait votre écho et que j'ai dit ouvertement ce que
  vous pensiez, vous voilà prêts à me donner tort. Je répète ce que j'ai dit.
  Bien sûr je ne veux pas dire que Marie soit l'amante du Maître, mais je dis
  que certains actes ne conviennent ni à Lui, ni à elle. C'est une action
  imprudente, et même injuste. Oui. Pourquoi ce gaspillage ? Si elle voulait
  détruire les souvenirs de son passé, elle pouvait me donner ce vase et cet
  onguent. Il y avait au moins une livre de nard pur, et de grand prix ! Je
  l'aurais vendu pour trois cent deniers 
  au moins car un nard de cette valeur va jusqu'à ce prix. Et je pouvais vendre
  le vase qui était beau et précieux. J'aurais donné cet argent aux pauvres qui
  nous assiègent. Il n'y en a jamais assez, et demain, à Jérusalem,
  innombrables seront ceux qui demanderont une obole."     
   
  "Cela c'est vrai !" admettent les autres. "Tu pouvais en
  employer un peu pour le Maître, et le reste..."     
   
    586.8 – Marie de Magdala est comme
  sourde. Elle continue à essuyer les pieds du Christ avec ses cheveux dénoués
  qui maintenant, surtout en bas, sont eux aussi alourdis par l'onguent et plus
  foncés que sur le sommet de la tête. Les pieds de Jésus sont lisses et doux
  avec leur couleur de vieil ivoire, comme s'ils étaient couverts d'un nouvel
  épiderme. Et Marie chausse de nouveau les sandales au Christ, et elle baise
  chaque pied avant et après de le chausser, sourde à tout ce qui n'est pas son
  amour pour Jésus.            
   
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  330> Jésus la défend en
  posant une main sur la tête de Marie inclinée dans le dernier baiser et en
  disant :        
   
  "Laissez-la faire. Pourquoi lui donnez-vous peine et ennui ? Vous ne
  savez pas ce qu'elle a fait. Marie a accompli envers Moi une action juste et
  bonne. Les pauvres il y en aura toujours parmi vous. Moi, je vais m'en aller.
  Eux, vous les aurez toujours, mais Moi, bientôt, vous ne m'aurez plus. Aux
  pauvres, vous pourrez toujours donner une obole. À Moi, d'ici peu, au Fils de
  l'homme parmi les hommes, il ne sera plus possible de donner aucun honneur,
  par la volonté des hommes et parce que l'heure est venue. Pour elle, l'amour
  est lumière. Elle sent que je vais mourir et elle a voulu donner à l'avance à
  mon corps les onctions pour sa sépulture. En vérité je vous dis que là où
  sera prêchée la Bonne Nouvelle, on fera mémoire de son acte d'amour
  prophétique. Dans le monde entier, dans tous les siècles. Plaise à Dieu de
  faire de toute créature une autre Marie, qui ne calcule pas la valeur, qui ne
  nourrit pas d'attachement, qui ne conserve pas de souvenir, même le plus
  petit du passé, mais détruit et piétine tout ce qui est de la chair et du
  monde, et se brise et se répand, comme elle a fait du nard et de l'albâtre,
  sur son Seigneur et par amour pour Lui. Ne pleure pas, Marie. Je te répète, à
  cette heure, les paroles que j'ai dites au pharisien Simon
  et à Marthe ta sœur : "Tout t'est pardonné parce que tu as su aimer totalement".
  Tu as choisi la
  meilleure part, et elle ne te sera pas enlevée. Va
  en paix, ma douce brebis retrouvée.
  Va en paix. Les pâturages de l'amour seront ta nourriture éternellement.
  Lève-toi. Baise aussi mes mains qui t'ont absoute et bénie... Combien elles
  en ont absous, bénis, comblés de bienfaits, mes mains ! Et pourtant je vous
  dis que le peuple que j'ai comblé est en train de préparer pour ces mains la
  torture..."          
   
    586.9 – Il se fait un lourd silence
  dans la lourde atmosphère du parfum pénétrant. Marie, les cheveux dénoués sur
  les épaules pour lui servir de manteau et sur le visage pour lui servir de
  voile, baise la main droite que Jésus lui présente, et ne sait pas en
  détacher les lèvres...    
   
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  331> Marthe, émue, s'approche d'elle et
  rassemble ses cheveux, les tresse en la caressant ensuite et en laissant
  couler les larmes sur les joues en essayant de les essuyer...      
   
  Personne n'a plus envie de manger... Les paroles du Christ les rendent
  pensifs.          
   
  Le premier qui se lève, c'est Jude d'Alphée. Il demande la
  permission de se retirer. Son frère Jacques l'imite, et de même André et
  Jean. Il reste les autres, mais déjà debout, occupés à se purifier les mains
  dans les bassins d'argent que les serviteurs leur présentent. Marie et Marthe
  le font avec le Maître et Lazare.          
   
    586.10 – Un serviteur entre et se
  penche pour parler à Maximin.    
   
  "Maître" dit ce dernier après l'avoir écouté "il y a des
  personnes qui voudraient te voir. Elles viennent de loin, disent-elles. Que
  faisons-nous ?"    
   
  Jésus appelle Philippe, Jacques de Zébédée et Thomas et ordonne :         
   
  "Allez, évangélisez, guérissez, agissez en mon nom. Annoncez que demain
  je monterai au Temple."      
   
  "Sera-t-il bien de le dire, Seigneur ?" demande Simon le Zélote.    
   
  "Il est inutile de le taire, car c'est déjà dit par les ennemis, plus
  que par les amis, dans la Cité Sainte. Allez !"           
   
  "Hum ! Tant que le savent les amis... on le sait. Mais eux ne trahissent
  pas. Je ne sais pas comment peuvent le savoir les autres."    
   
  "Parmi les nombreux amis, il y a toujours quel qu’ennemi, Simon de
  Jonas. Trop nombreux sont désormais... les amis, et avec trop de facilité on
  les accueille comme tels. Quand on pense combien moi, j'ai dû prier et
  attendre !... Mais c'était les premiers temps et on était circonspect. Puis
  les triomphes ont ébloui et on ne fut plus circonspect. Et ce fut un mal.
  Mais cela arrive à tous ceux qui sont victorieux. Les victoires offusquent la
  limpidité du regard et affaiblissent la prudence dans l'action. Je parle de
  nous disciples, naturellement, pas du Maître. Lui est parfait. Si nous étions
  restés à douze, on ne devrait pas trembler par crainte de trahison !"
  dit Judas de Kériot en mentant effrontément.    
   
  Il est impossible de décrire le regard que le Christ pose sur l'apôtre
  traître. Un regard de rappel et de douleur infinis.  
   
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  332> Mais Judas n'y prête pas attention.
  Passant devant la table, il se dirige pour sortir...           
    586.11 – Jésus le suit du regard et
  quand il voit que réellement il sort, il lui demande :   
   
  "Où vas-tu ?"          
   
  "Dehors..." répond évasivement Judas.            
   
  "Hors de cette pièce, ou hors de la maison ?"  
   
  "Dehors... Ainsi... Pour marcher un peu."        
   
  *Ne pars pas, Judas. Reste avec Moi, avec nous..."    
   
  "Tes frères sont sortis et de même Jean avec André. Pourquoi ne dois-je
  pas sortir, moi ?"          
   
  "Tu ne sors pas pour te reposer comme eux..."           
   
  Judas ne répond pas, mais entêté, il sort. Dans la salle, on ne parle plus.
  Les hôtes et les quatre apôtres qui sont restés se regardent entre eux.  
   
  Jésus regarde dehors. Il s'est levé pour aller à une fenêtre afin de suivre
  les mouvements de Judas. Quand il le voit sortir de la maison avec le manteau
  qu'il a déjà endossé, et se diriger vers le portail que de là on ne voit pas,
  il l'appelle à haute voix :      
   
  "Judas ! Attends-moi. J'ai quelque chose à te dire"   
   
  Et il repousse doucement Lazare qui, devinant une douleur en son Maître,
  l'avait entouré d'un bras à la taille, et il sort de la salle pour rejoindre
  Judas qui a continué de marcher, bien que plus lentement.       
   
    586.12 – Il le rejoint à un bon tiers
  de la distance de la maison à l'enceinte du jardin, près d'un bosquet
  d'arbustes aux feuilles épaisses. Ces feuilles semblent de céramique vert
  sombre, toutes parsemées de petites fleurs à trochet, et chaque fleur est une
  petite croix avec de lourds pétales comme s'ils étaient faits de cire à peine
  jaunie, au parfum intense. Je n'en connais pas le nom.      
   
  Il l'attire derrière ce massif et, en lui tenant la main toujours serrée sur
  l'avant-bras, il lui demande de nouveau :          
   
  "Où vas-tu. Judas ? Je t'en prie, reste ici !"      
   
  "Toi qui sais tout, pourquoi me le demandes-tu ? Quel besoin as-tu de
  demander ? Toi qui lis dans le cœur des hommes ? Tu sais que je vais chez mes
  amis. Tu ne me permets pas d'y aller. Eux m'appellent. J'y vais."   
   
  "Tes amis ! Ta ruine dois-tu dire ! C'est vers elle que tu vas. Tu vas
  vers tes vrais assassins. N'y va pas, Judas ! N'y va pas ! Tu vas commettre
  un crime... Tu..."            
   
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  333> "Ah ! tu as peur ? ! Tu as
  peur finalement ? ! Tu te sens homme, finalement ! Tu es un homme ! Rien de
  plus qu'un homme ! Car l'homme seul a peur de la mort. Dieu sait qu'il ne
  peut mourir. Si tu te sentais Dieu, tu saurais que tu ne peux mourir et tu
  n'aurais pas peur. En effet, Toi, maintenant, maintenant que tu sens la mort
  prochaine, tu l'as cette peur commune à tous les hommes et tu cherches par
  tous les moyens à l'éloigner, et tu vois partout et en toute chose un danger.
  Où sont tes belles audaces ? Où sont tes affirmations pleines d'assurance que
  tu es content, que tu as soif d'accomplir le Sacrifice ? Tu n'en as plus même
  un écho dans le cœur ! Tu croyais qu'elle ne viendrait jamais cette heure, et
  alors tu faisais le brave, le généreux, tu disais des phrases solennelles. Va
  ! Tu ne vaux pas mieux que ceux auxquels tu reproches d'être hypocrites ! Tu
  nous as flattés et trahis. Et nous qui avions pour Toi quitté toutes choses !
  Nous, qui à cause de Toi, sommes haïs ! Tu es la cause de notre ruine..."           
   
  "Suffit. Va ! Va ! Il ne s'est pas passé beaucoup d'heures depuis que tu
  m'as dit : "Aide-moi à rester. Défends-moi !" Je l'ai fait. À quoi
  cela a-t-il servi ? Dis-moi encore une chose et réfléchis avant de la dire.
  Est-ce ta pure volonté ? Celle d'aller chez tes amis, de les préférer à Moi
  ?"  
   
  "Oui. C'est cela. Je n'ai pas besoin de réfléchir, car depuis
  longtemps je n'ai que cette volonté."            
   
  "Et alors, va ! Dieu ne violente pas la liberté de l'homme"   
   
  Et Jésus lui tourne le dos pour revenir lentement vers la maison.  
   
    586.13 – Quand il en est proche, il
  lève la tête, attiré par le regard que Lazare, toujours debout à la même
  place, tient fixé sur Lui. C'est un visage bien pâle qui s'efforce de sourire
  à l'ami fidèle.    
   
  Il rentre dans la salle où les quatre apôtres parlent avec Maximin, pendant
  que Marthe et Marie dirigent le travail des serviteurs qui remettent la salle
  en ordre en enlevant les nappes et les serviettes qui ont servi pendant le
  repas.      
   
  Lazare est allé sur le seuil. Il réitère son geste de passer un bras autour
  de la taille de Jésus. En passant devant un serviteur, il lui dit :    
   
  "Apporte-moi le rouleau qui est sur la table de mon cabinet de
  travail."   
   
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  334> Il mène Jésus sur l'un de ces larges
  sièges qui sont dans l'encadrement des fenêtres pour qu'il s'y assoie. Mais
  Jésus reste debout, s'efforçant de prêter attention à ce que Lui dit
  Lazare... Mais il est visible que sa pensée est ailleurs et qu'il a le cœur
  très affligé, bien que quand il s'aperçoit qu'il est observé par les apôtres,
  il sourit pour dissiper le soupçon qui existe dans le cœur de qui l'a
  approché en l'entourant et qui bavarde avec son voisin et fait un clin d'œil
  qui désigne le Maître.  
   
  Le serviteur revient avec le rouleau. Pierre qui a vu que ces parchemins
  contiennent des choses plus élevées que ce que sa tête peut comprendre, se
  retire en disant :    
   
  "Les poissons ne mordent pas à certains appâts. Mieux vaut parler avec
  Maximin d'arbres et de cultures."         
   
    586.14 – Marthe continue son travail.
  Marie, tout en se taisant, prend part à la conversation de Lazare qui signale
  au Maître certains passages écrits sur le parchemin, en disant :     
   
  "N'a-t-il pas une voyance singulière, ce païen, plus que beaucoup
  d'entre nous ? Peut-être... s'il avait été ici pendant que tu es notre
  Maître, il aurait été parmi tes disciples et un des meilleurs. Et il t'aurait
  compris comme beaucoup d'entre nous n'en sont pas capables. Et ce poème
  aurait attiré à son génie l'admiration pour Toi ! Tes paroles recueillies et
  conservées par un esprit qui est lumineux tout en étant celui d'un païen !   
   
  Ta vie écrite par cette intelligence ouverte et limpide ! Nous n'avons plus
  d'écrivains ni de poètes. Tu es né trop tard, quand l'égoïsme et la
  corruption socioreligieuse ont éteint en nous la poésie et le génie. Ce que,
  sans te connaître, ont écrit de Toi nos sages et nos prophètes ne s'est pas
  rencontré dans la parole vivante de l'un de ceux qui te suivent. Tes
  préférés, tes fidèles sont, pour la plupart, des gens sans instruction. Et
  les autres... Non. Nous n'avons plus des Qoléhet 
  pour transmettre aux foules les paroles de ta sagesse et ta figure. Nous ne
  les avons plus, car il manque l'esprit et la volonté, plus que la capacité de
  le faire. La partie la plus choisie humainement d'Israël, est sourde comme
  une trompette détériorée, et ne sait plus chanter les gloires et les
  merveilles de Dieu. Je crains que tout se perde ou soit altéré en partie par
  incapacité, en partie par mauvaise volonté..."      
   
  "Cela n'arrivera pas. L'Esprit du Seigneur, quand il sera établi à
  l'intérieur des cœurs, répétera mes paroles et en expliquera le sens. C'est
  l'Esprit de Dieu qui parle sur les lèvres du Christ. Puis... Puis, Il parlera
  directement aux esprits et Il rappellera mes paroles."          
   
  Haut
  de page.         
   
  335>   586.15 – Marie-Madeleine
  intervient avec sa véhémence coutumière :          
   
  "Oh ! que ce soit bientôt ! Bientôt, parce que tes paroles sont si peu
  écoutées et encore moins comprises. Je pense qu'il sera violent comme le feu
  qui flambe, le rugissement de l'Esprit-Saint pour graver dans les esprits par
  la violence ce qu'ils n'ont pas voulu accueillir parce que c'était plein de
  douceur. Je pense que l'Esprit flamboyant brûlera de ses flammes les
  consciences tièdes et engourdies pour écrire sur elles tes paroles. Le monde
  devra t'aimer. Le Très-Haut le veut ! Mais quand sera-ce ?"     
   
  "Quand je me serai consumé dans le Sacrifice d'amour. Alors l'Amour
  viendra. Il sera comme la belle flamme qui s'élève de la Victime immolée, et
  cette flamme ne s'éteindra pas car le Sacrifice ne cessera pas. Une fois
  établi, il durera pendant tout le temps de la Terre."      
   
  "Mais alors... Tu devrais être réellement immolé pour que cela arrive
  ?"  
   
  "C'est cela."             
   
  Jésus fait son geste habituel d'adhésion à son propre sort. Il étend les bras
  avec les mains tournées à l'extérieur et incline la tête. Puis il la relève
  pour sourire à Lazare affligé, et il dit :  
   
  "Pourtant elle ne sera pas violente comme un rugissement la voix
  immatérielle de l'Esprit d'Amour, mais elle sera douce comme l'amour, qui est
  suave comme le vent de nisan et pourtant fort comme la mort. L'ineffable
  ministère de l'Amour !     
   
  Le complément, l'accomplissement de mon ministère. La perfection de mon
  ministère de Maître... Je ne crains pas, comme tu le crains, que rien se perd
  de ce que j'ai donné. Au contraire, je te dis en vérité, que des rayons de
  lumières seront jetés sur mes paroles et que vous en verrez l'esprit. Moi, je
  m'en vais sereinement parce que je confie ma doctrine à l'Esprit-Saint et mon
  esprit à mon Père."  
   
    586.16 – Il baisse la tête en
  réfléchissant, et puis il pose le rouleau qui a été à l'origine de la
  conversation sur une espèce de haute crédence ou un coffre d'ébène, ou d'un
  autre bois de couleur foncée, tout marqueté d'ivoire jaune, que quatre
  serviteurs ont apporté de la pièce voisine et où Marthe range les nappes les
  plus précieuses.         
   
  Haut
  de page.         
   
  336> Il dit ensuite :          
   
  "Lazare, viens dehors. J'ai besoin de te parler !"  
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