Le mercredi 21
novembre 1951
522> 649.1 - Marie,
dans sa petite pièce solitaire, élevée sur la terrasse, est toute vêtue de
lin blanc, soit pour le vêtement qui la couvre entièrement, soit pour son
manteau fermé à la base du cou, et qui descend derrière ses épaules, soit
pour le voile très fin qui descend de sa tête. Elle est en train de ranger
ses vêtements et ceux de Jésus, qu’elle a toujours conservés. Elle
choisit les meilleurs. Il y en a peu. Des siens, elle prend le vêtement et le
manteau qu’elle avait sur le Calvaire; de ceux de son Fils, un vêtement de
lin qu’il portait habituellement en été, et le manteau retrouvé au
Gethsémani, encore
taché du sang qui avait coulé et de la sueur
sanguinolente de cette heure terrible.
Après avoir plié soigneusement ces vêtements, et baisé le manteau taché de
sang de son Jésus, elle se dirige vers le coffre où se trouvent, maintenant
depuis des années, rassemblées et conservées les reliques de la dernière Cène
et de la Passion. Elle rassemble tout dans un seul compartiment, celui de
dessus, et place tous les vêtements dans le compartiment inférieur.
649.2 - Elle
est occupée à fermer le coffre quand Jean,
monté sans bruit sur la terrasse et qui s’est avancé pour regarder ce que
faisait Marie, peut-être impressionné par sa longue absence de la cuisine, où
elle doit être montée pour passer les heures de la matinée, la fait se
retourner en lui demandant :
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523> "Que fais-tu, Mère ?"
"J’ai rangé tout ce qu’il est bien de conserver. Tous les souvenirs...
Tout ce qui témoigne de son amour et de sa douleur infinis."
"Pourquoi, ô Mère, rouvrir les blessures de ton cœur en revoyant ces
tristes choses ? Tu es pâle, et ta main tremble... Tu souffres donc de les
voir" lui dit Jean en s’approchant d’elle, comme s’il craignait, pâle et
tremblante comme elle est, qu’elle allait se sentir mal et tomber par terre.
“Oh ! non, ce n’est pas pour cela que je suis pâle et que je tremble. Ce
n’est pas parce que se rouvrent mes blessures... En vérité, elles ne se sont
jamais fermées complètement. Mais j’ai aussi en moi la paix et la joie et
jamais elles n’ont été complètes comme maintenant."
"Jamais comme maintenant ? Je ne comprends pas... À moi, la vue de ces
choses pleines d’atroces souvenirs, réveille l’angoisse de ces heures. Et
moi, je ne suis qu’un disciple. Toi, tu es la Mère..."
"Et comme telle, je devrais souffrir davantage, veux-tu dire.
Humainement tu dis juste, mais il n’en est pas ainsi.
649.3 - Je suis habituée à supporter la
douleur des séparations d’avec Lui. C’était toujours de la douleur, car sa
présence et son voisinage étaient mon Paradis sur Terre. Mais aussi
volontairement et sereinement supportées, car tout ce qu’il faisait était
voulu par son Père, était obéissance à la Volonté divine, et je l’acceptais
donc car moi aussi j’ai toujours obéi aux volontés et aux desseins de Dieu
pour moi. Quand Jésus me quittait, je souffrais, certainement. Je me sentais
seule. Ma douleur quand Lui, enfant, me quitta secrètement pour la discussion avec les docteurs du Temple,
Dieu seul l’a mesuré dans sa vraie intensité. Mais pourtant, à part la
question juste que moi, sa mère, je lui ai faite pour m’avoir quittée ainsi,
je ne Lui ai pas dit autre chose. Et de même, je ne l’ai pas retenu quand il
me quitta pour devenir le
Maître… et j’avais déjà perdu mon
époux, j’étais seule dans une ville qui, sauf quelques
personnes, ne m’aimait pas. Et je n’ai pas montré d’étonnement pour sa réponse au banquet de Cana.
Lui faisait la volonté du Père. Moi, je le laissais libre de
la faire.
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524> Je pouvais en arriver à un conseil
ou à une prière : conseil pour les disciples, prière pour quelque malheureux.
Mais plus que cela, non. Je souffrais quand il me quittait pour aller à travers
le monde qui Lui était hostile, et pécheur au point que d’y vivre était pour
Lui une souffrance. Mais quelle joie quand il revenait à moi ! En vérité elle
était si profonde qu’elle compensait pour moi soixante-dix fois sept fois la
douleur de la séparation. Déchirante fut la douleur de la séparation qui suivit sa Mort,
mais avec quels mots pourrais-je dire la joie que j’ai éprouvée quand il m’est apparu ressuscité
? Immense la peine de la séparation à cause de sa montée
vers le Père, et qui ne devrait finir que quand
ma vie terrestre serait accomplie.
649.4 - Maintenant je suis dans la joie, une
joie immense comme immense fut la peine, car je sens que j’ai accompli ma
vie. J’ai fait ce que je devais faire. J’ai fini ma mission terrestre. L’autre,
la céleste, n’aura pas de fin. Dieu ma laissée sur la Terre jusqu’à ce que
moi aussi, comme mon Jésus, j’ai eu accompli tout ce que je devais accomplir.
Et j’ai en moi cette joie secrète, seule goutte de baume dans ses derniers
déchirements pleins d’amertume, qu’a eu Jésus quand il a pu dire : “Tout est accompli”
"Joie en Jésus ? À cette heure ?"
"Oui, Jean. Une joie incompréhensible pour les hommes, mais
compréhensible pour les esprits qui vivent déjà dans la lumière de Dieu, et
qui voient les choses profondes cachées sous les voiles que l’Éternel tend sur ses
secrets de Roi, grâce à cette Lumière. Moi, si angoissée, bouleversée par ces
événements, associée à Lui, à mon Fils, dans l’abandon du Père, je n’ai pas
compris alors. La Lumière s’était éteinte pour tout le monde à cette heure,
pour tout le monde qui n’avait pas voulu l’accueillir. Et aussi pour moi. Non
à cause d’une juste punition, mais parce que, devant être Corédemptrice, je
devais moi aussi souffrir l’angoisse de l’abandon des réconforts divins, les
ténèbres, la désolation, la tentation de Satan de ne plus me faire croire possible
ce que Lui avait dit, tout ce que Lui souffrit, dans son esprit, du Jeudi au
Vendredi. Mais ensuite j’ai compris. Quand la Lumière, ressuscitée pour
toujours, m’est apparue, j’ai compris. Tout. Même la secrète, extrême joie du
Christ quand il put dire : "J’ai tout accompli de ce que le Père voulait
que j’accomplisse. J’ai comblé la mesure de la charité divine en aimant le
Père jusqu’à me sacrifier, en aimant les hommes jusqu’à mourir pour eux. J’ai
tout accompli de ce que je devais. Je meurs avec l’esprit content, bien que
déchiré dans ma chair innocente". Moi aussi j’ai tout accompli de ce
qui, de toute éternité, était écrit que je devais accomplir. De la génération du Rédempteur à l’aide que
je vous apporte à vous, ses prêtres, pour que vous vous formiez parfaitement.
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525> 649.5 - L’Église
est désormais formée et forte. L’Esprit-Saint l’éclaire, le sang des premiers
martyrs la cimente et la multiplie, mon aide a contribué à faire d’Elle un
organisme saint que la charité envers Dieu et les frères alimente et fortifie
de plus en plus, et où les haines, les rancœurs, les envies, les médisances,
mauvaises plantes de Satan, ne poussent pas. Dieu est content de cela, et Il
veut que vous l’appreniez de mes lèvres, comme Il veut que je vous dise de
continuer à grandir en charité pour pouvoir grandir en perfection, et de même
aussi pour le nombre des chrétiens et la puissance de doctrine. Car la
doctrine de Jésus est une doctrine d’amour, parce que la vie de Jésus, et
aussi la mienne, ont toujours été conduites et mues par l’amour. Nous n’avons
repoussé personne, nous avons pardonné à tous. À un seul
nous n’avons pas pu donner le pardon parce que lui, esclave de la haine, n’a
pas voulu de notre amour sans limites. Jésus, dans son dernier adieu avant sa
mort, vous a
commandé de vous aimer entre vous. Et il vous a donné
aussi la mesure de l’amour que vous devez avoir entre vous en vous disant :
“Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. C’est à cela que l’on
saura que vous êtes mes disciples”. L’Église, pour vivre et grandir, a besoin
de la charité. Charité surtout dans ses ministres. Si vous ne vous aimiez pas
entre vous avec toutes vos forces, et si de même vous n’aimiez pas vos frères
dans le Seigneur, l’Église deviendrait stérile, et difficile et faible serait
la nouvelle création et la supercréation des hommes
à leur rang de fils du Très-Haut et de cohéritiers du Royaume du Ciel, car
Dieu cesserait de vous aider dans votre mission. Dieu est Amour.
Tout ce qu’Il a fait a été fait par amour. De la Création à l’Incarnation, de
celle-ci à la Rédemption, de celle-ci encore à la fondation de l’Église, et
enfin à la Jérusalem céleste qui rassemblera tous les justes pour qu’ils
jubilent dans le Seigneur.
649.6 - C’est à toi que je dis ces choses, parce
que tu es l’Apôtre de l’amour et que tu peux les comprendre mieux que les
autres..."
Jean l’interrompt pour dire :
"Les autres aussi aiment et s’aiment."
"Oui. Mais tu es l’Aimant par
excellence. Chacun de vous a toujours eu une caractéristique bien sienne,
comme du reste c’est le cas pour toute créature. Toi, dans les douze, tu as
toujours été l’amour, le pur, le surnaturel amour. Peut-être, d’ailleurs :
certainement c’est parce que tu es si pur que tu es si aimant.
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526> Pierre, de son côté, a toujours été
l’homme, et l’homme franc et impétueux. Son frère, André, était silencieux et timide autant
que l’autre ne l’était pas. Jacques,
ton frère, l’impulsif, au point que Jésus l’a appelé le fils du tonnerre.
L’autre Jacques,
frère de Jésus, le juste et l’héroïque. Jude d’Alphée,
son frère, le noble et loyal, toujours. La descendance de David était visible
en lui. Philippe
et Barthélemy
étaient les traditionalistes. Simon le Zélote,
le prudent. Thomas,
le pacifique. Matthieu,
l’humble qui, se souvenant de son passé, cherchait à passer inaperçu. Et Judas de Kériot,
hélas !, la brebis noire du troupeau du Christ, le serpent réchauffé par
son amour a été le satanique menteur, toujours. Mais toi, tout amour, tu peux
mieux comprendre et te faire voix d’amour pour tous les autres, à ceux qui
sont éloignés, pour leur dire mon dernier conseil.
Tu leur diras qu’ils s’aiment et qu’ils aiment tout
le monde, même ceux qui les persécutent, pour être une seule chose avec Dieu,
comme moi je l’ai été, au point de mériter d’être choisie comme épouse de
l’Amour Éternel pour concevoir le Christ.
649.7 - Je me suis donnée à Dieu sans
mesure, tout en comprenant tout de suite combien de douleur m’en serait
venue. Les prophètes étaient présents à mon esprit et la lumière divine me
rendait très claires leurs paroles. Ainsi, dès mon premier “fiat” à l’Ange, j’ai
su que je me consacrais à la plus grande douleur qu’une mère pût supporter.
Mais rien n’a mis de limite à mon amour parce que je sais qu’il est, pour
quiconque le pratique, force, lumière, aimant qui attire vers en haut, feu
qui purifie et embellit ce qu’il embrase, transformant et faisant dépasser
l’humain pour ceux qu’il prend dans son embrassement.
649.8 - Oui,
l’amour est réellement une flamme. La flamme qui, tout en détruisant ce qui
est caduc, qu’il soit une épave, un rebut, une loque d’homme, en fait un
esprit purifié et digne du Ciel. Combien d’épaves, d’hommes souillés, rongés,
finis, vous trouverez sur votre route d’évangélisateurs ! N’en méprisez
aucun, mais au contraire aimez-les pour qu’ils arrivent à l’amour et se sauvent.
Versez en eux la charité. Bien souvent l’homme devient mauvais, parce que
personne ne l’a jamais aimé, ou l’a mal aimé.
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527> Vous, aimez-les, pour que
l’Esprit-Saint revienne les habiter, après leur purification, ces temples que
beaucoup de choses ont vidés et souillés. Dieu, pour créer l’homme, n’a pas
pris un ange, ni des matières choisies. Il a pris de la boue, la matière la plus
vile. Puis, en lui infusant son souffle, c’est-à-dire encore son amour, Il a
élevé la matière vile au rang élevé de fils adoptif de Dieu. Mon Fils, sur
son chemin, a trouvé beaucoup d’épaves d’hommes
tombés dans la boue. Il ne les a pas foulés aux pieds par mépris, mais, au
contraire, il les a recueillis et accueillis et en a fait des élus du Ciel.
Rappelez-vous-en toujours, et agissez comme Lui l’a fait.
649.9 - Rappelez-vous
tout : les actions et les paroles de mon Fils. Rappelez-vous ses douces
paraboles. Vivez-les, c’est-à-dire mettez-les en pratique. Et écrivez-les
pour qu’elles restent pour ceux qui viendront jusqu’à la fin des siècles, et
soient toujours un guide pour les hommes de bonne volonté pour obtenir la vie
et la gloire éternelle. Vous ne pourrez certainement pas répéter toutes les
paroles lumineuses de l’Éternelle Parole de Vie et de Vérité. Mais écrivez-en
autant que vous pouvez en écrire. L’Esprit de Dieu, descendu sur moi pour que
je donne au monde le Sauveur et qui est descendu aussi sur vous une première
fois et une seconde, vous aidera à vous souvenir et à parler aux foules de
manière à les convertir au Dieu vrai. Vous continuerez ainsi cette maternité
spirituelle que j’ai commencée sur le Calvaire pour donner de nombreux
enfants au Seigneur. Et le même Esprit, en parlant dans les fils recréés du
Seigneur, les fortifiera de manière qu’il leur soit doux de mourir dans les
tourments, de souffrir l’exil et les persécutions, afin de confesser leur
amour pour le Christ et de le rejoindre dans les Cieux, comme déjà l’ont fait
Étienne
et Jacques,
mon Jacques, et d’autres encore...
649.10 - Quand tu seras resté seul, sauve ce
coffre..."
Jean pâlit et se trouble plus encore qu’il ne l’a fait quand Marie lui a dit
qu’elle sentait sa mission accomplie. Il l’interrompt en s’écriant et en lui
demandant :
"Mère, pourquoi parles-tu ainsi ? Tu te sens mal ?"
"Non."
"Tu veux me quitter alors ?"
"Non. Je serai avec toi tant que je serai sur la Terre. Mais
prépare-toi, mon Jean, à être seul."
"Mais alors tu te sens mal, et tu veux me le cacher !..."
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528> "Non, crois-le. Je ne me suis
jamais sentie en force, en paix, en joie comme maintenant. Mais j’ai en moi
une telle jubilation, une telle plénitude de vie surnaturelle que... Oui, que
je pense ne pas pouvoir la supporter en continuant à vivre. Je ne suis pas
éternelle, du reste. Tu dois le comprendre. Éternel est mon esprit. La chair,
non. Elle est sujette comme toute chair humaine à la mort."
"Non ! Non ! Ne dis pas cela. Tu ne peux pas, tu ne dois pas mourir !
Ton corps immaculé ne peut mourir comme celui des pécheurs !"
"Tu es dans l’erreur, Jean. Mon Fils
est mort ! Moi aussi, je mourrai. Je ne connaîtrai pas la maladie, l’agonie,
le spasme de la mort. Mais pour ce qui est de mourir, je mourrai. Et du reste
sache, mon fils, que si j’ai un désir qui est mien, tout entier et seulement
mien, et qui dure depuis que Lui m’a quittée, c’est justement celui-ci. C’est
mon premier, puissant désir qui est tout mien. Je puis même dire : ma
première volonté. Toute autre chose de ma vie n’a été que consentement de ma
volonté au vouloir divin. Vouloir de Dieu, mis dans mon cœur de petite fille
par Lui-même, la volonté d’être vierge. Son vouloir, mon mariage avec Joseph.
Son vouloir ma Maternité virginale et divine. Tout, dans ma vie, a été
vouloir de Dieu, et mon obéissance à sa volonté. Mais vouloir me réunir à
Jésus, c’est un vouloir tout mien. Quitter la Terre pour le Ciel, pour
être avec Lui éternellement et sans arrêt ! Mon désir de tant d’années ! Et
maintenant je le sens près de devenir une réalité.
649.11 - Ne
te trouble pas ainsi, Jean ! Écoute plutôt mes dernières volontés. Quand mon
corps, désormais privé de l’esprit vital, sera étendu en paix, ne me soumets
pas aux embaumements en usage chez les hébreux. Désormais je ne suis plus
l’hébraïque, mais la chrétienne, la première chrétienne, si on y
réfléchit bien, parce que la première j’ai eu le Christ, Chair et Sang, en
moi, parce que j’ai été sa première disciple, parce que j’ai été avec Lui
Corédemptrice et sa continuatrice ici, parmi vous, ses disciples. Aucun
vivant, excepté mon père et ma mère, et ceux qui ont assisté à ma naissance,
n’a vu mon corps. Tu m’appelles souvent : “Arche qui contint la Parole
divine”. Maintenant tu sais que l’Arche ne peut être vue que par le Grand
Prêtre. Tu es prêtre, et beaucoup plus saint et plus pur que le Pontife du
Temple. Mais je veux que seul l’Éternel Pontife puisse voir, au temps voulu,
mon corps. Ne me touche donc pas. Du reste, tu vois ? Je me suis déjà
purifiée et j’ai mis le vêtement propre, le vêtement des noces éternelles...
649.12 - Mais pourquoi pleures-tu, Jean
!"
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529> "Parce que la tempête de la
douleur se déchaîne en moi. Je comprends que je vais te perdre. Comment
ferai-je pour vivre sans toi ? Je sens mon cœur se déchirer à cette pensée !
Je ne résisterai pas à cette douleur !"
"Tu résisteras. Dieu t’aidera à vivre, et longuement, comme Il m’a
aidée. Car s’Il ne m’avait pas aidé, au Golgotha et sur l’Oliveraie, quand
Jésus est mort et quand il est monté, je serais morte, comme est mort Isaac.
Il t’aidera à vivre et à te rappeler ce que je t’ai dit auparavant, pour le
bien de tous."
"Oh ! je me rappellerai. Tout. Et je ferai ce que tu
veux, pour ton corps aussi. Je comprends aussi que les rites hébraïques ne
servent plus pour toi, chrétienne, et pour toi, toute Pure, qui, j’en suis
certain, ne connaîtras pas la corruption de la chair. Ton corps, déifié comme
aucun autre corps de mortel, et parce que tu as été exempte de la Faute
d’origine, et plus encore parce que, outre la plénitude de la Grâce, tu as
contenu en toi la Grâce elle-même, le Verbe, c’est pourquoi tu es la relique
la plus véritable de Lui, ne peut pas connaître la décomposition, la
putréfaction de toute chair morte. Ce sera le dernier miracle de Dieu sur
toi, en toi. Tu seras conservée telle que tu es..."
"Et ne pleure pas alors !" s’écrie Marie en regardant le visage
bouleversé de l’apôtre, tout baigné de larmes. Et elle ajoute :
"Si je me conserve telle que je suis, tu ne me perdras pas. Ne sois donc
pas angoissé !"
"Je te perdrai pareillement même si la corruption ne t’atteint pas. Je
le sens, et je me sens comme pris par un ouragan de douleur. Un ouragan qui
me brise et m’abat. Tu étais mon tout, surtout depuis que mes parents
sont morts et que sont éloignés les autres frères de sang et de mission, et
aussi le bien-aimé Marziam que Pierre a pris avec lui.
Maintenant je reste seul et dans la tempête la plus forte !"
Et Jean tombe à ses pieds, en pleurant encore plus fort.
649.13 - Marie se penche sur lui, lui met la
main sur sa tête secouée par les sanglots et lui dit :
"Non, pas ainsi. Pourquoi me donnes-tu de la douleur ? Tu as été si fort
sous la Croix, et c’était une scène d’horreur sans pareille, et à cause de la
puissance son martyre et à cause de la haine satanique du peuple ! Si fort
pour son réconfort et le mien, à cette heure !
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530> Et aujourd’hui, au contraire, dans
cette soirée de sabbat, si sereine et si calme, et devant moi qui jouis de la
joie imminente que je pressens, tu es ainsi bouleversé ? ! Calme-toi. Imite,
ou plutôt unis-toi à ce qu’il y a autour de nous et en moi. Tout est paix,
sois en paix toi aussi. Seuls les oliviers rompent, par leur léger
bruissement, le calme absolu de l’heure. Mais il est si doux ce léger bruit,
qu’il semble un vol d’anges autour de la maison. Et peut-être ils y sont. Car
toujours les anges
m’ont été proches, un ou plusieurs, quand j’étais à un moment spécial de ma
vie. Ils y furent à Nazareth, quand l’Esprit de Dieu rendit fécond mon sein vierge. Et ils furent chez
Joseph, quand il était troublé et incertain à cause de mon état et de la manière de se
comporter avec moi. Et à Bethléem, par deux fois, quand Jésus naquit et quand
nous avons dû fuir en Égypte. Et en Égypte quand nous fut donné l’ordre de
revenir en Palestine. Et s’ils n’ont pas apparu à moi, parce que le Roi des
anges Lui-même était venu à moi dès sa Résurrection, les anges ont apparu aux
pieuses femmes à
l’aube du lendemain du sabbat et ils ont donné l’ordre de dire à toi et à
Pierre ce que vous deviez faire.
Les anges et la lumière toujours aux moments décisifs de ma
vie et de celle de Jésus. Lumière et ardeur d’amour qui, descendant du Trône
de Dieu vers moi, sa servante, et montant de mon cœur vers Dieu, mon Roi et
Seigneur, m’unissaient à Dieu et Lui à moi, pour que s’accomplisse ce qui
était écrit qu’il devait s’accomplir, et aussi pour créer un voile de lumière
étendu sur les secrets de Dieu, afin que Satan et ses serviteurs ne
connaissent pas, avant le temps voulu, l’accomplissement du mystère sublime
de l’Incarnation.
649.14 - Ce soir aussi je sens, bien que je ne les voie pas, les
anges autour de moi.
Et je sens grandir en moi, au dedans de moi la Lumière, une lumière
insoutenable telle que celle qui m’enveloppa quand je conçus le Christ, quand
je l’ai donné au monde. Lumière qui vient d’un élan d’amour plus puissant que
celui que j’ai habituellement. C’est par une semblable puissance d’amour que
j’ai arraché des Cieux, avant le temps, le Verbe pour qu’il devienne l’Homme
et le Rédempteur. C’est par une semblable puissance d’amour, telle qu’est
celle qui me pénètre ce soir, que j’espère que le Ciel me ravisse et me
transporte là où j’aspire à aller avec mon esprit pour chanter,
éternellement, avec le peuple des saints et les chœurs des anges, mon
impérissable “Magnificat” à Dieu pour les grandes choses qu’Il a faites pour
moi, sa servante."
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531> "Pas avec ton seul esprit
probablement. Et la Terre te répondra, la Terre qui, avec ses peuples et ses
nations, te glorifiera et te donnera honneur et amour, tant que le monde
existera. C’est ce qu’a prédit Tobie de toi, bien que d’une manière voilée,
parce que c’est toi, et non le Saint des Saints, qui as porté vraiment en toi
le Seigneur.
Tu as donné à Dieu, toi seule, autant d’amour que tous les Grands Prêtres, et
tous les autres du Temple n’en ont donné pendant des siècles et des siècles.
Un amour ardent et toute pureté. C’est pour cela que Dieu te rendra toute
bienheureuse."
"Et Il accomplira mon unique désir, mon unique
volonté. Car l’amour, quand il est tellement total qu’il arrive presque à la
perfection comme celui de mon Fils et Dieu, obtient tout, même ce qui
paraîtrait, en jugeant humainement, impossible à obtenir. Souviens-toi de
cela, Jean.
649.15 - Et dis-le aussi à tes frères. Vous
serez tellement combattus ! Des obstacles de tout genre vous feront craindre
une défaite, des massacres de la part des persécuteurs, et des défections de
la part des chrétiens, à la morale... iscariotique,
vous déprimeront l’esprit. Ne craignez pas. Aimez et ne craignez pas. En
proportion de la façon dont vous aimerez.
Dieu vous aidera et vous fera triompher de tout et de tous, On obtient tout
si on devient séraphins. Alors l’âme, cette chose admirable,
éternelle, qui est le souffle de Dieu infusé en nous, s’élance vers le Ciel,
tombe comme une flamme au pied du Divin Trône, parle et Dieu l’écoute, et
elle obtient du Tout Puissant ce qu’elle veut. Si les hommes savaient aimer
comme le commande l’antique Loi, et comme mon Fils a aimé et enseigné à
aimer, ils obtiendraient tout.
649.16 - C’est ainsi que j’aime. C’est pour
cela que je sens que je vais cesser d’être sur la Terre, moi par excès
d’amour, comme Lui est mort par excès de douleur. Voilà ! La mesure de ma
capacité d’aimer est comble. Mon âme et ma chair ne peuvent plus la contenir
! L’amour en déborde, me submerge et en même temps me soulève vers le Ciel,
vers Dieu, mon Fils. Et sa voix me dit : “Viens ! Sors ! Monte vers notre
Trône et notre Trine embrassement !” La Terre, ce qui m’entoure, disparaît
dans la grande lumière qui me vient du Ciel ! Ses bruits sont couverts par
cette voix céleste ! Elle est arrivée pour moi l’heure de l’embrassement
divin, mon Jean !"
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532> 649.17 - Jean
s’était un peu calmé, tout en restant troublé, en écoutant Marie. Dans la
dernière partie de son entretien, il la regardait extasié, et comme ravi lui
aussi, le visage très pâle comme celui de Marie. La pâleur de cette dernière se change
lentement en une lumière d’une extrême candeur, il accourt près d’elle pour
la soutenir et en même temps il s’écrie :
"Tu es comme Jésus quand il s’est transfiguré
sur le Thabor ! Ta chair resplendit comme la lune, tes vêtements
brillent comme une plaque de diamant posée devant une flamme d’une extrême
blancheur ! Tu n’es plus humaine, Mère ! La pesanteur et l’opacité de la
chair sont disparues ! Tu es lumière ! Mais tu n’es pas Jésus. Lui, étant
Dieu en plus que d’être Homme, pouvait se conduire par Lui-même, là-haut sur
le Thabor, comme ici sur l’Oliveraie, dans son Ascension.
Toi, tu ne le peux pas. Tu ne peux te conduire. Viens. Je vais t’aider à
mettre ton corps las et bienheureux sur ton lit, Repose-toi."
Et, très affectueusement, il la conduit prés du pauvre lit sur lequel Marie
s’étend sans même enlever son manteau.
649.18 - Croisant les bras sur sa poitrine,
et abaissant ses paupières sur ses doux yeux brillants d’amour, elle dit à
Jean qui est penché sur elle :
"Je suis en Dieu. Et Dieu est en moi. Pendant que je le contemple et que
je sens son embrassement, dis les psaumes et des pages de l’Écriture qui se
rapportent à moi, spécialement à cette heure. L’Esprit de Sagesse te les
indiquera. Récite ensuite l’oraison de mon Fils; répète-moi les paroles de
l’Archange annonciateur, et celles que m’adressa Élisabeth; et mon hymne de
louange... Je te suivrai avec ce que j’ai encore de moi sur la Terre..."
Jean lutte contre les pleurs qui lui montent du cœur,
s’efforce de dominer l’émotion qui le trouble, de sa très belle voix qui au
cours des années est devenue très semblable à celle du Christ, chose que
Marie remarque en souriant et qui lui fait dire :
"Il me semble avoir mon Jésus à côté de moi !".
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533> Jean entonne le psaume
118, qu’il dit presque en entier, puis les trois premiers
versets du psaume
41, les huit premiers du psaume
38, le psaume 22
et le premier
psaume. Il dit ensuite le Pater, les paroles de Gabriel et
d’Élisabeth, le cantique de Tobie,
le chapitre 24ème de l’Ecclésiastique, des versets 11 à 46.
Pour terminer, il entonne le “Magnificat”. Mais, arrivé au 9ème verset, il
s’aperçoit que Marie ne respire plus, tout en ayant gardé une pose et une
attitude naturelles, souriante, tranquille, comme si elle n’avait pas
remarqué l’arrêt de la vie.
Jean, avec un cri déchirant, se jette par terre contre le bord du lit et il
appelle à plusieurs reprises Marie. Il ne sait pas se persuader qu’elle ne
peut plus lui répondre, que désormais le corps n’a plus son âme vitale.
Mais il lui faut bien se rendre à l’évidence ! Il se penche sur son visage,
resté fixe avec une expression de joie surnaturelle, et des larmes abondantes
pleuvent de ses yeux sur ce suave visage, sur ces mains pures, si doucement
croisées sur sa poitrine. C’est l’unique bain que reçoive le corps de Marie :
les pleurs de l’Apôtre de l’amour et de celui que Jésus lui a donné comme
fils adoptif.
649.19 - Après la première violence de la
douleur, Jean, se rappelant le désir de Marie, rassemble les pans de son
ample manteau de lin, qui pendaient des bords du lit, et aussi ceux du voile,
qui pendent aussi des deux côtés de l’oreiller, et étend les premiers sur le
corps et les seconds sur la tête.
Marie ressemble maintenant à une statue de marbre blanc, étendue sur le
dessus d’un sarcophage. Jean la contemple longuement et des larmes tombent
encore de ses yeux pendant qu’il la regarde.
Ensuite il donne une autre disposition à la pièce en enlevant tout mobilier
inutile. Il laisse seulement le lit, la petite table contre le mur, sur
laquelle il place le coffre contenant les reliques; un tabouret qu’il place
entre la porte qui donne sur la terrasse et le lit où gît Marie; et une
console sur laquelle se trouve la lampe que Jean allume, car maintenant le
soir va venir.
Il se hâte ensuite de descendre au Gethsémani pour y
cueillir autant de fleurs qu’il peut en trouver et des branches d’oliviers,
dont les olives sont déjà formées. Il remonte dans la petite chambre, et à la
clarté de la lampe, il dispose les fleurs et les feuillages autour du corps
de Marie comme s’il était au centre d’une grande couronne.
649.20 - Pendant qu’il fait ce travail, il
parle à la gisante comme si Marie pouvait l’entendre. Il dit :
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de page.
534> "Tu as toujours été le lys de
la vallée, la suave rose, la belle olive, la vigne féconde, le saint épi. Tu
nous as donné tes parfums, et l’Huile de Vie, et le Vin des forts, et le Pain
qui préserve de la mort l’esprit de ceux qui s’en nourrissent dignement.
Elles font bien autour de toi ces fleurs, simples et pures comme toi, garnies
comme toi d’épines, et pacifiques comme toi. Maintenant approchons cette
lampe. Ainsi, près de ton lit, pour qu’elle te veille et me tienne compagnie
pendant que je te veille, en attendant au moins un des miracles que j’attends
et pour l’accomplissement desquels je prie. Le premier est que, selon son
désir, Pierre et les autres, que je ferai prévenir par le serviteur de Nicodème,
puissent te voir encore une fois. Le second c’est que toi, ayant eu en tout
un sort semblable à celui de ton Fils, tu doives comme Lui, avant la fin du
troisième jour, te réveiller pour ne pas me rendre orphelin deux fois. Le
troisième c’est que Dieu me donne la paix, si ce que j’espère qu’il arrive
pour toi, comme c’est arrivé pour Lazare, qui ne t’était pas semblable, ne
devait pas s’accomplir. Mais pourquoi cela ne devrait-il pas s’accomplir ?
Ils sont redevenus vivants la fille de
Jaïre, le jeune homme de Naïm,
le fils de Théophile...
Il est vrai qu’alors le Maître a agi... Mais Lui est avec toi, même s’il ne
l’est pas d’une manière visible. Et tu n’es pas morte de maladie comme ceux
que le Christ a ressuscités. Mais es-tu vraiment morte ? Morte comme meurt
tout homme ? Non. Je sens que non. Ton esprit n’est plus en toi, dans ton
corps, et en ce sens on pourrait parler de mort. Mais, à cause de la manière
dont c’est arrivé, je pense que ce n’est qu’une séparation passagère de ton
âme sans faute et pleine de grâce d’avec ton corps très pur et virginal. Il
doit en être ainsi ! Il en est ainsi ! Comment et quand la réunion
arrivera-t-elle avec la vie qui reviendra en toi, je ne sais pas. Mais j’en
suis tellement certain que je resterai ici, à côté de toi, jusqu’à ce que
Dieu, par sa parole ou par son action, me montre la vérité sur ton sort."
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