Vision du dimanche 4
novembre 1951
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648.1 - Sur
la terrasse de la maison de Simon, toute éclairée par la pleine lune,
se trouvent Pierre et Jean. Ils parlent à voix basse, en
montrant la maison de Lazare, fermée et silencieuse.
Ils parlent longuement en faisant les cent pas sur la terrasse. Puis, qui
sait pour quel motif, la discussion devient plus animée et leurs voix d’abord
basses prennent un ton plus haut et bien clair.
Pierre donne un coup de poing sur le parapet et s’écrie :
"Mais tu ne comprends pas qu’on doit agir ainsi ? C’est au nom de Dieu
que je te parle, écoute-moi, et ne t’obstine pas. Il convient d’agir comme je
le dis. Ce n’est pas par lâcheté et par peur, mais pour empêcher la totale
extermination qui nuirait à l’Église du Christ. Désormais on suit toutes nos
démarches. Je m’en suis aperçu, et Nicodème
m’a confirmé que j’avais bien vu. Pourquoi n’avons-nous
pas pu rester à Béthanie
? Pour ce motif. Pourquoi n’est-il plus prudent de rester dans cette maison,
ou dans celle de Nicodème, ou dans celle de Nikê ou d’Anastasica
? Toujours pour ce motif. Pour empêcher l’Église de mourir par la mort de ses
chefs."
"Le Maître nous a assuré bien des fois que l’enfer même ne pourra jamais
l’exterminer et prévaloir sur elle "
lui répond Jean.
"C’est vrai. Et l’enfer ne prévaudra pas, comme il n’a pas prévalu sur
le Christ. Mais les hommes, oui. Comme ils ont prévalu sur l’Homme-Dieu, qui
a vaincu Satan,
mais qui n’a pu triompher des hommes."
"Parce qu’il n’a pas voulu vaincre. Il devait racheter et donc mourir.
Et de cette mort. Mais s’il avait voulu les vaincre ! Combien de fois
n’a-t-il pas échappé à leurs embûches de toutes sortes !"
"À l’Église aussi on dressera des embûches, mais elle ne périra pas
totalement, toujours cependant si nous avons assez de prudence pour empêcher
l’extermination des chefs actuels avant que beaucoup de ses Prêtres, de tout
rang, ne soient créés et formés â leur ministère par nous les premiers. Ne te
fais pas des illusions, Jean ! Les pharisiens, scribes, prêtres et
synhédristes feront tout leur possible pour tuer les pasteurs afin de
disperser le troupeau.
Ce troupeau qui est encore faible et craintif. Ce troupeau de Palestine
surtout. Nous ne devons pas le laisser sans pasteurs tant que beaucoup
d’agneaux ne seront pas à leur tour devenus pasteurs. Tu as vu combien déjà
sont tombés morts.
648.2 - Pense
quelle partie du monde nous attend ! L’ordre a été clair: "Allez évangéliser toutes les nations,
en les baptisant au nom du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint, en leur
enseignant à observer ce que je vous ai commandé". Et à moi, sur la rive du lac,
par trois fois il a commandé de paître ses brebis et ses agneaux, et il a
prophétisé que seulement quand je serai vieux je serai attaché et amené pour
confesser le Christ par mon sang et ma vie.
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Et bien loin d’ici ! Si j’ai bien compris un de ses entretiens, avant la mort
de Lazare, je dois aller à Rome, et là fonder l’Église immortelle. Et
Lui-même n’a-t-il pas jugé bon de se retirer à Éphraïm parce qu’il n’avait
pas encore accompli son évangélisation ? C’est seulement au moment voulu
qu’il est revenu en Judée pour être pris et
crucifié. Imitons-le.
On ne peut certainement pas se dire que Lazare, Marie et Marthe
ont été des créatures craintives. Tu vois pourtant que,
bien qu’avec une extrême douleur, ils se sont éloignés d’ici pour porter
ailleurs la Parole divine qui ici aurait été étouffée par les juifs. Moi, choisi par Lui comme Pontife, j’ai décidé. Et avec moi, les autres:
apôtres et disciples ont également décidé. Nous allons nous disperser.
Les uns iront en Samarie,
d’autres vers la grande mer, d’autres vers la Phénicie, en allant toujours
plus en avant, en Syrie, dans les îles, en Grèce, dans l’Empire romain.
Si dans ces lieux la zizanie et le poison juif rendent stériles les champs et
les vignes du Seigneur, nous allons ailleurs et nous semons d’autres
semences, dans d’autres champs et d’autres vignes, pour que la récolte non
seulement arrive mais soit abondante. Si dans ces lieux la haine des juifs
empoisonne les eaux et les corrompt, de sorte que moi, pêcheur d’âmes, et mes
frères, nous ne puissions pas pêcher des âmes pour le Seigneur, nous allons
près d’autres eaux. Il faut être prudent et rusé en même temps.
Crois-le, Jean."
648.3 - "Tu
as raison. Mais j’insisterai pour Marie. Je ne puis pas, je ne dois pas la
laisser. Nous en souffrirons trop tous deux. Et ce serait mal agir, de ma
part..." lui répond Jean.
"Reste, toi. Et qu’elle reste, car il serait absurde de l’arracher
d’ici..."
"Ce à quoi Marie ne consentirait jamais. Je vous rejoindrai ensuite,
quand elle ne sera plus sur la Terre."
"Tu viendras, tu es jeune... Tu auras encore beaucoup de temps à
vivre."
"Et Marie très peu."
"Pourquoi ? Est-elle malade, souffrante, affaiblie, peut-être ?"
"Oh ! non ! Le temps et les douleurs n’ont pas eu de pouvoir sur elle.
Elle est toujours jeune d’aspect et d’esprit, sereine. Je dirais même
bienheureuse."
"Et alors, pourquoi dis-tu..."
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520> "Parce que je comprends que
cette nouvelle floraison en beauté et en joie c’est le signe qu’elle sent
déjà proche la réunion avec son Fils. Réunion totale, je veux dire. Car
l’union spirituelle n’a jamais cessé. Je ne lève pas les voiles sur les
mystères de Dieu, mais je suis certain qu’elle voit chaque jour son Fils,
dans son vêtement glorieux. Et je crois que sa béatitude c’est cela. Je crois
qu’en le contemplant son esprit s’illumine et arrive à connaître tout
l’avenir, comme le connaît Dieu. Même le sien. Elle est encore sur la Terre,
avec son corps; mais je pourrais dire, sans crainte d’errer, que son esprit
est presque toujours dans les Cieux. Si grande est son union avec Dieu que je
ne crois pas dire une parole sacrilège en disant qu’elle a Dieu en elle,
comme quand elle le portait dans son sein. Davantage encore. Comme le Verbe
s’est uni à elle pour devenir Jésus Christ, ainsi maintenant elle est
tellement unie au Christ qu'elle est un second Christ, pour avoir pris une
nouvelle humanité, celle de Jésus Lui-même. Si je dis une hérésie, que Dieu
me fasse connaître mon erreur et me la pardonne. Elle vit dans l’amour. Ce
feu d’amour l’enflamme, la nourrit, l’éclaire, et c’est encore ce feu d’amour
qui nous la ravira, au moment marqué, sans douleur pour elle, sans corruption
pour son corps... La douleur sera pour nous seuls... Pour moi surtout... Nous
n’aurons plus la Maîtresse, celle qui nous guide et nous réconforte... Et
moi, je serai vraiment seul..."
Et Jean, dont la voix tremble déjà parce qu’il se retient de pleurer, éclate
en un sanglot déchirant tel qu’il n’en avait jamais eu même au pied de la
Croix et dans le Tombeau.
648.4 - Pierre
aussi, bien que plus paisiblement, se met à pleurer et, dans ses larmes, il
supplie Jean de l’aviser, s’il le peut, pour qu’il soit présent au départ de
Marie, ou du moins à sa sépulture.
"Je le ferai, s’il m’est donné de le faire, mais j’en doute beaucoup.
Quelque chose me dit en mon intérieur que, comme il arriva pour Élie, ravi
par un tourbillon céleste sur un char de feu,
il en sera ainsi pour elle. Je n’aurai pas le temps de m’apercevoir de son
passage prochain qu’elle sera déjà au Ciel avec son âme."
"Mais son corps au moins restera. Il est resté celui du Maître ! Et il
était Dieu !"
"Pour Lui, il était nécessaire qu’il en fût ainsi. Pour elle, non. Lui
devait, par sa Résurrection, démentir les calomnies des juifs, par ses
apparitions persuader le monde, devenu hésitant ou même négateur à cause de sa
mort sur la Croix. Mais elle n’a pas besoin de cela. Mais si je puis le
faire, je te préviendrai.
648.5 - Adieu,
Pierre, Pontife et mon frère dans le Christ. Je retourne vers elle qui
certainement m’attend. Que Dieu soit avec toi."
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521> "Et avec toi. Et dis à Marie
de prier pour moi, et de me pardonner encore pour ma lâcheté de la nuit du
Procès. C’est un souvenir que je n’arrive pas à effacer de mon cœur, une
chose qui ne me laisse pas en paix..."
Des larmes descendent sur les joues de Pierre, qui dit pour terminer :
"Qu’elle soit pour moi une Mère, une Mère aimante pour son fils prodigue
et malheureux..."
"Il n’est pas besoin que je le lui dise. Elle t’aime plus qu’une mère,
selon le sang. Elle t’aime en Mère de Dieu, et avec la charité d’une Mère de
Dieu. Si elle était prête à pardonner à Judas,
dont la faute était sans mesure, pense si elle ne t’a pas pardonné à toi !
Paix à toi, frère. Je m’en vais."
"Et moi, je te suis, si tu le permets. Je veux la voir une fois
encore."
"Viens. Je connais la route à prendre pour entrer au Gethsémani sans être
vus."
648.6 - Ils
se mettent en route, et vont, rapides et silencieux, vers Jérusalem en passant
pourtant par la route haute qui rejoint l’Oliveraie du côté le plus éloigné
de la ville.
Ils y arrivent quand déjà l’aube blanchit. Ils entrent au Gethsémani et
descendent vers la petite maison. Marie, qui est sur la terrasse, les voit
venir et en poussant un cri de joie, elle descend à leur rencontre.
Pierre tombe vraiment à ses pieds, le visage contre terre, en lui disant :
"Mère, pardon !"
"De quoi donc ? As-tu par hasard péché en quelque chose ? Celui qui me
révèle toute vérité m’a seulement révélé que tu es son digne successeur dans
la Foi. Comme homme, je t’ai toujours trouvé juste,
bien que parfois impulsif. Que dois-je donc te pardonner ?"
Pierre pleure en silence.
Jean explique :
"Pierre ne sait pas se donner la paix parce qu’il a renié Jésus, dans la
Cour du Temple."
"C’est du passé. C’est effacé, Pierre. Jésus t’a-t-il peut-être fait des
reproches ?"
"Oh ! non !"
"Était-il moins affectueux avec toi qu’auparavant ?"
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522> "Non. En vérité, non. Au
contraire !..."
"Et ne t’a-t-il pas dit comment Lui, et moi avec Lui, nous t’avons
compris et pardonné ?"
"C’est vrai. Je suis toujours le même sot."
"Et alors va et reste en paix. Je te dis que nous nous trouverons tous,
toi, les autres apôtres et diacres[11],
et moi, tous au Ciel, près de l’Homme-Dieu. Pour autant qu’il m’est donné, je te bénis" et, comme elle a fait pour
Gamaliel,
Marie met ses mains sur la tête de Pierre et y trace dessus un signe de
croix.
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