Vision du lundi 14 avril 1947
109> Jérusalem brûle déjà dans le soleil
de midi. Une archivolte ombreuse est un rafraîchissement pour la vue éblouie
par le soleil qui frappe les murs blancs des maisons et rend brûlant le sol
des chemins. La blancheur incandescente des murs et l’obscurité des
archivoltes font de Jérusalem une bizarre peinture en blanc et noir, une
alternance de lumière violente et de pénombre, qui par contraste avec la
lumière violente semblent des ténèbres, alternance qui tourmente comme une
obsession, car elle enlève la faculté de voir ou par excès de lumière ou par
excès d’ombre. On avance les yeux entrouverts en cherchant à courir dans les
zones de lumière et de chaleur, en ralentissant sous les archivoltes où il
est nécessaire d’avancer lentement car le contraste entre la lumière et les
ténèbres fait que, même les yeux ouverts, on ne voit rien.
C’est ainsi qu’avancent les apôtres dans une ville que l’heure de midi rend
déserte, Ils suent et s’essuient le visage et le cou avec leurs couvre-chefs
et soufflent...
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110> Mais quand ils doivent sortir de la
ville, cesse pour eux le soulagement des archivoltes. La route, qui rase les
murs et qui se perd vers le nord et vers le sud comme un ruban éblouissant de
poussière incandescente, donne l’impression d’un sol de fournaise. Il s'en élève une chaleur de four, une chaleur qui dessèche les
poumons. Le petit torrent, qui est au-delà des murs, a un filet d’eau au
milieu d’une grève de cailloux que le soleil rend blancs comme autant de
crânes calcinés. Les apôtres se précipitent sur ce filet d’eau et en boivent.
Ils y plongent leurs couvre-chefs, se les mettent trempés sur la tête après
s’être lavé le visage. Ils pataugent dans ce filet d’eau les pieds nus. Mais
oui ! C’est un bien piètre rafraîchissement. L’eau est chaude comme si on
l’avait versée d’un chaudron suspendu au-dessus d’une flamme, et eux le
disent : "Elle est chaude et peu abondante. Elle a goût de boue et de borith
. Quand il y en a si peu, elle garde le goût des lessives faites à
l’aube."
Ils entreprennent la montée du Golgotha, du Golgotha brûlé sur lequel le
soleil brûlant a séché le peu d’herbe qui paraissait un duvet rare sur la
montagne jaunâtre une quinzaine de jours auparavant. Maintenant les seuls
rigides et rares touffes de plantes épineuses, tout en piquants et sans
feuilles, dressent çà et là les tiges de squelettes déterrés, d’un vert jauni
par la poussière du mont, vraiment semblables à des ossements que l’on vient
de sortir de terre. Oui, on dirait réellement des bouquets d’ossements
calcinés plantés dans le sol. Il y en a un qui, après une tige droite de deux
palmes, présente un coude imprévu qui se termine en cinq doigts après une
sorte de palette. On dirait vraiment une main squelettique qui se tend pour
saisir le passant et le retenir dans ce lieu de cauchemar.
"Voulez-vous faire le chemin long ou le court ?" demande Jean
qui est le seul qui ait déjà gravi cette montagne.
"Le plus court ! Le plus court ! Faisons vite ! Ici on meurt de chaleur
!" disent-ils tous, sauf le Zélote
et Jacques
d’Alphée.
"Allons !"
Les pierres du chemin pavé sont brûlantes comme des plaques tirées du feu.
"Mais on ne peut avancer ici ! On ne peut !" disent-ils après
quelques mètres.
"Et pourtant le Seigneur est monté jusqu’à l’endroit où se trouvent ces
ronces, et il était déjà blessé et avait la croix sur Lui" fait observer
Jean qui pleure depuis qu’il est sur le Calvaire.
Ils poursuivent, mais bientôt ils se jettent à terre épuisés, haletants. Les
couvre-chefs, trempés dans le ruisseau, sont déjà séchés par le soleil; par contre,
les vêtements sont tachetés par la sueur.
"Trop rapide et trop brûlante !" souffle Barthélemy.
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111> "Oui. Trop !" confirme Matthieu qui est congestionné.
"Pour le soleil, c’est tout pareil.
Mais pour monter, prenons cette route. Elle est plus longue, mais moins
fatigante. Longin lui-même
la prit pour pouvoir faire que le Seigneur
la monte. Voyez-vous ici, ici où se trouve cette pierre un peu sombre ?
C’est là qu’est tombé le Seigneur et nous le croyions mort, nous qui
regardions d’ici, au nord, là, vous voyez ?
où est ce creux avant que la côte s’élève rapidement. Il ne bougeait plus.
Oh ! le cri de la Mère !
Il me résonne ici ! Je ne l’oublierai jamais ce cri ! Je n’oublierai pas un
seul de ses gémissements... Ah ! il y a des choses qui vous vieillissent en
une heure, et donnent la mesure de la douleur du monde... Allons, venez !
Moins que vous s’est arrêté notre Seigneur Martyr !" incite Jean.
Ils se lèvent abasourdis et le suivent jusqu’à l’intersection du chemin pavé
et du sentier à lacets, et ils tournent par celui-ci. Oui ! c’est moins
raide. Mais quant au soleil ! Et la chaleur y est encore plus forte étant
donné que la côte, que côtoie ce sentier, réverbère ses feux sur les
voyageurs déjà brûlés par le soleil.
"Mais pourquoi nous faire monter ici à cette heure ?! Ne pouvait-il pas
nous faire venir à l’aube, au point du jour, pour voir où nous posions les
pieds ? D’autant plus que nous étions hors les murs et que nous pouvions
venir sans attendre l’ouverture des portes." Ils se lamentent et
grommellent entre eux.
Hommes, encore et toujours hommes, maintenant, après la tragédie du Vendredi
Saint, qui est la tragédie de leur humanité orgueilleuse et lâche, plus
encore que la tragédie du Christ, toujours héros et victorieux même en
mourant, hommes comme auparavant, quand ils s’enivraient des cris des
hosannas de la foule, et jubilaient en pensant aux fêtes et aux banquets
somptueux dans la maison de Lazare...
Sourds, aveugles, fermés à tous les signes et avertissements de la tempête
prochaine.
Jacques d’Alphée et le Zélote pleurent en silence. André aussi ne se lamente plus après les dernières
paroles de Jean. Et maintenant encore Jean parle, en rappelant ses souvenirs,
et ce rappel est un avertissement fraternel, une exhortation à ne pas se
plaindre... Il dit : "C’est l’heure où Lui est monté ici. Et il marchait
déjà depuis longtemps. Oh ! je pourrais dire que depuis l’instant où il
sortit du Cénacle, il n’eut plus un moment de repos ! Et il faisait bien
chaud ce jour-là ! C’était la chaleur étouffante de l’orage proche... Et Lui
brûlait de fièvre. Nique dit
qu’elle eut l’impression de toucher du feu quand elle mit le linge sur son
visage.
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112> Ce doit être par ici l’endroit où
il rencontra les femmes... Nous, du côté opposé, nous n’avons pas vu la
rencontre, mais d’après ce que dirent Nique et les autres... Allons, avançons
! Pensez que les romaines,
habituées à la litière, ont parcouru à pied ce chemin en restant au soleil
dès le matin, dès l’heure de tierce, quand il fut condamné. Oh ! Elles
précédèrent tout le monde, elles, les païennes, envoyant des esclaves pour
avertir les autres qui s’étaient absentées pour quelque motif..."
Ils avancent... Un martyre de feu, ce chemin ! Ils chancellent même. Pierre dit : "Si Lui n’opère pas un
miracle, nous tomberons par un coup de soleil."
"Oui. Le cœur m’éclate dans la gorge" confirme Matthieu.
Barthélemy ne parle plus. Il paraît ivre. Jean le prend par le coude et le
soutient comme il le faisait avec la Mère, le Vendredi sanglant. Il le
réconforte : "D’ici peu il y a un peu d’ombre, là où je conduisis la
Mère. Nous nous reposerons là."
Ils vont, de plus en plus lentement... Les voilà contre le rocher où était
Marie, et Jean le dit. En effet il y a un peu d’ombre, mais l’air est
immobile et brûlant.
"S’il y avait au moins une tige d’anis, une feuille de menthe, un brin
d’herbe ! J’ai la bouche qui ressemble à du parchemin mis près d’une flamme.
Mais rien ! Rien !" gémit Thomas qui a les veines gonflées au cou et
au front.
"Je donnerais ce qui me reste de vie pour avoir une goutte d’eau"
dit Jacques de Zébédée.
Jude Thaddée éclate en
sanglots et dit : "Mon pauvre Frère, combien tu as souffert ! Il a
dit... il a dit, vous le rappelez-vous ? qu’il mourait de soif ! Oh !
maintenant je comprends ! Je n’avais pas compris la portée de ces paroles !
Il mourait de soif ! Et il n’y eut personne pour Lui donner une gorgée d’eau
pendant qu’il pouvait boire encore ! Et il avait la fièvre, Lui, en plus du
soleil !"
"Jeanne
Lui avait apporté de quoi se désaltérer...
" dit André.
"Il ne pouvait plus boire, désormais ! Il ne pouvait plus parler...
Quand il rencontra sa Mère, là, à dix pas de nous, il ne put dire que :
"Maman !" et il ne put lui donner un baiser, même de loin bien que Simon de Cyrène
l’eût délivré de la croix. Il avait les lèvres durcies par les blessures,
brûlées... Oh ! je le voyais bien, au-delà du rang des légionnaires ! Parce
que je ne suis pas passé ici. J’aurais pris sa croix, s’ils m’avaient laissé
passer ! Mais ils craignaient pour moi... et à cause de la foule qui voulait
nous lapider... Il ne pouvait pas parler... pas boire... pas
donner un baiser...
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113> Il ne pouvait quasi plus regarder
avec ses yeux douloureux à travers les croûtes de sang qui descendait de son
front !... Son vêtement était déchiré au genou qu’on voyait ouvert,
sanglant... Il avait les mains enflées et blessées... Il avait une blessure
au menton et à une joue... La croix avait formé une plaie à son épaule déjà
ouverte par les coups de fouets... Sa ceinture était blessée par les
cordes... Ses cheveux étaient couverts du sang qui coulait des épines... Il
avait..."
"Tais-toi ! Tais-toi ! On ne peut t’entendre ! Tais-toi ! Je t’en prie
et te le commande !" crie Pierre qui semble à la torture.
"On ne peut m’entendre ! Vous ne pouvez m’entendre ! Mais moi, j’ai dû
le voir et entendre ses spasmes ! Et la Mère ? Et la Mère, alors ? "
Ils baissent la tête en sanglotant et recommencent à marcher, à marcher... Ce
n’est plus sur eux qu’ils se lamentent, mais tous pleurent désormais sur les
douleurs du Christ.
Les voici au sommet, à la première petite place : une plaque de feu. La
réverbération est telle que la terre semble trembler par suite de ce
phénomène que produit le soleil sur les sables enflammés des déserts.
"Venez. Montons de ce côté. C’est ici que nous fit passer le centurion.
Moi aussi : ils m’ont cru fils de Marie. Les femmes étaient là et ici les bergers
et ici les juifs..." Jean indique les endroits et
termine : "Mais la foule était en bas, elle couvrait la pente jusqu’à la
vallée, jusqu’à la route. Elle était sur les murs. Elle était sur les
terrasses près des murs. Elle était aussi loin qu’on pouvait voir. J’ai vu
cela quand le soleil commença à se voiler. Auparavant c’était comme à
présent, et je ne pouvais voir..."
En effet Jérusalem semble un mirage qui tremble là-bas. L’excès de lumière la
voile à qui veut la voir, et Jean dit : "À d’autres heures, Marie de Lazare l’a dit, mais je
ne savais pas quand ni pourquoi elle y était venue, on voit les restes noirs
des maisons incendiées par la foudre. Les maisons des plus coupables... d’un
grand nombre, du moins parmi eux... Voici ! Ici (Jean compte ses pas,
reconstitue la scène, ici était Longin et ici Marie et moi. Ici était la
croix du larron repenti et
là l’autre. Et ici les vêtements furent tirés au sort. C’est là que la Mère
tomba quand Il fut mort.., et c’est d’ici que je le vis frappé au Cœur (Jean
devient pâle comme un mort) car sa Croix était ici" et il s’agenouille
sur le sol pour adorer, le visage dans la terre visiblement creusée sur
l’emplacement sanglant, le long de l’ombre du bras transversal de la croix et
autour de son tronc vertical.
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114> Elle doit avoir fait un dur travail
la Magdeleine pour creuser ainsi tant de terre et sur une profondeur d’au
moins un bon palme,
dans une terre si dure, mêlée à des pierres et des débris qui en font une
sorte de croûte compacte ! Ils se jettent tous par terre, pour baiser cette
poussière que maintenant baignent leurs larmes...
Mais Jean se lève le premier et, affectueusement
impitoyable, évoque tous les épisodes... Il ne sent plus le soleil...
Personne ne le sent plus... Il parle du moment où Jésus repoussa le vin à la
myrrhe, du moment où il se dévêtit et se ceignit du voile maternel, du moment
où il apparut si durement flagellé et blessé, du moment où il s’étendit sur
la croix et cria au premier clou, et puis cessa pour que sa Mère ne souffrît
pas trop, du moment où ils Lui déchirèrent le poignet et déboîtèrent le bras
pour le tirer jusqu’au trou fait à l’avance,
et du moment où, Lui étant entièrement cloué, la croix fut retournée pour
river les clous, et dont le poids reposa sur le Martyr dont on entendit le
halètement, et où la croix fut retournée et relevée pour la traîner et la
laisser retomber dans le trou et y fut calée, et où le Corps en tombant
déchira les mains et où la couronne en se déplaçant déchira la tête, et les
paroles au Père des Cieux, les paroles qui demandèrent pardon pour ceux qui
le crucifiaient, et qui pardonnèrent au larron repenti, et les paroles à la
Mère et à Jean, et l’arrivée de Joseph
et Nicodème, si ouvertement héros quand ils
défiaient tout un monde, et le courage de Marie de Magdala, et le cri
d’angoisse au Père qui l’avait abandonné, et la soif, et le vinaigre avec le
fiel, et la dernière agonie, et le faible appel à la Maman, et les paroles de
celle-ci, avec son âme déjà au seuil de la vie à cause du tourment, du
tourment.., et la résignation et l’abandon à Dieu et, horrible, la dernière
convulsion et le cri qui fit trembler le monde, et le cri de Marie quand elle
le vit mort...
"Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi !" crie Pierre et il semble, lui,
transpercé par la lance. Les autres aussi le prient : "Tais-toi !
Tais-toi !..."
"Je n’ai plus rien à dire. Le sacrifice
était fini. La sépulture... notre déchirement et non le sien, et qui n’a de
valeur que dans la douleur de la Mère. Notre déchirement ! Mérite-t-il de la
compassion ? Donnons-là à Lui, au lieu de demander pitié pour nous. Nous
avons trop et toujours fui la douleur, les fatigues, les abandons, en
laissant tout cela à Lui, à Lui seul. En vérité nous avons été des disciples
indignes qui l’avons aimé pour la joie d’être aimés, pour l’orgueil d’être
des grands dans son royaume, mais qui n’avons pas su l’aimer dans la
douleur... Maintenant non plus.
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115> Ici, ici, nous devons jurer, et
c’est ici un autel, et il est élevé, en face du Ciel et de la Terre, qu’il
n’en sera plus ainsi. Maintenant c’est pour Lui la joie, pour nous la croix.
Jurons-le. C’est ainsi seulement que nous donnerons la paix à nos âmes, ici
est mort Jésus de Nazareth, le Messie, le Seigneur, pour être le Sauveur et
le Rédempteur. Qu’ici meure l’homme que nous sommes, et que ressuscite le vrai
disciple. Levez-vous ! Jurons sur le Nom Saint de Jésus Christ que nous
voulons embrasser sa doctrine jusqu’à savoir mourir pour la rédemption du
monde." Jean semble être un séraphin. Ses gestes ont fait tomber son
couvre-chef, et sa tête blonde brille au soleil. Il est monté sur des débris
jetés de côté, peut-être les étais des croix des larrons, et il a pris
involontairement l’attitude à bras ouverts qu’a souvent Jésus quand il
enseigne, et particulièrement l’attitude qu’il avait sur la croix.
Les autres le regardent, si beau, si enflammé, si jeune, le plus jeune de
tous, et si mûr spirituellement. Le Calvaire l’a fait arriver à l’âge
parfait... Ils le regardent et crient : "Nous le jurons !"
"Alors prions pour que le Père fortifie notre serment : "Notre Père
qui es aux Cieux... "
Le chœur des onze voix prend de l’assurance de plus en plus à mesure qu’ils
continuent. Pierre se frappe la poitrine quand il dit : "Remets-nous nos
dettes", et tous s’agenouillent quand ils disent la dernière
supplication : "Délivre-nous du mal". Ils restent ainsi penchés
jusqu’au sol, en méditant...
Jésus est parmi eux. Je n’ai pas vu quand ni
d’où il est apparu. On dirait que c’est du côté du mont qui est inaccessible.
Il resplendit d’amour dans la grande lumière de midi et il dit : "Celui
qui demeure en Moi ne subira pas de dommage de la part du Malin. En vérité je
vous dis que ceux qui seront unis à Moi en servant le Très-Haut Créateur,
dont le désir est le salut de tous les hommes, pourront chasser les démons,
rendre inoffensifs les reptiles et les venins, passer au milieu des fauves et
des flammes sans subir de dommage, tant que Dieu veut qu’ils restent sur la
Terre pour le servir."
"Quand es-tu venu, Seigneur ?" disent-ils en s’inclinant tout en
restant à genoux.
"C’est votre serment qui m’a appelé. Et maintenant, maintenant que les
pieds de mes apôtres ont foulé cette terre, descendez rapidement à la ville,
au Cénacle. Ce soir vont partir les femmes de Galilée avec ma Mère. Toi et
Jean, vous irez avec elles. Nous
nous retrouverons tous unis en Galilée sur le Thabor" dit-il au Zélote et à Jean.
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116> "Quand,
Seigneur ?"
"Jean le saura et vous le dira."
"Tu nous quittes, Seigneur ? Tu ne nous bénis pas ? Nous avons tant
besoin de ta bénédiction."
"Je vous la donnerai ici et au Cénacle. Prosternez-vous !"
Il les bénit et l’éclat du soleil l’enveloppe comme dans la Transfiguration,
mais ici il le cache. Jésus n’est plus là.
Ils lèvent la tête. Plus rien que le soleil et la terre brûlée...
"Levons-nous et allons ! Il s’en est allé !" disent-ils avec
tristesse.
"Toujours plus courts ses séjours parmi nous !"
"Mais aujourd’hui il semblait plus content qu’hier soir. Tu n’as pas eu
cette impression, frère ?" demande le Thaddée à Jacques d’Alphée.
"C’est notre serment qui l’a rendu heureux. Sois béni, Jean, de nous
l’avoir fait faire !" dit Pierre en embrassant Jean.
"Moi, j’espérais qu’il nous parlerait de sa Passion ! Pourquoi nous
a-t-il fait venir ici pour ne rien nous dire ?" dit Thomas.
"Nous le Lui demanderons ce soir" dit André.
"Oui. Mais partons maintenant. La route est longue et nous voulons
rester un peu avec Marie avant qu’elle s’en aille" dit Jacques d’Alphée.
"Une autre douceur qui finit !" soupire le Thaddée.
"Nous restons orphelins ! Comment ferons-nous ?"
Ils se tournent vers Jean et le Zélote et ils disent avec une pointe d’envie
dans la voix: "Vous, au moins, vous allez avec la Mère ! Et vous restez
avec elle, toujours."
Jean fait un geste comme pour dire : "C’est ainsi." Mais eux, qui
les envient sans malice, disent tout de suite : "C’est juste, pourtant.
Car tu as été ici avec elle et tu as renoncé à y être par obéissance.
Nous..."
Ils commencent à descendre. Mais ayant mis le pied sur la seconde petite
place, la plus basse, ils voient une femme qui y arrive sous le soleil par le
chemin le plus raide et qui les dévisage sans parler, en se dirigeant avec
assurance vers la petite place la plus haute.
"Déjà quelqu’un vient ici ! Ce n’est pas seulement Marie qui vient. Mais
que fait-elle ? Elle pleure en cherchant par terre. C’est peut-être une femme
qui a perdu quelque chose ce jour-là ?" se demandent-ils. Ce serait
possible en effet, car on ne voit pas qui c'est. Le visage de la femme est
complètement voilé.
Thomas élève sa robuste voix : "Femme, qu’as-tu perdu ?"
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117> "Rien. Je cherche l’emplacement de la
Croix du Seigneur. J’ai un frère mourant et le bon Maître n’est plus sur la
Terre..." elle pleure sous son voile. "Les hommes l’ont chassé
!"
"Il est ressuscité, femme. Il y est pour toujours."
"Je sais qu’il y est pour toujours, car il est Dieu, et Dieu ne périt
pas. Mais il n’est plus parmi nous. Le monde ne l’a pas voulu, et Lui s’en
est allé, Le monde l’a renié, et même ses disciples l’ont abandonné comme si
c’était un larron, et lui a abandonné le monde. Moi, je viens chercher un peu
de son Sang. J’ai foi que ce Sang guérira mon frère, plutôt que l’imposition
des mains de ses disciples, car je ne crois plus qu’ils puissent faire des
prodiges après avoir été infidèles."
"Le Seigneur était ici, femme, tout à l’heure. Il est ressuscité en âme
et en corps et il est encore parmi nous. Le parfum de sa bénédiction est
encore sur nous. Regarde : c’est ici qu’il posait ses pieds, il y a peu de
temps" lui dit Jean.
"Non. Je cherche une goutte de son Sang. Je n’étais pas ici et je ne
connais pas l’endroit..." toute penchée, elle cherche par terre.
Jean lui dit : "C’était là l’endroit de sa croix. Moi, j’y étais."
"Tu y étais ? Comme ami, ou pour le crucifier ? On dit qu’un seul de ses
disciples préférés était sous sa croix et quelques autres disciples fidèles
avec lui, près d’ici. Mais je ne voudrais pas parler avec quelqu’un qui l’a
crucifié."
"Je ne le suis pas, femme. Regarde : ici était la croix et la terre est
encore rouge de sang, bien qu’on ait creusé. Il y avait tant de sang qu’il a
pénétré profondément. Tiens, et que ta foi ait sa récompense." Jean a
creusé avec des doigts dans le trou où était la croix et en a tiré un terreau
rougeâtre que la femme ramasse dans un petit linge. Elle remercie et s’en va
rapidement avec son trésor.
"Tu as bien fait de ne pas révéler qui nous sommes."
"Pourquoi n’as-tu pas dit qui tu étais ?" disent les apôtres. Comme
toujours les pensées humaines s’opposent.
Jean les regarde et ne parle pas. Il descend le premier par la rapide route
pavée. S’il est plus facile de descendre que de monter, le soleil est encore
féroce, et quand ils sont on bas, au pied du Golgotha, ils sont vraiment
assoiffés. Mais il y a des brebis dans le ruisseau et des bergers avec elles,
sortis certainement de quelque étable voisine pour mener paître les brebis
avant le soir. L’eau est trouble, imbuvable.
La soif est telle que Barthélemy s’adresse à un berger en disant :
"As-tu une gorgée d’eau dans ta gourde ?"
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118> L’homme les regarde avec sévérité
et se tait.
"Un peu de lait, alors. Les mamelles de tes bêtes sont gonflées. Nous
paierons. Nous aurions voulu du liquide frais, mais il nous suffit de
boire."
"Je n’ai pas d’eau ni de lait pour ceux qui ont abandonné leur Maître.
Je vous reconnais, savez-vous ? Je vous ai vus et écoutés à Béthsour un jour.
Toi, justement toi, qui demandes...
Mais je ne vous ai pas vus quand on descendit l’Homme tué. Il n’y avait que
lui. Il n’y a pas eu d’eau pour Lui, m’ont dit ceux qui étaient sur le mont.
Et pour vous non plus, il n’y a pas d’eau." Il siffle son chien,
rassemble les brebis et va vers le nord, où commencent des collines couvertes
d’oliviers et herbeuses.
Les apôtres, accablés, franchissent le pont et entrent dans la ville.
Ils marchent en rasant les murs, le couvre-chef très bas sur les yeux, un peu
courbés. Car maintenant les rues se raniment après qu’est passée la grande
chaleur des premières heures de l’après-midi.
Mais il faut traverser toute la ville avant d’arriver à la maison du Cénacle,
et il y a trop de gens qui connaissent les apôtres pour que leur passage
puisse se faire sans incident. Et il arrive bientôt qu’un éclat de rire
cinglant les rejoint pendant qu’un scribe (je croyais vraiment que je n’en
verrais plus et j’en étais heureuse) crie aux gens qui sont nombreux dans cet
étroit carrefour où clapotent les eaux d’une fontaine: "Les voici !
Regardez-les ! Voici les restes de l’armée du grand roi ! Les preux lâches,
les disciples du séducteur. Mépris et dérision pour eux, et la compassion
qu’on a pour les fous !"
C’est le commencement d’une rafale de moqueries.
Certains crient : "Où étiez-vous
pendant que Lui souffrait ?" d’autres : "Sont-ils persuadés
maintenant que c’était un faux prophète ?", et d’autres : "C’est en
vain que vous l’avez enlevé et caché ! L’idée est éteinte, le Nazaréen est
mort. Le Galiléen a été foudroyé par Jéhovah,
et vous avec Lui". Quelqu’un avec une fausse pitié : "Mais
laissez-les tranquilles ! Ils s’en sont aperçus et s’en sont repentis, trop
tard, mais toujours à temps pour fuir au bon moment !", d’autres
haranguent le menu peuple, en plus grande partie composé de femmes portées à
prendre parti pour les apôtres, en disant :
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119> "Vous qui doutez encore de
notre justice, que vous éclaire la conduite des plus fidèles partisans du
Nazaréen. Si Lui avait été Dieu, il les aurait fortifiés. Si eux l’avaient reconnu pour le vrai Messie ils ne se seraient pas
enfuis pensant qu’une force humaine ne pouvait triompher du Christ. Au
contraire Lui est mort en présence du peuple, et c’est en vain qu’ils ont
enlevé le cadavre après avoir assailli les gardes qui s’étaient endormis.
Demandez-le aux gardes s’il n’en a pas été ainsi. Il est mort, et ses gens
sont dispersés, et il est grand aux yeux du Très-Haut celui qui libère
Jérusalem de ses derniers vestiges. Anathème sur les partisans du Nazaréen !
La main aux pierres, ô peuple saint, et qu’on lapide ceux-ci hors des
murs."
C’est trop pour le courage encore mal affermi des apôtres ! Ils se sont déjà
un peu retirés du côté des murs pour ne pas fomenter le soulèvement par un
défi imprudent aux accusateurs. Mais maintenant, plus que la prudence, c’est
la peur qui prend le dessus. Et ils tournent le dos, en se sauvant par la
fuite dans la direction de la Porte. Jacques d’Alphée et Jacques de Zébédée,
avec Jean, Pierre et le Zélote, plus calmes et plus maîtres d’eux-mêmes que
les autres, suivent leurs compagnons sans courir, et quelques pierres les
rejoignent avant qu’ils sortent par la Porte, et surtout les frappent
beaucoup d’ordures.
Les gardes qui sortent de leur poste empêchent la poursuite au-delà des murs,
mais les apôtres courent, courent et se réfugient dans la pommeraie de
Joseph, là où était le Tombeau.
L’endroit est tranquille, silencieux, la
lumière est douce sous les arbres qui en ces jours ont poussé un feuillage
encore rare, mais dont la couleur émeraude forme un voile de couleur agréable
sous les troncs robustes. Ils se jettent par terre pour se faire passer leur
grand battement de cœur. Au fond du jardin un homme pioche et butte des
légumes, aidé par un jeune garçon, et il ne s’aperçoit pas de la présence des
apôtres qui se sont cachés derrière une haie. Ce n’est qu’après avoir scruté
le ciel et dit à haute voix : "Viens, Joseph,
et amène l’âne pour l’atteler à la charrette" qu’il se dirige vers eux,
là où se trouve un puits rustique caché par des touffes de ronces qui lui
donnent de l’ombre.
"Que faites-vous ? Qui êtes-vous ? Que cherchez-vous
dans le jardin de Joseph d’Arimathie ? Et toi, sot, pourquoi laisses-tu
ouverte la grille que Joseph veut fermer maintenant qu’il l’a mise ici ? Ne
sais-tu pas qu’il ne veut personne ici où fut déposé le Seigneur ?"
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120> Je dis la vérité en affirmant que
dans la peine d’assister à la déposition de Jésus, et dans la stupeur de la
résurrection je n’avais jamais remarqué si le jardin, au-delà d’une muraille
verte de buis et de ronces, avait ou non une grille, mais je pense en
effet qu’elle a été mise depuis peu car elle est tout à fait neuve et elle
est soutenue par deux pylônes carrés dont l’enduit ne semble pas vieux.
Joseph aussi comme Lazare a mis des fermetures aux endroits sanctifiés par
Jésus.
Jean se lève de terre en même temps que le Zélote et que Jacques d’Alphée et
dit sans peur : "Nous sommes les apôtres du Seigneur. Moi, Jean,
celui-ci Simon, ami de Joseph, et cet autre Jacques, frère du Seigneur. Le
Seigneur nous avait appelés au Golgotha et nous y sommes allés. Il nous a
donné l’ordre d’aller à la maison où se trouve la Mère, et la foule nous a
poursuivis. Nous sommes entrés ici, en attendant le soir...
"Mais tu es blessé ? Et toi aussi ! et toi ! Venez, que je vous soigne.
Vous avez soif ? Vous êtes essoufflés. Toi, dépêche-toi de puiser. La
première eau est pure, mais ensuite les seaux la rendent boueuse. Donne-leur
à boire et puis lave de ces laitues fraîches et verse sur elles de l’huile
que nous avons pour enduire les greffes. Je n’ai pas autre chose à vous
donner. Je n’ai pas de maison ici. Mais si vous attendez, je vous emmènerai
avec mol..."
"Non. Non. Nous devons aller trouver le Seigneur. Que Dieu te
récompense." Ils boivent et se laissent soigner. Ils sont tous blessés à
la tête. Les juifs visent bien !
"Toi, va sur la route, et regarde, sans attirer l’attention, s’il n’y a
pas quelque espion" commande le jardinier au garçon.
"Personne, père. La route est déserte" dit-il en revenant.
"Va jeter un coup d’œil vers la porte et reviens vite."
Il cueille des tiges d’anis et les offre en s’excusant de n’avoir que des
légumes, de la salade et quelques anis, car les pommiers viennent de perdre
leurs fleurs.
Le garçon revient : "Personne, père. Au-delà de la porte la route est
déserte."
"Allons alors. Attelle l’âne à la charrette et jette dessus les herbes
qu'on a coupées. Nous aurons l’air d’hommes qui reviennent des champs. Venez
avec moi. La route sera plus longue… mais cela vaut mieux que de se faire
lapider."
"Nous devrons toujours entrer dans la ville..."
"Oui, mais nous entrerons d’un autre côté, par des ruelles sombres.
Venez sans crainte."
Il ferme avec une grande clef le robuste portail, il fait monter les plus
âgés sur le char, donne aux autres des pioches et des râteaux, charge Thomas
d’un fagot de branches coupées et Jean d’une botte d’herbes, et s’en va
tranquillement en longeant les murs vers le sud.
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121> "Mais ta maison... Ici c’est
désert."
"La maison est de l’autre côté et elle ne va pas s’en aller. La femme
attendra. Je sers d’abord les serviteurs du Seigneur." Il les regarde...
"Hé ! tout le monde se trompe ! J’ai eu peur moi aussi ! Et nous sommes
tous haïs à cause de son Nom, même Joseph. Mais qu’est-ce que cela fait ?
Dieu est avec nous. Les gens !... Ils haïssent et ils aiment. Ils aiment et
ils haïssent. Et puis ! Ce qu’ils font aujourd’hui ils l’oublient demain.
Bien sûr... S’il n’y avait pas les hyènes ! Mais ce sont elles qui excitent
les gens. Ils sont furieux parce qu’il est ressuscité. Oh ! s’il se faisait
voir sur un pinacle du Temple, pour donner au peuple la certitude de sa
résurrection. Pourquoi ne le fait-il pas ? Moi, je crois, mais tous ne savent
pas croire. Et eux donnent une forte somme à ceux qui disent au peuple que
vous l’avez enlevé déjà décomposé, et que vous l’avez enseveli ou brûlé dans
une grotte de Josaphat."
Ils sont maintenant au côté sud de la ville, dans la vallée d’Hinnom.
"Voilà : ici c’est la Porte de Sion. Savez-vous aller de là à la maison
? C’est à un pas."
"Nous le savons. Que Dieu soit avec toi pour ta bonté."
"Pour moi, vous êtes toujours les saints du Maître. Vous êtes des hommes
et je suis un homme. Lui seul est plus qu’un Homme et peut ne pas trembler.
Je sais comprendre et compatir et je dis que vous, faibles aujourd’hui, vous
serez forts demain. La paix à vous."
Il les débarrasse des herbes et des outils agricoles et revient en arrière
pendant qu’eux, rapides comme des lièvres, s’esquivent par des ruelles
périphériques vers la maison du Cénacle.
Mais les adversités de ce jour ne sont pas encore finies. Un groupe de
légionnaires, qui se dirigent vers la taverne voisine, les croise et l’un
d’eux les observe et les montre aux autres. Et tous se mettent à rire. Et
quand ces pauvres disciples maltraités sont obligés à passer devant eux, un
des soldats adossés à la porte les apostrophe : "Heu ! Le Calvaire ne
vous a pas lapidés et les hommes vous ont frappés ? Par Jupiter ! Je vous
croyais plus courageux ! Et que vous ne craignez rien puisque vous avez eu le
courage de monter là-haut. Les pierres du mont ne vous ont-elles pas reproché
d’être lâches ? Et vous avez eu tant de courage pour y monter ? J’ai toujours
vu les coupables fuir les endroits qui leur rappellent leur faute. La Némésis
les poursuit, mais peut-être vous a-t-elle traîné là-haut pour vous faire
trembler d’horreur, aujourd’hui, puisque, alors, vous n’avez pas
tremblé de pitié."
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122> Une femme, peut-être la maîtresse
de la taverne, vient à la porte et elle rit. Elle a une figure de ribaude qui
fait peur, et elle crie à haute voix : "Femmes hébraïques, regardez ce
que produisent vos ventres ! Des lâches parjures qui sortent de leurs
tanières quand le danger est fini. Le ventre romain ne conçoit que des héros.
Venez, vous, boire à la grandeur de Rome. Vin de choix et belles
filles..." suivie des soldats elle s’éloigne dans son antre obscur.
Une femme hébraïque regarde — quelques femmes sont avec les amphores sur la
route où on entend déjà le murmure de la fontaine près de la maison du
Cénacle — et elle a compassion. C’est une femme âgée. Elle dit à ses
compagnes : "Ils se sont trompés... mais tout un peuple s’est
trompé." Elle va trouver les apôtres et les salue : "Paix à vous.
Nous n’oublions pas... Dites-nous seulement : le Maître est-il vraiment
ressuscité ?"
"Il est ressuscité. Nous le jurons."
"Et alors ne craignez pas. Lui est Dieu et Dieu vaincra. Paix à vous,
frères. Et dites au Seigneur qu’il pardonne à ce peuple."
"Et vous priez pour que le peuple nous pardonne et oublie le
scandale que nous avons donné. Femmes, à vous, moi, Simon Pierre, je demande
pardon." Pierre pleure...
"Nous sommes mères et sœurs et épouses, homme. Et ton péché est celui de
nos fils, frères et époux. Que pour tous le Seigneur use de pitié."
Ces femmes pieuses les ont accompagnés à la maison, et frappent elles-mêmes à
la porte verrouillée. Et Jésus ouvre la porte, remplissant l’entrée obscure
de sa personne glorifiée. Il leur dit : "Paix à vous pour votre
pitié."
Les femmes sont pétrifiées par la stupeur. Elles restent ainsi jusqu’à ce que
la porte se referme sur les apôtres et sur le Seigneur. Alors elles
reviennent à elles.
"Tu l’as vu ? C’était Lui. Beau ! Plus qu’avant. Et vivant ! Ce n’est
pas un fantôme ! C’est un homme véritable. Sa voix ! Son sourire ! Il remuait
ses mains. Tu as vu comme elles étaient rouges ses blessures ? Non, je
regardais sa poitrine qui respirait vraiment comme pour un vivant. Oh !
qu’ils ne viennent pas nous dire que ce n’est pas vrai ! Allons ! Allons le
dire dans les maisons ! Non. Frappons ici pour le voir encore. Que dis-tu
donc ? C’est le Fils de Dieu, ressuscité. C’est déjà bien qu’il se soit
montré à nous, pauvres femmes ! Il est avec sa Mère et les femmes disciples
et les apôtres. Non. Oui..."
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123> Celles qui sont prudentes
l’emportent. Le groupe s’éloigne.
Jésus, pendant ce temps, est entré au Cénacle avec les apôtres. Il les observe,
leur sourit. Eux ont enlevé leurs couvre-chefs, mis comme des bandes, avant
d’entrer dans la maison et les ont remis comme l’usage l’impose. Les
blessures donc ne se voient pas. Ils s’assoient las et silencieux, plutôt
affligés que lassés.
"Vous avez tardé" leur dit doucement Jésus.
Silence.
"Vous ne me dites rien ? Parlez ! Je suis toujours Jésus. Votre courage
d’aujourd’hui est-il déjà tombé ?"
"Oh ! Maître ! Seigneur !" crie Pierre en tombant à genoux aux
pieds de Jésus. "Notre courage n’est pas tombé, mais nous sommes
anéantis en constatant le tort que nous avons fait à ta Foi. Nous sommes
écrasés !"
"L’orgueil meurt, l’humilité naît. La connaissance se lève, l’amour
augmente. Ne craignez pas. C’est maintenant que vous devenez des apôtres.
C’est cela que je voulais."
"Mais nous ne pourrons plus rien faire ! Le peuple, et il a raison, nous
tourne en dérision ! Nous avons détruit ton œuvre, détruit ton Église !"
Tous sont angoissés. Ils crient, font des gestes...
Jésus est d’un calme solennel. Il dit, en appuyant ses paroles par le geste :
"Paix ! Paix ! L’enfer lui-même ne détruira pas mon Église. Ce n’est pas
parce qu’une pierre vacillera, n’étant pas encore bien fixée, que l’édifice
périra. Paix ! Paix ! Vous travaillerez. Et bien vous travaillerez,
maintenant que vous vous connaissez humblement pour ce que vous êtes, car
maintenant vous êtes sages d’une grande sagesse : celle de savoir que
tout acte a des répercussions très étendues, parfois ineffaçables, et que
celui qui est haut placé - rappelez-vous ce que j’ai dit de la lumière qui
doit être placée dans un endroit élevé pour qu’on la voie, mais qui justement
doit avoir une flamme pure parce que tout le monde la voit - et celui qui est
haut placé a plus que celui qui ne l’est pas le devoir d’être parfait. Vous
voyez, mes fils ? Ce qui passe inaperçu ou paraît excusable, si c’est fait
par un fidèle, ne passe pas inobservé et le jugement du peuple est sévère, si
c’est fait par un prêtre. Mais votre avenir effacera votre passé. Je ne vous
ai pas parlé au Golgotha, mais j’ai laissé parler le monde. Je vous
réconforte. Allons, ne pleurez pas. Restaurez-vous maintenant, et laissez-moi
vous guérir. Ainsi." Il effleure légèrement les têtes blessées, puis il
dit : "Pourtant il est bien que vous vous éloigniez d’ici. C’est pour
cela que j’ai dit : "Allez au Thabor pour prier". Vous pourrez
rester dans les villages voisins et monter à chaque aurore pour m’attendre.
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124> "Seigneur, le monde ne croit
pas que tu es ressuscité" dit à voix basse le Thaddée.
"Je persuaderai le monde. Je vous aiderai à vaincre le monde. Vous,
soyez-moi fidèles. Je ne demande pas davantage. Et bénissez ceux qui vous
humilient car ils vous sanctifient."
Il coupe le pain, l’offre et le distribue :
"Voici mon viatique pour vous qui partez. J’ai déjà préparé ici la
nourriture pour mes pèlerins. Faites aussi cela, dans l’avenir, pour ceux qui
partiront. Soyez paternels pour tous les fidèles. Tout ce que je fais ou vous
fais faire, faites-le vous aussi. Et aussi le voyage au Calvaire, en méditant
et en faisant méditer sur la voie douloureuse, faites-le dans l’avenir.
Contemplez ! Contemplez ma douleur, car c’est par elle, non par la
gloire présente, que je vous ai sauvés. À côté se trouve Lazare avec ses
sœurs. Ils sont venus pour saluer la Mère. Allez-y vous aussi, car ma Mère
part d’ici peu par le char de Lazare. Paix à vous." Il se lève et sort
rapidement.
"Seigneur ! Seigneur !" crie André.
"Que veux-tu, frère ?" lui demande Pierre.
"Je voulais Lui demander tant de choses. Lui parler de ceux qui
demandent des guérisons... Je ne sais ! Quand il est parmi nous nous ne
savons plus rien dire !" et il s’en va en courant pour chercher le
Seigneur.
"C’est vrai ! C’est comme si nous avions perdu la mémoire"
conviennent tous.
"Et pourtant il est tellement bon avec nous. Il nous a appelés
"fils" avec une telle douceur qu’elle m’a ouvert le cœur !"
s’écrie Jacques d’Alphée.
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