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251> Je vois une caverne rocheuse dans laquelle
se trouve un lit de feuilles amassées sur un châssis rudimentaire de branchages
enchevêtrés et liés par des joncs. Ce doit être aussi confortable qu’un
instrument de torture. En outre, la grotte possède une grosse pierre qui sert
de table, et une plus petite qui fait office de siège. Contre le côté du
fond, il y en a une autre : un grand rocher saillit de la roche et — je ne
sais si c’est naturellement ou à la suite d’un travail humain patient et
pénible — a été poli et présente une surface relativement lisse. Il semble
être un autel grossier. Une croix y est posée, faite de deux branches
assemblées par de l’osier. L’habitant de cette grotte a en outre planté un
pied de lierre dans une fissure terreuse du sol, et en a conduit les rameaux
à encadrer la croix et à l’étreindre. Dans deux vases rustiques, qui
paraissent modelés dans l’argile par des mains inexpertes, se trouvent des
fleurs sauvages cueillies aux alentours. Au pied même de la croix, dans une
coquille géante, se trouve un petit cyclamen sauvage dont les feuilles menues
sont bien nettes; deux boutons sont prêts à fleurir. Il y a, au pied de cet
autel, une gerbe de branchages épineux ainsi qu’un fouet en cordes nouées. On
voit enfin, dans cette grotte, une cruche rustique qui contient de l’eau.
Rien d’autre.
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252> L’ouverture étroite et basse laisse
entrevoir un arrière-fond de montagnes et, comme on aperçoit au loin une
luminosité mobile, on pourrait dire que la mer est visible de cet endroit.
Mais je ne peux le certifier. Des branchages de lierre, de chèvrefeuille et
de rosiers sauvages — toute la
magnificence habituelle des lieux alpestres, pendent sur l’ouverture et
forment comme un voile mobile qui sépare l’intérieur de l’extérieur.
Une femme décharnée, vêtue d’un vêtement
rudimentaire sur lequel elle a posé une peau de chèvre en guise de manteau,
entre dans la grotte en écartant les branches pendantes. Elle semble
exténuée. Son âge est indéfinissable. Si l’on devait en juger à son visage
fané, on lui donnerait un âge certain, la soixantaine passée. Mais si l’on en
juge à sa chevelure encore belle, épaisse et dorée, pas plus de quarante ans
environ. Ses cheveux pendent en deux tresses le long des épaules, voûtées et
maigres, et c’est l’unique chose qui luit dans cette tristesse. La femme,
c’est certain, a dû être belle, car son front est encore haut et lisse, le
nez bien fait et l’ovale du visage régulier, bien qu’amaigri par son état
d’épuisement. Mais les yeux n’ont plus d’éclat. Ils sont fortement enfoncés
dans l’orbite et marqués de paupières bleuâtres. Ces yeux trahissent bien des
larmes versées. Deux rides, presque des cicatrices, sont gravées du coin de
l’œil, descendent le long du nez et vont se perdre dans cette autre ride,
Caractéristique de ceux qui ont beaucoup souffert, qui descend en accent
circonflexe des narines aux angles de la bouche. Les tempes semblent creusées
et les veines bleutées se dessinent sur une grande pâleur. La bouche pend
avec un pli las; elle est d’une couleur rosée extrêmement pâle. À une époque,
elle a dû être une bouche splendide, mais elle est maintenant fanée. La
courbe des lèvres ressemble à celle de deux ailes brisées qui pendent. C’est
une bouche douloureuse.
La femme se traîne jusqu’au rocher qui fait office de table et y dépose des
myrtilles ainsi que des fraises sauvages. Elle va ensuite à l’autel et
s’agenouille. Mais elle est tellement épuisée que, ce faisant, elle manque de
tomber et se retient par une main au rocher. Elle prie les yeux tournés vers
la croix, et des larmes descendent par le sillon des rides jusqu’à sa bouche,
qui les boit. Elle laisse ensuite tomber sa peau de chèvre et reste avec sa
seule tunique grossière, puis elle prend les fouets et les épines. Elle serre
les branchages épineux autour de sa tête et autour de ses reins et se
flagelle avec les cordes. Mais elle est trop faible pour le faire. Elle
laisse donc tomber le fouet et, prenant appui des mains et du front sur
l’autel, elle dit : "Je ne peux plus, Rabbouni
! Je ne peux plus souffrir, en souvenir de ta douleur !"
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253> C’est sa voix qui me permet de la
reconnaître : c’est Marie de Magdala. Je me trouve dans sa grotte de
pénitente.
Marie pleure. Elle appelle Jésus avec amour. Elle ne peut plus souffrir, mais
elle peut encore aimer. Sa chair, mortifiée par la pénitence, ne résiste plus
à l’effort de se flageller, mais son cœur a encore des mouvements de passion
et consume ses dernières forces en aimant. Et elle aime, en restant le front
couronné d’épines et la taille serrée dans les épines, elle aime en parlant à
son Maître en une continuelle profession d’amour et un acte de contrition
renouvelé.
Elle a glissé, le front à terre. Elle avait cette même pose au Calvaire
devant Jésus déposé sur le sein de Marie,
ou bien dans la maison de Jérusalem quand Véronique dépliait son voile,
ou encore dans le jardin de Joseph d’Arimathie quand Jésus l’appela, qu’elle
le reconnut et l’adora.
Mais aujourd’hui elle pleure, parce que Jésus n’est pas là.
"Ma vie s’enfuit, mon Maître. Devrai-je mourir sans te revoir ? Quand
pourrai-je me délecter de ta face ? Mes péchés sont devant moi et m’accusent.
Tu m’as pardonné et je crois que l’enfer ne me possèdera pas. Mais combien de
temps vais-je passer à expier avant de vivre de toi ! Oh ! Bon Maître ! Par
l’amour que tu m’as donné, réconforte mon âme ! L’heure de la mort est venue.
Par ta mort désolé sur la croix, réconforte ta créature ! C’est toi qui m’as
engendrée. Toi, et non ma mère. Tu m’as ressuscitée plus que tu n’as
ressuscité mon frère Lazare. Car il était déjà bon, lui, et la mort ne
pouvait être qu'une attente dans tes limbes. Mais moi, j’étais morte dans mon
âme, et mourir signifiait pour moi la mort éternelle. Jésus, en tes mains je
remets mon esprit ! Il est à toi parce que c’est toi qui l’as sauvé. En guise
d’ultime expiation, j’accepte de connaître l’âpreté de ta mort abandonné.
Mais donne-moi un signe que ma vie a servi à expier mes fautes."
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254> "Marie !" Jésus est
apparu. Il paraît descendre de la croix grossière. Mais il n’a pas de plaies
et n’est pas mourant. Il est beau comme au matin de la Résurrection. Il
descend de l’autel et s’avance vers la femme prosternée. Il se penche sur
elle. Il l’appelle une nouvelle fois; puis comme, semble-t-il, elle croit
entendre cette voix par ses sens spirituels et reste face contre terre, elle
ne voit pas la lumière qui rayonne du Christ, il la touche en posant une main
sur sa tête et la prend par le coude comme à Béthanie pour la relever.
Quand elle se sent touchée et reconnaît cette main à sa longueur, elle pousse
un grand cri. Elle lève alors un visage transfiguré par la joie. Puis elle
l’abaisse pour baiser les pieds de son Seigneur.
"Lève-toi, Marie. C’est moi. La vie
s’enfuit, c’est vrai. Mais je viens te dire que le Christ t’attend. Marie n’a
pas à attendre. Tout lui est déjà pardonné, dès le premier instant. Mais,
maintenant, cela lui est plus que pardonné. Ta place est déjà prête dans mon
Royaume. Je suis venu te le dire, Marie. Je n’ai pas ordonné à l’ange de le
faire car je rends au centuple ce que j’ai reçu, et je me souviens de ce que
j’ai reçu de toi. Marie, revivons ensemble un moment du passé. Rappelle-toi
Béthanie. C’était le soir qui suivait le sabbat. Ma mort adviendrait six
jours plus tard.
Ta maison, tu t’en souviens ? Elle était toute belle, dans la ceinture
fleurie de son verger. L’eau chantait dans la vasque et les premières roses
sentaient bon autour de ses murs. Lazare m'avait invité à dîner et tu avais
dégarni le jardin de ses plus belles fleurs pour décorer la table où ton
Maître allait prendre son repas. Marthe n’avait pas osé te le reprocher parce
qu’elle se souvenait de mes paroles;
elle te regardait avec une douce envie, car tu resplendissais d’amour en
allant et venant pour veiller aux préparatifs. Puis j'étais arrivé. Plus
rapide qu’une gazelle, tu étais accourue, précédant les serviteurs, pour
ouvrir la grille avec ton cri habituel. On aurait dit le cri d’une
prisonnière libérée. Et, de fait, j’étais ta libération et toi une
prisonnière libérée. Les apôtres m’accompagnaient. Ils étaient tous là, même
celui qui était désormais un membre gangreneux du corps apostolique. Mais
c’est toi qui étais venue prendre sa place. Et tu ignorais que, en regardant
ta tête penchée pour me baiser les pieds, ton regard sincère et rempli
d’amour, j’oubliais mon dégoût d’avoir le traître à mes côtés. C’est pour
cette raison que je t’ai voulue au Calvaire. C’est pour cette raison que
je t’ai voulue dans le jardin de Joseph. Car te voir m'assurait que ma mort
n’était pas sans but. Et me montrer à toi était un acte de gratitude pour ton
amour fidèle. Marie, bénie es-tu, toi qui ne m’as jamais trahi, qui m’a
confirmé dans mon espérance de Rédempteur, toi en qui j'ai vu tous ceux que
ma mort allait sauver. Pendant que tous mangeaient, toi, tu adorais.
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255> Tu m’avais offert de l’eau parfumée
pour mes pieds fatigués et des baisers chastes mais ardents pour mes mains;
non contente encore, tu as voulu briser ton dernier vase précieux et m’oindre
la tête en me peignant les cheveux comme le fait une mère, puis m’oindre les
mains et les pieds afin que ton Maître tout entier sente bon comme les
membres d’un roi consacré...
Alors Judas, qui te détestait parce que tu étais honnête désormais et que tu
repoussais par ton honnêteté les convoitises des hommes, t’avait
réprimandée... Mais, moi, je t’avais défendue parce que tu avais accompli
tout cela par amour, un si grand amour que son souvenir m'a accompagné durant
mon agonie, le soir du jeudi à l’heure de none... C’est en raison de cet acte
d’amour que tu m’as donné au seuil de ma mort, que je viens maintenant, au
seuil de ta mort, te récompenser par l’amour. Ton Maître t’aime, Marie. Il
est ici pour te le dire. Ne crains pas, n’aie pas peur d’une autre mort. Ta
mort n’est guère différente de la mort de ceux qui versent leur sang pour
moi. Que donne le martyr ? Sa vie par amour de son Dieu. Que donne le
pénitent ? Sa vie par amour de son Dieu. Que donne celui qui aime ? Sa vie
par amour de son Dieu. Tu vois bien qu’il n’y a pas de différence. Martyre,
pénitence, amour consument le même sacrifice et dans le même but. Il y a donc
en toi, qui est pénitente et qui aime, le même
martyre que celui qui périt dans l’arène. Marie, je te précède dans la
gloire. Baise-moi la main et reste en paix. Repose-toi. Il est temps pour toi
de prendre du repos. Donne-moi tes épines. C’est maintenant le temps des
roses. Repose-toi et attends. Je te bénis, ma bénie."
Jésus a obligé Marie à s’étendre sur son
lit. La sainte, le visage baigné de larmes d’extase, s’est couchée comme son
Dieu l’a voulu; elle semble dormir, maintenant, les bras croisés sur la
poitrine; ses larmes continuent à couler, mais sa bouche rit.
Elle se relève pour s’asseoir quand une lumière éclatante apparaît dans la
grotte, provoquée par la venue d’un ange portant un calice qu’il pose sur
l’autel et qu’il adore. Marie, agenouillée à côté de sa couche, adore elle
aussi. Elle ne peut plus bouger. Ses forces l’abandonnent. Mais elle est
heureuse. L’ange prend le calice et lui donne la communion. Puis il remonte
au ciel.
Telle une fleur brûlée par un soleil trop ardent, Marie se penche, les bras
encore croisés sur la poitrine, et elle tombe, le visage dans les feuilles de
sa couche. Elle est morte. L’extase eucharistique a coupé le dernier fil qui
la retenait à la vie.
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256> Pendant que Jésus parlait, je voyais la
scène qu’il décrivait : la maison de Béthanie toute fleurie et en fête. La
salle du banquet richement décorée. Marthe affairée et Marie qui s’occupe des
fleurs.
Puis
l’arrivée de Jésus en compagnie des douze, et sa rencontre avec Marie qui le
conduit vers la maison. Lazare descend en hâte à la rencontre du Maître et
entre avec lui dans la maison, dans une pièce qui précède celle du banquet.
Marie porte l’eau dans un bassin et veut laver elle-même les pieds de Jésus.
Puis elle change l’eau et tient le bassin jusqu’à ce que Jésus se soit
purifié les mains. Quand il lui rend l’essuie-mains, elle le lui prend des
mains et l’embrasse. Elle s’assied alors par terre, sur un tapis qui recouvre
le sol, aux pieds de Jésus, et l’écoute converser avec son frère; ce dernier
montre à Jésus des rouleaux, de nouvelles acquisitions qu’il a faites
récemment à. Jérusalem. Jésus discute avec Lazare du contenu de ces ouvrages
et, explique les erreurs doctrinales qu’ils contiennent, je crois, ou alors des
différences entre ces doctrines du paganisme et les vraies. Il doit s’agir
d’ouvrages littéraires que Lazare, qui est riche et cultivé, a voulu
connaître. Marie ne parle jamais. Elle écoute, et elle aime.
Ils vont ensuite dîner. Les deux sœurs servent à table. Elles ne mangent pas.
Seuls les hommes mangent. Les serviteurs vont et; viennent eux aussi,
apportant les plats qui sont riches et beaux. Mais ce sont les deux sœurs qui
servent en personne à table; elles prennent sur les crédences les plats que les
serviteurs y déposent ainsi que les amphores remplies de vin qu’elles
versent. Jésus boit de l’eau. Ce n’est qu’à la fin qu’il accepte un doigt de
vin.
Or vers la fin du banquet, quand déjà le repas ralentit son rythme et tourne
surtout en conversation tandis qu’on passe les fruits et les douceurs, Marie,
qui avait disparu pendant quelques minutes, revient avec une amphore
d’albâtre. Elle en brise le col contre le coin d’un meuble pour pouvoir y
puiser avec plus de facilité puis, debout derrière Jésus, elle lui prend les
cheveux à pleines mains et les oint. Elle en reconstitue les boucles et
termine en les enroulant mèche par mèche autour de ses doigts. On dirait une
mère qui peigne son enfant. Lorsqu’elle en a fini, elle embrasse tout
doucement la tête de Jésus, puis lui prend les mains, les embaume et les
baise; elle en fait ensuite de même avec ses pieds.
Les disciples regardent. Jean sourit, comme pour l’encourager. Pierre hoche
la tête mais... allez, il sourit lui aussi dans sa barbe et peu à peu les
autres en font autant. Thomas et un autre vieillard grommèlent à voix basse.
Mais Judas, dont le regard est indéfinissable mais certainement mauvais,
explose avec mauvaise humeur :
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257> "Quelle bêtise ! Il n’y a que
les femmes pour être aussi sottes ! Pour quoi faire un tel gaspillage ? Le
Maître n’est certes pas un publicain ni une prostituée pour avoir besoin de
telles manières efféminées ! Et puis c’est dés honorant pour lui. Que vont dire
les juifs quand ils le sentiront parfumé comme un éphèbe ? Maître, je
m’étonne que tu permettes à une femme de faire de telles sottises. Si elle a
des richesses à gaspiller, qu’elle me les donne pour les pauvres ! Ce sera
plus judicieux. Femme, je te le dis, arrête, car tu me dégoûtes !"
Marie le regarde, interdite, et, rougissante, elle est sur le point d’obéir.
Mais Jésus lui pose la main sur la tête, qu’elle tient penchée, puis fait
descendre sa main sur son épaule en l’attirant doucement vers lui, comme pour
la défendre : "Laisse-la faire, dit-il. Pourquoi la rabroues-tu ?
Personne ne doit reprocher une œuvre bonne et y voir des sous-entendus que
seule la méchanceté enseigne. Elle a accompli une bonne action à mon égard.
Les pauvres, vous en aurez toujours. Moi, je ne serai plus parmi vous mais
les pauvres resteront. Vous pourrez continuer à leur faire du bien, mais pas
à moi, car le moment est proche où je vais vous laisser. Elle a anticipé
l’hommage rendu à mon Corps sacrifié pour vous tous, et elle m’a oint pour ma
sépulture, car alors elle ne pourra le faire. Et cela lui aurait trop coûté
de ne pas avoir pu m’embaumer. En vérité je vous dis que, partout où
l’Evangile sera annoncé et jusqu’à la fin du monde, on se souviendra de ce
qu’elle vient de faire. Les âmes tireront de son acte un enseignement pour
m’offrir leur amour comme un baume aimé du Christ, et prendre courage dans le
sacrifice : ils penseront que tout sacrifice revient à embaumer le Roi des
rois, l’Oint de Dieu, celui dont la grâce descend comme ce nard de mes
cheveux pour féconder les cœurs à l’amour et vers qui l’amour s’élève en un
continuel flux et reflux d’amour de moi à mes âmes et de mes âmes
à moi. Judas, imite-la, si tu en es capable. Si tu peux encore le faire. Et
puis, respecte Marie et moi avec elle. Respecte-toi aussi toi-même. Car ce
n’est pas se déshonorer que d’accepter un pur amour avec un amour pur, en
revanche, nourrir la rancœur et faire des insinuations sous l’aiguillon de la
sensualité, voilà qui est dés honorant ! Voici trois ans, Judas, que je
t’instruis. Mais je ne suis pas encore arrivé à te faire changer. Or l’heure
est proche. Judas, Judas... Merci, Marie. Persévère dans ton amour."
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Jésus dit :
258> "Bien qu’une créature puisse,
de façon absolue, aimer avec générosité et récompenser ceux qui l’ont aimée,
ce n’est jamais que très relatif. En revanche, votre Jésus surpasse tout
désir humain, aussi vaste soit-il, et toute limite de satisfaction. Car votre
Jésus est Dieu et, moi, je vous donne avec ma prodigalité de Dieu et de Dieu
bon, à vous qui êtes généreux et qui aimez - car cette page s’adresse tout spécialement à vous, âmes qui ne
vous contentez pas d’obéir aux préceptes mais qui embrassez le conseil et
développez votre amour jusqu’à accomplir de saints actes d’héroïsme -. Je
suscite les miracles pour vous, pour vous accorder de la joie en échange de
toute la joie que vous m’occasionnez. Je me substitue à ce qui vous fait
défaut ou je vous procure ce qui vous est nécessaire. Je ne vous laisse
manquer de rien, car vous vous êtes dépouillés de tout par amour de moi, au
point de vivre dans la solitude matérielle ou morale dans un monde qui ne
vous comprend pas, qui vous méprise et qui, reprenant l’ancienne insulte
qu’on m’avait déjà adressée, à moi votre Maître,
vous traite de "fous" et voit en votre pénitence et en vos lumières
des signes diaboliques. En effet, le monde asservi à Satan croit que les
saints sont des satans, eux qui ont mis le monde sous leurs pieds et s’en
sont fait une échelle pour monter plus haut vers moi et se plonger dans ma
Lumière.
Mais laissez-les donc vous traiter de "fous" et de
"démons". Je sais que vous êtes les détenteurs de la vraie sagesse,
de l’intelligence droite, et que vous possédez une âme d’ange dans un corps
mortel. Je n’oublie pas le moindre de vos soupirs d’amour et je me souviens
de tout ce que vous avez fait pour moi; tout comme je vous défends contre le
monde, car je fais connaître aux meilleurs de ce monde ce que vous
représentez à mes yeux, je vous récompense lorsque vient l’heure et que je
juge qu’il est temps de mêler quelque douceur à votre calice.
Je suis le seul à l’avoir bu jusqu’à la dernière goutte sans l’adoucir avec
du miel. Moi qui ai dû me cramponner à la pensée de ceux qui allaient m’aimer
à l’avenir, pour pouvoir résister jusqu’au bout, sans en venir à maudire
l’homme pour qui je répandais mon sang et connaître (plus que connaître : m’y
abandonner) au désespoir devant ma condition d’être abandonné par Dieu.
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