Le jeudi 27 mars
1947.
318> 585.1 – Amour
et haine poussent un grand nombre de pèlerins réunis à Jérusalem, et même des
habitants de Jérusalem, à venir à Béthanie sans même attendre que le soleil
soit tout à fait couché. Et même le soleil a à peine commencé son coucher
quand les premiers d'entre eux arrivent à la maison de Lazare. Et à Lazare, qui
appelé par ses serviteurs, s'étonne de cette violation du sabbat, car les
premiers arrivés sont justement les plus connus parmi les juifs les plus
intransigeants, ces derniers donnent cette réponse vraiment
pharisaïque :
"De la Porte du Troupeau, on ne voit déjà plus le disque du soleil, et alors nous
avons commencé la route en pensant que certainement nous n'aurions pas
dépassé la mesure prescrite avant que le soleil tombe derrière les coupoles
du Temple."
Lazare a un petit sourire ironique sur son visage plutôt sec, car il est
sain, il a bonne mine, mais il n'est sûrement pas gros. Et il leur répond
poliment, mais d'un ton légèrement sarcastique :
"Et que voulez-vous voir ? Le Maître
respecte son sabbat, et il repose. Il ne se borne pas à ne pas voir le disque
du soleil pour estimer que le repos est fini, mais il attend que le dernier
rayon soit éteint pour dire: "Le sabbat est fini".
"Nous savons qu'il est parfait ! Nous le savons ! Mais
si nous nous sommes trompés, raison de plus pour le voir. Un peu seulement,
le temps qu'il nous absolve."
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"Je regrette, mais je ne puis. Le Maître est las, et il repose. Je ne
vais pas le déranger, "
585.2 – Mais
d'autres gens arrivent, des pèlerins de partout qui prient, insistent pour
voir Jésus. Aux hébreux sont mêlés des gentils et, avec eux, des prosélytes.
Ils observent et lorgnent Lazare, comme si c'était un être irréel. Lazare
supporte l'ennui de cette célébrité qu'il n'a pas recherchée, en répondant
patiemment à ceux qui l'interrogent. Mais il ne donne pas l'ordre aux
serviteurs d'ouvrir le portail.
"Es-tu l'homme qui est revenu de la mort ?" demande quelqu'un qui
d'après son aspect est certainement un sang mêlé car, du juif, il n'a que le
nez caractéristique plutôt gros et aquilin alors que son accent et la forme
de ses vêtements l'indiquent comme étranger.
"Je le suis pour donner gloire à Dieu, qui m'a tiré de la mort pour
faire de moi un serviteur de son Messie."
"Mais était-ce une vraie mort ?" demandent d'autres.
"Demandez-le à ces notables juifs. Ils sont venus à mes funérailles et plusieurs furent présents à ma résurrection."
"Mais qu'as-tu éprouvé ? Où étais-tu ? Que te rappelles-tu ? Quand tu es
redevenu vivant, que t'est-il arrivé ? Comment t'a-t-il ressuscité ?... Ne
peut-on voir le tombeau où tu étais ? De quoi es-tu mort ? Es-tu vraiment
bien maintenant ? N'as-tu plus les marques de tes plaies ?"
Lazare, patiemment, essaie de répondre à tout le monde. Mais s'il lui est
facile de dire qu'il se porte très bien et que les marques des plaies sont
désormais effacées, pendant les mois qui ont passé depuis sa résurrection, il
ne peut dire ce qu'il a éprouvé et comment il est ressuscité. Il
répond :
"Je ne sais pas. Je me suis trouvé vivant dans mon jardin, parmi mes
serviteurs et mes sœurs. Dépouillé du suaire j'ai vu le soleil, la lumière,
j'ai eu faim, j'ai mangé, j'ai joui de la vie et du grand amour du Rabbi pour
moi. Le reste, mieux que moi, le savent ceux qui étaient présents. En voici
trois qui parlent et là-bas deux qui arrivent."
(Ces deux derniers sont Jean et Éléazar,
membres du Sanhédrin, alors que les trois qui parlent entre eux sont deux
scribes et un pharisien que j'ai vus en fait à la résurrection de Lazare,
mais dont je ne me rappelle pas les noms).
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"Eux ne parlent pas à nous qui sommes gentils ! Allez les interroger
vous qui êtes juifs...
585.3 – Mais toi, fais-nous voir le tombeau où tu étais."
Ils insistent comme on ne pourrait le faire davantage.
Lazare se décide. Il dit quelque chose aux serviteurs et puis se tourne vers
les gens :
"Allez sur la route qui est entre cette maison et mon autre maison. Je
viendrai à votre rencontre pour vous conduire au tombeau bien qu'il n'y ait à
voir qu'une cavité ouverte dans une strate de roche."
"Peu importe ! Allons ! Allons !"
"Lazare ! Arrête-toi ! Pouvons-nous venir nous aussi ? À moins qu'on ne
nous défende ce qui est permis aux étrangers ?" dit un scribe.
"Non, Archélaus. Viens aussi, si tu ne te trouves pas contaminé
d'approcher d'un tombeau."
"Ce n'est plus un tombeau, puisqu'il ne contient pas la mort."
"Mais il l'a contenue pendant quatre jours. On est, pour beaucoup moins,
réputé immonde en Israël ! Celui qui effleure avec son vêtement quelqu'un qui
a touché un cadavre, vous dites qu'il est immonde, et mon tombeau dégage
encore des relents de mort bien qu'étant ouvert depuis si longtemps."
"Peu importe. Nous nous purifierons."
Lazare regarde les deux pharisiens Jean et Eléazar, et leur dit :
"Vous aussi vous venez ?"
"Oui, nous venons."
585.4 – Lazare va rapidement vers le côté limité par des haies
hautes et épaisses comme des murs, et il ouvre un portail inséré dans l'une
d'entre elles et il se présente sur la route qui mène à la maison de Simon et il fait signe
d'avancer à ceux qui attendent. Il les conduit vers le tombeau. Un rosier en fleurs
en contourne l'entrée, mais il ne suffit pas pour supprimer l'horreur qui
émane d'une tombe ouverte. Sur la roche inclinée sous l'arc fleuri on lit les
mots : "Lazare, viens dehors !"
Les malveillants les voient tout de suite, et disent tout de suite :
"Pourquoi as-tu fait graver là ces mots ? Tu ne devais pas !"
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"Pourquoi ? Dans ma maison je puis faire ce que je veux, et personne ne
peut m'accuser de péché si j'ai voulu fixer sur la roche, afin qu'ils fussent
ineffaçables, les mots du cri divin qui m'a rendu la vie. Quand je serai à
l'intérieur, et que je ne pourrai plus célébrer la puissance du Rabbi, je
veux que le soleil les lise encore sur la pierre, et que les vents les
apprennent aux arbres, que les caressent les oiseaux et les fleurs, en
continuant à ma place de bénir le cri du Christ qui m'a tiré de la
mort."
"Tu es un païen ! Tu es un sacrilège ! Tu blasphèmes
notre Dieu. Tu célèbres le sortilège du fils de Belzébuth. Attention à toi,
Lazare !"
"Je vous rappelle que je suis dans ma maison et que vous êtes
dans ma maison, venus sans être appelés et dans des intentions indignes. Vous
êtes pires qu'eux qui sont païens, mais reconnaissent un Dieu en Celui qui a
ressuscité."
"Anathème ! Tel Maître, tel disciple. Horreur ! Éloignons-nous ! Loin de
ce cloaque impur. Corrupteur d'Israël, le Sanhédrin se souviendra de tes
paroles."
"Et Rome de vos complots. Sortez !"
Lazare, toujours doux, se rappelle qu'il est le fils de Théophile, et les
chasse comme une bande de chiens. Il reste les pèlerins de toutes les régions
et ils demandent, ils regardent, ils implorent de voir le Christ.
585.5 – "Vous
le verrez dans la ville. Maintenant, non. Je ne puis."
"Ah ! mais il vient dans la ville ? Vraiment ? Tu ne mens pas ? Il vient
même s'ils le haïssent à ce point ?"
"Il vient. Partez maintenant, tranquilles. Voyez-vous comment repose la
maison ? On ne voit personne et on n'entend pas un mot. Vous avez vu ce que
vous vouliez : le ressuscité et le lieu de sa sépulture. Maintenant partez,
mais ne rendez pas votre curiosité stérile. Que de m'avoir vu, moi, vivante
preuve de la puissance de Jésus Christ, l'Agneau de Dieu et le Messie très
Saint, puisse vous amener tous sur son chemin. C'est à cause de cette
espérance que je suis content d'être ressuscité: car j'espère que le miracle
pourra émouvoir ceux qui doutent et convertir les païens, en les persuadant
tous qu'un seul est le vrai Dieu et un seul le vrai Messie : Jésus de
Nazareth, Maître saint."
Les gens se séparent de mauvais gré. Pour un qui part, il en arrive dix, car
de nouvelles gens continuent de venir. Mais Lazare, avec l'aide de quelques
serviteurs, réussit à repousser tout le monde dehors et à fermer les grilles.
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322> 585.6 – Il
va se retirer en ordonnant : "Surveillez pour qu'on ne force pas la
clôture ou qu'on ne la saute pas. Le soir va bientôt descendre et ils vont
s'en aller à leurs abris", quand il voit sortir d'un massif de myrtes
Eléazar et Jean.
"Quoi ? Je ne vous avais pas vus et je croyais..."
"Ne nous chasse pas. Nous sommes entrés dans un massif pour ne pas être
vus. Nous devons parler au Maître. Nous sommes venus nous, étant moins
suspects que Joseph et Nicodème. Mais
nous voudrions n'être vus de personne, sauf de toi et du Maître... Tes
serviteurs sont-ils sûrs ?"
"Dans la maison de Lazare, c'est la coutume de ne voir et
n'entendre que ce qui plaît au maître, et de ne rien savoir pour les étrangers. Mais venez par ce sentier,
entre ces deux murs de verdure plus épais qu'un mur."
Il les conduit dans une ruelle qui se trouve entre la double barrière
impénétrable des buis et des lauriers.
"Restez ici, je vous amènerai Jésus."
"Que personne ne s'en aperçoive !..."
"Ne craignez pas."
585.7 – L'attente
dure peu. Bientôt, sur le sentier à demi-obscur à cause de l'entrelacement
des branches, Jésus apparaît, tout blanc dans son vêtement de lin, et Lazare
reste au bord du sentier comme s'il était de garde, ou par prudence. Mais
Eléazar lui dit, ou plutôt lui fait signe :
"Viens ici."
Lazare s'approche alors que Jésus salue les deux qui Lui rendent de profonds
hommages.
"Maître, et toi, Lazare, écoutez. Dès que s'est répandue la nouvelle que
tu es venu et que tu es ici, le Sanhédrin s'est réuni dans la
maison de Caïphe. Tout
est abusif de ce qui se fait... Et il a décidé... Ne te flatte pas, Maître ! Sois
circonspect, Lazare ! Que ne vous séduise pas une paix qui n'est qu'une
feinte, l'apparente somnolence du Sanhédrin, c'est une feinte, Maître. Une
feinte pour t'attirer et te prendre sans que la foule s'agite et se prépare à
te défendre. Ton sort est fixé, et le décret ne change pas. Que ce soit
demain ou dans un an, il s'accomplira. Le Sanhédrin n'oublie jamais ses
vengeances. Il attend, il sait attendre l'occasion favorable, mais ensuite !
...
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Et toi aussi, Lazare. Ils veulent te faire disparaître, te prendre, te
supprimer parce qu'à cause de toi, il y en a trop qui les abandonnent pour
suivre le Maître. Toi, tu l'as dit par un mot juste, tu es le témoignage de son pouvoir. Et ils veulent le
détruire. Les foules oublieront vite, ils le savent. Après ta disparition et
celle du Rabbi, beaucoup d'ardeurs s'éteindront."
"Non, Eléazar ! Elles flamberont !" dit Jésus.
"Oh ! Maître ! Mais qu'y aura-t-il si tu es mort ? Qu'est-ce qui fera que flambe la foi en Toi, en
supposant qu'elle existe, si tu es éteint ? J'espérais pouvoir te dire
seulement une chose agréable et te faire une invitation: mon épouse va
bientôt mettre au jour le fils que ta justice a fait fleurir, en remettant la paix entre deux
cœurs en tempête. Il naîtra pour la
Pentecôte. Je voudrais te dire de venir pour le bénir. Si tu entres sous mon toit, tout malheur en sera pour
toujours éloigné" dit le pharisien Jean.
"Je te donne dès maintenant ma bénédiction..."
"Ah ! tu ne veux pas venir chez moi ! Tu ne me crois pas loyal ! Je le
suis, Maître ! Dieu me voit !"
"Je le sais. C'est que... je ne serai plus parmi vous pour la
Pentecôte."
"Mais l'enfant naîtra dans la maison de campagne..."
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