Le samedi 12 août
1944
(Texte de l’ancienne édition).
42/43> 233.1 - Jésus parle à la foule. Monté
sur le bord planté d'arbres d'un torrent, il parle à une foule nombreuse
répandue dans un champ dont le blé est coupé et qui présente l'aspect
désolant des chaumes brûlés par le soleil.
C'est le soir. Le crépuscule descend, mais déjà la lune monte. Une belle et
claire soirée d'un début d'été. Des troupeaux rentrent au bercail et le
tintement des sonnailles se mêle au chant perçant des grillons ou des
cigales, un grand: gri, gri, gri...
Jésus prend la comparaison des troupeaux qui passent.
Il dit : "Votre Père est comme un berger attentif. Que fait le bon
pasteur ? Il cherche de bons pâturages pour ses brebis, où il n'y pas de
ciguë ni de plantes dangereuses, mais des trèfles agréables, des herbes
aromatiques et des chicorées amères mais bonnes pour la santé.
Il cherche une place où se trouve en même temps que la nourriture, de la
fraîcheur, un ruisseau aux eaux limpides, des arbres qui donnent de l'ombre,
où il n'y a pas d'aspics au milieu de la verdure. Il ne se soucie pas de
trouver des pâturages plus gras parce qu'il sait qu'ils cachent facilement
des serpents aux aguets et des herbes nuisibles, mais il donne la préférence
aux pâturages de montagne où la rosée rend l'herbe pure et fraîche, mais que
le soleil débarrasse des reptiles, là où l'on trouve un bon air que remue le
vent et qui n'est pas lourd et malsain comme celui de la plaine. Le bon
pasteur observe une par une ses brebis. Il les soigne si elles sont malades,
les panse si elles sont blessées. À celle qui se rendrait malade par
gloutonnerie, il élève la voix, à celle qui prendrait du mal à rester dans un
endroit trop humide ou trop au soleil, il dit d'aller dans un autre endroit.
Si une est dégoûtée, il lui cherche des herbes acidulées et aromatiques
capables de réveiller son appétit et les lui présente de sa main en lui
parlant comme à une personne amie.
C'est ainsi que se comporte le bon Père qui est aux Cieux avec ses fils qui
errent sur la terre. Son amour est la verge qui les rassemble, sa voix leur
sert de guide, ses pâturages c'est sa Loi, son bercail le Ciel.
233.2 - Mais voilà qu'une brebis le
quitte. Combien il l'aimait ! Elle était jeune, pure, candide comme une
nuée légère dans un ciel d'avril. Le berger la regardait avec tant d'amour en
pensant à tout le bien qu'il pouvait lui faire et à tout l'amour qu'il pourrait
en recevoir. Et elle l'abandonne.
Le long du chemin qui borde le pâturage, un tentateur est passé. Il ne porte
pas une casaque austère, mais un habit aux mille couleurs. Il ne porte pas la
ceinture de peau avec la hache et le couteau suspendus, mais une ceinture
d'or d'où pendent des sonnettes au son argentin, mélodieux comme la voix du
rossignol, et des ampoules d'essences enivrantes... Il n'a pas le bourdon
avec lequel le bon pasteur rassemble et défend les brebis, et si le bourdon
ne suffit pas, il est prêt à les défendre avec sa hache ou son couteau et
même au péril de sa vie.
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44> Mais ce tentateur
qui passe a dans les mains un encensoir tout brillant de pierres précieuses
d'où s'élève une fumée qui est à la fois puanteur et parfum, qui étourdit
comme éblouissent les facettes des bijoux, oh ! combien faux ! Il
va en chantant et laisse tomber des poignées d'un sel qui brille sur le
chemin obscur...
Quatre-vingt-dix-neuf brebis le regardent sans bouger.
La centième, la plus jeune et la plus chère, fait un bond et disparaît
derrière le tentateur. Le berger l'appelle, mais elle ne revient pas. Elle
va, plus rapide que le vent, rejoindre celui qui est passé et, pour soutenir
ses forces dans sa course, elle goûte ce sel qui pénètre au dedans et la
brûle d'un délire étrange qui la pousse à chercher les eaux noires et vertes
dans l'obscurité des forêts. Et, dans les forêts, à la suite du tentateur,
elle s'enfonce, elle pénètre, monte et descend et elle tombe... une, deux,
trois fois. Et une, deux, trois fois, elle sent autour de son cou
l'embrassement visqueux des reptiles, et assoiffée, elle boit des eaux
souillées, et affamée, elle mord des herbes qui brillent d'une bave
dégoûtante.
233.3 - Que fait pendant ce temps le
bon pasteur ? Il enferme en lieu sûr les quatre-vingt-dix-neuf brebis
fidèles et puis se met en route et ne s'arrête pas jusqu'à ce qu'il trouve
des traces de la brebis perdue. Puisqu'elle ne revient pas à lui, qui confie
au vent ses appels, il va vers elle. Il la voit de loin, enivrée et enlacée
par les reptiles, tellement ivre qu'elle ne sent pas nostalgie du visage qui
l'aime, et elle se moque de lui. Et il la revoit, coupable d'être entrée
comme une voleuse dans la demeure d'autrui, tellement coupable qu'elle n'ose
plus le regarder... Et pourtant le pasteur ne se lasse pas... et il va. Il la
cherche, la cherche, la suit, la harcèle. Il pleure sur les traces de
l'égarée ; lambeaux de toison ; lambeaux d'âme ; traces de
sang ; délits de toutes sorte ; ordures ; témoignages de sa
luxure. Il va et la rejoint.
Ah ! je t'ai trouvée, mon aimée ! Je t'ai rejointe ! Que de
chemin j'ai fait pour toi ! Pour te ramener au bercail. Ne courbe pas
ton front souillé. Ton péché est enseveli dans mon cœur. Personne, excepté
moi qui t'aime, ne le connaîtra. Je te défendrai contre les critiques d'autrui,
je te couvrirai de ma personne pour te servir de bouclier contre les pierres
des accusateurs. Viens. Tu es blessée ? Oh ! montre-moi tes
blessures. Je les connais, mais je veux que tu me les montre, avec la
confiance que tu avais quand tu étais pure et quand tu me regardais moi, ton
pasteur et ton dieu, d'un œil innocent.
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45> Les voilà. Elles ont toutes un nom.
Oh ! comme elles sont profondes ! Qui te les a faites si profondes
ces blessures au fond du cœur ? Le Tentateur, je le sais. C'est lui qui
n'a ni bourdon ni hache mais qui blesse plus profondément avec sa morsure
empoisonnée et, après lui, ce sont les faux bijoux de son encensoir, qui
t'ont séduite par leur éclat... et qui étaient un soufre infernal qui se
produisait à la lumière pour te brûler le cœur. Regarde combien de blessures,
combien de toison déchirée, combien de sang, combien de ronces !
233.4 - Oh ! pauvre petite âme
illusionnée ! Mais dis-moi : si je te pardonne, tu m'aimeras
encore ? Mais dis-moi : si je te tends les bras, tu t'y
jetteras ? Mais dis-moi : as-tu soif d'un amour bon ? Et
alors : viens et reviens à la vie. Reviens dans les pâturages saints. Tu
pleures. Tes larmes mêlées aux miennes lavent les traces de ton péché, et
Moi, pour te nourrir, puisque tu es épuisée par le mal qui t'a brûlée, je
m'ouvre la poitrine, je m'ouvre les veines et je te dis :
"Nourris-toi, mais vis !"
Viens que je te prenne dans mes bras. Nous irons plus rapidement aux
pâturages saints et sûrs. Tu oublieras tout de cette heure de désespoir et
tes quatre-vingt-dix-neuf sœurs, les bonnes, jubileront pour ton retour. Je
te le dis, ma brebis perdue, que j'ai cherchée en venant de si loin, que j'ai
retrouvée, que j'ai sauvée, qu'on fait une plus grande fête parmi les bons
pour une brebis perdue qui revient que pour les quatre-vingt-dix-neuf justes
qui ne se sont pas éloignées du bercail."
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