Le vendredi 27 septembre 1946
45> 505.1 – Jésus
est de nouveau à Jérusalem : une Jérusalem hivernale,
venteuse et grise. Marziam
est encore avec Jésus et de même Isaac.
Ils se dirigent tout en parlant vers le Temple.
Avec les douze, parlant avec le Zélote plus qu'avec les
autres, et avec Thomas, se trouvent Joseph
et Nicodème. Mais ensuite ils se séparent et
s'en vont en avant pour saluer Jésus sans s'arrêter.
"Ils ne veulent pas faire remarquer leur amitié avec le Maître. C'est
dangereux !" siffle l'Iscariote
à l'oreille d’André.
"Je crois qu'ils le font par une juste appréciation, pas par
lâcheté" dit André pour les défendre.
"Du reste ils ne sont pas disciples
et ils peuvent le faire. Ils ne l'ont jamais été" dit le Zélote.
"Non ? ! Il me semblait..."
"Lazare
non plus n'est pas disciple, ni..."
"Mais si tu exclus et exclus, qui reste-t-il ?"
"Qui ? Ceux qui ont la mission de disciples."
"Et eux, alors, que sont-ils ?"
"Des amis. Pas plus que des amis. Est-ce que, par hasard, ils quittent
leurs maisons, leurs affaires pour suivre Jésus ?"
"Non. Mais ils l'écoutent avec plaisir et Lui donnent de l'aide
et..."
"Si c'est pour cela ! Même les gentils le font, alors. Tu vois que chez Nikê,
nous en avons trouvé qui avaient pensé à Lui. Et ces
femmes ne sont certainement pas des disciples."
"Ne t'échauffe pas ! Je parlais ainsi seulement pour parler. Tiens-tu
tant à ce que tes amis ne soient pas disciples ? Tu devrais vouloir le
contraire, me semble-t-il."
"Je ne m'échauffe pas, et je ne veux rien, pas même que tu leur fasses
du mal en disant qu'ils sont ses disciples."
"Mais à qui veux-tu que je le dise ? Je suis toujours avec vous..."
Simon le Zélote le regarde si
sévèrement que le sourire se fige sur les lèvres de Judas et il lui semble
opportun de changer de sujet de conversation et il demande :
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46> "Que voulaient-ils
aujourd'hui, les deux, pour parler ainsi avec vous ?"
"Ils ont trouvé une maison pour Nikê, du côté des
jardins, près de la Porte. Joseph connaissait le propriétaire, et il savait
qu'il aurait vendu à un prix avantageux. Nous le ferons savoir à Nikê."
"Quel désir de jeter l'argent !"
"Il est à elle. Elle peut en faire ce qu'elle veut. Elle
veut rester près du Maître. Elle obéit en cela à la volonté de son époux et à
son cœur."
"Il n'y a que ma mère
qui est au loin..." soupire Jacques d'Alphée.
"Et la mienne"
dit l'autre Jacques.
"Mais pour peu de temps. As-tu entendu ce qu'a dit Jésus à Isaac et à Jean
et Matthias ? "Quand vous
reviendrez à la nouvelle lune de Scebat, venez avec les
femmes disciples, en plus de ma Mère."
"Je ne sais pas pourquoi il ne veut pas que Marziam revienne avec elles. Il lui a dit :
"Tu viendras quand je t'appellerai".
"Peut-être pour que Porphyrée
ne reste pas sans aide... Si personne ne pêche, là-bas on ne mange pas. Si on
n'y va pas, Marziam doit y aller. Ce n'est pas assez certainement du figuier,
du rucher, de quelques oliviers et des deux brebis pour entretenir une femme,
la vêtir, la nourrir..." observe André.
505.2 – Jésus, arrêté contre le mur
d'enceinte du Temple, les regarde venir. Il a avec Lui Pierre, Marziam et Jude d'Alphée.
Des pauvres se lèvent de leurs grabats de pierre, placés sur le chemin qui
vient vers le Temple — celui qui va de Sion vers le Moriah, non celui qui va
d’Ophel au Temple
— et ils vont en se lamentant vers Jésus pour Lui demander l'obole. Aucun ne
demande la guérison. Jésus commande à Judas de leur donner de l'argent, puis
il entre dans le Temple.
Il n'y a pas foule. Après la grande affluence des fêtes, il n'y a plus de
pèlerins. Seuls ceux qui pour des affaires importantes sont obligés de venir
à Jérusalem, ou ceux qui habitent dans la ville elle-même, montent au Temple.
Aussi les cours et les portiques, sans être déserts, sont beaucoup moins
fréquentés et semblent plus vastes et plus sacrés, en étant moins bruyants.
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47> Les changeurs aussi, et les
marchands de colombes et autres animaux, sont moins nombreux, adossés aux
murs du côté du soleil, un soleil blafard qui se fraie un chemin à travers
les nuages gris.
Après avoir prié dans la Cour des Israélites, Jésus revient sur ses pas et il
s'adosse à une colonne pour observer... observé Lui-même.
505.3 – Il voit revenir, certainement de
la Cour des Hébreux, un homme et une femme qui, sans pleurer ouvertement,
montrent un visage plus douloureux que des larmes. L'homme essaie de
réconforter la femme mais on voit que lui aussi est très affligé.
Jésus se détache de la colonne et va à
leur rencontre.
"De quoi souffrez-vous ?" demande-t-il avec pitié.
L'homme le regarde, étonné de cet intérêt qui,
peut-être, lui semble indélicat. Mais l'œil de Jésus est si doux qu'il en est
désarmé. Pourtant, avant de parler de sa douleur, il demande :
"Comment donc un rabbi s'intéresse-t-il aux souffrances d'un simple
fidèle ?"
"C'est que le rabbi est ton frère, Ô homme. Ton frère dans le Seigneur,
et il t'aime comme le dit le commandement."
"Ton frère ! Je suis un pauvre cultivateur
de la plaine de Saron, vers Dora. Toi, tu es un rabbi."
"La souffrance est pour les rabbis comme pour tout le monde. Je sais ce
qu'est la souffrance et je voudrais te consoler."
La femme écarte un instant son voile pour regarder Jésus et elle murmure à
son mari :
"Dis-le-lui. Peut-être il pourra nous aider..."
505.4 – "Rabbi, nous avions une
fille, nous l'avons. Pour le moment, nous l'avons encore... Et nous l'avons
mariée honorablement à un jeune homme, qu'un ami commun nous... garantissait
bon mari. Ils sont mariés depuis six ans et ils ont eu deux enfants de leur
mariage. Deux... car après l'amour a cessé... au point que maintenant...
l'époux veut le divorce.
Notre fille pleure et se consume, et c'est pour cela que nous t'avons dit que
nous l'avions encore : car d'ici peu, elle mourra de chagrin. Nous avons tout
essayé pour persuader l'homme, et nous avons tant prié le Très-Haut... Mais
aucun des deux ne nous a écouté... Nous sommes venus ici en pèlerinage pour
cela, et nous y sommes restés toute une lune. Tous les jours au Temple, moi à
ma place, elle à la sienne... Ce matin un serviteur de ma fille nous a
apporté la nouvelle que l'époux est allé à Césarée pour lui envoyer de là le
libelle de divorce. Et c'est la réponse qu'ont eue nos prières..."
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48> "Ne parle pas ainsi, Jacques,
supplie la femme à voix basse et elle dit pour finir : Le Rabbi nous maudira
comme blasphémateurs... et Dieu nous punira. C'est notre douleur, elle vient
de Dieu... Et s'il nous a frappés, c'est signe que nous l'avons mérité"
achève-t-elle dans un sanglot.
"Non, femme. Moi, je ne vous maudis
pas, et Dieu ne vous punira pas. Ainsi que je vous le dis, ce n'est pas Dieu
qui vous donne cette douleur, mais l'homme. Dieu la permet pour
vous éprouver et pour éprouver le mari de votre fille. Ne perdez pas la foi
et le Seigneur vous exaucera."
"C'est trop tard. Désormais notre fille est répudiée et déshonorée et
elle va mourir..." dit l'homme.
"Il n'est jamais trop tard pour le Très-Haut. En un
instant et à cause de la persévérance d'une prière. Il peut changer le cours
des événements. De la coupe aux lèvres, il y a encore du temps pour la mort
d'insinuer son poignard et pour empêcher de boire celui qui approchait la
coupe de ses lèvres, et cela par l'intervention de Dieu. Moi, je vous le dis.
Retournez aux places où vous priez, et persévérez aujourd'hui, demain et
après-demain encore, et si vous saurez avoir foi, vous verrez le miracle."
"Rabbi, tu veux nous réconforter... mais en ce moment... Ce n'est plus
possible, et tu le sais, d'annuler le libelle une fois qu'il a été remis à la
femme répudiée" insiste l'homme.
"Aie foi, te dis-je. Il est vrai qu'on ne peut l'annuler. Mais sais-tu
si ta fille l'a reçu ?"
"De Dora à Césarée, il n'y a pas un long chemin. Pendant que le
serviteur arrivait ici, Jacob
est certainement revenu à la maison et il a chassé Marie."
"Le trajet n'est pas long, mais es-tu
certain qu'il l'ait accompli ? Une volonté
supérieure à celle de l'homme ne peut-elle pas
avoir arrêté un homme si Josué, avec l'aide de Dieu, a
arrêté le soleil ?
Votre prière persévérante et confiante, faite dans une bonne intention
n'est-elle pas un vouloir saint opposé à la volonté mauvaise de l'homme ?
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49> Et Dieu, puisque vous demandez une
chose bonne à Lui, votre Père, ne vous aidera-Il pas pour arrêter la marche
d'un fou ? Ne vous aura-t-il pas déjà aidé ? Et si même l'homme s'obstinait
encore à aller, le pourrait-il, si vous vous obstinez à demander au Père une
chose juste ? Je vous le dis : allez et priez aujourd'hui, demain et
après-demain et vous verrez le miracle."
"Oh ! allons, Jacques ! Le Rabbi sait. S'il dit de prier, c'est signe
qu'il sait que la chose est juste. Aie foi, mon époux. Je sens une grande
paix, une forte espérance qui se lève là où j'avais tant de douleur. Que Dieu
te récompense, ô Rabbi, Toi qui es bon, et qu'il t'écoute. Prie pour nous Toi
aussi. Viens, Jacques, viens"
Et elle réussit à persuader son mari qui la suit après avoir salué Jésus du
salut habituel des hébreux :
"La paix soit avec Toi" auquel Jésus répond par la même formule.
"Pourquoi ne lui as-tu pas dit qui tu es ? Ils auraient prié avec plus
de paix" disent les apôtres, et Philippe
ajoute :
"Je vais le lui dire."
Mais Jésus
le retient en disant :
"Je ne veux pas. Il aurait en fait prié avec paix, mais avec moins de
valeur, mais avec moins de mérite. Ainsi leur foi est parfaite et sera
récompensée."
"Réellement ?"
"Et voulez-vous que je mente en trompant deux malheureux ?"
505.5 – Il regarde les gens qui se
sont rassemblés, une centaine de personnes, et il dit :
"Écoutez cette parabole
qui vous dira la valeur de la prière constante.
Vous savez ce que dit le Deutéronome, en parlant des juges
et des magistrats.
Ils doivent être justes et miséricordieux en écoutant avec équanimité ceux
qui ont recours à eux, en pensant toujours de juger comme si le cas qu'ils
doivent juger était leur cas personnel, sans tenir compte des cadeaux ou des
menaces, sans égards pour les amis coupables et sans dureté à l'égard de ceux
qui sont en mauvais termes avec les amis du juge. Mais si les paroles de la
Loi sont justes, les hommes ne le sont pas autant et ils ne savent pas obéir
à la Loi.
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50> On voit ainsi que la justice
humaine est souvent imparfaite, car rares sont les juges qui savent se garder
purs de la corruption, miséricordieux et patients envers les pauvres comme
envers les riches, envers les veuves et les orphelins, comme ils le sont
envers ceux qui ne le sont pas.
Il y avait dans une ville un juge très
indigne de sa charge qu'il avait obtenue au moyen d'une parenté puissante. Il
était outre mesure inégal dans ses jugements, car il était toujours porté à
donner raison aux riches et aux puissants, ou à ceux qui étaient recommandés
par des riches ou des puissants, ou bien à l'égard de ceux qui l'achetaient
en lui faisant de grands cadeaux. Il ne craignait pas Dieu et il se riait des
plaintes des pauvres et de ceux qui étaient faibles parce qu'ils étaient
seuls et sans de puissants défenseurs. Quand il ne voulait pas écouter
quelqu'un qui avait des raisons évidentes de l'emporter sur un riche et
auquel il ne pouvait donner tort d'aucune manière, il le faisait chasser de
sa présence en le menaçant de le jeter en prison. Et la plupart subissaient
ses violences en se retirant vaincus et résignés à leur défaite avant que le
procès ne fût ouvert.
Mais dans cette ville, il y avait aussi une veuve chargée d'enfants. Elle
devait recevoir une forte somme d'un homme puissant pour des travaux exécutés
par son mari défunt pour le riche puissant. Elle, poussée par le besoin et
l'amour maternel, avait essayé de se faire donner par le riche la somme qui
lui aurait permis de rassasier ses enfants et de les vêtir pour le prochain
hiver. Mais après que se furent révélées vaines toutes les pressions et les
supplications adressées au riche, elle eut recours au juge.
Le juge était un ami du riche qui lui avait dit : "Si
tu me donnes raison, le tiers de la somme est pour
toi". Aussi, il fut sourd aux paroles de la veuve qui le priait :
"Rends-moi justice contre mon adversaire. Tu vois que j'en ai besoin.
Tout le monde peut dire que j'ai droit à cette somme". Il se montra
sourd et la fit chasser par ses commis.
Mais la femme revient une, deux, dix fois, le matin, à sexte, à none, le
soir, inlassable. Et elle le suivait sur la route en criant : "Rends-moi
justice. Mes enfants ont faim et froid. Je n'ai pas d'argent pour acheter de
la farine et des vêtements". Elle se faisait trouver sur le seuil de la
maison du juge quand il y revenait pour s'asseoir à table avec ses enfants.
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51/52> Et le cri de la
veuve : "Rends-moi justice contre mon adversaire car mes enfants et moi,
nous avons faim et froid" pénétrait jusqu'à l'intérieur de la maison,
dans la salle à manger, dans la chambre à coucher pendant la nuit, insistant
comme le cri d'une huppe : "Fais-moi justice, si tu ne veux pas que Dieu
te frappe ! Fais-moi justice. Rappelle-toi que la veuve et les orphelins sont
sacrés pour Dieu et malheur à celui qui les piétine ! Rends-moi justice, si
tu ne veux pas souffrir un jour ce que nous souffrons. Notre faim, notre
froid, tu les trouveras dans l'autre vie si tu ne rends pas justice !
Malheureux que tu es !"
Le juge ne craignait pas Dieu et ne craignait pas le prochain. Mais à force
d'être harcelé, de se voir devenu un objet de risée de la part de toute la
ville à cause des poursuites de la veuve et aussi un objet de blâme, il en
fut fatigué. Aussi un jour, il se dit en lui-même : "Bien que je ne
craigne pas Dieu ni les menaces de la femme, ni ce qu'en pensent les
habitants, cependant, pour en finir avec tant d'ennuis, je donnerai audience
à la veuve et lui rendrai justice, en obligeant le riche à payer. Il me
suffit qu'elle ne me poursuive plus et ne soit plus autour de moi". Et
ayant appelé son riche ami, il lui dit : "Mon ami, il ne m'est plus
possible de te satisfaire. Fais ton devoir et paie, car je ne supporte plus
d'être harcelé à cause de toi. J'ai parlé". Et le riche dut débourser la
somme conformément à la justice.
505.6 – C'est la parabole. Maintenant,
à vous de l'appliquer.
Vous avez entendu les paroles d'un homme
inique : "Pour en finir avec tant d'ennuis, je donnerai audience à la
femme". Et c'était un homme inique. Mais Dieu, le Père très bon,
pourrait-Il être inférieur au juge mauvais ? Ne rendra-t-il pas justice à ses
enfants qui savent l'invoquer jour et nuit ? Et leur fera-t-il attendre si
longtemps la grâce jusqu'à ce que leur âme accablée cesse de prier ? Je
vous le dis : Il leur rendra promptement justice pour que leur âme ne perde pas la foi. Mais il faut pourtant aussi savoir prier sans se lasser
après les premières prières, et savoir demander des choses bonnes. Et aussi
se confier à Dieu en disant : "Pourtant que soit fait ce que ta Sagesse
voit pour nous de plus utile".
Ayez foi. Sachez prier avec foi dans la prière et avec foi en Dieu votre
Père. Et Lui vous rendra justice contre ceux qui vous oppriment, que ce soit
des hommes ou des démons, des maladies ou d'autres malheurs. La prière
persévérante ouvre le Ciel et la foi, sauve l'âme, quelle que soit la façon
dont la prière est écoutée et exaucée. Allons !"
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