Le samedi 29 septembre 1945.
486> 290.1 - La caravane sort de la cour
d'Alexandre, rangée comme pour une parade militaire. En queue, Jésus avec
tous les siens. Les chameaux, avec leur lourde charge, s'avancent en se
dodelinant d'un pas rythmé, et leurs têtes semblent demander à chaque
pas : "Pourquoi ? Pourquoi ?" en un mouvement muet
mais typique comme celui des colombes qui à chaque instant semblent
dire : "Oui, oui" à tout ce qu'elles voient. La caravane doit
traverser la ville. Elle défile dans la claire atmosphère du matin. Tous les
hommes sont emmitouflés parce qu'il fait froid. Les sonnailles des chameaux,
les crrr, crrr des
chameliers, la plainte d'un chameau qui regrette l'étable tranquille,
préviennent les géraséniens du départ de Jésus.
La nouvelle se répand, rapide comme l'éclair, et des géraséniens viennent le
saluer et Lui apporter des cadeaux de fruits et autres nourritures. Voici
qu'un homme accourt avec un petit malade :
"Bénis-le pour qu'il guérisse. Aie pitié !"
Jésus lève la main et bénit en ajoutant :
"Va tranquille. Aie foi."
Et l'homme répond un oui si plein de confiance qu'une femme demande :
"Mon homme malade d'ulcères aux yeux, le guérirais-tu ?"
"Si vous êtes capables de croire, oui."
"Alors, je vais le chercher. Attends-moi, Seigneur"
Et elle vole, rapide comme une hirondelle. Mais attendre, c'est vite
dit ! Les chameaux avancent. Alexandre, en tête de la colonne, ne sait
ce qui se passe en queue. Il n'y a qu'à prévenir l'homme.
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487> "Cours, Marziam. Va dire au marchand qu'il
s'arrête avant de sortir des murs" dit Jésus.
Et Marziam file pour accomplir sa mission.
La caravane s'arrête pendant que le marchand vient vers Jésus.
"Qu'est-ce qui arrive ?"
"Reste et tu verras."
290.2 - La femme de Gerasa est vite de retour
avec son mari qui a les yeux malades. C'est autre chose que des
ulcères ! Ce sont deux trous pleins de pourriture qui s'ouvrent au
milieu du visage. L’œil est là au milieu, embué, rougi, à moitié aveugle, et
il en sort un liquide répugnant. A peine l'homme enlève-t-il le bandeau
sombre qui lui cache la lumière, que sa plainte augmente parce que la lumière
avive la douleur de l’œil malade.
L'homme gémit :
"Pitié ! Je souffre tant !"
"Tu as aussi beaucoup péché. De cela, tu ne te lamentes pas ? Tu ne
t'affliges que de pouvoir perdre cette pauvre vue du monde ? Ne sais-tu
rien de Dieu ? N'as-tu pas peur des ténèbres éternelles ? Pourquoi
as-tu péché ?"
L'homme pleure et se baisse sans parler. Sa femme aussi pleure et
gémit :
"Moi, j'ai pardonné…"
"Et Moi, je lui pardonnerai s'il me jure ici qu'il ne retombera plus
dans son péché."
"Oui, oui ! Pardonne-moi. Je sais maintenant ce qu'amène le péché
avec lui. Pardonne-moi. Comme la femme, pardonne-moi. Tu es le Bon."
"Moi, je te pardonne. Va à ce ruisseau et lave-toile visage dans l'eau
et tu guériras."
"L'eau froide lui est nuisible, Seigneur" gémit la femme.
Mais l'homme ne pense qu'à y aller et s'y rend à tâtons jusqu'à ce que
l'apôtre Jean, pris de pitié, le prenne par la main et le conduise seul, mais
ensuite la femme le prend par l'autre main. L'homme descend jusqu'au bord de
l'eau glacée qui barbote sur les cailloux, il se penche, prend de l'eau dans
le creux de ses mains, se lave et se relave le visage. Il ne donne pas de
signe de souffrance et paraît au contraire éprouver du soulagement.
Puis, le visage encore mouillé, il remonte la berge, revient vers Jésus qui
lui demande :
"Eh ! bien ? Tu es guéri ?"
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488> "Non Seigneur, pas pour l'instant. Mais tu l'as
dit et je guérirai."
"Alors
garde ton espérance. Adieu."
La femme s'affaisse en pleurant... Elle est déçue. Jésus fait signe au
marchand qu'il peut repartir, et le marchand, déçu lui aussi, fait passer
l'ordre. Les chameaux se remettent en marche avec leur mouvement de barque
qui tangue, et ils sortent des murs, Ils prennent la route des caravanes qui
s'en va, large et poussiéreuse, vers le sud-ouest.
Les deux derniers du groupe apostolique, c'est-à-dire Jean d'En-Dor et Simon
le Zélote, ont dépassé les murs d'une vingtaine de mètres quand un cri
retentit dans l'air silencieux. Il paraît remplir le monde, il se répète
toujours plus haut, plus joyeux, plus triomphal :
"Je vois ! Jésus ! Jésus béni ! Je vois ! Je
vois ! J'ai cru ! Je vois ! Jésus, Jésus ! Jésus
béni !"
Et l'homme, dont le visage est redevenu complètement sain, les yeux redevenus
beaux, deux escarboucles lumineuses et vivantes, fend les rangs des apôtres
et tombe aux pieds de Jésus presque sous les pieds du chameau du marchand
qu'il a juste le temps d'écarter de l'homme prosterné.
L'homme baise le vêtement de Jésus en répétant :
"J'ai cru ! J'ai cru et je vois. Jésus béni !"
"Lève-toi et sois heureux, et surtout bon. Dis à ta femme qu'elle sache
croire complètement. Adieu."
Et Jésus se dégage de l'étreinte du miraculé et reprend sa marche.
290.3 - Le marchand caresse sa barbe,
pensif... Finalement il demande :
"Et s'il n'avait pas su continuer de croire après la déception du
lavage ?"
"Il serait resté tel qu'il était avant."
"Pourquoi
exiges-tu tant de foi pour faire un miracle ?"
"Parce que la foi témoigne de la présence de l'espérance et de l'amour
pour Dieu."
"Et pourquoi as-tu voulu d'abord le repentir ?"
"Parce que le repentir rend ami de Dieu."
"Moi, qui n'ai pas de maladies, que devrais-je faire pour témoigner que
j'ai la foi ?"
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489> "Venir à la Vérité."
"Et pourrais-je venir sans l'amitié de Dieu ?"
"Tu ne pourrais y venir sans la bonté de Dieu. Le Seigneur permet que
celui qui, encore sans repentir, le cherche, arrive à le trouver. Car le
repentir vient généralement lorsque l'homme, consciemment ou avec un peu de
conscience de ce que veut son âme, connaît Dieu. Auparavant il est comme
hébété, guidé par son seul instinct. Tu n'as jamais éprouvé le besoin de
croire ?"
"Bien des fois. Je n'étais pas satisfait, voilà, de ce que j'avais. Je
sentais qu'il y avait autre chose de plus fort que l'argent, que mes enfants,
mes espérances... Mais je ne me donnais pas ensuite la peine de chercher à
savoir ce qu’inconsciemment je cherchais."
"Ton âme cherchait Dieu. La bonté de Dieu a permis que tu trouves Dieu.
Le repentir pour ton stérile passé loin de Dieu te donnera l'amitié de
Dieu."
"Alors, pour... pour avoir le miracle de voir par l'âme la
Vérité, je devrais me repentir du passé ?"
"Certainement. Te repentir et te décider à un complet changement de
vie..."
L'homme se remet à caresser sa barbe et il semble être en train d'étudier et
de compter les poils du cou du chameau tant il reste le regard fixe. Sans le
vouloir, il heurte la bête avec le talon et celle-ci y voit une invitation à
accélérer le pas et elle le fait en amenant le marchand en tête de la
caravane.
290.4 - Jésus ne le retient pas. Au
contraire, il s'arrête en se laissant dépasser par les femmes et les apôtres
jusqu'à ce que le rejoignent Simon le Zélote et Jean d'En-Dor. Jésus se joint
à eux.
"De quoi parlez-vous ?" demande-t-il.
"Nous parlions du découragement que
doit éprouver celui qui ne croit à rien ou qui a perdu la foi qu'il avait.
Hier Syntica était réellement angoissée, bien qu'elle soit passée à une foi
parfaite" répond le Zélote.
"Moi, je disais à Simon que s'il est pénible de passer du Bien au Mal il
est déconcertant aussi de passer du Mal au Bien. Dans le premier cas, on est
torturé par la conscience qui vous réprimande. Dans le second, on est... déchiré...
Comme doit l'être quelqu'un qui se trouve amené dans un pays étranger
absolument inconnu... Ou bien c'est l'effroi d'un homme misérable et inculte
qui se trouve amené au milieu d'une cour de roi, parmi des savants et des
riches.
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490> C'est une souffrance... Moi, je la connais... Une si
grande souffrance... On ne peut croire que ce soit vrai, que cela puisse
durer... qu'on puisse le mériter... surtout quand on a l'âme souillée...
comme l'était la mienne..."
"Et maintenant, Jean ?" demande Jésus.
Le visage exténué de Jean d'En-Dor, exténué et triste, s'illumine d'un
sourire qui le fait paraître moins émacié. Il dit :
"Maintenant cela n'est plus. Il reste la reconnaissance, et même elle
croît, pour le Seigneur qui a voulu cela. Il reste le souvenir du passé pour
me garder humble. Mais il y a la sécurité. Je me sens acclimaté, non plus
étranger dans ce monde de douceur qu'est le tien, de pardon et d'amour. Et je
suis pacifié, serein, heureux."
"Juges-tu bonne ton expérience ?"
"Oui. S'il n'y avait pas ma souffrance d'avoir péché, parce que par ce
péché j'ai affligé Dieu, je dirais qu'il a été un bien, ce passé, qui est le
mien. Il peut me servir beaucoup à soutenir les âmes de bonne volonté mais
égarées dans les premiers moments de leur nouvelle croyance."
"Simon, va dire au garçon de ne pas tant sauter. Ce soir il sera
épuisé."
Simon regarde Jésus, mais comprend la vérité du commandement. Il a un sourire
d'intelligence et il laisse les deux seuls.
290.5 - "Maintenant que nous sommes
seuls, Jean, écoute mon désir. Toi, pour beaucoup de raisons, tu as la
largeur de jugement et de pensée qu'aucun autre ne possède parmi ceux qui me
suivent. Et tu as une culture plus vaste que le commun des israélites :
Aussi je te prie de m'aider..."
"Moi, t'aider ? En quoi ?"
"Pour Syntica. Tu es un si brave pédagogue ! Marziam apprend vite
et bien avec toi. Si bien que je compte vous laisser ensemble pour quelques
mois, parce que je veux pour Marziam une connaissance plus vaste que celle du
petit monde d'Israël. Pour toi c'est une joie de t'occuper de lui. Pour Moi
aussi c'est une joie de vous voir unis, toi pour l'instruire, lui pour
apprendre ; toi pour rajeunir, lui pour mûrir en s'occupant. Mais tu devrais
t'occuper aussi de Syntica. Comme une sœur égarée. Tu l'as dit : c'est
un égarement... Aide-la à s'acclimater dans mon atmosphère. Me fais-tu cette
faveur ?"
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491> "Mais c'est une grâce pour moi de le faire, mon
Seigneur ! Je ne l'approchais pas parce que cela me paraissait superflu.
Mais si tu veux. Elle lit mes rouleaux ; il y en a de sacrés et d'autres qui
sont uniquement pour la culture : de Rome et d'Athènes. Je vois qu'elle
réfléchit et les compulse, mais je ne m'étais jamais entremis pour l'aider.
Si tu le veux..."
"Oui, je le veux, je veux vous voir amis. Elle aussi, comme Marziam et
comme toi, vous resterez quelque temps à Nazareth. Ce sera beau. Ma Mère et
toi, maîtres de deux âmes qui s'ouvrent à Dieu. Ma Mère : l'angélique
Maîtresse de la science de Dieu ; toi : le maître expert du savoir
humain que pourtant maintenant tu peux expliquer avec des applications
surnaturelles. Ce sera beau et bon."
"Oui, mon béni Seigneur ! Trop beau pour le pauvre Jean !..." et l'homme
sourit à la pensée de ces jours prochains de paix auprès de Marie, dans la
maison de Jésus...
290.6 - Et la route se déroule dans une
tiédeur du soleil de plus en plus sensible, dans une campagne charmante
désormais toute plane, après avoir côtoyé ces petites hauteurs qui se
trouvent après Gérasa. Une route en bon état aussi sur laquelle la marche est
facile, Et on reprend la marche après la pause du midi.
C'est presque le soir quand j'entends pour la première fois Syntica rire de
bon cœur lorsque Marziam lui a raconté, je ne sais quoi, qui fait rire toutes
les femmes. Je vois la grecque se pencher pour caresser l'enfant et effleurer
son front par un baiser, après quoi l'enfant se remet à sauter comme s'il ne
sentait pas la fatigue.
Mais tous les autres sont fatigués, et c'est avec joie qu'ils apprennent la
décision de passer la nuit à la "Fontaine des Chameliers". Le
marchand dit :
"J'y passe toujours la nuit. Trop longue est l'étape de Gérasa à Bozra pour les hommes et pour les bêtes."
"Il est humain ce marchand" observent entre eux les apôtres, en le
comparant à Doras...
La "Fontaine des Chameliers" n'est qu'une poignée de maisons autour
de puits nombreux. Une sorte d'oasis, non pas dans le désert aride, parce
qu'ici il n'y a pas d'aridité, mais c'est une oasis dans l'immensité
inhabitée des champs et des vergers qui se succèdent sur des milles et des
milles et qui, dans l'arrivée de la soirée d'octobre, exhalent la même
tristesse que la mer au crépuscule. Aussi, de voir les maisons, d'entendre le
bruit des voix, les pleurs des bébés, de sentir l'odeur des cheminées qui
fument et de voir les premières lampes allumées, c'est doux comme d'arriver à
son propre foyer.
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492> Alors que les chameliers s'arrêtent pour abreuver une
première fois les chameaux, les apôtres et les femmes suivent Jésus qui, avec
le marchand, entre dans... la très préhistorique hôtellerie qui les abritera
pour la nuit...
290.7 -...Dans la pièce enfumée où ils ont
pris le repas, où dormiront les hommes et, pendant que déjà les serviteurs
préparent les couchettes de foin amoncelé sur des treillis, tout le monde se
réunit près d'un large foyer qui occupe tout le fond étroit de la pièce. On a
allumé le feu, car le soir a amené l'humidité et le froid.
"Pourvu que le temps ne se mette pas à l'eau" soupire Pierre.
Le marchand le rassure :
"Il faut encore attendre la fin de cette lune pour que le mauvais temps
arrive. C'est le temps qu'il fait ici le soir, mais demain nous aurons le
soleil."
"C'est pour les femmes, tu sais ? Ce n'est pas pour moi. Je suis
pêcheur et je vis dans l'eau. Et je t'assure que je préfère l'eau à la
montagne et à la poussière."
Jésus parle avec les femmes et avec ses deux cousins. Jean d'En-Dor et le
Zélote l'écoutent aussi. De leur côté Timon et Hermastée et Matthieu lisent
un des rouleaux de Jean et les deux israélites expliquent à Hermastée les
passages bibliques les plus obscurs pour lui.
Marziam les écoute, enchanté, mais avec un visage somnolent. Marie d'Alphée
le voit et dit :
"Cet enfant est fatigué. Viens, mon chéri, nous allons dormir nous.
Viens, Élise. Viens, Salomé. Les vieillards et les enfants sont mieux au lit.
Et vous feriez bien d'y aller tous. Vous êtes fatigués."
Mais en dehors des femmes âgées, à l'exception de Marcelle et de Jeanne de
Kouza, personne ne bouge.
Quand après avoir été bénies, elles s'en sont allées, Matthieu murmure :
"Qui aurait dit à ces femmes qu’il leur faudrait dormir sur la paille
loin de leurs maisons, il y a seulement peu de temps !"
"Je n'ai jamais aussi bien dormi" affirme avec décision Marie de
Magdala, et Marthe affirme la même chose.
Cependant Pierre donne raison à son compagnon :
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493> "Matthieu a raison. Et je me demande, sans
comprendre, pourquoi le Maître vous a amenées ici."
"Mais parce que nous sommes les femmes disciples !"
"Alors s'il allait où il y a des lions, vous y iriez ?"
"Mais bien sûr, Simon Pierre ! La belle affaire de faire quelques
pas ! Et avec Lui tout près !"
"Voilà : cela fait vraiment beaucoup de pas, et pour des femmes qui
n'y sont pas habituées..."
Mais les femmes protestent tant que Pierre hausse les épaules et se tait.
Jacques d'Alphée, en levant la tête, voit un sourire si lumineux sur le
visage de Jésus qu'il Lui demande :
"Veux-tu nous dire le vrai but de ce voyage, entre nous, avec les femmes
et... avec si peu de fruit par rapport à la fatigue ?"
"Pourrais-tu prétendre voir maintenant le fruit des semences ensevelies
dans les champs que nous avons traversés ?"
"Moi, non. Je le verrai au printemps"
"Moi aussi, je te le dis : "Tu le verras en son temps".
Les apôtres ne répliquent rien.
290.8 - Voici que s'élève la voix argentine
de Marie :
"Mon Fils, aujourd'hui nous parlions entre nous de ce que tu as dit à
Ramoth. Et chacune de nous avait des impressions et des réflexions
différentes. Voudrais-tu nous dire ta pensée ? Moi, je disais qu'il
valait mieux t'appeler tout de suite, mais tu parlais avec Jean
d'En-Dor."
"Vraiment, c’était moi qui avais provoqué la question. Car je suis une
pauvre païenne, moi, et je n'ai pas les lumières splendides de votre foi. Il
faut me plaindre." confesse Syntica
"Mais moi, je voudrais avoir ton âme, ma sœur !" dit vivement
Marie de Magdala.
Et, toujours exubérante, elle l'embrasse en la tenant étroitement serrée
contre elle par un bras. Splendide dans sa beauté, elle semble éclairer à
elle seule le misérable taudis et y apporter l'opulence de sa demeure somptueuse.
Serrée contre elle la grecque, tout à fait différente et pourtant
personnelle, apporte une note de pensée auprès du cri d'amour qui semble
toujours se dégager de Marie, la passionnée, alors que, assise avec son doux
visage levé vers son Fils, les mains jointes comme si elle priait, son profil
très pur ressortant sur le mur sombre, la Vierge est l'Adorante
perpétuelle.
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494> Suzanne se tient dans la pénombre d'un coin et somnole,
pendant que Marthe profite de la lumière du foyer pour fixer des boucles au
petit vêtement de Marziam, active, elle aussi malgré la lassitude et
l'insistance d'autrui.
Jésus dit à Syntica :
"Mais ce n'était pas une pensée pénible. Je t'ai entendu rire."
"Oui, à cause de l'enfant qui tranchait vivement la question en
disant :
"Moi, je ne veux revenir que si Jésus revient. Mais si tu veux tout
savoir, éloigne-toi d'ici et reviens nous dire si tu te souviens"...
Toutes en rient encore et disent que Syntica demandait à Marie qu'on lui
expliquât ce qu'elle n'avait pas bien compris à propos du souvenir que les
âmes conservent et qui explique certaines possibilités chez les païens
d'avoir des souvenirs vagues de la Vérité.
"Moi, je disais : ''Peut-être que cela confirme la théorie de la
réincarnation à laquelle croient beaucoup de païens ?" et ta Mère,
Maître, m'expliquait que ce que tu dis c'est autre chose. Maintenant, veuille
m'expliquer ceci aussi, mon Seigneur."
290.9 - "Écoute. Tu ne dois pas
croire, du fait que les esprits ont des souvenirs spontanés de la Vérité, que
cela prouve que nous vivons plusieurs vies. Désormais tu es déjà suffisamment
instruite pour savoir comment l'homme a été créé, comment l'homme a péché,
comment il a été puni. On t'a expliqué comment dans l'homme-animal a été
incorporée par Dieu une âme unique. Cette dernière est créée à chaque fois et
n'est jamais utilisée pour des incarnations successives. Cette
certitude devrait annuler ce que j'affirme sur les souvenirs des âmes. Elle
le devrait pour tout être autre que l'homme, doué d'une âme faite par Dieu.
L'animal ne peut se souvenir de rien parce qu'il naît une seule fois. L'homme peut se souvenir bien que ne
naissant qu'une seule fois. Se rappeler avec ce qu'il
y a de meilleur en lui : l'âme. D'où vient l'âme ? Toute âme
humaine ? De Dieu. Qui est Dieu ? L'Esprit très intelligent, très
puissant, parfait. Cette chose admirable qu'est l'âme, chose créée par Dieu
pour donner à l'homme son image et sa ressemblance comme signe indiscutable
de sa Paternité très Sainte, résulte des qualités propres de Celui qui l'a
créée. Elle est donc intelligente, spirituelle, libre, immortelle comme le
Père qui l'a créée.
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495> Elle sort parfaite de la pensée divine et, à l'instant
de sa création, elle est semblable, pour un millième d'instant, à celle du
premier homme : une perfection qui comprend la Vérité par suite d'un don
gratuitement donné. Un millième d'instant. Puis, une fois formée, elle
est blessée par la faute d'origine. Pour te faire mieux comprendre, je dirai que c'est
comme si Dieu portait l'âme qu'il crée et que l'être créé, en naissant, soit blessé
par un signe ineffaçable. Me comprends-tu ?"
"Oui, tant qu'elle est pensée, elle est parfaite. Un millième d'instant,
cette pensée créée. Puis, la pensée traduite dans le fait, le fait est sujet
à la loi causée par la Faute."
"Tu as bien répondu. L'âme s'incarne donc ainsi dans le corps humain en
apportant avec elle cette gemme secrète dans le mystère de son être
spirituel, le souvenir de l'Être Créateur, c'est-à-dire de la Vérité. Le bébé
naît. Il peut être bon, excellent, aussi bien que perfide. Il peut tout
devenir car il est libre de vouloir. Sur ses ''souvenirs" le ministère
des anges jette ses lumières et le semeur de pièges ses ténèbres. À mesure
que l'homme poursuit les lumières et par conséquent aussi des vertus de plus
en plus grandes en rendant l'âme maîtresse de son être, voilà que se
développe en elle la faculté de se souvenir comme si la vertu rendait de plus
en plus mince la cloison qui s'interpose entre l'âme et Dieu. Voilà pour-
quoi les hommes vertueux de tous pays sentent la Vérité, pas parfaitement
parce que obnubilés par des doctrines contraires ou par des ignorances
mortelles, mais suffisamment pour fournir des pages de formation morale aux
peuples auxquels ils appartiennent. As-tu compris ? Es-tu
convaincue ?"
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