Le
jeudi 17 octobre 1946.
126> 514.1 - Jésus est encore au milieu des montagnes,
suivi de gens, en plus des apôtres et des disciples. Parmi ceux-ci maintenant
se trouvent des disciples ex-bergers
qu'ils ont trouvé peut-être dans quelque petit village par où ils sont
passés.
Jésus monte d'une vallée vers une montagne, par une route qui suit avec ses
détours la pente de la montagne, et qui est certainement une voie romaine
d'après son pavage qu'on ne peut confondre et son entretien soigné que l'on
trouve uniquement dans les routes construites et entretenues par les romains.
Des gens y passent, se dirigeant vers la vallée ou remontant de la vallée
vers la chaîne du massif montagneux, couronné à son sommet de villages ou de
villes. Certains, voyant Jésus et sa suite, demandent qui c'est et le
suivent, alors que d'autres se contentent de regarder, d'autres encore
hochent la tête et raillent.
Un détachement de soldats romains les rejoint de son pas pesant avec son
tintamarre d'armes et de cuirasses. Ils se détournent pour regarder Jésus
qui, quittant la voie romaine, va prendre un chemin... judaïque qui se dirige
vers le sommet où se trouve un village. C'est un chemin caillouteux et boueux
parce qu'il a plu, sur lequel le pied ou bien glisse sur les cailloux ou bien
s'enfonce dans les ornières. Les soldats se dirigent certainement vers la
même ville et, après une courte halte, se remettent en marche, obligeant les
gens à se mettre de côté sur le chemin pour céder la place au détachement qui
passe rigidement encadré. Quelques insultes sifflent
dans l'air, mais la discipline de la marche en colonne empêche les soldats
d'y répondre dans les mêmes termes.
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127> Les voici de nouveau près de Jésus
qui s'est rangé pour les laisser passer et les regarde de son œil plein de
douceur qui paraît bénir et caresser par la lumière de ses iris de saphir. Et
les visages fermés des soldats s'éclairent d'une esquisse de sourire qui
n'est pas moqueur, mais qui est au contraire respectueux comme un salut.
Ils passent. Les gens se remettent en route derrière Jésus qui est en tête.
514.2 - Un jeune homme se détache de la
foule et rejoint le Maître en le saluant avec respect. Jésus lui rend son
salut.
"Je voudrais te demander quelque chose, Maître."
"Parle."
"Je t'ai écouté par hasard un matin après la Pâque près d'un mont voisin des gorges de Carit.
Et depuis lors j'ai pensé que... je pouvais être moi aussi parmi ceux que tu
appelles. Mais avant de venir j'ai voulu savoir exactement ce qu'il est
nécessaire de faire et ce que l'on doit ne pas faire. Et j'ai interrogé tes
disciples chaque fois que je les ai rencontrés, et l'un me disait une chose
et l'autre une autre. Et j'étais incertain, presque épouvanté, parce qu'ils
étaient tous d'accord sur une chose avec plus ou moins d'intransigeance, et
c'était sur l'obligation d'être parfait. Moi... Je suis un pauvre homme,
Seigneur, et la perfection n'appartient qu'à Dieu... Je t'ai entendu une
deuxième fois... et Toi-même disais : "Soyez parfaits". Et je me
suis découragé. Une troisième fois, il y a quelques jours, au Temple. Et,
bien que tu fusses sévère, il ne me parut pas qu'il fût impossible de le
devenir, parce que... moi je ne sais même pas pourquoi, comment me
l'expliquer et te l'expliquer. Mais il me semblait que si c'était une chose
impossible, ou si c'était si dangereux de vouloir devenir comme de se faire
dieux, Toi, qui veux nous sauver, ne nous l'aurais pas proposé. Car la
présomption est un péché et vouloir être des dieux, c'est le péché de
Lucifer. Mais peut-être il y a une manière de l'être, pour le devenir sans
pécher, et c'est en suivant ta Doctrine qui est sûrement une doctrine de
salut. Est-ce que je dis bien ?"
"Tu dis bien. Et alors ?"
"Et alors, j'ai continué d'interroger tel ou tel et, ayant appris que tu
étais à Rama, j'y suis venu. Et depuis lors, avec la permission de mon père,
je t'ai suivi et voilà : de plus en plus je voudrais venir..."
"Et viens donc ! Que crains-tu ?"
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128> "Je ne sais pas... Je ne sais
même pas moi... Je demande, je demande... Mais toujours, tandis qu'en
t'écoutant il me paraît facile et je suis décidé à venir, ensuite, en
réfléchissant, et ce qui est pire, en demandant à tel ou tel, cela me paraît
trop difficile."
"Je te dis comment cela arrive : c'est
un piège du démon
pour t'empêcher de venir. Il t'effraie par des fantômes, t'embrouille, te
fait questionner des gens qui comme toi ont besoin de Lumière... Pourquoi
n'es-tu pas venu vers Moi directement ?"
"Parce que... j'avais... non pas peur, mais... Nos prêtres et rabbins !
Si durs et orgueilleux ! Et Toi... Je n'osais pas t'approcher. Mais à Emmaüs,
hier !... Oh ! je crois avoir compris que je ne dois pas avoir peur. Et
maintenant je suis ici, à te demander ce que je voudrais savoir. Tout à
l'heure, un de tes apôtres m'a dit : "Va et ne crains pas. Il est bon
même avec les pécheurs". Et un autre : "Rends-le heureux par ta
confiance. Celui qui se confie à Lui le trouve plus doux qu'une mère".
Et un autre encore : "Je ne sais si je me trompe, mais je te dis que Lui
te dira que la perfection réside dans l'amour". Voilà ce que m'ont dit
tes apôtres, certains du moins, plus doux que les disciples. Pas tous
cependant, car parmi les disciples, il y en a certains qui semblent un écho
de ta voix, mais ils sont trop peu nombreux. Et parmi les apôtres il y en a
certains qui... font peur à un pauvre homme comme moi. L'un d'eux m'a dit,
avec un rire qui n'était pas bon : "Tu veux devenir parfait ? Nous ne le
sommes pas nous qui sommes ses apôtres et toi, tu veux l'être ? C'est
impossible". Si les autres n'avaient pas parlé, je m'en serais enfui,
découragé, mais je fais la dernière tentative... et si Toi aussi tu vas me
dire que c'est impossible..."
514.3 - "Mon fils, et pourrais-je être
venu pour proposer aux hommes des choses impossibles ? Qui penses-tu qui t'a
mis dans le cœur ce désir de devenir parfait ? Ton cœur lui-même ?"
"Non, Seigneur. Je crois que c'est Toi par tes paroles."
"Tu n'es pas loin de la vérité. Mais réponds encore : pour toi mes
paroles que sont-elles ?"
"Justes."
"C'est bien. Mais je veux dire : des paroles d'homme ou de quelqu'un qui
est plus qu'un homme ?"
"Oh ! Toi, tu parles comme la Sagesse et avec plus de douceur et de
clarté encore. Aussi je dis que tes paroles sont de quelqu'un qui est plus
qu'un homme. Et je ne crois pas me tromper si j'ai bien compris ce que tu
disais dans le Temple, car il m'a semblé que Toi alors tu disais que tu es la
Parole même de Dieu et que donc tu parles en Dieu."
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129> "Tu as bien compris et bien
dit. Et alors qui t'a mis dans le cœur le désir de la perfection ?"
"C'est Dieu qui me l'a mis, par l'intermédiaire de Toi, sa Parole."
"Donc, c'est Dieu. Maintenant,
réfléchis : si Dieu, qui connaît les capacités des hommes, leur dit :
"Venez à Moi. Soyez parfaits"
cela signifie qu'il sait que l'homme, s'il le veut, peut le devenir. C'est
une parole ancienne. Elle a résonné la première fois aux oreilles d'Abraham
comme une révélation, un ordre, une invitation : "Je suis le Dieu Tout
Puissant. Marche en ma présence. Sois parfait". Dieu se manifeste pour
que le Patriarche n'ait pas de doute sur la sainteté du commandement et sur
la vérité de l'invitation. Il commande de marcher en sa présence, car celui
qui marche dans sa vie, convaincu de le faire sous le regard de Dieu,
n'accomplit pas de mauvaises actions. En conséquence, il se met dans la
condition de pouvoir devenir parfait comme Dieu l'invite à le devenir."
"C'est vrai ! C'est tout à fait vrai ! Si Dieu l'a dit, c'est que cela
peut être fait. Oh ! Maître ! Comme on comprend tout quand c'est Toi qui
parles ! Mais alors, pourquoi tes disciples, et même cet apôtre expriment-ils
une idée aussi... effrayante de la sainteté ? Peut-être ne croient-ils pas
vraies ces paroles et les tiennes ? Ou bien ils ne savent pas marcher en
présence de Dieu ?"
514.4 - "Ne pense pas à ce que c'est.
Ne juge pas. Vois, fils. Parfois leur désir d'être parfaits et leur humilité
leur fait craindre de ne pouvoir jamais le devenir."
"Mais alors le désir de la perfection et l'humilité sont des obstacles
pour devenir parfait ?"
"Non, fils. Le désir et l'humilité ne sont pas des obstacles. Il faut
même s'efforcer de les avoir profondément, mais ordonnés. Ils sont ordonnés
quand il n'y a pas de hâte inconsidérée, d'accablements sans raison, de
doutes et de défiance tels que de croire que, étant donnée l'imperfection de
son être, l'homme ne peut devenir parfait. Toutes les vertus sont nécessaires
et l'est aussi le vif désir d'arriver à la justice."
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130> "Oui. Ceux que j'ai interrogés
me le disaient aussi. Ils me disaient qu'il est nécessaire d'avoir les
vertus. Pourtant les uns estimaient nécessaire telle vertu et d'autres telle
autre, et tous affirmaient l'absolue nécessité de celle qu'ils préconisaient
comme indispensable pour être saint. Et cela m'effrayait, car comment peut-on
avoir toutes les vertus sous une forme parfaite, les faire naître ensemble
comme un bouquet de fleurs variées ? Il faut du temps... et la vie est si
courte ! Toi, Maître, explique-moi quelle est la vertu indispensable."
"C'est la charité. Si tu aimes, tu seras saint, car
c'est de l'amour pour le Très-Haut et pour le prochain que viennent toutes
les vertus et toutes les bonnes actions."
"Oui ? Ainsi, c'est plus facile. La sainteté, alors, c'est l'amour. Si
j'ai la charité, je possède tout... La sainteté est faite de cela."
"De cela, et des autres vertus. Car la sainteté, ce n'est pas
seulement d'être humble, ou seulement prudent, ou seulement chaste et cætera,
mais c'est être vertueux.
514.5 - Vois, mon fils : quand un riche veut
faire un banquet, est-ce que peut-être il commande un seul mets ? Et encore :
quand quelqu'un veut faire un bouquet de fleurs, pour l'offrir en hommage,
prend-il par hasard une seule fleur ? Non, n'est-ce pas ? Car s'il mettait
sur les tables des tas de plats d'un seul mets, ses convives le
critiqueraient comme un hôte incapable qui se préoccupe seulement de montrer
ses possibilités d'achat sans montrer sa finesse de seigneur préoccupé des
goûts divers de ses invités et qui veut que chacun, avec un mets ou un autre,
non seulement se rassasie, mais se régale. Et de même celui qui fait un
bouquet de fleurs : une seule fleur, si grande qu'elle soit, ne fait pas un
bouquet, mais il faut des fleurs nombreuses pour le faire et ainsi les
couleurs et les parfums variés charment l'œil et l'odorat et font louer le
Seigneur. La sainteté, que nous devons considérer comme un bouquet de fleurs
offert au Seigneur, doit être formée de toutes les vertus. Dans un esprit
c'est l'humilité qui prédominera, dans un autre la force, dans un autre la
continence, dans un autre la patience, dans un autre l'esprit de sacrifice ou
de pénitence, toutes vertus nées à l'ombre de la plante royale et
parfaitement parfumée de l'amour, dont les fleurs domineront toujours dans le
bouquet, mais ce sont toutes les vertus qui composent la sainteté."
"Et laquelle doit-on cultiver avec plus de soin ?"
"La charité. Je te l'ai dit."
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131> "Et ensuite ?"
"Il n'y a pas de méthode, mon fils. Si
tu aimes le Seigneur, Il te donnera ses dons, c'est-à-dire se communiquera à
toi, et alors les vertus que tu essaies de faire croître avec robustesse
croîtront sous le soleil de la Grâce."
"En d'autres termes, dans l'âme aimante se trouve Dieu qui opère
grandement ?"
"Oui, fils. Il y a Dieu qui opère grandement en laissant l'homme y
mettre de lui-même sa libre volonté de tendre à la perfection, ses efforts
pour repousser les tentations pour se conserver fidèle à ce qu'il se propose,
ses luttes contre la chair, le monde, le démon, quand ils l'assaillent et
cela pour que son fils ait du mérite dans sa sainteté."
"Ah ! voilà ! Alors il est très juste de dire que l'homme est fait pour
être parfait comme Dieu le veut. Merci, Maître. Maintenant je sais, et
maintenant je ferai. Et Toi, prie pour moi."
"Je te garderai dans mon cœur. Va, et ne crains pas que Dieu puisse te
laisser sans secours."
514.6 - Le jeune homme se sépare de Jésus,
tout content...
Ils sont maintenant près du village. Barthélemy,
avec Étienne,
rejoint Jésus pour Lui raconter que, pendant qu'il parlait avec le jeune
homme, quelqu'un de Bétéron, parent d'Elchias le
pharisien, était venu pour le prier de
l'amener tout de suite auprès de sa femme mourante.
"Allons. Je parlerai ensuite. Savez-vous où elle est ?"
"Il nous a laissé un serviteur. Il est en arrière avec les autres."
"Faites-le venir et pressons le pas."
Le serviteur accourt. C'est un robuste vieillard, il est consterné. Il salue
et regarde par en dessous Jésus qui lui sourit en lui demandant :
"De quoi meurt ta maîtresse ?"
"De... Elle devait avoir un enfant, mais il est mort dans son sein et
son sang s'est corrompu. Elle délire comme une folle et elle doit mourir. On
lui a ouvert les veines pour faire tomber la fièvre, mais le sang est
complètement empoisonné, et elle doit mourir. On l'a descendue dans la
citerne pour éteindre l'ardeur. Elle reste basse tant que la femme est dans
l'eau glacée, puis elle est plus forte qu'avant, et elle tousse, elle
tousse... et elle doit mourir."
"Naturellement ! Avec de pareils soins !" bougonne Matthieu entre ses dents.
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132> "Depuis quand est-elle malade
?"
514.7 - Le serviteur va répondre quand
arrive en courant par la descente, le chef du manipule romain .
Il s'arrête devant Jésus.
"Salut ! Tu es le Nazaréen ?"
"Je le suis. Que
veux-tu de Moi ?"
Ceux qui suivent Jésus accourent, croyant je ne sais quoi...
"Un jour un de nos chevaux a heurté un enfant hébreu, et tu l'as guéri
pour empêcher les hébreux de manifester contre nous .
Maintenant les pierres hébraïques ont fait tomber un soldat et il gît avec la
jambe fracturée. Je ne puis m'arrêter, je suis de service. Personne ne le
veut dans le village. Il ne peut marcher, je ne puis le traîner avec sa jambe
fracturée. Je sais que tu ne nous méprises pas, comme le font tous les
hébreux..."
"Tu veux que je guérisse le soldat ?"
"Oui, tu as guéri aussi le serviteur du Centurion
et la petite fille de Valeria.
Tu as sauvé Alexandre
de la colère de tes compatriotes. Cela se sait, en haut lieu et en bas."
"Allons trouver le soldat."
"Et ma maîtresse ?" demande le serviteur mécontent.
"Après."
Et Jésus marche derrière le gradé
qui dévore la route avec ses longues jambes musclées et dégagées de vêtements
encombrants. Mais même en marchant ainsi devant tous, il trouve le moyen de
dire quelques paroles à celui qui le suit immédiatement, et c'est Jésus, et
il dit :
"J'ai été avec Alexandre
autrefois. Lui te... Il parlait de Toi. Le hasard me met près de Toi en ce
moment."
"Le hasard ? Pourquoi ne pas dire Dieu, le
vrai Dieu ?"
Le soldat se tait un moment et puis il dit, de façon que Jésus seul entende :
"Le vrai Dieu serait celui des hébreux... Mais Il ne se fait pas aimer.
S'il est comme les hébreux ! Ils n'ont pas pitié, même d'un blessé..."
"Le vrai Dieu est le Dieu des hébreux, comme des romains, des grecs, des
arabes, des parthes, des scythes, des ibères, des gaulois, des celtes, des
libyens, et des hyperboréens. Il n'y a qu'un Dieu ! Mais beaucoup ne le connaissent
pas, d'autres le connaissent mal.
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133> S'ils le connaissaient bien, ils
seraient comme des frères et il n'y aurait pas d'injustices, de haines, de
calomnies, de vengeances, de luxure, de vols et d'homicides, d'adultères et
de mensonges. Moi, je connais le vrai Dieu, et je suis venu pour le faire
connaître."
"On dit... Nous devons avoir toujours les oreilles à l'écoute pour
rapporter aux centurions et eux au Proconsul. On dit que tu es Dieu. Est-ce
vrai ?"
Le soldat est très... préoccupé en le disant. Il regarde Jésus par dessous
l'ombre de son casque et il semble presque effrayé.
"Je le suis."
"Par Jupiter ! Est-il donc vrai que les dieux descendent pour converser
avec les hommes ? Avoir fait le tour du monde derrière les enseignes, et
venir ici, déjà vieux, pour trouver un dieu !"
"Le Dieu Unique. Pas un dieu" corrige Jésus.
Mais le soldat est anéanti à l'idée de précéder un dieu... Il ne parle
plus...
514.8 - Il réfléchit. Il réfléchit jusqu'au
moment où juste à l'entrée du village ils trouvent le détachement arrêté
autour du blessé qui gémit par terre.
"Voici !" dit le gradé avec beaucoup de
concision.
Jésus se fraie un passage et s'approche. La jambe a une mauvaise fracture, le
pied retourné vers l'intérieur et elle est déjà enflée et livide. L'homme
doit beaucoup souffrir, et voyant Jésus allonger une main, il dit suppliant :
"Fais-moi peu de mal !"
Jésus sourit. Il touche à peine du bout des doigts l'endroit où le cercle
livide indique la fracture et puis il dit :
"Lève-toi !"
"Mais il a une seconde fracture, plus haut, à la hanche" explique
le gradé, en voulant sûrement dire : "Tu ne la touches pas ?"
À ce moment voilà un habitant de Bétéron :
"Maître, Maître ! Tu perds ton temps avec des païens, et ma femme se
meurt !"
"Va et amène-la-moi."
"Je ne peux pas. Elle est folle !"
"Va et amène-la-moi, si tu as foi en Moi."
"Maître, on ne la tient pas. Elle est nue et on ne peut la vêtir. Elle
est folle et déchire ses vêtements. Elle est mourante et elle ne peut pas se
lever."
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134> "Va et amène-la-moi si ta foi n'est pas inférieure à celle de ces gentils."
L'homme s'en va, mécontent.
514.9 - Jésus regarde le romain étendu à ses
pieds :
"Et toi tu sais avoir foi ?"
"Moi, oui. Que dois-je faire ?"
"Te lever."
"Attention, Camille,
que..." commence à dire le gradé. Mais le soldat est déjà debout, agile,
guéri.
Les Israélites ne crient pas hosanna. Celui qui est guéri n'est pas un
hébreu. Ils semblent même mécontents, ou du moins leurs visages expriment une
critique de l'acte de Jésus. Mais les soldats ne le sont pas. Ils dégainent
leurs courtes et larges dagues et les lèvent dans l'air gris après les avoir
frappées sur leurs boucliers en signe de réjouissance. Jésus est au milieu du
cercle des lames.
Le gradé le regarde. Il ne sait comment s'exprimer, ce que faire, lui, homme
près d'un dieu, lui, païen près de Dieu... Il réfléchit et il trouve qu'au
moins il doit faire pour Dieu ce qu'il ferait pour César, et il commande le
salut militaire à l'imperator (je crois du moins qu'il en est ainsi car
j'entends résonner un "Ave !" puissant, pendant que les lames
scintillent quand ils les mettent presque horizontales tout en haut de leurs
bras tendus). Et, pas encore satisfait, le gradé Lui dit à voix basse :
"Va tranquillement, même de nuit. Les routes... toutes surveillées.
Service contre les voleurs. Tu seras en sûreté. Moi..."
Il s'arrête, ne sachant plus que dire.
Jésus lui sourit en disant :
"Merci, Va, et sois bon. Même avec les voleurs, sois humain. Fidèle à
ton service, mais sans cruauté. Ce sont des malheureux, et ils devront rendre
compte de leurs agissements à Dieu."
"Je le serai. Salut ! Je voudrais encore te voir..."
Jésus le regarde fixement, puis il dit :
"Nous nous reverrons. Sur un autre mont" .
Et il répète :
"Soyez bons. Adieu."
Les soldats se remettent en marche.
514.10 - Jésus entre dans le village. Il fait
quelques mètres et puis il voit venir à sa rencontre, et à celle de sa suite,
un groupe nombreux qui crie des commentaires. Et du groupe se détachent un
homme et une femme — l'homme de tout à l’heure — qui s'inclinent devant
Jésus, la femme à genoux, l'homme seulement incliné.
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135> "Levez-vous et louez le Seigneur.
Pourtant à toi, homme, je dois dire que ta conscience n'est pas limpide. Tu
t'es adressé à Moi par égoïsme, non par amour pour Moi, ni par foi en Moi. Tu
as douté de ma parole, et tu sais qui je suis ! Ensuite tu as eu une pensée
qui n'était pas bonne, parce que je m'arrêtais pour guérir un gentil, de même
que tout le village avait eu une attitude qui n'était pas bonne en refusant
d'accueillir le blessé. Par un excès de miséricorde, et pour chercher à
rendre bon ton cœur, j'ai
guéri ton épouse sans entrer chez toi. Tu ne le méritais
pas. Je l'ai fait pour te montrer qu'il n'est pas besoin que j'aille pour
agir, il suffit que je le veuille. Mais en vérité je vous dis, à vous tous,
que ceux que vous méprisez sont meilleurs que vous et savent, plus que vous,
croire en ma puissance. Lève-toi, femme. Tu n'es pas coupable car tu ne
jouissais pas de ta raison. Va, et sache croire désormais par reconnaissance
pour le Seigneur."
L'attitude des habitants devient froide et hautaine sous le reproche de
Jésus. Ils le suivent renfrognés jusqu'à la place où il s'arrête pour parler,
étant donné que le chef de la synagogue ne l'invite pas à entrer dans la
synagogue et qu'aucune maison ne s'ouvre au Maître.
514.11 - "Quand Dieu est avec les hommes,
les hommes peuvent tout contre le malheur quel que soit son nom. Quand Dieu,
au contraire, n'est pas avec les hommes, ils ne peuvent rien contre le
malheur. Cette ville, dans ses chroniques, rappelle plus d'une fois ces
choses, Dieu était avec Josué, et Josué défit les rois chananéens, et sur cette
route Dieu l'aida à détruire les ennemis d'Israël "en envoyant sur eux
du ciel de grosses pierres, et il en périt davantage par la grêle de pierres
que par l'épée" lit-on dans le livre de Josué.
Dieu était avec Judas Maccabée qui s'avança sur cette
colline avec sa petite armée pour regarder l'armée puissante de Séron, chef
des troupes syriennes, et Dieu confirma les paroles du chef d'Israël par une
victoire retentissante.
Mais la condition nécessaire pour avoir Dieu avec nous, c'est d'agir pour un
motif de justice. "Dans les batailles, la victoire ne dépend pas du
nombre, mais de l'aide qui vient du Ciel"
dit le Maccabée.
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136> Dans toutes les choses de la vie,
le bien vient non pas de la richesse, de la puissance ou d'autres causes,
mais du secours
qui vient du Ciel. Et il vient parce qu'on demande son secours pour des choses
bonnes, pour nos vies et nos lois, dit encore le Maccabée. Mais quand on
recourt à Dieu pour des fins mauvaises ou impures, il est vain d'appeler son
secours. Dieu ne répondra pas, ou Il répondra par des châtiments au lieu de
bénédictions.
Cette vérité est trop oubliée à présent en Israël et on veut que Dieu aide et
on l'invoque pour des fins qui ne sont pas bonnes. On ne pratique pas les
vertus, et on n'observe pas les commandements d'une manière réelle,
c'est-à-dire que, des commandements, on fait ce qui peut être vu et loué par
les hommes, mais bien différent est ce que cache l'apparence.
Moi, je viens pour dire : soyez sincères dans vos actions car Dieu voit tout
et inutiles sont les sacrifices, vaines les prières si on les fait par pure
ostentation de culte alors que le cœur est rempli de péché, de haine, de
désirs mauvais.
514.12 - Bétéron, que tes habitants ne
fassent pas ce que Abdias dit d'Edom .
Edom, qui se croyait en sécurité, se permettait d'opprimer Jacob et de se
réjouir de ses défaites. N'agis pas ainsi, ville sacerdotale .
Prends et médite le rouleau d'Abdias. Médite, médite, médite. Et change ton
chemin. Suis la justice si tu ne veux pas connaître des jours d'horreur. Tu
ne seras pas sauvée alors par ta situation sur ce sommet, ni d'être
apparemment hors des routes de la guerre. Moi, je vois chez toi beaucoup de
gens qui n'ont pas Dieu avec eux, et qui ne veulent pas de Dieu. Vous
murmurez ? Moi, je vous dis la vérité. Je suis monté jusqu'ici pour vous la
dire, pour vous sauver encore.
Ne portiez-vous pas un seul nom ? Israël n'était-il pas tout ? Pourquoi donc
s'est-il divisé et a-t-il pris deux noms
? Oh ! vraiment cela me rappelle le mariage d'Osée avec la femme de
prostitution et les enfants qui sont nés de celle qui a forniqué.
Mais que dit le prophète ? "Le nombre des enfants d'Israël sera comme
celui des grains de sable de la mer... Et alors au lieu de leur dire :
'Vous n'êtes pas mon peuple' il leur sera dit : 'Vous êtes les fils du Dieu
vivant' .
Et les fils de Judas et ceux d'Israël se réuniront et éliront un seul chef et
ils monteront de la Terre car grand est le jour de Jizreël (Jezraël)".
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137> Oh ! mais pourquoi critiquez-vous
Celui qui doit tout réunir et faire un seul peuple, un grand peuple, unique
comme l'est Dieu, d'aimer tous les fils de l'homme parce qu'ils sont tous
fils de Dieu et qui doit faire fils du Dieu vivant, même ceux qui présentement
semblent morts ? Et pouvez-vous juger mes actions et leur cœur et le vôtre ?
D'où vous vient la lumière ? La lumière vient de Dieu. Mais si Dieu m'envoie
avec la charge de réunir tous les hommes sous un seul sceptre, comment
pouvez-vous avoir une lumière qui soit vraiment divine si elle vous montre
les choses d'une manière contraire à comme les voit Dieu ? Et pourtant vous
voyez d'une manière contraire à ce que voit Dieu.
Ne murmurez pas. C'est la vérité. Vous êtes hors de la justice, mais
davantage le sont ceux qui vous entraînent à l'injustice, et ils seront
doublement punis. Vous m'accusez de forniquer avec l'ennemi, avec celui qui
nous domine. Je lis dans vos cœurs. Mais vous, ne forniquez-vous pas avec
Satan en vous faisant les partisans de ceux qui combattent le Fils de
l'homme, l'Envoyé de Dieu ? Voilà que vous me haïssez. Mais je connais le
visage de celui qui vous instille la haine.
Comme il est dit dans Osée, je suis venu avec les mains chargées de dons et
le cœur rempli d'amour, j'ai cherché à vous attirer avec les manières les
plus douces pour me faire aimer. J'ai parlé à mon peuple comme un époux à son
épouse en lui offrant un éternel amour, et la paix, la justice, la
miséricorde.
Il reste encore une heure pour empêcher le peuple qui me repousse, les chefs
qui l'excitent - Moi, je les connais - de rester sans roi, sans chef, sans
sacrifice et sans autel. Mais près de la tanière, où la haine est plus forte
et où le châtiment sera plus grand, voici que l'on travaille à acheter les
consciences pour les conduire au crime. Oh ! en vérité ceux qui détournent et
dévoient les consciences seront jugés sept fois plus sévèrement que ceux
qu'ils ont dévoyés.
Allons. Je suis venu et j'ai fait un miracle et je vous ai dit la vérité pour
que vous sachiez qui je suis. Maintenant je m'en vais. Et si parmi vous il y
a un seul juste, qu'il me suive, car bien triste est l'avenir de ce lieu
où se nichent les serpents pour séduire et trahir."
Et Jésus se retourne pour prendre la route par laquelle il est venu.
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138> 514.13 - "Pourquoi,
ô Rabbi, leur as-tu parlé ainsi ? Ils vont te haïr" demandent les
apôtres.
"Je ne cherche pas à conquérir
l'amour en pactisant avec le mensonge."
"Mais ne valait-il pas mieux ne pas venir ?"
"Non. Il ne faut laisser aucun doute."
"Et qui as-tu convaincu ?"
"Personne. Pour le moment, personne. Mais bientôt, on dira : "Nous
ne pouvons maudire personne car nous avons été prévenus et nous n'avons pas
agi". Et s'ils reprochent à Dieu de les frapper, leurs reproches seront
comme un blasphème."
"Mais à qui voulais-tu faire allusion en disant..."
"Demandez-le à Judas de Kérioth.
Il connaît beaucoup de gens de cet endroit, et il connaît leurs
astuces."
Tous les apôtres regardent Judas.
"Oui. L'endroit est presque sous la coupe d'Elchias.
Mais... je ne crois pas que Elchias..."
Les paroles meurent sur les lèvres de Judas qui, en levant le regard de sa
ceinture qu'il ajustait pour se donner une contenance, rencontre le regard de
Jésus, un regard tellement étincelant et pénétrant, qu'il semble magnétique.
Il baisse la tête et achève :
"Il est sûr que c'est un pays orgueilleux et odieux, digne de celui qui
le domine. Chacun a ce qu'il mérite. Eux ont Elchias, nous Jésus, et le
Maître a bien fait de leur faire savoir qu'il sait. Très bien."
"Ils sont certainement mauvais. Vous avez vu ? Pas même un salut après
le miracle ! Ni une obole ! Rien !" observe Philippe.
"Moi, cependant, je tremble quand le Maître les démasque ainsi"
soupire André.
"Le faire ou ne pas le faire, c'est pareil. Ils le haïssent de la même
façon. Moi, je voudrais revenir en Galilée !" dit Jean.
"En Galilée ! Oui !" dit Pierre en soupirant et il baisse la tête,
pensif.
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