Le jeudi 7 juin 1945.
173> 180.1 – Nous voici de nouveau dans la
cuisine de Pierre. Le repas a été copieux car les plats, avec les restes de poisson
et de viande, de fromage, de fruits secs ou du moins flétris, de fouaces de
miel, s'entassent sur une sorte de crédence qui rappelle un peu nos maies de
Toscane. Les amphores et les coupes sont encore en désordre sur la table.
L'épouse de Pierre
a fait des miracles pour faire plaisir à son mari et elle a travaillé toute
la journée. Maintenant, fatiguée mais contente, elle reste dans son coin et
écoute ce que dit son homme et ce que disent les autres. Elle le regarde, son
Simon qui, pour elle, doit être un grand homme, même s'il est un peu
exigeant. Quand elle l'entend parler avec des paroles nouvelles lui qui
auparavant ne parlait que de barques, de filets, de poisson et d'argent, elle
cligne des yeux comme si elle était éblouie par une lumière trop vive.
Pierre, soit par joie d'avoir Jésus à sa table, soit par joie du copieux
repas qui a été servi, est vraiment en veine ce soir et en
lui se révèle le futur Pierre qui prêchera aux foules.
Je ne sais quelle observation d'un compagnon a donné naissance à la réponse
bien frappée de Pierre :
"Il leur arrivera comme aux bâtisseurs de la tour de Babel.
Leur orgueil provoquera l'écroulement de leurs théories et ils en seront
écrasés."
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174> André objecte à son frère :
"Mais Dieu est Miséricorde. Il empêchera l'écroulement pour leur donner
le temps de se repentir."
"Ne le pense pas. Pour couronner leur orgueil, ils emploieront la
calomnie et la persécution. Oh ! moi, déjà je le pressens. Persécutions
contre nous, pour nous disperser comme des témoins odieux. Et comme ils
attaqueront traîtreusement la Vérité, Dieu exercera sa vengeance et ils
périront."
"Aurons-nous la force de résister ?" demande Thomas.
"Voilà... moi je ne l'aurais pas, mais je me fie à Lui" et Pierre
montre le Maître qui écoute et se tait debout la tête un peu inclinée comme
pour cacher son visage expressif.
"Je pense que Dieu ne nous donnera pas d’épreuves supérieures à nos
forces" dit Mathieu.
"Ou pour le moins Il augmentera les forces en proportion des
épreuves" conclut Jacques d'Alphée.
180.2 – "Il le fait déjà. J'étais
riche et puissant. Si Dieu n'avait pas voulu me garder pour ses desseins,
j'aurais péri désespéré quand je fus persécuté et lépreux.
Je me serais acharné contre moi-même... Au lieu de cela, sur mon complet
écroulement descendit une richesse nouvelle que je n'avais jamais possédée
auparavant : la richesse d'une certitude : "Dieu existe".
Avant... Dieu... Oui, j'étais croyant, j'étais un fidèle israélite. Mais
c'était une foi de formalismes. Et il me semblait que sa récompense était
toujours inférieure à mes vertus. Je me permettais de discuter avec Dieu car
je me sentais encore quelque chose sur la terre. Simon Pierre a raison. Moi
aussi je construisais une tour de Babel avec les autolouanges
et les satisfactions de mon moi. Quand tout s'écroula sur moi et que
je fus un ver écrasé sous le poids de tout cet inutile humain, alors je n'ai
plus discuté avec Dieu mais avec moi-même, avec mon fou moi-même, et je finis
de le démolir.
Et plus je le faisais, en faisant un chemin à ce que je pense qu'est le Dieu
immanent au-dessus de notre être de terrestres, voilà que je rejoignais une
force, une richesse nouvelle.
La certitude que je n'étais pas seul et que Dieu veillait sur l'homme vaincu
par l'homme et par le mal."
"Selon toi, que penses-tu que soit Dieu, celui que tu as dit :
"le Dieu immanent au-dessus de notre être de terrestres" ? Que
veux- tu dire ? Je ne comprends pas et cela me semble une hérésie. Dieu
est celui que nous connaissons à travers la Loi et les Prophètes, Il n'y en a
pas d'autre" dit, un peu sévère, Judas l'Iscariote.
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175> "Si Jean était là, il le
dirait mieux que moi,
mais moi je le dis comme je sais. Dieu est celui que nous connaissons à
travers la Loi et les Prophètes, c'est vrai. Mais en quoi Le
connaissons-nous ? Comment ?"
Jude d'Alphée bondit :
"Peu et mal. Les Prophètes, qui nous l'ont décrit, eux Le connaissaient
encore. Mais nous, nous en avons une idée confuse qui filtre au travers d'un
encombrement d'un tas d'explications qu'ont accumulées les sectes..."
"Des sectes ? Mais comment parles-tu ? Nous n'avons pas de
sectes. Nous sommes les fils de la Loi. Tous" dit l'Iscariote indigné,
agressif.
"Les fils des lois, mais pas de la Loi. Il y a une légère
différence entre le singulier et le pluriel. Mais dans la réalité, voilà ce
qu'il en est : nous sommes les fils de ce que nous avons créé et non
plus de ce que Dieu nous a donné" réplique Thaddée.
"Les lois sont nées de la Loi" dit l'Iscariote.
"Les maladies aussi naissent de notre corps, et tu ne voudrais pas me
dire que ce sont de bonnes choses" réplique Thaddée.
"Mais permettez-moi de savoir ce qu'est le Dieu immanent de Simon le
Zélote."
L'Iscariote, qui ne peut répliquer à l'observation de Jude d'Alphée, essaie
de ramener la question au point de départ.
180.3 – Simon le Zélote dit :
"À nos sens, il faut toujours un terme pour saisir une idée. Chacun de
nous, je parle de nous qui croyons, croit par la force de la foi au Très-Haut
Seigneur et Créateur, Dieu éternel qui est au Ciel. Mais tout être a besoin
de physique, cette foi nue, vierge, incorporelle, apte et suffisante aux
anges qui voient et aiment Dieu spirituellement, partageant avec Lui la
nature spirituelle et ayant la capacité de voir Dieu. Nous nous avons besoin
de nous créer une "image" de Dieu. Cette image est faite des
qualités essentielles que nous donnons à Dieu pour donner un nom à sa
perfection absolue, infinie. Plus l'âme se concentre, et plus elle arrive à
rejoindre l'exactitude dans la connaissance de Dieu. Voici ce que j'entends
par "le Dieu immanent". Je ne suis pas un philosophe. Peut-être le
terme s'applique-t-il mal. Mais en somme pour moi le Dieu immanent c'est le
sentiment de Dieu, la perception de Dieu en notre esprit, et Le sentir
et Le percevoir non plus comme une idée abstraite mais comme une présence
réelle qui nous donne une force et une paix nouvelle."
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176> "C'est bien. Comment en as-tu
le sentiment ? Quelle différence y a-t il entre sentir par la foi et
sentir par l'immanence ?" demande l'Iscariote un peu ironique.
"Dieu est sécurité, garçon" dit Pierre.
"Quand tu en as le sentiment comme dit Simon, en employant ce terme que
littéralement je ne comprends pas mais dont je comprends l'esprit - et crois
bien que notre mal est de comprendre la lettre, mais pas l'esprit des paroles
de Dieu - cela veut dire que tu réussis à saisir non seulement le concept de
la majesté terrible mais de la très douce paternité de Dieu. Cela veut dire
que tu as le sentiment que quand le monde entier te jugerait et te
condamnerait injustement, Un seul, Lui, l'Éternel qui est pour toi un Père,
ne te juge pas mais t'absout et te console. Cela veut dire que tu as le
sentiment que quand tout le monde te haïrait tu sentirais sur toi un amour
plus grand que le monde entier. Cela veut dire qu'isolé dans une prison ou un
désert tu sentirais toujours que Quelqu'un te parle et te dit :
"Sois saint pour être comme ton Père". Cela veut dire que par un
amour vrai envers le Dieu Père, que finalement on arrive à percevoir tel, on
accepte, on travaille, on prend ou on laisse sans mesure humaine, en ne
pensant qu'à rendre amour pour amour, qu'à copier Dieu le plus possible dans
ses propres actions."
"Tu es orgueilleux ! Copier Dieu ! Cela ne t'est pas
accordé" juge l'Iscariote.
"Ce n'est pas de l'orgueil. L'amour mène à l'obéissance. Copier Dieu me semble
encore une forme d'obéissance puisque Dieu dit nous avoir fait à son image et
à sa ressemblance"
réplique Pierre.
"Il nous a faits. Nous, nous ne devons pas monter plus haut."
"Mais tu es un malheureux, si tu penses ainsi, cher garçon ! Tu
oublies que nous sommes déchus et que Dieu veut nous ramener à ce que nous
étions."
180.4 – Jésus prend la parole :
"Davantage encore, Pierre, Judas et vous tous.
La perfection d'Adam était encore susceptible de grandir grâce à l'amour qui l'aurait
amené à une image toujours plus exacte de son Créateur. Adam, sans la tache
du péché, aurait été un très pur miroir de Dieu.
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177> C'est pour cela que je dis :
"Soyez parfaits comme est parfait le Père qui est aux Cieux".
Comme le Père, donc comme Dieu. Pierre a très bien parlé, ainsi que Simon. Je
vous prie de vous rappeler leurs paroles et de les appliquer à vos
âmes."
Il s'en faut de peu que l'épouse de Pierre s'évanouisse de joie d'entendre
louer ainsi son mari. Elle pleure derrière son voile, tranquille et
bienheureuse. Pierre semble avoir une attaque d'apoplexie tant il devient
rouge. Il reste muet un moment, et puis il dit : "Eh bien, alors,
donne-moi la récompense. La parabole de ce matin..."
Les autres aussi s'unissent à Pierre en disant :
"Oui, tu l'as dit. Les paraboles sont bien utiles pour faire comprendre
la comparaison, mais nous, nous comprenons qu'elles ont un sens qui dépasse
la comparaison.
180.5 – Pourquoi leur parles-tu à eux
en paraboles ?"
"Parce qu'à eux il n'est pas accordé de comprendre plus que ce que j'explique.
À vous il est donné beaucoup plus parce que vous, mes apôtres, devez
connaître le mystère, et il vous est par conséquent donné de comprendre les
mystères du Royaume des Cieux. C'est pour cela que je vous dis:
"Demandez si vous ne comprenez pas l'esprit de la parabole". Vous
donnez tout et tout vous est donné pour qu'à votre tour vous puissiez tout
donner. Vous donnez tout à Dieu: affections, temps, intérêts, liberté, vie.
Et Dieu vous donne tout en compensation et pour vous rendre capables de tout
donner au nom de Dieu à qui vient après vous. Ainsi à celui qui a donné il
sera donné et abondamment. Mais à celui qui n'a donné qu'en partie ou qui n'a
pas donné du tout, on enlèvera même ce qu'il a.
Je leur parle en paraboles pour qu'en voyant, ils découvrent seulement ce
qu'éclaire leur volonté d'adhésion à Dieu, pour qu'en écoutant, toujours par
leur volonté d'adhésion, ils entendent et comprennent. Vous, vous
voyez ! Beaucoup de gens entendent ma parole, peu adhèrent à Dieu. Leurs
esprits sont privés de la bonne volonté. En eux s'accomplit la prophétie
d'Isaïe: "Vous écouterez avec vos oreilles et vous n'entendrez pas. Vous
regarderez de vos yeux et vous ne verrez pas ".
Parce que ce peuple a un cœur insensible, les oreilles dures et les yeux fermés
pour ne pas voir et ne pas entendre, pour ne pas entendre avec leurs cœurs et
ne pas se convertir pour que je les guérisse.
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178>
Mais bienheureux êtes-vous à cause de vos yeux qui voient et de vos oreilles
qui entendent, à cause de votre bonne volonté ! En vérité je vous dis
que beaucoup de Prophètes et beaucoup de justes ont désiré voir ce que vous
voyez et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l'ont point
entendu.
Ils se sont consumés dans le désir de comprendre le mystère des paroles mais,
une fois éteinte la lumière de la prophétie, voilà que les paroles sont
restées comme des charbons éteints, même pour le saint qui les avait eues.
Seul Dieu se révèle Lui-même. Quand sa lumière se retire, ayant atteint son
but d'éclairer le mystère, l'incapacité de comprendre enserre, comme les
bandelettes d'une momie, la vérité royale de la parole reçue. C'est pour cela
que je t'ai dit ce matin :
"Un jour viendra où tu retrouveras tout ce que je t'ai donné".
Maintenant tu ne peux retenir. Mais plus tard la lumière viendra sur toi, non
pas pour un instant, mais pour un indissoluble mariage de l'Esprit Éternel
avec le tien, qui rendra infaillible ton enseignement en ce qui concerne le
Royaume de Dieu. Et comme ce sera pour toi, ce sera pour tes successeurs s'ils
vivent de Dieu comme d'un unique pain.
180.6 – Maintenant, écoutez l'esprit
de la parabole.
Nous avons quatre sortes de champs : ceux qui sont fertiles, ceux qui
sont encombrés d'épines, ceux où abondent les pierres, ceux qui sont pleins
de sentiers. Nous avons aussi quatre sortes d'esprits.
Nous avons les esprits honnêtes, les esprits de bonne volonté, préparés par
leur travail et par le bon travail d'un apôtre, d'un "véritable"
apôtre, car il y en a qui en ont le nom, mais pas l'esprit.
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179> Ils sont plus meurtriers sur les
esprits en voie de formation que les oiseaux, les épines et les cailloux eux-mêmes.
Avec leurs intransigeances, leurs hâtes, leurs reproches, avec leurs menaces,
ils déroutent de telle façon qu'ils éloignent pour toujours de Dieu. Il y en
a d'autres à l'opposé qui, par un arrosement continuel de bienveillance
déplacée, font pourrir la semence dans une terre trop molle. Par leur manque
de virilité ils dévirilisent les âmes dont ils s'occupent.
Mais n'envisageons que les vrais apôtres, ceux qui sont de purs miroirs de
Dieu. Ils sont paternels, miséricordieux, patients et en même temps forts
comme leur Seigneur. Voilà que les esprits préparés par eux et par leur
propre volonté sont comparables aux champs fertiles sans cailloux et sans
ronces, nets de chiendent et d'ivraie. En eux prospère la parole de Dieu et
toute parole : une semence fait une touffe et des épis, en donnant ici
le cent pour cent, ailleurs le soixante, ailleurs encore le
trente pour cent.
Y en a-t-il parmi ceux qui me suivent ? Certainement et ils seront
saints. Parmi eux, il y en a de toutes les castes, de tous les pays. Il y a
même des gentils et qui pourtant donneront le cent pour cent par leur bonne
volonté, uniquement par elle, ou bien par elle et celle d'un apôtre ou d'un
disciple qui me les prépare.
Les champs épineux sont ceux où l'incurie a laissé pénétrer les
enchevêtrements épineux des intérêts personnels qui étouffent la bonne
semence. Il faut se surveiller toujours, toujours, toujours. Il ne faut
jamais dire : "Oh ! désormais je suis formé, ensemencé, je
puis être tranquille que je donnerai des semences de vie éternelle". Il
faut se surveiller : la lutte entre le Bien et le Mal est continuelle.
Avez-vous jamais observé une tribu de fourmis qui s'installent dans une
maison ? Les voilà sur le foyer. La femme n'y laisse plus de nourriture
et la met sur la table; et elles flairent l'air et donnent l'assaut à la
table. La femme les met dans la crédence, et elles passent par la serrure. La
femme suspend ses provisions au plafond, et elles font un long chemin le long
des murs et des soliveaux, elles descendent le long des cordes et dévorent.
La femme les brûle, les empoisonne et puis reste tranquille, croyant les
avoir détruites. Oh ! si elle ne veille pas, quelle surprise !
Voilà que sortent celles qui viennent de naître et tout est à recommencer. C'est
ainsi tant qu'on vit. Il faut se surveiller pour extirper les mauvaises
plantes dès qu'elles sortent, dans le cas contraire elles font un plafond de
ronces et étouffent la graine. Les soucis mondains, la duperie des richesses
créent l'enchevêtrement, noient les plantes semées par Dieu et les empêchent
de former l'épi.
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180> Voici maintenant les champs pleins
de cailloux. Combien il y en a en Israël ! Ce sont ceux qui
appartiennent aux "fils des lois" comme l'a dit très justement mon
frère Jude. Il ne s'y trouve pas la Pierre unique du Témoignage, il n'y a pas
la Pierre de la Loi. Il y a la pierraille des petites, pauvres lois humaines
créées par les hommes. Tant et tant qui, par leur poids, ont fait une carapace
même à la Pierre de la Loi. C'est une ruine qui empêche tout enracinement de
la semence. La racine n'est plus nourrie. Il n'y a plus de terre, plus de
sucs nourriciers. L'eau fait pourrir parce qu'elle stagne sur les pavés des
sillons. Le soleil échauffe les sillons et brûle les petites plantes. Ce sont
les esprits de ceux qui ont remplacé par des doctrines humaines compliquées
la simple doctrine de Dieu. Ils reçoivent, et même avec joie, ma parole. Sur
le coup, elle les ébranle et les séduit. Mais ensuite... Il faudrait de
l'héroïsme pour piocher jusqu'à débarrasser le champ, l'âme et l'esprit de
toute la pierraille des rhéteurs. Alors la semence s'enracinerait et
formerait une forte touffe. Autrement... elle ne donne rien. Il suffit de la
crainte de représailles humaines. Il suffit d'une réflexion :
"Mais, après cela ? Que me feront-ils, les puissants ?"
et la pauvre semence languit sans nourriture. Il suffit que toute la
pierraille s'agite avec le son vain des cent et cent préceptes qui se sont substitués
au Précepte et voilà que l'homme périt avec la semence qu’il a reçue...
Israël est rempli de ces hommes. Ceci explique comment le chemin vers Dieu va
en sens inverse de celui de la puissance humaine.
Enfin, pour finir, les champs pleins de sentiers, poussiéreux, dénudés. Ce
sont ceux des mondains, des égoïstes. Leur confort est leur loi, la
jouissance est leur but. Ne pas se fatiguer, sommeiller, rire, manger...
L'esprit du monde est roi chez eux. La poussière de la mondanité couvre le
terrain qui devient stérile. Les oiseaux, qui symbolisent la dissipation, se
précipitent sur les mille sentiers qu'on a ouverts pour rendre la vie plus
facile. L'esprit du monde, c'est-à-dire du Malin, dévore et détruit toute
semence qui tombe sur ce terrain ouvert à toutes les sensualités et à toutes
les légèretés.
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181> 180.7 – Avez-vous compris ?
Avez-vous autre chose à demander ? Non ? Alors nous pouvons aller
nous reposer pour partir demain pour Capharnaüm. Je dois aller encore dans un
endroit avant de commencer le voyage vers Jérusalem pour la Pâque."
"Passerons-nous encore par Arimathie ?" demande l'Iscariote.
"Ce n'est pas sûr. Cela dépend des..."
On a frappé violemment à la porte.
"Mais qui peut-il être à cette heure ?" dit Pierre en se
levant pour aller ouvrir.
C'est Jean qui se présente, bouleversé, couvert de poussière avec des marques
visibles de pleurs sur le visage.
"Toi ici ? s'écrient-ils tous. Mais qu'est-il arrivé ?"
Jésus qui s'est levé dit seulement :
"La Mère, où est-elle ?"
Jean s'avance, va s'agenouiller aux pieds de son Maître, tendant les bras
comme pour avoir du secours et dit : "La Mère se porte bien, mais
elle est en larmes comme moi, comme tant de gens et elle te prie de ne pas
venir en suivant le Jourdain de notre côté.
Elle m'a fait revenir pour cela parce que... parce que Jean, ton cousin a été
fait prisonnier..."
Et Jean pleure alors qu'un grand émoi saisit ceux qui sont présents.
Jésus devient très pâle mais ne se trouble pas. Il dit seulement :
"Lève-toi et raconte."
"J'allais vers le sud avec la Mère et les femmes. Isaac et aussi Timon
étaient avec nous. Trois femmes et trois hommes. J'ai obéi à ton ordre de
conduire Marie auprès de Jean... ah ! Tu le savais que c'était le
dernier adieu !... Que ce devait être le dernier adieu. Les orages des
jours derniers nous ont fait arrêter quelques heures, mais cela a suffi pour
que Jean ne pût plus voir Marie ... Nous sommes arrivés à la sixième heure et
lui avait été pris au chant du coq ..."
"Mais où ? Mais comment ? Par qui ? Dans sa
grotte ?"
Tout le monde questionne, tous veulent savoir.
"Il a été trahi. On s'est servi de ton Nom pour le trahir !"
"Quelle horreur ! Mais qui était-ce ?" crient-ils tous.
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182> Et Jean, en frissonnant dit tout bas
cette horreur que l'air lui-même ne devrait pas entendre :
"Par l'un de ses disciples ..."
L'émoi est à son comble. Les uns maudissent, d'autres pleurent, d'autres
abasourdis restent immobiles comme des statues.
180.8 – Jean s'attache au cou de Jésus
et crie :
"J'ai peur pour Toi ! pour Toi ! pour Toi ! Les saints
ont leurs traîtres qui se vendent pour de l'or, pour de l'or et par peur des
grands, par l'appât d'une récompense, par... par soumission à Satan. Pour
mille et mille choses ! Oh ! Jésus, Jésus, Jésus ! Quelle
douleur ! Mon premier maître ! Mon Jean qui m'a donné à
Toi !"
"Du calme ! Il ne m'arrivera rien pour le moment."
"Mais après ? Mais après ? Je me regarde... je regarde ceux-ci
... j'ai peur de tous, même de moi. Il y aura parmi nous ton traître..."
"Mais tu es fou ? Et tu crois que nous ne le mettrions pas en
pièces ?" crie Pierre.
Et l'Iscariote :
"Oh ! vraiment fou ! Moi, je ne trahirai jamais. Mais, si je
me sentais affaibli au point de le faire, je me tuerais.
Cela vaut mieux que d'être le meurtrier de Dieu."
Jésus se dégage de l'étreinte de Jean et secoue rudement l'Iscariote en lui
disant :
"Ne blasphème pas ! Rien ne pourra t'affaiblir si tu ne le veux
pas. Et si cela arrivait, il faudrait pleurer et ne pas commettre un
crime qui s'ajoute au déicide. Devient faible celui qui rompt le lien vivant
avec Dieu."
180.9 – Puis il se tourne vers Jean
qui pleure, la tête appuyée sur la table et il dit :
"Parle avec ordre. Moi aussi je souffre. C'était mon sang et mon
Précurseur."
"Je n'ai vu que ses disciples, une partie d'entre eux, consternés et
furieux contre le traître. Les autres ont accompagné Jean à la prison pour
être à côté de lui à sa mort."
"Mais il n'est pas encore mort... l'autre fois il a pu s'enfuir"
dit le Zélote qui aime beaucoup Jean, pour essayer de le réconforter.
"Il n'est pas encore mort, mais il mourra" répond Jean.
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183> "Oui, il mourra. Il le sait
comme Moi, je le sais.
Rien, ni personne ne le sauvera cette fois. Quand ? Je ne sais pas. Je
sais qu'il ne sortira pas vivant des mains d'Hérode."
"Oui, d'Hérode. Écoute. Il est allé vers cette
gorge par laquelle nous sommes passés, nous aussi en revenant en Galilée,
entre les monts Ebal et Garizim, parce que le
traître lui avait dit : "Le Messie est mourant après avoir été
assailli par des ennemis. Il veut te voir pour te confier un secret". Et
il est parti avec le traître et quelques autres. À l'ombre du vallon étaient
les soldats d'Hérode qui l'ont pris. Les autres se sont enfuis, apportant la
nouvelle aux disciples restés près d'Hennon. Ils venaient d'arriver quand je
les ai rejoints avec la Mère. Et ce qui est horrible, c'est que c'était un de
nos régions... et que ce sont les pharisiens de Capharnaüm qui sont à la tête
du complot.
Ils étaient allés le trouver en disant que tu avais été leur hôte et que, de
là, tu étais parti pour la Judée... Il ne serait pas sorti de son refuge pour
un autre que Toi ..."
180.10 – Un silence de mort succède au
récit de Jean. Jésus semble à bout: ses yeux d'un bleu très sombre sont comme
embués. Il est là, la tête inclinée, la main encore posée sur l'épaule de
Jean et sa main est agitée par un léger tremblement. Personne n'ose parler.
Jésus rompt le silence :
"Nous irons en Judée par une autre route. Mais demain je dois aller à
Capharnaüm, le plus tôt possible. Reposez- vous. Je monte dans les oliviers.
J'ai besoin d'être seul."
Et il sort sans rien ajouter.
"Il va certainement pleurer" murmure Jacques d'Alphée.
"Suivons-le, frère" dit Jude Thaddée.
"Non, laissez-le pleurer. Seulement, sortons doucement et soyons à
l'écoute. Je crains des pièges de tous côtés" répond le Zélote.
"Oui, allons. Nous pêcheurs sur la rive et si quelqu'un vient du large,
nous le verrons. Vous parmi les oliviers. Il est sûrement à sa place
habituelle, près du noyer. À l'aube nous préparerons les barques pour partir
au plus vite. Ces serpents ! Hé ! je l'ai dit, moi ! Dis,
garçon ? Mais... la Mère est elle bien en sûreté ?"
"Oh ! oui ! Même les bergers disciples de Jean sont allés avec
elle. André... nous ne le verrons plus, notre Jean !"
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184> "Tais-toi !
Tais-toi ! Il me semble que c'est comme le chant du coucou... L'un précède
l'autre et... et..."
"Pour l'Arche Sainte ! Taisez-vous ! Si vous parlez encore de
malheur au Maître, je commence par vous faire apprécier le goût de ma rame
sur vos reins !" crie Pierre furieux. "Vous" dit-il
ensuite à ceux qui restent parmi les oliviers "prenez des bâtons, de
grosses branches. Il y en a là, dans le bûcher et disséminez-vous avec vos
armes. Le premier qui s'approche de Jésus pour Lui nuire, qu'on le tue."
"Les disciples ! Les disciples ! Il faut être prudent avec les
nouveaux !" s'exclame Philippe.
Le nouveau disciple se sent blessé et dit :
"Doutes-tu de moi ? C'est Lui qui m'a choisi et voulu."
"Pas de toi, mais de ceux qui sont scribes et pharisiens et de ceux qui
les adorent. C'est de là que viendra la ruine, croyez-le."
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