Le dimanche 3 juin 1945.
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161> 178.1 – Je vois Jésus qui, avec les onze, - car Jean
manque toujours
- se dirige vers la rive du lac. Beaucoup de gens se groupent
autour de Lui : parmi eux beaucoup étaient sur la montagne, surtout des
hommes qui l'on rejoint à Capharnaüm
pour entendre encore sa parole. Ils voudraient le retenir, mais il dit :
"J'appartiens à tout le monde et il y en
a beaucoup qui doivent me posséder. Je reviendrai. Vous me
rejoindrez. Mais maintenant, laissez-moi aller."
Il a beaucoup de mal à se frayer un chemin à travers la foule entassée sur le
chemin étroit. Les apôtres jouent des coudes pour qu'on le laisse passer.
Mais c'est comme s'ils s'attaquaient à une substance molle qui aussitôt se
reforme comme elle était. Ils se fâchent aussi, mais inutilement.
178.2 – Ils
sont déjà près de la rive quand, après une lutte acharnée, un homme d'âge
moyen et de condition honorable s'approche du Maître et, pour attirer son
attention, touche son épaule. Jésus se retourne et s'arrête en
demandant :
"Que veux-tu ?"
"Je suis scribe, mais ce qu'il y a dans tes paroles ne peut se comparer
avec ce que renferment nos préceptes. Elles m'ont conquis. Maître, je ne te
quitte plus. Je te suivrai partout où tu iras. Quelle est ta
route ?"
"Celle du Ciel."
"Ce n'est pas d'elle que je parle. Je te demande où tu vas. Après
celle-ci, quelles sont les maisons où je pourrais te trouver ?"
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162> "Les renards ont leurs tanières et les oiseaux
leurs nids, mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. Ma maison,
c'est le monde, partout où il y a des esprits à instruire, des misères à
soulager, des pécheurs à racheter."
"Partout, alors."
"Tu l'as dit. Pourrais-tu faire ce que ces tout petits font pour mon
amour, toi, docteur d'Israël ? Ici on exige le sacrifice et l'obéissance
et la charité envers tous, l'esprit d'adaptation en tout, avec tous. Car la
bienveillance attire. Parce que celui qui veut soigner doit se pencher sur
toutes les plaies. Après, ce sera la pureté du Ciel. Mais ici nous sommes
dans la boue et il faut arracher à la boue, sur laquelle nous posons les
pieds, les victimes déjà submergées. Ne pas relever les habits, ni s'éloigner
parce que là la boue est plus profonde. La pureté c'est en nous qu'elle
doit être. Il faut en être pénétré de façon que rien ne puisse plus entrer.
Peux-tu tout cela?"
"Laisse-moi essayer au moins."
"Essaie. Je prierai pour que tu en sois capable."
178.3 – Jésus se remet en route et,
attiré par deux yeux qui le regardent, il dit à un jeune homme grand
et robuste qui s'est arrêté pour laisser passer le cortège, mais qui semble
se diriger ailleurs :
"Suis- moi."
Le jeune homme tressaute, change de couleur, ses yeux clignent comme s'ils
étaient éblouis par la lumière, et peu après il ouvre la bouche pour parler et il ne trouve pas quoi répondre. À la fin il
dit :
"Je te suivrai, mais mon père est mort à Chorazeïn
(Corozaïn) et je dois l'ensevelir. Laisse-moi
le faire et puis je viendrai."
"Suis-moi. Laisse les morts ensevelir leurs
morts. Toi, la Vie t'a déjà aspiré. Tu l'as désiré, d'ailleurs. Ne déplore pas
le vide que la Vie a fait autour de toi afin de t'avoir pour disciple. Les
mutilations de l'affection sont des racines pour les ailes qui poussent chez
l'homme changé en serviteur de la Vérité. Abandonne la corruption à son sort.
Élève-toi vers le Royaume où rien n'est corrompu. Tu y trouveras aussi la
perle incorruptible de ton père, Dieu appelle et passe. Demain tu ne
trouverais plus ton cœur d'aujourd'hui et l'invitation de Dieu. Viens. Va
annoncer le Royaume de Dieu."
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de page.
163/164> L'homme, adossé à
un muret, reste les bras ballants. Il porte des sachets certainement remplis
d'arômes et de bandes. La tête inclinée, il réfléchit aux deux amours qui
s'opposent : celui de Dieu et celui du père.
Jésus attend et le regarde et puis il prend un tout petit et le serre sur son
cœur en disant :
"Dis avec Moi : "Je te bénis, ô Père, et j'invoque ta lumière
pour ceux qui pleurent dans les nuées de la vie. Je te bénis, ô Père, et
j'invoque ta force pour celui qui est comme un petit qui a besoin que
quelqu'un le soutienne. Je te bénis, ô Père, et j'invoque ton amour pour que
Tu fasses oublier tout ce qui n'est pas Toi, à tous ceux qui trouveraient en
Toi, et qui ne savent pas croire, tout leur bien, ici et au Ciel"
Et le petit, un enfant d'environ quatre ans, répète avec sa petite voix les
paroles saintes avec ses menottes croisées pour la prière dans la main droite
de Jésus qui tient ses poignets grassouillets comme si c'étaient deux tiges
de fleurs.
L'homme se décide. Il donne ses paquets à un compagnon et vient à Jésus qui
dépose par terre l'enfant après l'avoir béni. Il prend par les épaules le
jeune homme et avance ainsi, pour le réconforter et le soutenir dans son
effort.
178.4 – Un autre homme
l'interroge :
"Moi aussi, je voudrais venir avec lui, mais avant de te suivre, je
voudrais faire mes adieux à mes parents. Me le permets-tu ?"
Jésus le regarde fixement et répond :
"Il y a chez toi trop de racines qui plongent dans l'humain. Arrache-les
et si tu n'y arrives pas, coupe-les. Au service de Dieu il faut venir avec
une pleine liberté d'esprit. Rien ne doit lier celui qui se donne."
"Mais Seigneur, la chair et le sang sont toujours la chair et le sang ! J'arriverai lentement à la liberté dont tu parles..."
"Non. Non, tu n'y arriverais jamais plus. Dieu est exigeant de même
qu'Il est infiniment généreux quand Il récompense. Si tu veux être disciple,
il faut embrasser la croix et venir. Autrement, on reste au nombre des
simples fidèles. Ce n'est pas un chemin jonché de pétales de roses que celui
d'un serviteur de Dieu. Il est absolu dans ses exigences. Personne, après avoir mis la main à la
charrue pour labourer les champs des cœurs et y jeter la semence de la
doctrine de Dieu, ne peut plus se retourner pour regarder ce qu'il a quitté,
et ce qu'il a perdu, ce qu'il pouvait posséder en suivant la voie commune.
Celui qui agit ainsi n'est pas apte au Royaume de Dieu. Travaille-toi,
toi-même. Virilise-toi, toi-même, et puis viens. Pas maintenant."
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