Le mardi 15 mai
1945
[…]
32> 164.1 - Les barques de Pierre et de Jean
voguent sur le lac paisible, suivies, dirait-on, de toutes les embarcations
des rives de Tibériade, vu le nombre des bateaux et des barques qui vont et
viennent, cherchant à rejoindre la barque de Jésus, à la dépasser, puis à
repasser derrière. Prières, supplications, clameurs, demandes se croisent sur
les flots bleus.
Jésus a pris dans sa barque Marie
et la mère de
Jacques et de Jude. Dans l’autre barque se trouvent Marie
Salomé, son fils Jean
et Suzanne.
Jésus promet, répond et bénit inlassablement.
«Je reviendrai, oui, je vous le promets. Soyez bons. Souvenez-vous de mes
paroles pour les unir à celles que je vous dirai plus tard. La séparation
sera brève. Ne soyez pas égoïstes. Je suis venu pour les autres aussi. Du
calme ! Vous allez vous faire du mal. Oui, je prierai pour vous. Je serai
toujours proche de vous. Que le Seigneur soit avec vous. Bien sûr, je me
souviendrai de tes larmes et tu seras consolé. Espère, aie foi.»
Et c’est ainsi, accompagnée de bénédictions et de promesses, que la barque
aborde à l’autre rive. Ce n’est pas Tibériade, mais un petit hameau, à peine
un groupe de maisons, pauvres, presque abandonnées.
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33> Jésus et ses
disciples descendent, et leurs barques rebroussent chemin, conduites par les
employés
et par Zébédée.
Les autres embarcations font de même, mais certains passagers qui s’y
trouvent descendent à leur tour et veulent à tout prix suivre Jésus. Je vois
parmi eux Isaac
et ses deux protégés : Joseph
et Timon.
Je n’en reconnais pas d’autres parmi la foule nombreuse de tout âge, des
adolescents aux vieillards.
164.2 - Jésus quitte le village dont les
rares habitants, en haillons, restent indifférents. Jésus leur fait
distribuer des aumônes et rejoint la grand-route. Il s’arrête.
«Maintenant, séparons-nous, dit-il. Mère, Marie, Salomé et toi allez à
Nazareth. Suzanne peut rentrer à Cana. Je serai bientôt de retour. Vous savez
ce qu’il faut faire. Que Dieu soit avec vous !»
Mais il salue sa Mère plus particulièrement, avec un grand sourire, et
lorsque Marie, donnant l’exemple aux autres, s’agenouille pour être bénie,
Jésus sourit avec une extrême douceur. Les femmes, avec lesquelles se
trouvent Alphée,
fils de Sarah, et Simon, regagnent leur ville.
Jésus se tourne vers ceux qui restent :
«Je vous quitte, mais je ne vous renvoie pas. Je vous laisse pour quelque
temps pour me retirer avec eux dans ces gorges que vous voyez là-bas.
Que ceux d’entre vous qui désirent m’attendre restent dans cette plaine, et
que les autres rentrent chez eux. Je me retire pour prier parce que je suis à
la veille de grandes choses. Que ceux qui aiment la cause du Père prient en
s’unissant en esprit à moi. Que la paix soit avec vous, mes enfants. Isaac,
tu sais ce que tu dois faire. Je te bénis, mon petit berger.»
Jésus sourit au pauvre Isaac, désormais pasteur d’hommes qui se regroupent
autour de lui.
164.3 - Jésus marche en tournant maintenant
le dos au lac. Il se dirige avec assurance vers une gorge située entre les
collines qui vont du lac vers l’ouest, en lignes presque parallèles. Entre
deux collines rocheuses, rocailleuses, qui tombent à pic comme un fjord, un
petit torrent plein d’écume descend en grondant
; au-dessus s’élève un mont sauvage où des plantes ont poussé comme elles ont
pu, entre les pierres. Un sentier de mule monte à l’assaut de la colline la
plus rocailleuse. C’est justement celui que Jésus prend. Les disciples le
suivent avec peine, en file indienne, dans le silence le plus absolu.
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34> Quand Jésus s’arrête
pour leur permettre de souffler, à un endroit un peu plus large du sentier,
qui ressemble à une écorchure sur ce mont inaccessible, alors seulement ils
se regardent, sans mot dire. Ils s’interrogent du regard :
«Mais où nous conduit-il ?»
Mais ils ne disent rien, ils se regardent seulement, et d’un air toujours
plus désolé quand ils voient Jésus reprendre sa marche dans la gorge sauvage,
pleine de grottes, de fentes, de rochers qui rendent la progression
difficile, sans compter les ronces et un fouillis d’autres plantes qui
accrochent les vêtements de tous côtés, griffent, font trébucher et frappent
le visage. Même les plus jeunes, chargés de sacs pesants, ont perdu leur
bonne humeur.
164.4 - Finalement Jésus s’arrête :
«Nous resterons ici une semaine en
prière. Pour vous préparer à une grande chose. C’est pour cela
que j’ai voulu m’isoler ainsi, dans un lieu désert, loin de tout chemin comme
de tout village. Il y a là des grottes qui ont déjà servi à des hommes.
Elles nous serviront à nous aussi. Il y a aussi des eaux fraîches et
abondantes alors que le sol est sec. Nous avons suffisamment de pain et de nourriture
pour notre séjour. Ceux qui, l’an dernier, ont été avec moi au désert savent
comment j’y ai vécu.
Ici, c’est un palais royal en comparaison, et la saison désormais clémente
enlève à la fois la rigueur du gel et du soleil à notre asile. Veuillez donc
y séjourner de bon cœur. Il ne nous arrivera peut-être plus jamais d’être
ainsi tous ensemble
et complètement seuls. Ce moment doit vous unir et faire de vous, non plus
douze hommes, mais une seule
institution.
Vous ne dites rien ? Vous n’avez pas de question ? Déposez sur ce rocher les
fardeaux que vous portez et jetez au fond de la vallée l’autre poids que vous
avez sur le cœur : votre humanité. Je vous ai amenés ici pour parler à votre
âme, pour vous nourrir spirituellement, pour vous rendre esprit. Je ne dirai
pas grand-chose. J’ai tellement parlé depuis un an environ que je suis avec
vous
! C’est suffisant. Si c’était par la parole que je devais vous changer, je
devrais vous garder encore une bonne centaine d’années, et encore vous seriez
toujours imparfaits.
Il est temps désormais que je me serve de vous. Mais, pour cela, je dois vous
former. Je vais recourir au grand remède, à la grande arme : la prière. J’ai toujours prié
pour vous. Maintenant, je veux que vous priiez par vous-mêmes.
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35> Je ne vous enseigne
pas encore ma prière,
mais je vous fais connaître comment on prie et ce qu’est la prière. C’est une
conversation de fils à Père, d’esprit à Esprit de façon ouverte, chaleureuse,
confiante, recueillie, franche. La prière est tout : aveu, connaissance de
soi, pleurs sur soi, engagement envers nous-mêmes et envers Dieu, demande à
Dieu, le tout aux pieds du Père.
Elle ne peut se faire dans le vacarme, dans la distraction, à moins d’être
des géants de la prière. D’ailleurs, même eux souffrent des chocs et des
bruits du monde dans leurs heures de prière. Or vous n’êtes pas des géants,
mais des pygmées.
Spirituellement parlant, vous n’êtes encore que des enfants, des déficients.
Ici, vous allez atteindre l’âge de raison spirituel. Le reste viendra plus
tard.
Le matin, à midi et le soir, nous nous réunirons pour prier ensemble avec les
anciennes paroles d’Israël et pour rompre le pain, puis chacun rentrera dans
sa grotte en restant en face de Dieu et de son âme, de tout ce que je vous ai
dit sur votre mission et sur vos moyens. Mesurez-vous, écoutez-vous, décidez.
C’est la dernière fois que je vous le dis. Mais ensuite, vous devrez être
parfaits, autant que vous le pourrez, sans fatigue ni sentiments seulement
humains. Vous ne serez plus Simon ni Judas, vous ne serez plus André ou Jean,
Matthieu ou Thomas : vous serez mes ministres.
Allez, chacun de votre côté. Moi, je serai dans cette grotte. Toujours
présent. Mais ne venez pas sans raison sérieuse. Vous devez apprendre à agir
par vous-même, à vous suffire à vous-même. Car, en vérité je vous le dis : il
y a un an, nous étions sur le point de nous connaître, et dans deux ans nous
serons sur le point de nous quitter.
Malheur à vous et malheur à moi si vous n’avez pas appris à vous débrouiller.
Que Dieu soit avec vous ! Judas, Jean, portez les vivres à l’intérieur de ma
grotte, celle-ci. Ils doivent durer et c’est moi qui ferai la distribution.
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