545> “Celui qui est″ (Apocalypse
1, 4) est
l’ancien Nom de Dieu, celui par lequel Dieu s’est désigné à Moïse sur la
montagne, celui que Moïse a enseigné
à son peuple pour qu’il puisse nommer Dieu. Toute l’éternité, la puissance et
la sagesse de Dieu étincellent dans ce nom.
546> Celui qui est : l’éternité.
Dieu n’a
pas eu de passé, il n’aura pas de futur Il est éternel présent.
Si l’intelligence humaine, même la plus puissante des intelligences humaines,
ou si un homme puissant, même le plus puissant, médite sur cette éternité
avec un désir et une pensée purs, privés de tout orgueil humain, il sent -
comme aucune leçon, méditation ou contemplation ne peut le lui faire sentir -
qui est Dieu et qui il est, lui: le Tout et le rien, l’Éternel et le
provisoire, l’Immuable et le changeant, l’Immense et le limité. C’est alors
qu’apparaissent l’humilité, l’adoration qui convient à l’Être aimé à qui elle
s’adresse, ainsi que la confiance puisque l’homme, ce rien, ce grain de
poussière en comparaison du Tout et de toute la création du Tout, se sent
sous le rayon protecteur de celui qui, existant de toute éternité, a voulu
que les hommes soient, afin de leur donner son amour infini.
Celui qui est : la puissance infinie.
Quelle chose ou quelle personne pourrait-elle exister par elle-même, à
partir de rien ? Aucune. Un nouvel astre ne saurait
se former sans combustion ou fusion de particules disséminées dans les
firmaments, de même que la moisissure ne se forme pas spontanément. L’astre,
plus grand que la terre ou la moisissure microscopique nécessitent des
matières préexistantes ainsi que des conditions particulières d’environnement
aptes à former un nouveau corps, que ce dernier soit grand ou microscopique.
Mais qui a donné à cet astre ou à cette moisissure le moyen de se former ?
Celui qui a créé tout ce qui existe, parce qu’il est depuis toujours, et que
depuis toujours il est puissant.
Il y eut donc, pour tout ce qui existe, un
principe créateur qui soit créa directement (la première création), soit
maintient et favorise la perpétuation et le renouvellement de la création.
Mais qui l’a créé, lui ? Personne. Il est, par lui-même. Il ne doit son
existence à rien ni à personne. Il est. Il n’a pas eu besoin d’un autre pour
exister, de même qu’aucun autre être hostile - bien que créé par lui, puisque
tout esprit, toute chair, toute créature du monde irrationnel perceptible est
créé par Dieu - ne saurait l’amener à ne plus exister. Et si tout ce qui
existe, au ciel spirituel dans la création sensible, dans les enfers témoigne
déjà de son immense puissance, son être, sans avoir connu de principe autre
que lui-même, est l’immense témoignage de son immense puissance.
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de page.
547> Celui
qui est : la sagesse la plus parfaite, incréée,
qui n’a pas eu besoin d’autoformation ni de la formation de maîtres pour
exister. La Sagesse qui, en créant tout ce qui n’existait pas, n’a pas commis
la moindre erreur, parce qu’elle a créé et voulu parfaitement.
Quel est l’inventeur, l’innovateur ou le penseur, même poussé par un juste
désir de rechercher, de connaître et d’expliquer les mystères suprêmes et
naturels, qui ne tombe pas dans quelque erreur et dont l’intelligence ne
cause quelque préjudice à lui-même et aux autres ? La racine du mal fait à
toute l’humanité ne tire-t-elle pas son origine du désir de nos premiers
parents de connaître et de pénétrer les domaines de Dieu ? À peine séduits par la fausse promesse de
l’Adversaire, ils voulurent connaitre... et tombèrent dans l’erreur, comme y
tombent encore les penseurs, les scientifiques et les hommes en général.
Mais Celui qui est, et qui est Sagesse
parfaite, n’a pas commis d’erreur et n’en commet pas. Il ne faut donc jamais
prétendre que le mal et la souffrance qui ont rendu imparfait ce qui fut créé
parfait proviennent de Celui qui sait tout, mais bien plutôt de ceux qui
voulurent et veulent encore sortir de cette loi d’ordre donnée par Dieu à
toute chose et à tout être vivant. Si cet ordre spirituel, moral et physique
parfait avait été respecté, il aurait maintenu la terre dans l’état de paradis
terrestre et les hommes qui l’habitent dans l’heureuse condition d’Adam et
Ève avant la faute.
“Celui qui est″, cet ancien nom
de Dieu fut rapidement remplacé par un autre: Adonaï, sous l’effet d’un excès
de vénération créé spontanément dans l’esprit des hommes conscients de leur
condition d’êtres déchus de la grâce et méritant la sévérité de Dieu; c’était
en effet l’époque où, pour les hommes, Dieu était le Dieu terrible du Sinaï,
le Juge prêt à se venger. Ce nom d’Adonaï, tant à cause des différences de
prononciation observables de région à région dans toutes les nations et à
toute époque, que parce qu’il était employé trop rarement suite à une
application trop intégrale du commandement : « Tu n’invoqueras pas
en vain le Nom du Seigneur ton Dieu», provoqua une altération de la
prononciation initiale : "Jéhovah".
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548> Il conserva cependant cette prononciation initiale en
Galilée, où l’Emmanuel allait passer la quasi-totalité de sa vie de Dieu
parmi les hommes, selon son nom prophétique d’Emmanuel, et d’où il allait circuler pour répandre la Bonne
Nouvelle, lui qui était la Parole de Dieu faite homme, enfin pour
entreprendre sa mission de Sauveur et de Rédempteur qui devait s’achever sur
le Golgotha.
Dans le nom de Fils de Dieu fait homme, dans
le nom que Dieu lui-même imposa à son Fils incarné et que l’ange des
heureuses annonces avait communiqué à la Vierge immaculée, se trouve, pour qui sait lire et comprendre, un écho
de ce nom ; la Parole qui le portait enseigna de nouveau aux
siens le vrai mot - Jéhovah - pour désigner Dieu, pour désigner le Père dont
le Fils est engendré et desquels procède l’Esprit Saint. Il en procède pour
engendrer, le moment venu, le Christ sauveur dans le sein de la Vierge.
Le Fils de Dieu et de la Femme, Jésus. Celui qui, en plus d’être le Messie et
Rédempteur promis, est le témoignage le plus vrai du Père et de sa volonté,
le témoignage de la vérité, de la charité, du Royaume de Dieu.
Le Père et le Fils furent toujours un, même
si le Fils avait provisoirement assumé une Personne humaine sans pour autant
avoir perdu sa Personne divine éternelle ; ils furent toujours
un par l’Amour parfait qui les unissait, et ils se sont rendu mutuellement
témoignage. Le Père le rend au Fils lors de son baptême au Jourdain, sur le Thabor, à la
Transfiguration, au Temple pour la dernière
Pâque, et aussi devant les païens venus pour connaître Jésus. Mais il faut joindre à ce
triple témoignage sensible les témoignages des plus grands miracles opérés
par le Christ, presque toujours après avoir invoqué son Père. On peut
vraiment affirmer que l’invisible présence du Père, qui est Esprit éternel et
parfaitement pur, brille comme un rayon de lumière irrépressible, que nul
obstacle ne saurait emprisonner, dans chaque manifestation du Christ, que ce
soit en tant que Maître ou en tant que faiseur de miracles et d’œuvres
divines.
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549> Dieu le Père avait créé l’homme à partir de la poussière
et il lui avait infusé le souffle de la vie ainsi que l’âme, ce souffle divin
et immortel. C’est encore le Père qui, invoqué manifestement ou non par le
Fils, rend avec lui la
vie à une chair mortelle, et avec elle l’âme et la restauration des chairs
qui, par la mort (Lazare) ou la maladie (la lèpre) s’étaient déjà décomposées
ou détruites; par la conversion du pécheur, il rétablit en lui la loi morale et recrée l’âme tombée dans le
péché, jusqu’à la grande recréation à la grâce, par le
sacrifice du Christ, pour tous ceux qui croient en lui et en accueillent
l’enseignement en venant faire partie de son Église.
Puis le Fils révèle le Père au monde qui
l’ignore, et même au petit monde d’Israël qui, sans l’ignorer,
n’en connaissait pas la vérité d’amour, de miséricorde, de justice tempérée
par la charité qui est sa nature. « Qui me voit, voit le Père. Mon enseignement
n’est pas le mien, mais à celui qui m’a envoyé. Vous ne connaissez pas la
Vérité qui m’a envoyé, moi qui suis sa Parole, mais moi je la connais, parce
qu’elle m’a engendré. Le Père qui m’a envoyé n’a pas laissé son Fils seul; il
est avec moi. Le Père et moi sommes un. » Et il révèle l’Esprit Saint, amour mutuel,
étreinte et baiser éternels du Père et du Fils, Esprit de l’Esprit de Dieu,
Esprit de vérité, Esprit de consolation, Esprit de sagesse qui confirmera les
croyants dans la foi et les enseignera dans la sagesse, lui, le théologien
des théologiens, la lumière des mystiques, l’œil des contemplatifs, le feu de
ceux qui aiment Dieu.
Tout l’enseignement et toutes les œuvres du
Christ portent témoignage au Père et révèlent le mystère incompréhensible de
la sainte Trinité, de cette sainte Trinité par laquelle la création, la
rédemption et la sanctification furent possibles. C’est encore cette sainte
Trinité qui put, sans détruire la première création qui s’était corrompue,
faire une recréation, ou la nouvelle création d’un couple sans tache, une
nouvelle Ève et un nouvel Adam, par lequel la ramener à la grâce et par
conséquent rétablir l’ordre violé et la fin ultime chez les hommes qui
descendent d’Adam et pour eux.
Par la volonté du Père, en vue des mérites du Fils et par l’opération de
l’Esprit Saint, le Fils put prendre chair humaine en la Femme immaculée,
l’Ève nouvelle et fidèle, puisque l’Esprit de Dieu recouvrit de son ombre
l’Arche qui n’était pas faite de main d’homme. C’est ainsi qu’apparut le
nouvel Adam, le Vainqueur, le Rédempteur, le Roi du Royaume des cieux auquel
sont appelés ceux qui, s’ils l’accueillent avec amour et suivent son
enseignement, méritent de devenir enfants de Dieu, cohéritiers du ciel.
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550> De ses
premières paroles comme Maître à ses dernières au Cénacle et au sanhédrin, au
Prétoire et sur le Golgotha, puis de celles-ci à celles qui précédèrent
l’Ascension, Jésus ne cessa de témoigner du Père et du Royaume des cieux.
Le Royaume de Dieu, le Royaume du Christ : ce sont là deux royaumes qui
n’en font qu’un, puisque le Christ ne fait qu’un avec Dieu et que Dieu a
donné au Christ et par lui toutes les choses qui ont été faites par lui,
après que l’Éternel les eut déjà toutes vues en son Fils unique, qui est
sagesse infinie, origine comme Dieu, fin comme Dieu, et cause, en tant
qu’Homme-Dieu, de la création, de la divinisation et de la rédemption de
l’homme. Ces deux royaumes n'en font qu’un, parce que le Royaume du Christ en
nous nous confère la possession du Royaume de Dieu.
Lorsque le Christ dit au Père :
"Que ton règne vienne" comme fondateur, Roi des rois, Fils et
héritier éternel de tous les biens éternels du Père, il l’instaure sur la
terre et l’établit en nous; il ne fait qu’un de son Royaume et de celui de
son Père, il les unit en reliant au Royaume des cieux celui de la terre,
comme par un pont mystique qui est sa longue croix d’Homme parmi les hommes
qui ne le comprennent pas, et de Martyr à cause des hommes et pour le bien
des hommes. À ce Royaume de Dieu, il donne pour palais royal l’Église, pour
statuts les lois de l’Église, et pour roi lui-même, qui en est le Chef et le
Pontife éternel. Comme tout roi il y institue ses ministres et le définit clairement
comme "l’anticipation" du Royaume éternel. Enfin, il donne à
l’Église le nom de "nouvelle Jérusalem terrestre" qui, à la fin des
temps, sera transportée et transformée dans la "Jérusalem céleste″,
lieu de bonheur éternel pour les ressuscités, qui y mèneront une vie connue
de Dieu seul.
Ce Royaume de Dieu en nous est visible par
l’intermédiaire de l’Église, mais aussi invisible. Il ressemble à son
Fondateur qui, en tant qu’homme, fut et demeure un Roi visible et, en tant
que Dieu, un Roi invisible puisqu’il est pur Esprit. On croit en lui par pure
foi, car nul œil ni aucun autre sens humain n’a jamais vu Dieu avant qu’il ne
s’incarne, pas plus que la première et la troisième Personne de la Trinité;
mais on les reconnaît dans les œuvres qu’elles ont accomplies ou
accomplissent encore.
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551> Tout comme l’homme, ce Royaume a donc été fait à l’image
et à la ressemblance de son Fondateur: or celui-ci est vraiment et
parfaitement homme - et comme tel le prototype visible des hommes tels que le
Père les avait créés en les contemplant dans son Verbe éternel et dans son
Verbe incarné -, mais aussi vraiment et parfaitement Dieu - et comme tel pur
Esprit, dont la nature divine spirituelle est invisible, mais vivant sans
possibilité de début et de fin, puisqu’il est le "Vivant"-. Tel est
le Royaume de Dieu, représenté sur terre par l’Église, société visible et
vivante sans possibilité de fin depuis qu’elle fut constituée par le Vivant.
Tel est le Royaume de Dieu en nous, invisible puisque spirituel, vivant dans
sa partie spirituelle et vivant depuis sa création, à condition que l’homme
ne détruise pas le Royaume de Dieu en lui par le péché et la persévérance
dans le péché, tuant ainsi jusqu'à la Vie dans son âme.
Ce Royaume doit être servi et conquis. Il doit être servi sur la terre et
conquis dans l’au-delà, au fil des événements de la vie quotidienne. Par
l’usage de la raison et jusqu’à la mort; chaque année, mois, jour, heure et
minute est service du sujet de Dieu, en faisant sa volonté, en obéissant à la
Loi, en vivant en "enfant" et non en ennemi ou en animal qui
préfère une vie de petite jouissance bestiale et transitoire à une vie menée
de façon à lui mériter la joie céleste. Chaque année, mois, jour, heure et
minute est l’occasion de conquérir le Royaume des cieux.
"Mon Royaume n’est pas de ce
monde", affirma plusieurs fois la Vérité incarnée à ses élus, à ses
amis, et même à ceux qui la repoussaient et la détestaient par peur de perdre
leur pauvre pouvoir. "Mon Royaume n’est pas de ce monde", témoigna
le Christ lorsque, se rendant compte qu’on voulait le faire roi, il s’enfuit
tout seul sur la montagne. "Mon Royaume n’est pas de ce monde", répondit
le Christ à Pilate qui l’interrogeait. "Mon Royaume n’est pas de ce monde", dit-il
encore une fois, la dernière, à ses apôtres, avant son Ascension. Et au sujet
du moment de sa reconstruction, que ses élus espéraient encore humainement,
il répondit: "Il ne vous appartient pas de connaître les temps et
moments que le Père a fixés de sa seule autorité".
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552> La royauté
du Christ (Apocalypse
1, 7 – Apocalypse
19, 6 – Apocalypse, chapitres 19 à 21).
Le Christ n’a donc cessé de témoigner du Royaume, de ce double Royaume qui,
d’ailleurs, n’en fait qu’un : celui du Christ-Dieu en nous, et celui de nous
en Dieu et avec Dieu, et qui deviendra le Royaume parfait, immuable, qui ne
sera plus sujet aux embûches et aux corruptions lorsque "le Roi des rois
viendra avec les nuées, et chacun le verra", pour prendre possession de son règne, remporter
la victoire sur tous ses ennemis, juger et donner à chacun ce qu’il aura
mérité, et emporter les élus dans le monde nouveau, dans le ciel nouveau et
la terre nouvelle, dans la nouvelle Jérusalem où il n’y a ni corruption, ni
larmes ni mort.
Pour témoigner, par des moyens plus forts
que les mots, qu’il est le Roi visible du Royaume de Dieu — autrement dit
d’un royaume où la charité, la justice et le pouvoir sont exercés de manière
surnaturelle — il accomplit ce qu’aucun roi ne saurait faire : il rendit
leur liberté aux membres et aux consciences liés par la maladie, la
possession ou quelque péché grave, il maîtrisa les forces de la nature et les éléments,
et même les hommes, quand il convenait de le faire, ou encore il vainquit la mort (la fille de Jaïre, le fils de la veuve de Naïm, Lazare); il faisait toujours preuve d’une charité et d’une
justice parfaites et impartiales et instruisait avec une sagesse qui
apportait un enseignement pour chaque cas matériel, moral ou spirituel, à tel
point que ses ennemis eux-mêmes devaient reconnaître: "Personne n’a
jamais parlé comme lui."
À ceux qui décrétaient: "Nous refusons que celui-là règne", il répondait par des faits miraculeux sur
lesquels la volonté des hommes ne peut exercer aucun pouvoir. Il répondit par
sa Résurrection et son Ascension. Il leur montrait ainsi que, s’ils avaient
pu le tuer, ce fut parce qu’il l’avait permis dans un but d’amour infini,
mais qu’il est le Roi d’un Royaume où la puissance est infinie, puisqu’il
peut par lui-même se ramener à la vie et s’élever au ciel, même en tant
qu’homme véritablement charnel, auprès de son Père.
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553> En
attendant de pouvoir accorder à ses élus le Royaume des cieux, il leur donne
la paix, cette paix qui est, avec la charité, l’aura de son
Royaume céleste et qui émane de lui. Il est en effet Celui qui est le Prince
de la paix et, pour donner aux hommes la paix de la réconciliation avec Dieu,
il est venu sur la terre, lui qui est l’Être éternel, prendre chair, sang et
âme pour les unir hypostatiquement à sa divinité, et accomplir le sacrifice parfait qui a
apaisé le Père. Ce sacrifice est parfait, puisque la Victime immolée, afin
d’effacer le péché de l’humanité et l’offense qu’elle avait faite à Dieu, son
créateur, était véritablement chair
pour pouvoir être immolée, une chair innocente et pure, mais aussi véritablement Dieu. Par conséquent, son
sacrifice fut parfait, suffisant et capable de laver la Tache et de restituer
la grâce, capable de nous rendre à nouveau citoyens du Royaume de Dieu et
serviteurs, non par esclavage mais par un sacerdoce spirituel qui rend
hommage et culte à Dieu et œuvre à l’extension de son Royaume, pour que des
âmes en abondance viennent à la Lumière et à la Vie. Cette Vie est immortelle
aussi pour la chair ressuscitée des justes, et il nous en prouva la véracité
par sa Résurrection après sa mort — lui, le Vivant —, devenant ainsi "le
Premier-né d’entre les morts" de ceux qui reprendront au dernier jour la
chair dont ils s’étaient dépouillés pendant des millénaires, des siècles ou
des années, pour jouir avec elle — cet objet d’épreuve, de combat et de
mérite sur la terre — de la joie inexprimable de la connaissance de Dieu et
de ses perfections.
Premier-né d’entre les morts (Apocalypse
1, 5).
À la lecture de cette phrase, une certaine confusion s’établit dans la pensée
du lecteur peu formé, une sorte de doute y apparaît, et une question
s’ensuit: « N’y a-t-il donc pas ici quelque erreur ou quelque
contresens, puisque le Premier-né est Adam, premier-né à la vie de la grâce,
au point que le Christ est dit "nouvel Adam ou second Adam" ?
D’ailleurs, même si l’on exclut le premier homme puisqu’il est déchu de la
vie surnaturelle et est demeuré tel jusqu’à la trente-troisième année de la
vie du Christ, Marie, sa Mère, n’est-elle pas appelée la Première-née à la
fois par une parole de Sagesse
et par sa conception et sa naissance avant son Fils, le Christ, en toute
plénitude de grâce ? »
Il n’y a ni erreur ni contresens.
Adam est certes le premier homme, mais pas le premier-né, puisqu’il n’a été engendré par aucun père ni aucune
mère, mais qu’il fut créé directement par Dieu.
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554> Jésus est
le Fils unique du Père dont il est aussi le Premier-Né. C’est de la Pensée
divine, qui n’a jamais eu de commencement, que fut engendré le Verbe qui, lui
non plus, n’a jamais commencé. En tant que Dieu, il est donc le Premier-né absolu.
Il est également le Premier-né en tant qu’homme, bien qu’il soit né de Marie,
dite à son tour
"première-née" par la Sagesse et par l’Église, car, par sa paternité de Dieu le Père, il est le vrai
Premier-né des enfants de Dieu, non par participation, mais par génération
directe : "L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du
Très-Haut te prendra sous son ombre; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra
sera appelé Fils de Dieu."
Il est donc le Premier-né, même
si avant lui sa Mère fut chantée sous le titre de "la fille première-née
du Très-Haut" et si la Sagesse, dont elle est le siège, dit à
son propos: "Yahvé m’a créée, prémices de son œuvre, avant ses œuvres
les plus anciennes. Dès l’éternité je fus établie.". Et encore:
"Celui qui m’a, créée a reposé dans mon tabernacle". Il est le Premier-né
parce que si, par privilège particulier, sa Mère est très sainte et très
pure, le Fils est infiniment saint, infiniment pur, et supérieur, infiniment
supérieur à sa Mère en tant que Dieu.
Elle est fille première-née par élection du Père qui l’a possédée,
son Arche sainte, depuis que sa Pensée l’a pensée et a établi que ce serait
par elle que la Grâce viendrait restaurer la grâce chez les hommes, et aussi
depuis que, après l’avoir créée pleine de grâce, il ne cessa de reposer en
elle, avant, durant et après sa maternité. Elle fut vraiment pleine de grâce
puisque immaculée, toujours pleine de grâce, rendue féconde par la grâce;
c’est en elle et par elle que la Grâce incarnée et infinie prit chair et sang
d’homme, et se forma dans son sein virginal, par son sang, par son œuvre
exclusivement et par l’opération de l’Esprit Saint.
Quant à lui, il est le Fils premier-né par génération éternelle. C’est en lui
que le Père a vu toutes les choses futures, pas encore créées, les
matérielles et les spirituelles, parce que c’est dans son Verbe que le Père
voyait la création et la rédemption, toutes deux accomplies par le Verbe et
pour lui.
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555> Admirable
mystère de Dieu! L’Immense s’aime, non d’un amour égoïste, mais d’un amour
actif, tout-puissant et même infini, et c’est seulement par cet acte qu’il
engendre son Verbe, en tout égal au Père hormis la distinction des
personnes. Car si Dieu est un et trine — en d’autres termes une admirable
Unité à trois faces, pour ainsi dire et pour rendre claire cette explication
aux personnes non instruites —, c’est aussi une vérité de foi que ces trois
faces sont bien distinctes. Théologiquement, il y a donc un seul Dieu et
trois Personnes en tout égales par la divinité, l’éternité, l’immensité, la
toute-puissance, mais sans confusion entre elles. Elles sont au contraire
bien distinctes, et l’une n’est pas l’autre, si bien qu’il n’y a pas trois
dieux mais un seul Dieu qui a donné de lui seul leur être aux Personnes
divines particulières, par la génération du Fils et, par suite, en donnant
origine à la procession de l’Esprit Saint.
La Puissance voit et fait tout par la Sagesse, et c’est par la Charité, qui
est l’Esprit Saint, qu’il accomplit ses plus grandes œuvres: la génération et
l’incarnation du Verbe, la création et la divinisation de l’homme, la
préservation de Marie du péché originel, sa maternité divine, la rédemption
de l’humanité déchue. Elle voit et fait tout par la Sagesse, c’est-à-dire par
celui qui est avant toute chose, et qui peut donc se dire à juste titre
le "Premier-né″.
Quand la création n’existait pas — alors que
ça fait des millénaires qu’elle existe et mène sa vie sous les formes et natures particulières
que Dieu a voulu lui donner —, lui, la Parole du Père, était déjà. Et par lui
tout ce qui n’existait pas et qui, n’ayant aucune vie, était comme mort, fut
créé et posséda la "vie". La Parole divine amena tout à l’existence
à partir du chaos dans lequel tous les éléments s’agitaient de manière
désordonnée et inutilement. La Parole divine ordonna toute chose, et toutes
devinrent utiles et vitales, de sorte que la création visible et sensible
exista, et ce selon des lois de parfaite sagesse et dans un but d’amour.
Effectivement, rien ne fut créé sans ce but d’amour et sans loi de sagesse.
Tout fut fait par amour : depuis les gouttes d’eau recueillies dans les
bassins jusqu’aux molécules rassemblées pour former les astres qui procurent
lumière et chaleur, depuis les vies végétales destinées à nourrir les vies
animales jusqu’à celles ordonnées au service et à la joie de l’homme.
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556> Or l’homme
est le chef-d’œuvre de la création : par sa perfection animale et
rationnelle, et surtout par la partie immortelle (le souffle même de
l’Esprit) qu’il renferme, il est prédestiné à retourner à son Origine pour se
réjouir en Dieu et être pour lui source de joie, puisque Dieu jubile à la vue
de ses enfants. Tout fut donc fait par un amour qui, s’il lui avait été
fidèlement retourné, n’aurait pas permis que la mort et la souffrance fassent
douter l’homme de l’amour de Dieu pour lui.
La mort : dans tout ce que Dieu avait créé, elle n’existait pas, pas
plus que la souffrance et que le péché, cette cause de mort et de souffrance.
Mais l’Adversaire les introduisit dans cette création merveilleuse. Et c’est
par l’homme, perfection de la création, qui s’était laissé corrompre par
l’Ennemi, par la Haine, que vint la mort, d’abord de la grâce ensuite de la
chair; alors arrivèrent toutes les souffrances et tous les troubles
consécutifs à la mort de la grâce en Adam comme en sa compagne, et chez tous
les descendants de ces premiers parents.
Comment peut-il donc être dit que Jésus est
"le Premier-né d’entre les morts", s’il est né d’une descendante
d’Adam ? Même si c’est par fécondation divine que sa Mère l’a engendré,
Marie était bien née de deux parents justes, certes, mais porteurs du péché
héréditaire transmis d’Adam à tout homme, péché qui prive de la vie surnaturelle.
Ce sont là les objections de beaucoup de gens.
Le Christ est "Premier-né" à un double titre, depuis sa naissance.
Il est en effet né comme personne avant lui puisque, quand Adam a eu son
premier fils, il ne pouvait déjà plus
engendrer d’enfants surnaturellement vivants. Conçus alors que leurs
parents étaient déjà corrompus et tombés dans la triple concupiscence, ils naquirent morts à la vie surnaturelle.
À partir d’Adam et Ève, chaque père, chaque mère procréa de cette manière.
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557> Anne et Joachim eux-mêmes avaient procréé ainsi, même s’ils étaient
tous deux des justes, d’une part parce qu’ils étaient également atteints par
le péché originel, d’autre part parce que la conception de Marie se produisit
de façon simplement humaine et commune.
Il n’y eut rien d’extraordinaire dans la naissance de Marie, la mère
prédestinée de Dieu, si ce n’est l’infusion, par un privilège divin
particulier accordé en vue de la future mission de la Vierge, d’une âme
préservée du péché originel, une âme unique parmi celles de tous les enfants
des hommes et des femmes, une âme immaculée.
En revanche, le Christ, né de Marie, est
le premier-né d’un sein inviolé spirituellement, puisque Marie, fidèle à
la grâce comme aucune femme depuis Ève, ne connut, je ne dis pas la plus
légère faute vénielle, mais pas même la moindre turbulence capable de
troubler son état de parfaite innocence et son équilibre parfait; il s’ensuit
que l’intelligence, en elle, domina toujours la partie inférieure de son
être, et son âme domina l’intelligence, comme c’était le cas en Adam et Ève
jusqu’à ce qu’ils se laissent séduire par le Tentateur.
Le Christ fut aussi le premier-né d’un sein inviolé matériellement car, étant Dieu à
la fois celui qui la rendit mère et celui qui en naquit, et donc doté du don
propre aux esprits d’entrer et de sortir sans ouvrir de porte ou bouger de
pierre, Dieu pénétra en elle pour y prendre nature humaine et en sortit pour
débuter sa mission de Sauveur sans léser le moindre organe ni la moindre
fibre.
Le Premier et unique né naquit ainsi de la Pleine de grâce, le Vivant par
excellence, celui qui allait rendre la Vie à tous ceux qui étaient morts à la
grâce. Ce n’est pas du désir de deux chairs qu’il naquit, mais de la façon
dont les enfants des hommes auraient reçu la vie s’ils s’étaient gardés
vivants dans la grâce. Ce n’est pas l’appétit des sens, mais un amour saint
pour Dieu, à qui ils auraient consacré ceux qui naissaient en état de grâce,
un amour exempt de malice à l’égard de la femme qui devait guider la
croissance et la multiplication commandées par Dieu: l’amour seul, pas corrompu
par l’animalité.
Une fois cet ordre violé, Dieu, pour recréer le nouvel Adam, dut le former
par une femme immaculée et non plus avec de la boue qui, au comble de
l’orgueil, avait voulu devenir semblable à Dieu, mais avec les éléments
indispensables à la formation d’un homme nouveau, fournis uniquement par la
Toute-Pure et la Tout-Humble, si humble que cette seule raison lui aurait
mérité de devenir la Mère du Verbe.
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558> Le
Premier-né d’entre les morts vint donc au jour pour porter la lumière à ceux
qui gisaient dans les ténèbres, la vie à ceux qui étaient morts à la grâce,
qu’ils soient encore sur terre ou déjà réunis dans les enfers, dans l’attente
de la rédemption qui allait leur ouvrir les portes des cieux. Il fut
également le Premier-né de ceux qui devaient revenir vivants au ciel, avec leur chair. Il est né d’une femme
immaculée et fidèle à la grâce reçue, en plénitude il est vrai, mais qui, au
lieu de rester comme un trésor inerte, fut toujours utilisée activement, et
n’a cessé de croître en raison de la parfaite réponse de Marie à toutes les
motions ou inspirations divines ; pour cette seule raison également, la
condamnation "Tu redeviendras poussière", commune à tous les
pécheurs à partir d’Adam et à cause d’Adam et de sa compagne, ne serait pas
appliquée.
La Mère de Dieu elle non plus ne redevint pas poussière, puisque, étant sans
péché, elle était elle aussi exempte de cette condamnation commune.
Effectivement, il n’aurait pas été juste que la chair qui avait servi d’arche
et de terrain pour contenir le Verbe et donner au Germe divin tous les
éléments requis pour en faire l’Homme-Dieu, devienne pourriture et poussière.
Mais la Mère passa de la terre au ciel bien des années après son Fils.
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