Le vendredi 15 juin 1945.
256/257> 192.1 - "Seigneur, cette montagne
c'est le Carmel ?"
demande le cousin Jacques.
"Oui, frère. C'est la chaîne du Carmel et la cime la plus haute lui a
donné son nom."
"Il doit être beau, de cet endroit aussi, le monde. Tu n'y es jamais
allé ?"
"Une fois. J'étais seul. C'était au commencement de ma prédication. Au
pied de cette montagne, j'ai guéri mon premier lépreux .
Mais nous irons ensemble pour évoquer Élie..."
"Merci, Jésus.
Tu m'as compris comme toujours."
"Et comme toujours je te perfectionne, Jacques."
"Pourquoi ?"
"Le pourquoi est écrit au Ciel."
"Tu ne me le dirais pas, Frère, toi qui lis ce qui est écrit au
Ciel ?"
Jésus et Jacques avancent côte à côte et seul le petit Yabeç (Jabé), que
Jésus tient toujours par la main, peut entendre les confidences des cousins
qui se sourient en se regardant dans les yeux.
Jésus, passant le bras sur les épaules de Jacques pour l'attirer encore plus
près, lui demande :
"Tu veux vraiment le savoir ? Eh bien je vais te le dire, par
énigme et, quand tu en trouveras la clef, tu seras sage. Écoute :
"Les faux prophètes étant réunis sur le mont Carmel, Élie s'approcha et
dit au peuple : 'Jusqu'à quand hésiterez- vous entre les deux
parties ? Si le Seigneur est Dieu, suivez-le : si c'est Baal qui
est Dieu, suivez-le, lui'. Le peuple ne répondit pas. Alors Élie poursuivit :
'Des prophètes du Seigneur, je suis resté, moi seul'
et l'unique force de celui qui était seul, ce fut son cri : 'Exauce- moi,
Seigneur. Exauce-moi afin que ce peuple reconnaisse que tu es le Seigneur
Dieu et que de nouveau Tu convertisses leurs cœurs’. Alors le feu du Seigneur
tomba et dévora l'holocauste ".
Frère, devine."
Jacques réfléchit, la tête inclinée, et Jésus le regarde en souriant.
Ils font ainsi quelques mètres, puis Jacques
dit : "Cela se rapporte à Élie ou à mon avenir ?"
"À ton avenir, naturellement..."
Jacques réfléchit encore, et puis murmure :
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258> "Serais-je
destiné, à inviter Israël à suivre avec vérité un seul chemin ?
Serais-je appelé à être le seul resté en Israël ? Si oui, tu veux dire
que les autres seront persécutés et dispersés et que... et que... je te
prierai pour la conversion de ce peuple... comme si j'étais un prêtre...
comme si j'étais... une victime... Mais, si c'est ainsi, enflamme-moi dès
maintenant, Jésus..."
"Tu l'es déjà. Mais tu seras enlevé par le Feu, comme Élie. C'est pour
cela que nous irons, Moi et toi, seuls, parler sur le Carmel."
"Quand ? Après la Pâque ?"
"Après une Pâque, oui, et alors je te dirai tant de
choses..."
192.2 - Un beau cours d'eau qui s'en
va rapidement vers la mer, gonflé par les pluies de printemps et par la fonte
des neiges, arrête leur marche.
Pierre
accourt et dit :
"Le pont est plus en amont, là où passe la route qui va de Ptolémaïs à En-Gannim (Engannim)..."
Jésus revient docilement en arrière et franchit le cours d'eau sur un solide
pont de pierre. Tout de suite après se présentent d'autres petites montagnes
et des collines, mais de peu d'importance.
"Serons-nous dans la soirée à En-Gannim ?" demande Philippe.
"Certainement. Mais... maintenant nous avons le petit. Es-tu fatigué, Yabeç ?"
demande affectueusement Jésus. "Sois sincère comme un ange."
"Un peu, Seigneur, mais je m'efforcerai de marcher."
"Cet enfant est affaibli" dit l'homme d'En-Dor
avec sa voix gutturale.
"Bien sûr ! s'exclame Pierre. Avec la vie qu'il mène depuis quelques
mois ! Viens que je te prenne dans mes bras."
"Oh ! non, seigneur. Ne te fatigue pas. Je puis encore
marcher."
"Viens, viens. Tu n'es sûrement pas lourd. Tu ressembles à un oiseau mal
nourri"
Et Pierre le hisse à cheval sur ses épaules carrées, en lui tenant les
jambes. Ils marchent rapidement car le soleil donne maintenant à plein et
invite à activer la marche vers les collines ombragées.
192.3 - Ils s'arrêtent dans un pays
que j'entends appeler Mageddo,
pour prendre de la nourriture et se reposer près d'une fontaine très fraîche
et très bruyante à cause de la quantité d'eau qui s'en déverse dans un bassin
de pierre sombre.
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259> Mais personne du pays ne
s'intéresse aux voyageurs, anonymes au milieu des autres pèlerins plus ou
moins riches qui vont à pied ou à âne ou à mulet vers Jérusalem pour la
Pâque. Il y a déjà un air de fête et beaucoup d'enfants se trouvent avec les
voyageurs, très gais à la pensée de la cérémonie de la majorité.
Deux petits garçons de situation aisée viennent jouer près de la fontaine
pendant que Yabeç s'y trouve avec Pierre qui l'amène de partout avec lui en
l'attirant par mille petites choses. Ils demandent au garçon :
"Tu y vas toi aussi pour être fils de la Loi ?"
Yabeç répond timidement : "Oui" mais se cache presque derrière
Pierre.
"C'est ton père ? Tu es pauvre, n'est-ce pas ?"
"Je suis pauvre, oui."
Les deux garçons, peut-être fils de pharisiens, le considèrent avec ironie et
curiosité et lui disent :
"Ça se voit."
De fait cela se voit... Son petit vêtement est bien misérable !
Peut-être l'enfant a grandi et bien que l'ourlet de l'habit, d'une couleur marron que les intempéries ont délavée, ait
été défait, le vêtement arrive à peine au milieu de ses petites jambes
brunes, laissant à découvert les petits pieds mal chaussés de deux sandales déformées
tenues par des ficelles qui doivent torturer ses pieds.
Les garçons, rendus impitoyables par l'égoïsme propre à de nombreux enfants
et par la cruauté d'enfants qui ne sont pas foncièrement bons, disent :
"Oh ! alors tu n'auras pas un habit neuf pour ta fête ! Nous,
au contraire !... N'est-ce pas, Joachim ?
Moi tout rouge avec un manteau pareil. Lui, de son côté, couleur de ciel et
nous aurons des sandales avec des boucles d'argent et une ceinture précieuse
et un thalet (Taleth)
retenu, par une lame d'or et..."
"... et un cœur de pierre, je le dis, moi !" s'exclame Pierre
qui a fini de se rafraîchir les pieds et qui remplit d'eau toutes les gourdes.
"Vous êtes méchants ! La cérémonie et l'habit ne valent rien, si le
cœur n'est pas bon. Je préfère mon enfant. Débarrassez la place,
orgueilleux ! Allez chez les riches et respectez ceux qui sont pauvres
et honnêtes.
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260> 192.4 - Viens, Yabeç ! Cette eau
est bonne pour les pieds fatigués. Viens que je te les lave. Après tu
marcheras mieux. Oh ! ces ficelles comme elles t'ont fait du mal !
Il ne faut plus que tu marches. Je te porterai dans mes bras jusqu'à ce que
nous soyons à En-Gannim. Là je trouverai un marchand de sandales et je
t'achèterai une paire de sandales neuves."
Et Pierre lave et essuie les petits pieds qui depuis longtemps n'ont pas eu
pareilles caresses.
L'enfant le regarde, hésite, mais ensuite se penche sur l'homme qui relace
ses sandales. Il l'entoure de ses petits bras amaigris et dit :
"Comme tu es bon !" et il baise ses cheveux grisonnants.
Pierre s'émeut. Il s'assoit par terre, sur le sol humide, tel qu'il l'est. Il
prend l'enfant sur ses genoux et lui dit :
"Alors appelle-moi "père".
Ils forment un petit groupe charmant. Jésus s'avance avec les autres, mais
auparavant les deux petits orgueilleux de tout à l'heure qui étaient restés
en curieux, demandent :
"Mais, ce n'est pas ton père ?"
"Il est père et mère pour moi" dit Yabeç avec assurance.
"Oui, chéri ! Tu as bien dit : père et mère. Et, mes chers
petits messieurs, je vous certifie qu'il n'ira pas mal vêtu à la cérémonie.
Il aura lui aussi un vêtement de roi rouge comme le feu et avec une ceinture
verte comme l'herbe et un thalet blanc comme la neige."
Bien que l'ensemble ne soit pas harmonieux, il stupéfie les deux vaniteux et
les met en fuite.
"Que fais-tu Simon, dans cette humidité ?" demande Jésus avec
un sourire.
"Humidité ? Ah ! oui, je m'en aperçois maintenant. Ce que je
fais ? Je me refais agneau avec l'innocence sur le cœur. Ah !
Maître ! Maître ! Bien, allons. Mais laisse-moi faire avec ce
petit. Plus tard, je le cèderai, mais tant qu'il n'est pas un véritable
israélite, il est à moi."
"Mais oui ! Et tu en seras toujours le tuteur, comme un vieux père.
D'accord ? Partons pour être ce soir à En-Gannim sans trop faire courir
l’enfant."
"Je vais le porter. Il pèse moins que mon filet. Il ne peut marcher avec
ces deux sandales usées. Viens."
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261> Et ainsi chargé du petit garçon,
Pierre reprend gaiement la route désormais toujours plus ombragée, au milieu
des bosquets aux fruits variés. Ils gravissent des collines en pente douce
d'où la vue s'étend sur la fertile plaine d'Esdrelon.
192.5 - Les voilà dans les environs
d'En-Gannim. Ce devait être une belle petite ville bien alimentée en eau qui
lui arrivait des collines par un aqueduc aérien, sans doute construit par les
Romains. Un détachement de soldats qui arrive les oblige à se réfugier sur le
bord du chemin. Les sabots des chevaux retentissent sur la route qui ici,
dans les environs de la ville, montre un pavage rudimentaire qui émerge de la
poussière qui s'est accumulée avec des détritus sur la route qui n'a jamais
vu un balai.
"Salut, Maître ! Toi, ici ?" crie Publius
Quintilianus en descendant de cheval et en
s'approchant de Jésus, souriant franchement et tenant son cheval par la
bride. Ses soldats se mettent au pas pour tenir compte de l'arrêt de leur
chef.
"Je vais à Jérusalem pour la Pâque."
"Moi aussi. On renforce la garnison pour les fêtes, aussi parce que Ponce Pilate
vient à la cité pendant leur durée et il y a ici Claudia.
Nous l’escortons. Les chemins sont si peu sûrs ! Les aigles mettent en
fuite les chacals" dit en riant le soldat et il regarde Jésus. Il
continue plus doucement :
"Double garnison cette année pour protéger ce dégoûtant d'Antipas.
Il y a beaucoup de mécontentement à cause de l'arrestation du Prophète.
Mécontentement en Israël et... par conséquent mécontentement parmi nous.
Mais... nous avons déjà pensé à faire arriver un... bienveillant petit air
de... flûtes aux oreilles du Grand Prêtre et de ses compères"
Et il termine à voix basse :
"Vas-y en toute sûreté. Ils ont tous rentré leurs griffes. Ah !
Ah ! Ils ont peur de nous. Il suffit qu'on tousse pour s'éclaircir la voix qu'ils prennent cela pour un rugissement.
Parleras-tu à Jérusalem ? Viens près du Prétoire. Claudia parle de Toi
comme d'un grand philosophe, et c'est bon pour Toi parce que... c'est Claudia
le proconsul."
192.6 - Il regarde autour et voit
Pierre chargé, rouge, en sueur.
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262/263> "Cet
enfant ?"
"Un orphelin que j'ai pris avec Moi."
"Mais ton homme est trop las ! Petit, as-tu peur de faire quelques
mètres à cheval ? Je te mettrai sous ma chlamyde, et on ira doucement.
Je te remettrai à... à cet homme quand nous arriverons
aux portes."
L'enfant ne fait pas de résistance. Il est doux comme un agneau et Publius le
fait monter avec lui en selle. Et pendant qu'il donne à ses soldats l'ordre
d'avancer lentement, il aperçoit aussi l'homme d'En-Dor. Il le fixe et
dit :
"Toi, ici ?"
"Oui, moi. J'ai cessé de vendre des œufs aux Romains. Mais les poulets
sont encore là-bas. Maintenant, je suis avec le Maître..."
"C'est bon pour toi ! Tu auras plus de réconfort. Adieu !
Salut, Maître. Je t'attends à ce b6uquet d'arbres" et il éperonne son
cheval.
"Tu le connais ? Et il te connaît ?" demandent plusieurs
à Jean d'En-Dor.
"Oui, comme fournisseur de poulets. Au début, il ne me connaissait pas.
Mais une fois je fus appelé au poste de commandement à Naïm pour fixer mes
redevances, et lui était là. Depuis, quand j'allais acheter des livres ou des
outils à Césarée, il me saluait toujours. Il m'appelle Cyclope ou Diogène. Il
n'est pas méchant et bien que je déteste les Romains, je ne l'ai pas offensé
parce qu'il pouvait me rendre service."
"Tu as vu Maître ? Mon discours au centurion
de Capharnaüm a fait de l'effet. Maintenant je
suis plus tranquille pour faire la route" dit Pierre.
Ils rejoignent le bouquet d'arbres, à l'ombre duquel la patrouille est
descendue de cheval.
"Voici, je te rends l'enfant. As-tu des ordres à me donner,
Maître ?"
"Non, Publius. Que Dieu se manifeste à toi."
"Salut"
Et il remonte à cheval et éperonne, suivi des siens au milieu d'un grand
bruit de sabots ferrés et de cuirasses.
192.7 - Ils entrent dans la ville, et
Pierre, accompagné de son petit ami, va lui acheter des sandalettes.
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