Le lundi 18 juin
1945.
263> 193.1 - Par les routes toujours plus
fréquentées par les pèlerins, Jésus continue vers Jérusalem. Pendant la nuit,
une averse a un peu détrempé les routes, mais en revanche a abattu la
poussière et éclairci l'air. Les champs semblent un jardin bien entretenu.
Ils marchent tous avec empressement car la pause les a reposés. L'enfant,
avec ses sandalettes neuves, ne fatigue pas à marcher. Au contraire, toujours
plus confiant, il babille avec l'un ou l'autre, confiant à Jean que son père
s'appelait Jean et sa mère Marie, et qu'à cause de cela il aimait bien Jean.
"Mais aussi, ajoute-t-il, j'aime bien tout le monde et au Temple je
prierai tant, tant pour vous et pour le Seigneur Jésus."
C'est émouvant de voir comme ces hommes, pour la plupart sans enfants, sont
paternels et pleins de prévenances pour le plus petit des disciples de Jésus.
Même l'homme d'Endor prend une expression plus douce quand il oblige le petit
à boire un œuf ou quand il grimpe dans les bois qui verdissent les pentes des
collines et des montagnes toujours plus hautes, fendues par des vallons au
fond desquels passe la grand-route, pour cueillir des mûres ou du fenouil
sauvage et les porte à l'enfant pour calmer sa soif sans le gorger d'eau, et
comme il le distrait de la longueur du chemin en lui faisant remarquer les détails
du paysage et les panoramas qui se présentent.
L'ancien pédagogue de Cintium, ruiné par la méchanceté humaine ressuscite
pour cet enfant : misère, comme lui-même est misère, et un bon sourire
efface les rides du malheur et de l'amertume. Jabé est déjà moins misérable
avec ses sandales neuves et son petit visage moins triste. Les mains de je ne
sais quel apôtre ont eu soin d'effacer toutes les traces de la vie sauvage
qu'il avait menée pendant de si longs mois lui peignant ses cheveux,
jusqu'alors incultes et pleins de poussière, maintenant soyeux et propres.
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264> Même l'homme d'En-Dor, qui reste
encore un peu perplexe quand il s'entend appeler Jean, mais qui ensuite
secoue la tête avec un sourire de compassion pour son peu de
mémoire, change de jour en jour. Jour après jour son visage perd sa dureté
d'expression et il acquiert un sérieux qui ne fait pas peur.
Naturellement ces deux misères, qu'a ressuscitées la bonté de Jésus, gravitent
par leur amour autour du Maître. Chers sont les compagnons, mais Jésus...
Quand il les regarde ou s'adresse à eux en particulier, l’expression de leurs
visages respire tout à fait le bonheur.
193.2 - On franchit le vallon, puis
une colline verte et très belle du sommet de laquelle on peut encore
apercevoir la plaine d'Esdrelon. Cette vue fait dire à l'enfant :
"Que peut bien faire le vieux père ?"
Et il termine avec un soupir bien triste. Une larme brille dans ses yeux
châtains :
"Oh ! lui est bien moins heureux que moi... lui qui est si
bon !"
Et la plainte de l'enfant jette sur tous un voile de tristesse. Voici qu'on
descend à travers une riche vallée toute en champs et en oliveraies, et un
vent léger fait pleuvoir la neige des petites fleurs de la vigne et des
oliviers les plus précoces. On a perdu de vue pour toujours la plaine
d'Esdrelon.
Une pause pour le repas et de nouveau la marche vers Jérusalem. Mais il a
beaucoup plu ou bien le lieu est envahi par des eaux souterraines car les
prairies semblent un marécage tant l'eau brille parmi les herbes touffues,
elle monte au point de lécher la route, un peu surélevée mais qui n'en est
pas moins très boueuse. Les adultes relèvent leurs vêtements pour qu'ils ne
se recouvrent pas d'une couche de boue. Jude Thaddée prend l'enfant sur ses
épaules pour le délasser et lui faire traverser plus rapidement la zone
inondée et peut-être malsaine.
Le jour est à son déclin quand, après avoir côtoyé de nouvelles collines et
franchi une autre petite vallée rocheuse et bien sèche, ils entrent dans un
pays construit sur un terre-plein rocheux. Se frayant un passage à travers la
foule des pèlerins, ils cherchent à se loger dans une sorte d'auberge très
rustique : une grande tente avec une épaisse couche de paille, et rien
de plus.
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265> Des petites lampes allumées çà et
là éclairent le souper des familles de pèlerins, familles pauvres comme la
famille apostolique, car les riches, pour la plupart, se sont dressés des
tentes en dehors du pays, évitant dédaigneusement les contacts avec le peuple
de l'endroit et les pèlerins pauvres.
La nuit descend avec le silence... Le premier qui s'endort, c'est l'enfant.
Il repose, fatigué, sur le sein de Pierre qui l'installe ensuite sur la
paille et le couvre soigneusement.
Jésus réunit les adultes pour la prière, puis chacun s'étend sur la litière
pour se reposer du long chemin.
193.3 - Le jour suivant : la
troupe apostolique partie dès le matin est sur le point d'entrer à Sichem
après avoir traversé la Samarie. La ville a un bel aspect, entourée de
murailles, couronnée d'édifices beaux et majestueux autour desquels se
serrent avec ordre de belles maisons. J'ai l'impression que la ville, comme
Tibériade, a été depuis peu reconstruite par les Romains avec un plan venu de
Rome. Tout autour, au-delà des murs, un environnement de terres très fertiles
et bien cultivées.
La route qui conduit de Samarie à Sichem se déroule en descendant par paliers
successifs avec un système de murets qui soutiennent le terrain, qui me rappelle
les défilés de Fiesole. Il y a une vue magnifique sur de vertes montagnes au
sud et sur une très belle plaine qui s'étend vers l'ouest.
Sur ce croquis, Maria Valtorta a écrit, en plus des
quatre points cardinaux :
Plaine, Samarie, montagnes du sud.
La
route tend à descendre mais remonte de temps en temps pour franchir d'autres collines
du haut desquelles on domine le pays de Samarie avec ses belles cultures
d'oliviers, de blé, de vignes sur lesquelles veillent du haut des collines
des bois de chênes et d'arbres de haute futaie qui font une protection contre
les vents qui, venant des défilés, tendent à former des tourbillons qui
endommageraient les cultures.
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266> Cette région me rappelle beaucoup
les points de notre Apennin ici, vers l'Amiata, quand l’œil contemple en même
temps les cultures plates de céréales de la Maremme et les collines joyeuses,
et les montagnes sévères qui s'élèvent plus hautes, à l'intérieur. Je ne sais
pas comme est aujourd'hui la Samarie. Alors elle était très belle.
Voici maintenant qu'entre deux hautes montagnes, parmi les plus hautes de la
région on voit dans le sens de la longueur, une vallée très fertile, bien
arrosée et au milieu Sichem. C'est là que Jésus et les siens sont rejoints
par la caravane brillante de la cour du Consul qui se transfère pour les
fêtes à Jérusalem. Esclaves à pied et esclaves sur des chars pour surveiller
le transport des objets. ..Mon Dieu, quel fourniment ils pouvaient
transporter avec eux de ce temps-là !!! Et avec les esclaves de vrais
chars transportant un peu de tout et jusqu'à des litières complètes et des
carrosses de voyage. Ce sont des grands chars à quatre roues, bien suspendus,
couverts, dans lesquels les dames sont à l'abri. Et puis, d'autres chars et
des esclaves...
Une tenture se découvre, soulevée par la main ornée de joyaux d'une femme, et
on voit le profil sévère de Plautina qui salue sans parler, mais avec un
sourire, et de même fait Valeria qui a sur ses genoux sa petite toute gazouillante
et souriante. L'autre char de voyage, encore plus somptueux, passe sans
qu'aucune capote ne s’ouvre. Mais, quand elle est déjà passée, se penche à
l'arrière entre les rideaux lacés la figure rose de Lidia qui salue en
s'inclinant. La caravane s'éloigne...
193.4 - "Ils voyagent bien
eux ! dit Pierre fatigué et tout en sueur. Mais si Dieu nous aide, après
demain soir nous serons à Jérusalem."
"Non, Simon. Il me faut dévier en allant vers le Jourdain."
"Mais, pourquoi, Seigneur ?"
"À cause de cet enfant. Il est très triste et le serait trop en revoyant
la montagne qui s'est éboulée."
"Mais nous n'allons pas la voir ! Ou plutôt nous allons voir
l'autre côté... et... et je pense à le tenir distrait. Moi et Jean... Il se
distrait tout de suite ce pauvre tourtereau sans nid. Aller vers le
Jourdain ! Allons donc ! C'est mieux par ici. Chemin direct, plus
court, plus sûr. Non, non. Celui-là, celui-là. Tu vois ? Même les
romaines le suivent.
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267> Le long de la mer et du fleuve se
dégagent des émanations de fièvres, à ces premières pluies d'été. Par ici,
c'est sain. Et puis... Quand est-ce qu'on arrive si on allonge encore le
parcours ? Pense combien ta Mère sera inquiète après le brutal
enlèvement du Baptiste !..."
Pierre l'emporte et Jésus consent.
"Nous allons nous reposer de bonne heure et comme il faut, et demain
nous partirons à l'aube pour être après demain soir à Gethsémani. Nous irons
le lendemain du vendredi chez la Mère à Béthanie, où nous déposerons les
livres de Jean qui s'est bien fatigué et nous trouverons Isaac à qui nous
donnerons ce pauvre frère..."
"Et l'enfant ? Tu le donnes tout de suite ?"
Jésus sourit :
"Non, nous le donnerons à la Mère pour qu'elle le prépare pour
"sa" fête. Et puis nous le garderons avec nous pour la Pâque. Mais
ensuite, nous devrons aussi le laisser... Ne t'y attache pas trop ! Ou
plutôt : aime-le comme s'il était ton enfant, mais avec un esprit surnaturel.
Tu vois : il est faible et se fatigue facilement. Moi aussi, j'aurais
aimé l'instruire et le faire grandir en Sagesse, nourri par Moi. Mais je suis
l'Inlassable, et Jabé est trop jeune et trop faible pour supporter nos
fatigues. Nous irons à travers la Judée, puis nous reviendrons à Jérusalem
pour la Pentecôte et puis nous irons... nous irons, annonçant la Bonne
Nouvelle... Nous le retrouverons pendant l'été dans notre patrie.
193.5 - Nous voici aux portes de
Sichem. Pars en avant avec ton frère et Judas de Simon pour chercher un
logement. J'irai sur la place du marché et je t'y attendrai."
Ils se séparent pendant que Pierre court à la recherche d'un abri et pendant
que les autres cheminent difficilement par les rues encombrées de gens qui
crient et gesticulent, d'ânes, de chars, qui se dirigent tous vers Jérusalem
pour la Pâque imminente. Les voix, les appels, les imprécations se mêlent aux
braiments des ânes. Cela fait une puissante rumeur qui se répercute sous les
passages qui séparent les maisons, une rumeur qui rappelle le bruit que font
certains coquillages quand on les applique à l'oreille. L'écho se répercute
là où déjà les ombres se rassemblent et les gens, comme de l'eau sous
pression se précipitent à travers les rues, cherchant un toit, une place, une
pelouse pour y passer la nuit...
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268> Jésus, qui tient l'enfant par la
main, adossé à un arbre, attend Pierre sur la place qui, pour la
circonstance, est pleine de marchands.
"Personne ne nous remarque ni ne nous reconnaît !" dit
l'Iscariote.
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