Vision du mardi 30 juillet 1946.
266> 464.1 – Sur l'autre rive, au sortir
d'un pont, déjà attend un char couvert.
"Monte, Maître. Tu ne te fatigueras pas, malgré la longueur du trajet,
pas tellement à cause de la durée du parcours que parce que j'ai commandé de
tenir toujours ici tout prêts des paires de bœufs pour ne pas porter ombrage
aux hôtes plus respectueux de la Loi... Il faut les plaindre..."
267> "Mais où
sont-ils ?"
"Ils nous ont précédés sur d'autres chars. Tobit !"
"Maître ?" dit le conducteur qui est en train d'atteler les
bœufs au joug.
"Les autres hôtes, où sont-ils ?"
"Oh ! très en avant. Ils vont arriver à la maison."
"Tu l'entends, Maître ?"
"Mais si je n'étais pas venu ?"
"Oh ! Nous étions certains que tu serais venu. Pourquoi n'aurais-tu
pas dû venir ?"
"Pourquoi !! Kouza,
je suis venu pour te montrer que je ne suis pas un lâche. Il n'y a de lâches
que les mauvais, ceux qui ont des fautes qui leur font craindre la justice...
La justice des hommes, malheureusement, alors qu'ils devraient craindre
d'abord, uniquement, celle de Dieu. Mais Moi, je n'ai pas de fautes et
je n'ai pas peur des hommes."
"Mais Seigneur ! Ceux qui sont avec moi ont tous de la vénération
pour Toi ! Comme moi. Et nous ne devons absolument pas te faire
peur ! Nous voulons te faire honneur, non t'insulter !"
Kouza est affligé et presque indigné.
Jésus,
assis en face de lui, alors que le char avance lentement, tout en grinçant,
parmi les vertes campagnes, répond :
"Plus que la guerre ouverte des ennemis, je dois craindre la guerre
sournoise des faux amis, ou le zèle injuste des vrais amis, mais qui ne m'ont
pas encore compris, et tu es de ceux-là. Ne te rappelles-tu pas ce
que j'ai dit à Béther ?"
"Moi, je t'ai compris, Seigneur" murmure Kouza, mais pas très sûr
de lui et sans répondre directement à la question.
"Oui, tu m'as compris. Sous le coup de la douleur et de la joie ton cœur
est devenu limpide, comme après un orage et un arc-en-ciel est limpide
l'horizon. Et tu voyais juste. Puis...
Tourne-toi, Kouza, pour regarder notre Mer de Galilée. Elle paraissait si
limpide à l'aurore ! Pendant la nuit, la rosée avait purifié
l'atmosphère et la fraîcheur nocturne avait ralenti l'évaporation des eaux.
Le ciel et le lac étaient deux miroirs de pur saphir qui se renvoyaient
mutuellement leurs beautés.
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268> Les collines, tout
autour, étaient fraîches et pures comme si Dieu les avait créées pendant la
nuit. Maintenant, regarde. La poussière des routes de la côte, parcourues par
des gens et des animaux, l'ardeur du soleil qui fait fumer les bois et les
jardins comme des chaudières sur un foyer et qui incendie le lac en en
faisant évaporer l'eau, regarde comme tout cela a terni l'horizon. Auparavant
les bords paraissaient tout proches, limpides comme ils l'étaient dans la
grande limpidité de l'air; maintenant, regarde... Ils semblent trembler
offusqués brouillés, semblables à des objets que l'on voit à travers un voile
d'eau impure. C'est ce qui est arrivé pour toi. La poussière :
l'humanité; le soleil : l'orgueil. Kouza, ne trouble pas ton
moi..."
Kouza baisse la tête, jouant machinalement avec les ornements de son vêtement
et la boucle de sa riche ceinture qui soutient son épée.
Jésus se tait, en restant les yeux presque fermés comme s'il avait sommeil. Kouza respecte son sommeil ou ce qu'il
prend pour tel.
464.2 – Le char avance lentement en
direction sud-est, vers de légères ondulations qui sont, du moins je le
crois, le premier échelon du haut plateau qui borde la vallée du Jourdain de ce
côté oriental. Certainement à cause de la richesse des eaux souterraines ou
de quelques cours d'eau, les campagnes sont très fertiles et belles; des
grappes et des fruits apparaissent au milieu du feuillage.
Le char prend un chemin privé en quittant la route principale et s'enfonce
dans une allée très touffue où il trouve l'ombre et la fraîcheur, du moins
relative, en comparaison de la fournaise de la grand-route ensoleillée.
Une maison basse, blanche, d'aspect distingué, se trouve au fond de l'allée.
Des maisons plus humbles sont ça et là dans les
champs et les vignobles.
Le char franchit un petit pont et une barrière au-delà de laquelle le verger
fait place à un jardin dont l'allée est couverte de gravier. Au bruit
différent que font les roues sur le gravier, Jésus ouvre les yeux.
"Nous sommes arrivés, Maître. Voici les hôtes qui nous ont entendu et
accourent" dit Kouza.
Et en effet un grand nombre de gens, tous de riche condition, se
groupent au commencement de l'allée et ils saluent avec de pompeuses
révérences le Maître qui arrive.
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269> Je vois et
reconnais Manahen, Timon,
Éléazar,
et il me semble en voir d'autres qui ne me sont pas inconnus
mais dont je ne puis dire les noms. Et puis un très grand nombre que je n'ai
jamais vus, ou que du moins je n'ai jamais remarqués particulièrement. Il y
en a beaucoup avec des épées et d'autres qui n'en ont pas étalent les
abondantes fanfreluches des pharisiens, des prêtres ou des rabbins.
Le char s'arrête, et Jésus en descend le premier en s'inclinant pour saluer
collectivement. Les disciples Manahen et Timon s'avancent pour échanger un
salut particulier. Et puis c'est Eléazar (le bon pharisien du banquet dans la
maison d'Ismaël)
et avec lui s'amènent deux scribes qui tiennent à se faire
reconnaître. Il y a celui qui à
Tarichée eut son petit-fils guéri, le jour de
la première multiplication des pains,
et l'autre qui nourrit la foule
au pied de la montagne des béatitudes.
Et un autre encore se fraie un passage : le pharisien
qui dans la maison de Joseph, au temps de la moisson, fut
instruit par Jésus sur le vrai motif de son injuste jalousie.
Kouza procède aux présentations et je les passe sous silence, car c'est à en
perdre la tête dans la foule des Simon, des Jean, des Lévi, des Eléazar,
Nathanaël, Philippe, Joseph etc. etc. les sadducéens, les scribes, les
prêtres, des hérodiens en grand nombre, et même je devrais dire que ces
derniers sont les plus nombreux, et une poignée de prosélytes et de
pharisiens, deux synhédristes et quatre chefs de
synagogues et, perdu je ne sais comment dans cette foule, un essénien.
Jésus s'incline à chaque nom, regardant intensément chaque visage et
esquissant parfois un léger sourire comme quand quelqu'un, pour préciser son
identité, spécifie quelque fait qui l'a mis en rapport avec Jésus.
C'est ainsi qu'un certain Joachim de Bozra Lui dit : "Ma femme Marie a été
guérie de la lèpre par Toi. Sois béni."
Et l'essénien : "Je t'ai entendu quand tu as parlé près de Jéricho
et un de nos frères a quitté les rives de la Mer Salée pour te suivre. Et j'ai encore entendu parler de Toi à propos du
miracle d'Élisée d'Engaddi.
Sur ces terres nous vivons purs, en attendant..."
Qu'attendent-ils je ne sais. Je sais qu'en le disant, cet homme regarde avec
un air de supériorité un peu exaltée les autres qui ne jouent certainement
pas aux mystiques mais qui, pour la plupart, paraissent jouir allègrement du
bien-être que leur situation leur permet.
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270> 464.3 – Kouza soustraie son Hôte aux
cérémonies des salutations et le conduit dans une salle de bains confortable
où il le laisse pour les ablutions d'usage, certainement agréables par cette
chaleur, et il revient vers ses hôtes, avec lesquels il parle avec animation,
et ils en arrivent presque à une dispute à cause de la diversité des avis.
Certains veulent commencer de suite le discours. Quel discours ?
D'autres, au contraire, proposent de ne pas assaillir tout de suite le Maître
mais de commencer par le persuader de leur profond respect. C'est cet avis
qui prévaut car il a pour lui le plus grand nombre, et Kouza, en qualité de
maître de maison, appelle ses serviteurs pour commander un banquet qu'ils
feraient vers le soir pour laisser du temps à Jésus, "qui est
visiblement fatigué, de se reposer" ce que tout le monde accepte et
quand Jésus revient, les hôtes prennent congé de Lui en s'inclinant
profondément, le laissant avec Kouza qui le conduit dans une pièce à l'ombre,
où se trouve une couchette basse couverte de riches tapis.
Jésus, resté seul, confie à un serviteur ses sandales et son vêtement pour
qu'il les dépoussière et enlève les traces des pérégrinations du jour
précédent. Il ne dort pas; assis sur le bord de la couchette, les pieds nus
sur la natte qui recouvre le pavé, avec la courte tunique ou sous-vêtement
qui Lui arrive aux coudes et aux genoux, il pense intensément. Si
l'habillement ainsi réduit le fait paraître plus jeune dans la splendide et
parfaite harmonie de son corps viril, l'intensité de sa pensée, qui n'est
certainement pas gaie, marque son front de rides et contracte son visage en
Lui donnant une expression de douloureuse fatigue qui le vieillit.
Aucun bruit dans la maison, personne dans la campagne où dans la lourde
chaleur les grappes mûrissent. Les rideaux sombres qui pendent devant les
portes et aux fenêtres n'ont pas la moindre ondulation.
464.4 – Ainsi passent les heures...
La pénombre augmente avec le coucher du soleil, mais la chaleur persiste et
aussi la méditation de Jésus.
Enfin la maison semble se réveiller. On entend des voix, des bruits de pas,
des ordres.
Kouza écarte doucement le rideau pour observer, sans déranger Jésus.
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271> "Entre !
Je ne dors pas" dit Jésus.
Kouza entre : il est déjà dans le vêtement d'apparat du banquet. Il
regarde et il voit que la couchette ne semble pas avoir accueilli un corps.
"Tu n'as pas dormi ? Pourquoi ? Tu es fatigué..."
"J'ai reposé dans le silence et à l'ombre. Cela me suffit."
"Je vais te faire apporter un vêtement..."
"Non. Le mien est certainement sec. Je préfère le prendre. J'ai
l'intention de partir dès la fin du banquet. Je te prie de tenir prêts dans
ce but le char et la barque."
"Comme tu veux, Seigneur. J'aurais voulu te garder jusqu'à demain à
l'aurore..."
"Je ne puis. Je dois aller..."
Kouza sort en s'inclinant...
On entend de nombreux chuchotements...
Il se passe un certain temps. Le serviteur revient avec le vêtement de lin,
tout frais lavé, parfumé de soleil, et avec les sandales nettoyées et bien
graissées toutes brillantes et assouplies. Un autre le suit .avec un bassin,
une amphore et des essuie-mains, et dépose le tout sur une table basse. Ils
sortent...
464.5 – ... Jésus rejoint les hôtes
dans l'atrium qui divise la maison du nord au sud, formant un lieu aéré et
agréable, pourvu de sièges et orné de rideaux légers, multicolores, qui
modifient la lumière sans gêner l'aération. Maintenant, tirés de côté, ils
laissent voir le cadre de verdure qui entoure la maison.
Jésus est imposant. Bien qu'il n'ait pas dormi, il semble avoir pris des
forces et sa démarche est celle d'un roi. Le lin du vêtement qu'il vient de
mettre est très blanc et les cheveux, rendus lumineux par le bain du matin,
brillent avec délicatesse, encadrant le visage de leur couleur dorée.
"Viens, Maître. Nous n'attendions que Toi" dit Kouza.
Et il le conduit le premier dans la pièce où sont les tables.
On s'assoit après la prière et une ablution supplémentaire pour les mains, et
le repas commence, pompeux comme toujours, et silencieux au début. Puis la
glace se rompt.
Jésus est voisin de Kouza, et de l'autre côté se trouve Manahen avec comme
compagnon Timon. Les autres sont placés par Kouza, avec son savoir-faire de
courtisan, sur les côtés de la table en forme de U.
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272> Seul l'essénien a
refusé obstinément de prendre part au banquet et de s'asseoir à la table
commune avec les autres. Ce n'est que lorsque un serviteur, sur l'ordre de
Kouza, lui offre un petit panier précieux rempli de fruits, qu'il accepte de
s'asseoir devant une table basse, après je ne sais combien d'ablutions, et
après avoir relevé les larges manches de son vêtement blanc par crainte de
les tacher ou pour suivre un rite, je ne sais.
C'est un banquet bizarre où l'on communique plus par les regards que par les
discours. Tout juste de brèves phrases de politesse et l'on s'étudie
réciproquement : Jésus étudie les convives et eux l'étudient.
464.6 – Enfin Kouza fait signe aux
serviteurs de se retirer après avoir apporté de grands plateaux de fruits qui
sont frais pour avoir peut-être été conservés dans le puits, très beaux, je
dirais presque glacés, avec ce givre qui caractérise les fruits conservés
dans la glace.
Les serviteurs sortent après avoir aussi allumé les lampes, inutiles pour
l'instant car il fait encore clair dans le long crépuscule d'été.
"Maître, commence Kouza, tu dois t'être
demandé le pourquoi de cette réunion et du silence que nous observons. Mais
ce que nous devons te dire est très grave et ne doit pas être entendu par des
oreilles imprudentes. Maintenant nous sommes seuls et nous pouvons parler. Tu
le vois, tous ont pour Toi le plus grand respect. Tu es parmi des hommes qui
te vénèrent comme Homme et comme Messie. Ta justice, ta sagesse, les dons
dont Dieu t'a donné la maîtrise. nous sont connus et nous les admirons. Tu es
pour nous le Messie d'Israël, le Messie selon l'idée spirituelle et selon
l'idée politique. Tu es l'Attendu qui doit mettre fin à la douleur, à
l'humiliation de tout un peuple, et non seulement de ce peuple renfermé dans
les confins d'Israël, ou plutôt de la Palestine, mais pour le peuple d'Israël
tout entier, des milliers et des milliers de colonies de la Diaspora
répandues par toute la Terre, et qui font retentir le nom de Jéhovah sous
tous les cieux et qui font connaître les promesses et les espérances, qui
maintenant se réalisent, d'un Messie restaurateur, d'un Vengeur, d'un
Libérateur et créateur de l'indépendance véritable et de la Patrie d'Israël,
c'est-à-dire de la Patrie la plus grande qui soit au monde, la Patrie : reine
et dominatrice, qui annule tout souvenir du passé et tout signe vivant
d'esclavage, l'Hébraïsme qui triomphe sur tout et sur tous, et pour toujours,
parce qu'ainsi il a été dit et qu'ainsi la chose s'accomplit.
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273> Seigneur, ici,
devant Toi, tu as Israël tout entier dans les représentants des différentes
classes de ce peuple éternel, châtié par le Très-Haut mais bien-aimé de Lui
qui le proclame "sien". Tu as le cœur vivant et sain d'Israël avec
les membres du Sanhédrin et les prêtres, tu as la puissance et la sainteté
avec les pharisiens et les sadducéens, tu as la sagesse avec les scribes et
les rabbis, tu as la politique et la valeur avec les hérodiens, tu as la
richesse avec ceux qui sont fortunés, le peuple avec les marchands et les
propriétaires, tu as la Diaspora avec les prosélytes, tu as
jusqu'à ceux qui sont séparés et qui maintenant sont prêts à se réunir, parce
qu'ils voient en Toi l'Attendu : les esséniens, les esséniens irréconciliables.
Regarde, ô Seigneur, ce premier prodige, ce grand signe de ta mission,
de ta vérité. Toi, sans violence, sans moyens, sans serviteurs, sans soldats,
sans épées, tu rassembles tout ton peuple comme une citerne rassemble les
eaux de mille sources. Toi, presque sans paroles, sans, absolument sans
ordres, tu nous réunis, nous, peuple divisé par les malheurs, les haines, des
idées politiques et religieuses et tu nous réconcilies. O Prince de la Paix,
réjouis-toi d'avoir racheté et restauré avant même d'avoir pris le sceptre et
la couronne. Ton Royaume, le Royaume attendu d'Israël est né. Nos richesses,
nos puissances, nos épées, sont à tes pieds. Parle ! Commande !
L'heure est venue."
464.7 – Tous approuvent le discours de
Kouza. Jésus, les bras croisés, se tait.
"Tu ne parles pas ? Tu ne réponds pas, ô Seigneur ? Peut-être
la chose t'a étonné... Peut-être tu sens que tu n'es pas préparé et tu doutes
surtout qu'Israël soit préparé... Mais il n'en est pas ainsi. Écoute nos
voix. Je parle, et avec moi Manahen, pour le palais royal. Il ne mérite plus
d'exister. C'est l'opprobre et la pourriture d'Israël. C'est la tyrannie
honteuse qui opprime le peuple et s'abaisse servilement pour flatter
l'usurpateur. Son heure est venue. Lève-toi, ô Étoile de Jacob, et mets en
fuite ce chœur de crimes et de hontes. Ici sont ceux qui, appelés hérodiens,
sont les ennemis des profanateurs du nom des Hérodes,
sacré pour eux. À vous la parole."
"Maître, je suis âgé et je me rappelle ce qu'était la splendeur
d'autrefois. Comme le nom héros donné à une charogne puante, tel est le nom
d'Hérode porté par des descendants dégénérés qui avilissent notre peuple.
C'est le moment de répéter le geste qu'a fait plusieurs fois Israël quand des
monarques indignes régnaient sur les souffrances du peuple. Toi seul es digne
de faire ce geste."
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274> Jésus se tait.
"Maître, te semble-t-il que l'on puisse douter ? Nous avons scruté
les Écritures: tu es celui-ci, tu dois régner" dit un scribe.
"Tu dois être Roi et Prêtre. Nouveau Néhémie, plus grand que lui, tu
dois venir et purifier.
L'autel est profané. Que le zèle du Très-Haut te presse" dit un prêtre.
"Beaucoup d'entre nous t'ont combattu. Ceux qui craignent ton règne
sage, mais le peuple est avec Toi, et les meilleurs de nous avec le peuple.
Nous avons besoin d'un sage."
"Nous avons besoin d'un pur."
"D'un vrai roi."
"D'un saint."
"D'un Rédempteur. Nous sommes, de plus en plus, esclaves de tout et de
tous. Défends-nous, Seigneur !"
"Dans le monde, nous sommes piétinés car, malgré notre nombre et notre
richesse, nous sommes comme des brebis sans berger. Appelle au rassemblement
par le vieux cri : "À tes tentes, ô Israël !" et de tous
les points de la Diaspora comme une levée de troupes surgiront tes sujets
pour renverser les trônes vacillants des puissants qui ne sont pas aimés de
Dieu."
Jésus se tait toujours. Lui seul est assis, calme comme s'il ne s'agissait
pas de Lui au milieu de cette quarantaine de forcenés. Je me rappelle à peine
un dixième de leurs raisons car ils parlent tous ensemble comme dans la
confusion d'un marché. Lui garde son attitude et continue de se taire.
Tous crient : "Dis un mot ! Réponds !"
Jésus se lève lentement, en appuyant ses mains sur le bord de la table. Il se
fait un silence profond. Brûlé par le feu de quatre-vingt pupilles, il ouvre
les lèvres, et les autres les ouvrent comme pour aspirer sa réponse, et la
réponse est brève mais nette : "Non."
"Mais comment ? Mais pourquoi ? Tu nous trahis ? Tu
trahis ton peuple ! Il renie sa mission ! Il repousse l'ordre de
Dieu !..."
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275> C'est un
vacarme ! Un tumulte ! Les visages deviennent cramoisis, les yeux
s'enflamment, les mains semblent menacer... Plutôt que des fidèles, ils
semblent des ennemis. Mais c'est ainsi : quand une idée politique
domine les cœurs, même ceux qui sont doux deviennent des fauves pour ceux qui
s'opposent à leurs idées.
464.8 – Au tumulte succède un étrange
silence. Il semble qu'après avoir épuisé leurs forces ils se sentent épuisés,
à bout. Ils se regardent en s'interrogeant, désolés... certains fâchés...
Jésus promène son regard tout autour. Il dit :
"Je savais que c'était pour cela que vous me vouliez ici. Et je savais
l'inutilité de votre démarche. Kouza peut dire que je l'ai dit à Tarichée. Je
suis venu pour vous montrer que je ne crains aucune embûche, parce que ce
n'est pas mon heure, et je ne la craindrai pas quand l'heure de l'embûche
sera venue pour Moi, car c'est pour cela que je suis venu. Et je suis venu
pour vous persuader. Vous, non pas tous, mais plusieurs d'entre vous, êtes de
bonne foi. Mais je dois corriger l'erreur dans laquelle, de bonne foi, vous
êtes tombés. Vous voyez ?
Je ne vous fais pas de reproches. Je n'en fais à personne, pas même à ceux
qui, étant mes disciples fidèles, devraient être conduits par la justice et
régler leurs propres passions avec justice. Je ne te fais pas de reproches,
juste Timon, mais je te dis qu'au fond de ton amour qui veut m'honorer, il y
a encore ton moi qui s'agite et rêve d'un temps meilleur, où tu pourras voir
frappés ceux qui te frappèrent. Je ne te fais pas de reproches, Manahen, bien
que tu montres que tu as oublié la sagesse et l'exemple tout spirituels que
tu avais de Moi, et auparavant du Baptiste,
mais je te dis qu'en toi aussi se trouve une racine d'humanité qui renaît
après l'incendie de mon amour. Je ne te fais pas de reproches, Eléazar, homme
juste tant pour la vieille femme qu'on t'a laissée, juste toujours, mais pas
maintenant. Et je ne te fais pas de reproches, Kouza, bien que je devrais le
faire parce qu'en toi, plus qu'en tous ceux qui de bonne foi veulent me faire
roi, est vivant ton moi. Roi, oui, tu veux que je le sois. Il n'y a pas de
piège dans ta parole. Tu ne viens pas pour me prendre en faute, pour me
dénoncer au Sanhédrin, au roi, à Rome. Mais plus que par amour - tu crois
n'agir que par amour, mais cela n'est pas - plus que par amour, tu agis pour
te venger des offenses qui te sont venues du palais royal. Je suis ton hôte
et je devrais taire la vérité sur tes sentiments, mais je suis la Vérité en
toutes choses, et je parle pour ton bien.
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de page.
276> Et il en est ainsi
de toi, Joachim de Bozra, et de toi, scribe Jean, et de toi aussi, et de toi,
et de toi, et de toi." Il montre celui-ci, celui-là, sans rancœur, mais
avec tristesse... et il continue : "Je ne vous fais pas de
reproches, car je sais que ce n'est pas vous qui voulez cela, spontanément.
C'est l'Embûche, c'est l'Adversaire qui travaille et vous... vous êtes, sans
le savoir, vous êtes des instruments entre ses mains. Même l'amour, même de
votre amour, ô Timon, ô Manahen, ô Joachim, ô vous qui réellement m'aimez,
même de votre vénération, ô vous qui pressentez en Moi le Rabbi parfait, même
de cela, lui, le Maudit, se sert pour nuire et me nuire. Mais Moi, je vous
dis à vous et à ceux qui n'ont pas vos sentiments, et qui avec des buts qui
descendent de plus en plus bas jusqu'à la trahison et au crime voudraient que
j'accepte d'être roi, je dis : Non. Mon Royaume n'est pas de ce monde.
Venez à Moi, pour que j'établisse mon Royaume en vous, rien d'autre.
464.9 – Et maintenant, laissez-moi
partir."
"Non, Seigneur, nous sommes bien décidés. Nous avons déjà mis en
mouvement nos richesses, préparé des plans, nous avons décidé de sortir de
cette incertitude qui entretient l'inquiétude d'Israël et de laquelle
profitent les autres pour lui nuire. On te dresse des
embûches, c'est vrai. Tu as des ennemis au Temple lui-même. Moi, l'un des
Anciens, je ne le nie pas, mais pour y mettre fin, voilà ce qu'il faut :
ton onction. Et nous sommes tout disposés à te la donner. Ce n'est pas la
première fois qu'en Israël quelqu'un est ainsi proclamé roi, pour mettre fin
aux malheurs de la nation et aux discordes. Il y a ici quelqu'un qui, au nom
de Dieu, peut le faire. Laisse-nous faire" dit un des prêtres.
"Non ! Cela ne vous est pas permis. Vous n'en avez pas
l'autorité."
"Le Grand Prêtre est le premier à le vouloir, même s'il ne semble pas.
Il ne peut plus tolérer la situation actuelle de la domination romaine et le
scandale royal."
"Ne mens pas, prêtre. Sur tes lèvres le blasphème est doublement impur.
Peut-être tu ne le sais pas et tu te trompes, mais au Temple, on ne le
veut pas."
"Tu prends donc pour un. mensonge notre affirmation ?"
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277> "Oui, sinon
pour vous tous, pour beaucoup d'entre vous. Ne mentez pas. Je suis la
Lumière et j'éclaire les cœurs..."
"Nous, tu peux nous croire" crient les hérodiens.
"Nous n'aimons pas Hérode Antipas
ni aucun autre."
"Non. Vous n'aimez que vous-mêmes, c'est vrai, et vous ne pouvez
m'aimer. Je vous servirais de levier pour renverser le trône, pour ouvrir le
chemin à un pouvoir plus puissant et pour faire supporter au peuple une
oppression plus mauvaise. Une tromperie pour Moi, pour le peuple, et pour
vous-mêmes. Quand vous auriez anéanti le roi, Rome vous anéantirait
tous."
"Seigneur, dans les colonies de la Diaspora, il y a des hommes prêts à
s'insurger... Nous les soutenons de nos ressources" disent les
prosélytes.
"Et des miennes, et tout l'appui de l'Auranitide
et de la Trachonitide" crie l'homme de Bozra. "Je sais ce que je
dis. Nos montagnes peuvent nourrir une armée, et à l'abri des embûches, pour
les lancer comme un vol d'aigles à ton service."
"La Pérée aussi."
"La Gaulanitide aussi."
"La vallée de Gahas avec Toi !"
"Et avec Toi les rives de la Mer Salée avec les nomades qui nous croient
des dieux, si tu consens à t'unir à nous" crie l'essénien et il continue
en un verbiage d'exalté qui se perd dans le bruit.
"Les montagnards de la Judée sont de la race des rois courageux."
"Et ceux de la Haute Galilée sont des héros de la trempe de Déborah. Même les femmes, même les enfants sont des héros !"
"Tu nous crois peu nombreux ? Nous sommes des troupes nombreuses.
Le peuple est tout entier avec Toi. Tu es le roi de la race de David, le
Messie ! C'est le cri sur les lèvres des sages et des ignorants, parce
que c'est le cri des cœurs. Tes miracles... tes paroles... Les
signes..." C'est une confusion que je ne réussis pas à suivre.
Jésus, comme un rocher bien ferme enveloppé par un tourbillon, ne bouge pas,
ne réagit même pas. Il est impassible. Et la ronde des prières, des
supplications, des raisons, continue.
"Tu nous déçois ! Pourquoi veux-tu notre ruine ? Tu veux n'agir
que par Toi-même ? Tu ne peux. Matthatias
Maccabée ne refusa pas l'aide des Assidéens
et Judas libéra Israël avec leur aide... Accepte !!!"
Haut
de page.
278> De temps à autre,
les cris s'unissent sur ce mot, mais Jésus ne cède pas.
464.10 – Un des Anciens, très âgé,
parlote avec un prêtre et un scribe plus âgés que lui. Ils viennent en avant.
Ils imposent le silence. C'est le vieux scribe qui parle, après avoir appelé
aussi à lui Eléazar et les deux scribes Jean :
"Seigneur, pourquoi ne veux-tu pas ceindre la couronne
d'Israël ?"
"Parce qu'elle ne m'appartient pas. Je ne suis pas fils d'un prince
hébreu."
"Seigneur, peut-être tu ne le sais pas.
Eux deux et moi-même, nous fûmes appelés un jour parce que trois Sages étaient venus
pour demander où était Celui qui était né roi des hébreux.
Comprends-tu ? "Né roi". On nous réunit, nous les princes des
prêtres et des scribes du peuple sur l'ordre d'Hérode le Grand pour répondre
à la question. Et avec nous, il y avait Hillel
le Juste. Notre réponse fut : "à Bethléem de Juda". Toi, nous
le savons, c'est là que tu es né et de grands signes accompagnèrent ta
naissance. Parmi tes disciples, il y a des témoins. Peux-tu nier que tu as
été adoré comme Roi par les trois Sages ?"
"Je ne le nie pas."
"Peux-tu nier que le miracle te précède, t'accompagne et te suit comme
signe du Ciel ?"
"Je ne le nie pas."
"Peux-tu nier que tu es le Messie promis?"
"Je ne le nie pas."
"Et alors, au nom du Dieu vivant, pourquoi veux-tu tromper les
espérances d'un peuple ?"
"Je viens pour accomplir les espérances de Dieu."
"Lesquelles ?"
"Celles de la Rédemption du monde, de
la formation du Royaume de Dieu. Mon Royaume
n'est pas de ce monde.
Reprenez vos ressources et vos armes. Ouvrez vos yeux et vos esprits pour
lire les Écritures et les Prophètes et pour accueillir ma Vérité, et vous
aurez le Royaume de Dieu en vous."
"Non. Les Écritures parlent d'un Roi libérateur."
"De l'esclavage de Satan, du péché, de l'erreur, de la chair, du gentilisme ,
de l'idolâtrie.
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279> 464.11 – Ah ! que vous a fait
Satan, ô hébreux, peuple sage, pour vous faire tromper sur les vérités
prophétiques ? Que vous fait-il, ô hébreux, mes frères, pour vous rendre
si aveugles ? Que, que vous fait-il, ô mes disciples, pour que vous
aussi vous ne compreniez plus ? Le plus grand malheur d'un peuple et
d'un croyant c'est de tomber dans une fausse interprétation des signes, et
ici se produit ce malheur. Des intérêts personnels, des préjugés, des
exaltations, un amour mal compris de la patrie, tout sert à créer l'abîme...
L'abîme de l'erreur dans lequel un peuple périra en méconnaissant son
Roi."
"C'est Toi qui te méconnais."
"C'est vous qui vous méconnaissez, et me méconnaissez. Je ne suis pas un
roi humain. Et vous... vous, les trois quarts de vous rassemblés ici, vous le
savez et vous voulez mon malheur et non mon bien. Vous le faites par rancœur,
non par amour. Je vous pardonne. Je dis à ceux qui ont le cœur droit :
"Revenez à vous, ne soyez pas les serviteurs inconscients du mal".
Laissez-moi aller. Il n'y a pas autre chose à dire."
Un silence plein de stupeur...
Eléazar dit :
"Je ne suis pas ton ennemi. Je croyais bien faire, et je ne suis pas le
seul... De bons amis pensent comme moi."
"Je le sais. Mais dis-moi, toi, et sois sincère : que dit
Gamaliel ?"
"Le rabbi ?... Il dit... Oui, il dit : "Le Très-Haut
donnera un signe si lui est son Christ".
"Il a raison. Et Joseph l'Ancien ?"
"Que tu es le Fils de Dieu et que tu régneras en Dieu."
"Joseph est un juste. Et Lazare de
Béthanie ?"
"Il
souffre... Il parle peu... Mais il dit... que tu régneras seulement quand nos
esprits t'accueilleront."
"Lazare est sage. Quand vos esprits m'accueilleront. Pour le moment,
vous, même ceux que je croyais des esprits accueillants, vous n'accueillez
pas le Roi et le Royaume, et c'est cela qui fait ma douleur."
464.12 – "En somme, tu
refuses ?" crient-ils en grand nombre.
"Vous l'avez dit."
"Tu nous as fait nous compromettre, tu nous fais du tort, tu..."
crient d'autres: hérodiens, scribes, pharisiens, sadducéens, prêtres...
Jésus quitte la table et il va vers ce groupe, les yeux flamboyants. Quel
regard ! Eux, involontairement, se taisent, se serrent contre le mur...
Jésus va vraiment visage contre visage, et il dit, doucement, mais d'une
manière incisive qui tranche comme un coup de sabre :
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280> "Il est
dit : "Malheur à celui qui frappe en cachette son prochain et
accepte des cadeaux pour condamner à mort un innocent". Moi, je vous
dis : je vous pardonne, mais votre péché est connu du Fils de l'homme.
Si je ne vous pardonnais pas, Moi... Pour bien moins, Jéhovah a
réduit en cendres plusieurs israélites." Mais il est tellement terrible
en le disant, que personne n'ose bouger, et Jésus relève le lourd double
rideau et sort dans l'atrium sans que personne n'ose faire un geste.
Ce n'est que lorsque le rideau cesse de remuer, c'est-à-dire après quelques
minutes, qu'ils se remettent.
"Il faut le rejoindre... Il faut le retenir..." disent les plus
acharnés.
"Il faut se faire pardonner" soupirent les meilleurs, c'est-à-dire Manahen,
Timon, des prosélytes, l'homme de Bozra, en somme ceux qui ont le cœur droit.
Ils se pressent hors de la salle. Ils cherchent, ils interrogent les
serviteurs : "Le Maître ? Où est-il ?"
Le Maître ? Personne ne l'a vu, pas même ceux qui étaient aux deux
portes de l'atrium. Pas de Maître... Avec des torches et des lanternes, ils
le cherchent dans l'obscurité du jardin, dans la pièce où il avait reposé.
Personne ! Et il n'y a plus son manteau laissé sur le lit, son sac
laissé dans l'atrium...
"Il nous a échappé ! C'est un Satan !... Non. Il est Dieu. Il
fait ce qu'il veut. Il va nous trahir ! Non. Il nous connaîtra pour ce
que nous sommes."
Une clameur d'opinions et d'insultes mutuelles. Les bons crient :
"Vous nous avez séduits. Traîtres ! Nous devions
l'imaginer !"
Les mauvais, c'est-à-dire le plus grand nombre, menacent, et après avoir
perdu le bouc émissaire contre lequel ils ne peuvent se tourner, les deux
partis se tournent contre eux-mêmes...
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281> 464.13 – Et Jésus où est-il ? Moi,
je le vois, parce qu'il le veut, très loin, vers le pont à l'embouchure du
Jourdain. Il va rapidement comme si le vent le portait, ses cheveux flottent
autour de son visage pâle, son vêtement bat comme une voile dans la rapidité
de la marche. Puis, quand il est sûr de se trouver à bonne
distance, il s'enfonce dans les joncs et il prend la rive orientale. Dès
qu'il a trouvé les premiers récifs de la haute falaise, il y monte sans se
soucier du manque de lumière qui rend dangereuse l'escalade de la côte
escarpée. Il monte, il monte jusqu'à un rocher qui surplombe le lac et où
veille un chêne séculaire. Il s'assoit là, un coude sur le genou, il appuie
le menton sur la paume de la main, le regard fixé sur l'immensité qui
s'embrume, à peine visible par la blancheur de son vêtement et la pâleur de
son visage, il reste immobile...
464.14 – Mais quelqu'un l'a suivi.
C'est Jean.
Un Jean à peine vêtu, avec seulement son court vêtement de pêcheur, les
cheveux raides de quelqu'un qui a été dans l'eau, haletant et pourtant pâle.
Il approche doucement de son Jésus. Il semble une ombre qui glisse sur la
falaise raboteuse. Il s'arrête à quelque distance, il surveille Jésus... Il
ne bouge pas, il semble faire partie du rocher. Sa tunique de couleur sombre
le dissimule encore plus, seul le visage, les jambes et les bras nus se
voient à peine dans l'ombre de la nuit.
Mais quand, plutôt qu'il ne le voit, il entend pleurer Jésus, alors il ne
résiste plus et il s'approche et puis l'appelle :
"Maître !"
Jésus l'entend murmurer et lève la tête; prêt à fuir il relève son vêtement.
Mais Jean crie : "Que t'ont-ils fait, Maître, que tu ne reconnais
plus Jean ?"
Et Jésus reconnaît son Préféré. Il lui tend les bras et Jean s'y élance et
les deux pleurent pour deux douleurs différentes et un unique amour.
Mais ensuite les pleurs se calment et Jésus, le premier, revient à la vision
nette des choses. Il se rend compte que Jean est à peine vêtu, avec sa
tunique humide, déchaussé, glacé. "Comment donc es-tu ici, dans cet
état ! Pourquoi n'es-tu pas avec les autres ?"
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282> "Oh ! ne
me gronde pas, Maître. Je ne pouvais rester... Je ne pouvais te laisser
aller... J'ai quitté mon vêtement, tout sauf cela, et je me suis jeté à la nage
pour revenir à Tarichée et de là par la rive, puis j'ai franchi le pont et
puis je t'ai suivi et je suis resté caché dans le fossé près de la maison,
prêt à venir à ton aide, au moins pour savoir s'ils t'enlevaient, s'ils te
faisaient du mal, et j'ai entendu que l'on se disputait et puis je t'ai vu
passer rapidement devant moi. Tu paraissais un ange. Pour te suivre sans te
perdre de vue, je suis tombé dans des fossés et des marécages et je suis tout
couvert de boue. Je dois avoir taché ton vêtement... Je te regarde depuis
que tu es ici... Tu pleurais ?...
464.15 – Que t'ont-ils fait, mon Seigneur ? T'ont-ils insulté ?
Frappé ?"
"Non. Ils voulaient me faire roi. Un pauvre roi, Jean ! Et
plusieurs voulaient le faire de bonne foi, par un amour vrai, dans une bonne
intention... Le plus grand nombre... pour pouvoir me dénoncer et se
débarrasser de Moi..."
"Qui sont-ils ?"
"Ne le demande pas."
"Et les autres ?"
"Ne demande pas non plus leurs noms. Tu ne dois pas haïr et tu ne dois
pas critiquer... Moi, je pardonne..."
"Maître... Il y avait-il des disciples ?... Dis-moi cela
seulement."
"Oui."
"Et des apôtres ?"
"Non, Jean, aucun apôtre."
"Vraiment, Seigneur ?"
"Vraiment, Jean."
"Ah ! Louange à Dieu pour cela... Mais pourquoi pleures-tu encore,
Seigneur ? Je suis avec Toi. Moi, je t'aime pour tous. Et même Pierre et
André et les autres... Quand ils m'ont vu me jeter dans le lac, ils m'ont
traité de fou. Pierre était furieux, et mon frère disait que je voulais
mourir dans les remous. Mais ensuite ils ont compris et ils ont crié :
"Que Dieu soit avec toi. Va, va !..." Nous t'aimons nous, mais
personne comme moi, pauvre enfant."
"Oui, personne comme toi. Tu as froid, Jean ! Viens ici sous mon
manteau..."
"Non, à tes pieds, ainsi... Mon Maître ! Pourquoi ne t'aiment-ils
pas tous comme le pauvre enfant que je suis ?"
Jésus l'attire sur son cœur en s'assoyant à côté de lui. "Parce qu'ils
n'ont pas ton cœur d'enfant..."
"Ils voulaient te faire roi ? Mais ils n'ont pas encore compris que
ton Royaume n'est pas de cette Terre ?"
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283> "Ils n'ont
pas compris !"
464.16 – "Sans donner de noms,
raconte-moi, Seigneur..."
"Mais tu ne diras pas ce que je t'ai dit ?"
"Si tu ne veux pas, Seigneur, je ne le dirai pas..."
"Tu ne le diras que quand les hommes voudront me présenter comme un ordinaire
chef populaire. Un jour cela viendra. Tu seras là et tu diras : "Lui n'a pas été un roi de la
Terre parce qu'il ne l'a pas voulu, parce que son Royaume n'était pas de ce monde.
Lui était le Fils de Dieu, le Verbe Incarné, et il ne pouvait pas accepter ce
qui est terrestre.
Il a voulu venir dans le monde et revêtir une chair pour racheter la chair et
les âmes et le monde, mais il n'a pas voulu accepter les pompes du monde et
les foyers du péché, et il n'a eu en Lui rien de charnel ni de mondain. La
Lumière ne s'est pas enveloppée de ténèbres, l'Infini n'a pas accueilli des
choses finies, mais des créatures, limitées par la chair et le péché, il a
fait des créatures qui désormais Lui ressembleraient davantage en amenant
ceux qui croient en Lui à la vraie royauté et en établissant son Règne dans
les cœurs, avant de l'établir dans les Cieux, où il sera complet et éternel
avec tous ceux qui seront sauvés". Tu diras cela, Jean, à ceux qui ne
voudront voir en Moi qu'un homme, et à ceux qui ne verront en Moi qu'un
esprit, à ceux qui nieront que j'ai subi la tentation... et la douleur... Tu
diras aux hommes que le Rédempteur a pleuré... et qu'eux, les hommes, ont été
rachetés aussi par mes larmes..."
"Oui, Seigneur. Comme tu souffres, Jésus !..."
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