Le lundi 11
septembre 1944.
273/274> 335.1 – Je vois Jésus qui marche
rapidement sur une grand-route que le vent froid d'un matin d'hiver balaie et
durcit. Les champs, des deux côtés de la route, présentent à peine un timide
duvet de moissons qui viennent de percer, un voile fin de verdure qui annonce
la promesse du futur pain, mais une promesse vraiment à peine perceptible. Il
y a encore, à l'ombre, des sillons dépourvus de cette verdure naissante et
bénie, et seuls les sillons qui se trouvent dans les endroits plus
ensoleillés ont cette verdure si légère et pourtant déjà joyeuse puisqu'elle
parle du printemps qui arrive. Les arbres à fruits sont encore dépouillés
sans un bourgeon qui se gonfle sur leurs branches obscures. Seuls les
oliviers ont leur couleur éternelle gris-vert, aussi triste sous le soleil
d'août que dans la faible clarté de cette matinée d'hiver. Et avec eux
montrent leur couleur verte, un vert pâteux de céramiques à peine teintées,
les feuilles grasses des cactées.
Jésus chemine, comme souvent, à deux ou trois pas en avant de ses disciples.
Ils sont tous bien enveloppés dans leurs manteaux de laine.
À un certain moment, Jésus s'arrête et se retourne pour interpeller ses
disciples :
"Connaissez-vous le chemin ?"
"C'est le chemin, mais ensuite où se trouve la maison, nous ne le savons
pas, car elle est à l'intérieur des terres... Peut-être là où se trouve ce
bosquet d'oliviers..."
"Non. Elle doit être là-bas au fond, au contraire, où se trouvent ces
gros arbres dépouillés..."
"Il devrait y avoir une route pour les chars..."
En somme, ils ne savent rien de précis. On ne voit personne
sur la route ou dans les champs. Ils avancent au hasard, en cherchant leur
route.
Ils trouvent une petite maisonnette de pauvres avec deux ou trois petits
champs autour. Une fillette est en train de tirer de l'eau à un puits.
"Paix à toi, fillette" dit Jésus en s'arrêtant à la limite de la
haie qui a un passage pour la circulation.
"Paix à toi. Que veux-tu ?"
"Un renseignement. Où se trouve la maison d'Ismaël le
pharisien ?"
"Tu es égaré, Seigneur. Il te faut revenir au carrefour et prendre celle
qui va vers le couchant du soleil. Mais il faut marcher beaucoup, beaucoup,
car tu dois retourner là, au carrefour, et puis marcher, marcher. As-tu
mangé ? Il fait froid, et avec l'estomac vide, on le sent davantage.
Entre, si tu veux. Nous sommes pauvres. Mais Toi aussi tu n'es pas riche. Tu
peux t'en arranger. Viens."
Et d’une voix perçante, elle appelle :
"Maman !"
335.2 – Une femme d'environ trente-cinq,
quarante ans apparaît sur le seuil. Son visage est honnête mais un peu
triste. Dans ses bras elle a un enfant d'environ trois ans, à peine vêtu.
"Entre. Le feu est allumé. Je te donnerai du lait et du pain."
"Je ne suis pas seul, j'ai ces amis."
"Qu'ils entrent tous et la bénédiction de Dieu avec les pèlerins que je
loge."
Ils entrent dans une cuisine basse et sombre qu'égaie un feu pétillant. Ils
s'assoient çà et là sur des coffres bruts.
"Maintenant, je vais préparer... C'est le matin... Je n'ai encore rien
mis en ordre... Excusez-moi."
"Tu es seule ?"
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275> C'est Jésus qui parle.
"J'ai un mari et des enfants. Sept. Les deux plus grands sont encore au
marché de Naïm. Ils doivent y aller parce que mon mari est malade. Une grande
douleur !... Les fillettes m'aident. Celui-ci est le plus petit, mais
j'en ai encore un autre à peine plus grand."
Le petit, maintenant vêtu de sa tunique, accourt pieds nus vers Jésus et le
regarde avec curiosité. Jésus lui sourit. L'amitié se fait.
"Qui es-tu ?" demande l'enfant avec confiance.
"Je suis Jésus."
La femme se retourne pour le regarder attentivement. Elle est restée avec un
pain dans les mains, entre le foyer et la table. Elle ouvre la bouche pour
parler, mais ensuite elle se tait.
L'enfant continue :
"Où vas-tu ?"
"Sur les chemins du monde."
"Pour quoi faire ?"
"Pour bénir les enfants qui sont bons et leurs maisons où l'on est
fidèle à la Loi."
335.3 – La femme se retourne pour
faire un geste, puis elle fait un signe à Judas Iscariote qui est le plus
près d'elle. Lui se penche vers la femme qui demande :
"Qui est ton ami ?"
Et Judas, hautain, (il semble que le Messie
soit tel grâce à son mérite et à sa bonté) :
"C'est le Rabbi de Galilée : Jésus de Nazareth. Tu ne le sais pas,
femme ?"
"La Galilée n'est pas à notre portée et moi, j'ai tant de
douleurs ! … Mais... pourrais-je le lui dire."
"Tu le peux" dit avec condescendance Judas.
Mais il semble un gros bonnet qui accorde une audience...
Jésus continue de parler avec l'enfant qui Lui demande s'il a Lui aussi des
enfants.
Pendant que la fillette déjà vue et une autre un peu plus grande apportent le
lait et la vaisselle, la femme va près de Jésus. Elle reste un peu hésitante,
puis elle pousse un cri étouffé :
"Jésus, aie pitié de mon mari !"
Jésus se lève. Il la domine de sa grande taille, mais il la regarde avec tant
de bonté qu'elle s'enhardit.
"Que veux-tu que je fasse ?"
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276> "Il est très malade, gonflé comme une outre, il ne
peut se baisser pour travailler. Il ne trouve pas de repos, car il étouffe et
s'agite... Et nous avons des enfants encore petits..."
"Tu veux que je le guérisse ? Mais pourquoi le veux-tu de
Moi ?"
"Parce que c'est Toi. Je ne te connaissais pas, mais j'ai entendu parler
de Toi. Le sort t'a conduit chez moi après que par trois fois je t'ai cherché
à Naïm et à Cana. Deux fois, il y avait aussi mon mari. Il te cherchait,
malgré la souffrance qu'il éprouvait à aller en char... Maintenant aussi il
est parti avec son frère... On nous avait rapporté que le Rabbi, ayant quitté
Tibériade, allait à Césarée de Philippe. Il y est allé pour
t'attendre..."
"Je ne suis pas allé à Césarée.
335.4 – Je vais chez le pharisien
Ismaël, et puis j'irai vers le Jourdain..."
"Toi, qui es bon, chez Ismaël ?"
"Oui. Pourquoi ?"
"Parce que... parce que... Seigneur, je sais que tu dis
de ne pas juger, de pardonner et de s'aimer. Je ne t'ai jamais vu, mais j'ai
cherché à savoir de Toi, le plus que je pouvais, et j'ai prié l'Éternel de
pouvoir t'entendre au moins une fois. Je ne veux pas faire une chose qui te
déplaise... Mais comment on peut ne pas juger Ismaël et l'aimer ? Moi,
je n'ai rien de commun avec lui et je n'ai donc rien à lui pardonner. Les
insolences, qu'il nous jette à la figure quand il rencontre notre pauvreté sur
son chemin, nous les secouons avec la même patience que nous secouons la boue
ou la poussière qu'il projette sur nous en passant rapidement avec son bige.
Mais l'aimer et ne pas le juger, c'est trop difficile... Il est tellement
méchant !"
"Il est tellement méchant ? Avec qui ?"
"Avec tout le monde. Il opprime ses serviteurs, il prête avec usure, et
il a des exigences cruelles. Il n'aime que lui-même. Il est le plus cruel de
la région. Il ne mérite rien, Seigneur."
"Je le sais. Tu dis vrai."
"Et tu vas chez lui ?"
"Il m'a invité."
"Méfie-toi, Seigneur. il ne l'aura pas fait par amour. Il ne peut
t'aimer. Et Toi... tu ne peux l'aimer."
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277> "Moi, j'aime même les pécheurs, femme. Je suis
venu pour sauver celui qui est perdu..."
"Mais lui, tu ne le sauveras pas. Oh ! pardon d'avoir jugé !
Toi, tu sais... Tout est bien de ce que tu fais ! Pardonne à ma sotte
langue et ne me punis pas."
"Je ne te punis pas, mais ne le fais plus. Aime même les méchants, non
pas pour leur méchanceté, mais parce que c'est par l'amour qu'on leur obtient
la miséricorde qui les convertit. Tu es bonne et désireuse de l'être encore
davantage, Tu aimes la Vérité, et la Vérité qui te parle te dit qu'Elle
t'aime, car selon la Loi , tu as de la
pitié pour l'hôte et le pèlerin et c'est ainsi que tu as élevé tes enfants.
Dieu sera ta récompense.
335.5 – Je dois aller chez Ismaël qui
m'a invité pour me présenter à ses nombreux amis qui veulent me connaître. Je
ne puis attendre ton mari qui, sache-le, est sur le chemin du retour. Mais dis-lui
de souffrir encore un peu et de venir tout de suite chez Ismaël. Viens
toi aussi. Je le guérirai."
"Oh ! Seigneur !..."
La femme est à genoux aux pieds de Jésus et le regarde riant et pleurant.
Puis elle dit :
"Mais c'est le sabbat, aujourd’hui !…"
"Je le sais. J'ai besoin que ce soit le sabbat pour dire quelque chose à
ce propos à Ismaël. Tout ce que je fais, je le fais dans un but clair et
exempt d'erreur. Sachez-le tous, même vous, mes amis qui avez peur et
voudriez que je conforme ma conduite aux convenances humaines pour ne pas en
subir de dommage. C'est l'amour qui vous guide, je le sais. Mais
vous devez savoir aimer mieux celui que vous aimez, en ne faisant jamais
passer l'intérêt divin après l'intérêt de celui que vous aimez. Femme, je
pars et je t'attends. Qu'il y ait une paix perpétuelle dans cette maison où
on aime Dieu et sa Loi, où on respecte le mariage et où on élève saintement
les enfants, où on aime le prochain et où on cherche la Vérité. Adieu."
Jésus met la main sur la tête de la femme et des deux fillettes, puis il se
penche pour embrasser les enfants plus petits, et il sort.
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278> Maintenant un faible soleil d'hiver tempère la
fraîcheur de l'air. Un garçon d'environ quinze ans attend avec un char
rustique en très mauvais état.
"Je n'ai que cela, Seigneur. Mais tu auras plus vite fait et plus
commodément."
"Non, femme. Garde frais le cheval pour venir chez Ismaël. Montre-moi
seulement la route la plus courte."
Le garçon se met à côté de Lui et, à travers champs et prés, ils vont vers
une ondulation de terrain au-delà de laquelle il y a une vaste cuvette de
quelques hectares bien cultivée, au milieu de laquelle se trouve une belle
maison, large et basse, entourée d'un jardin bien cultivé.
"Voici la maison, Seigneur, dit le garçon. Si tu n'as plus besoin de
moi, je vais rentrer à la maison pour aider la mère."
"Va et sois toujours un bon fils. Dieu est avec toi."
…
335.6 – Jésus entre dans la somptueuse
maison de campagne d'Ismaël.
Des serviteurs, en grand nombre, accourent à la rencontre de l'Hôte,
certainement attendu. D'autres vont prévenir le maître qui sort à la
rencontre de Jésus en Lui faisant de profondes inclinations.
"Sois le bienvenu, Maître, dans ma maison !"
"Paix à toi, Ismaël Ben Fabi. Tu m'as désiré.
Je viens. Pourquoi m'as-tu invité ?"
"Pour avoir l'honneur de t'avoir et te présenter à mes amis. Je veux
qu'ils soient aussi les tiens, comme je veux que tu sois pour moi un
ami."
"Je suis ami de tout le monde, Ismaël."
"Je le sais. Mais, tu sais ! Il est bien d'avoir des amitiés en
haut lieu. La mienne et celle de mes amis sont telles. Toi, pardonne-moi de
te le dire, tu négliges trop ceux qui peuvent t'appuyer..."
"Et tu es de ceux-ci ? Pourquoi ?"
"Je suis de ceux-ci. Pourquoi ? Parce que je
t'admire et que je veux que tu sois pour moi un ami."
"Ami ! Mais sais-tu, Ismaël, le
sens que je donne à ce mot ? Pour beaucoup un ami cela veut dire une
connaissance, pour d'autres un complice, pour d'autres un serviteur. Pour Moi
cela veut dire : fidèle à la
Parole du Père. Qui n'est pas cela ne peut être un ami pour Moi, ni Moi
pour lui."
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279> "Mais c'est justement parce que je veux être
fidèle que je veux ton. amitié, Maître. Tu ne le crois pas ?
335.7 – Regarde : voici Éléazar qui
arrive. Demande-lui comme Je t’ai défendu auprès des Anciens. Eléazar, je te
salue. Viens, car le Rabbi veut te demander une chose."
Profondes salutations et réciproques coups d’œil investigateurs.
"Toi, Eléazar, dis ce que j'ai dit du Maître la dernière fois que nous
nous sommes réunis."
"Oh ! un véritable éloge ! Une défense passionnée! Il m'est
alors venu l'envie de t'entendre, tant Ismaël parlait de Toi, Maître, comme
du Prophète le plus grand venu au peuple d'Israël. Je me souviens qu'il disait
que personne n'avait une parole plus profonde que la tienne, n'exerçait une
fascination plus grande, et que si tu sauras mettre en œuvre l'épée, comme tu
sais parler, il n'y aura pas de roi plus grand que Toi en Israël."
"Mon Royaume !...
Il n'est pas humain, ce Royaume, Eléazar."
"Mais le Roi d'Israël ?!"
"Que s'ouvrent vos esprits pour comprendre les paroles secrètes. Il
viendra le Royaume du Roi des rois. Mais non pas selon les estimations
humaines. Non pas pour ce qui périt, mais pour ce qui est éternel. On y arrive non par un chemin fleuri et triomphal,
ni sur un tapis empourpré du sang ennemi, mais par le rude chemin du
sacrifice et par la douce échelle du pardon et de l'amour. Ce sont les
victoires contre nous-mêmes qui nous donneront ce Royaume. Et que Dieu
veuille que le plus grand nombre d'israélites puissent me comprendre. Mais il
n'en sera pas ainsi. Vous pensez ce qui n'est pas. Dans ma main, il y aura un
sceptre et c'est le peuple d'Israël qui l'y aura mis, Royal et Éternel Aucun
roi ne pourra l'enlever à ma Maison. Mais beaucoup en Israël ne pourront le
voir sans frémir d'horreur, car il aura un nom qui sera atroce pour
eux."
"Tu ne nous crois pas capables de te suivre ?"
"Si vous le vouliez, vous le pourriez. Mais vous ne le voulez pas.
Pourquoi vous ne voulez pas ? Vous êtes âgés désormais. L'âge devrait
vous donner compréhension et justice. Justice aussi pour vous-mêmes. Les
jeunes... pourront se tromper et puis se repentir. Mais
vous ! La mort est toujours proche pour les plus âgés. Eléazar, tu es
moins enveloppé dans les théories que beaucoup de tes semblables. Ouvre ton
cœur à la Lumière..."
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280> 335.8 – Ismaël revient avec cinq
autres pharisiens cérémonieux.
"Venez donc dans la maison" dit le maître.
Et, quittant l'atrium garni de sièges et de tapis, ils entrent dans une pièce
où on leur apporte des amphores et des bassines pour les ablutions. Puis ils
passent dans la salle à manger très richement préparée.
"Jésus à côté de moi, entre Éléazar et moi" commande le maître.
Et Jésus, qui s'était tenu au fond de la salle près des disciples un peu
intimidés et laissés de côté, doit s'asseoir à la place d'honneur.
Le repas commence avec de nombreux plats de viandes et de poissons rôtis. Des
vins et, me semble-t-il, des sirops, ou au moins des eaux miellées, passent
et repassent.
335.9 – Tous essaient de faire parler
Jésus. L'un d'eux, un vieillard tout tremblotant, demande d'une voix éraillée
de vieillard décrépit :
"Maître, est-ce vrai ce qu'on dit, que tu as l'intention de modifier la
Loi ?"
"Je ne changerai pas un iota à la Loi. Au contraire, (et Jésus appuie
sur les mots) je suis justement venu
pour la rendre de nouveau intègre comme quand elle fut donnée à Moïse."
"Voudrais-tu dire qu'elle a été changée ?"
"Non, jamais. Uniquement qu'elle a subi le sort de toutes les choses
élevées mises dans la main de l'homme."
"Que voudrais-tu dire ? Précise."
"Je veux dire que l'homme, par suite de l'ancien orgueil ou pour
l'ancien foyer de la triple luxure, a voulu en retoucher les paroles droites
et en a fait quelque chose qui opprime les fidèles alors que, pour ceux qui
les ont retouchées, ce n'est qu'un amas de phrases... qu'on laisse à l'usage
des autres."
"Mais, Maître ! Nos rabbins..."
"C'est une accusation !"
"Ne nous déçois pas dans notre désir de t'être utile !..."
"Hé ! Hé ! Ils ont raison de t'appeler révolté !"
"Silence ! Jésus est mon hôte. Qu'il parle en toute liberté."
"Nos rabbins, pour commencer, se sont ingéniés et ont peiné dans
l'intention sainte de rendre plus facile l'application de la Loi. Dieu
Lui-même a commencé cet enseignement quand aux paroles des dix commandements
Il a ajouté des explications plus détaillées.
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281> Cela pour que l'homme n'eût pas l'excuse
de ne pas avoir su comprendre. Œuvre sainte donc celle des maîtres qui ont
brisé en morceaux, pour les petits de Dieu, le pain donné par Dieu à
l'esprit. Mais sainte quand elle poursuivait un but qui était droit. Il
n'en fut pas toujours ainsi. Et maintenant moins que jamais. Mais pourquoi
voulez-vous me le faire dire, vous qui vous offensez si je vous énumère les
fautes des puissants !"
"Des fautes ! Des fautes ! Nous n'avons que des fautes,
nous ?"
"Je voudrais que vous n'ayez que des mérites !"
"Mais nous ne les avons pas. Tu le penses et ton regard le dit.
335.10 – Jésus, ce n'est pas en
critiquant que l'on acquiert l'amitié des puissants. Tu ne règneras pas. Tu
n'en connais pas l'art."
"Je ne demande pas de régner suivant vos idées, et je ne mendie pas des
amitiés. C'est l'amour que je veux, mais un amour honnête et saint. Un amour
qui va de Moi à ceux que j'aime, et qui se manifeste en usant à l'égard des
pauvres de ce dont je prêche l'usage : la miséricorde."
"Moi, depuis que je t'ai entendu, je ne prête plus à usure" dit
l'un.
"Et Dieu t'en récompensera."
"Le Seigneur m'est témoin que je n'ai plus frappé mes serviteurs qui
auraient mérité le fouet, quand on m'a eu dit une de tes paraboles" dit
un autre.
"Et moi ? C'est plus de dix boisseaux d'orge que j'ai laissés dans
les champs pour les pauvres !" dit encore un autre.
Les pharisiens se louent copieusement.
Ismaël n'a pas parlé. Jésus l'interpelle :
"Et toi, Ismaël !"
"Oh ! moi ! J'ai toujours usé de miséricorde. Je n'ai
qu'à continuer comme j'ai toujours fait."
"C'est bien pour toi ! S'il en est ainsi réellement, tu es l'homme
qui ne connaît pas les remords."
"Oh ! certainement pas !"
Jésus le transperce de son œil de saphir.
335.11 – Eléazar
touche le bras de Jésus :
"Maître, écoute-moi. J'ai un cas spécial à te soumettre. J'ai acquis
récemment une propriété d'un malheureux qui s'est ruiné pour une femme. Il me
l'a vendue, mais sans me dire qu'il y avait une vieille servante, sa
nourrice, maintenant aveugle et presque idiote. Le vendeur n'en veut pas.
Moi... je n'en voudrais pas. Mais, la jeter à la rue.., Que ferais-tu,
Maître ?"
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282> "Toi, que ferais-tu si tu devais donner un conseil
à un autre ?"
"Je dirais : "Garde-la. Tu ne te ruineras pas pour un
pain".
"Et pourquoi parlerais-tu ainsi ?"
"Mais !... parce que je pense que c'est ainsi que j'agirais et je
voudrais qu'on agisse ainsi à mon égard..."
"Tu es très près de la Justice, Eléazar. Agis comme tu
conseillerais de le faire et le Dieu de Jacob sera toujours avec toi."
"Merci, Maître."
Les autres bougonnent entre eux.
"Qu'avez-vous à murmurer ? demande Jésus. N'ai-je pas parlé
juste ? Et lui n'a-t-il pas parlé avec justice ? Ismaël, défends tes
hôtes, toi qui as toujours agi avec miséricorde."
"Maître, tu parles bien, mais... si on agissait toujours ainsi !...
On serait victime des autres."
"Et il vaut mieux, selon toi, que ce soient les autres qui soient nos
victimes, n'est-ce pas ?"
"Je ne dis pas cela. Mais il y a des cas..."
"La Loi dit d'avoir miséricorde..."
"Oui, pour le frère pauvre, pour l'étranger, le pèlerin, la veuve et
l'orphelin. Mais cette vieille, qui est tombée dans les bras d'Eléazar, n'est
pas sa sœur, ni pèlerine, ni étrangère, ni orpheline ou veuve. Rien pour lui.
Ni plus ni moins qu'un vieux tableau, oublié par le vrai maître dans la
propriété vendue. Eléazar pourrait donc la chasser sans scrupules d'aucune
sorte. Enfin la responsabilité de la mort de la vieille ne lui reviendrait
pas, mais reviendrait à son vrai maître..."
"...qui ne peut plus la garder puisqu'il est pauvre lui aussi, et par
conséquent lui aussi est exempt d'obligations. De sorte que si la petite
vieille meurt de faim, c'est elle qui est coupable, n'est-ce pas ?"
"C'est cela, Maître. C'est le sort de ceux... qui ne servent plus. Les
malades, les vieux, les incapables, sont condamnés à la misère, à la
mendicité. Et la mort est ce qu'il y a de meilleur pour eux... C'est ainsi
depuis que le monde est monde et il en sera toujours ainsi..."
335.12 – "Jésus, aie pitié de
moi !"
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283> Un cri de détresse entre par les fenêtres fermées, car
la salle est fermée et avec les lampes allumées, peut-être à cause du froid.
"Qui m'appelle ?"
"Quelque importun. Je le ferai chasser. Ou quelque mendiant. Je lui
ferai donner un pain."
"Jésus, je suis malade. Sauve-moi !"
"Je l'ai dit : un importun. Je punirai les serviteurs pour l'avoir
fait passer." Et Ismaël se lève.
Mais Jésus, plus jeune d'au moins vingt ans et qui le dépasse du cou et de la
tête, le fait se rasseoir en lui mettant la main sur l'épaule et en commandant :
"Reste, Ismaël. Je veux voir celui qui me cherche. Faites-le
entrer."
Il entre un homme aux cheveux encore noirs.
Il peut avoir environ quarante ans. Mais il est enflé comme un tonneau et
jaune comme un citron, avec les lèvres violettes entrouvertes et la bouche
haletante. Il est accompagné par la femme de la première partie de la vision.
L'homme avance avec peine à cause de la maladie et de la crainte. Il voit
qu'on le regarde d'un si mauvais œil ! Mais Jésus a quitté sa place et
il est allé vers le malheureux en le prenant par la main et en l'amenant au
milieu de la salle dans l'espace vide entre les tables disposées en fer à
cheval. Exactement sous le lampadaire.
"Que veux-tu de Moi ?"
"Maître... je t'ai tant cherché... depuis si longtemps... Je ne veux
rien que la santé... pour mes enfants et ma femme... Toi, tu peux tout...
Vois à quoi je suis réduit..."
"Et tu crois que je puis te guérir ?"
"Si je le crois !... Tout pas m'est douloureux... toute secousse
pénible... mais pourtant j'ai fait des milles pour te chercher... et puis
avec le char je t'ai suivi aussi... mais je ne te rattrapais jamais… Si je le
crois !... Je suis étonné de n'être pas encore guéri, depuis que ma main
est dans la tienne, car tout en Toi est saint, ô Saint de Dieu."
Le pauvre souffle comme un phoque par l'effort qu'il fait pour tant parler.
La femme regarde son mari et Jésus, et elle pleure.
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284> 335.13 – Jésus les regarde et il
sourit. Puis il se tourne et il demande :
"Toi, vieux scribe, (il parle au vieux à la voix chevrotante qui a parlé
le premier) réponds-moi : est-il permis de guérir pendant le
sabbat ?"
"Pendant le sabbat il n'est permis de faire aucun travail."
"Même pas de sauver quelqu'un du désespoir ? Ce n'est pas un
travail manuel."
"Le sabbat est consacré au Seigneur."
"Quelle œuvre plus digne d'un jour sacré que de faire qu’un fils de Dieu
dise à son Père : "Je t'aime et te loue parce que Tu m'as guéri
" ?!"
"Il doit le faire, même s'il est malheureux."
"Chanania, sais-tu qu'en ce moment ton bois le plus beau est en train de
brûler, et que toute la pente de l'Hermon rougit de l'éclat des
flammes ?"
Le vieil homme bondit comme si un aspic l'avait mordu :
"Maître, tu dis la vérité ou bien est-ce une plaisanterie ?"
"Je dis la vérité. Je vois et je sais."
"Oh ! malheureux que je suis ! Mon bois le plus beau !
Des milliers de sicles
en cendre ! Malédiction ! Maudits soient les chiens qui m'y ont mis
le feu ! Que leurs viscères brûlent comme mon bois !"
Le petit vieux est désespéré.
"Ce n'est qu'un bois, Canania
(Chanania) ,
et tu te plains ! Pourquoi ne donnes-tu pas louange au Seigneur, dans ce
malheur ? Lui ne perd pas du bois qui renaît, mais la vie et le pain de
ses enfants, et il devrait donner la louange que toi tu ne donnes pas ?
Donc scribe, il ne m'est pas permis de le guérir le jour du
sabbat ?"
"Maudit sois-tu, lui et le sabbat ! J'ai bien autre chose à penser,
moi... "
Et, bousculant Jésus qui lui avait mis une main sur le bras, il sort furieux
et on l'entend brailler de sa voix chevrotante pour avoir son char.
"Et maintenant ?" demande Jésus en tournant son regard vers
les autres. "Et maintenant vous, dites-moi: est-ce permis ou
non ?"
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285> Personne ne répond. Eléazar baisse la tête après avoir
entrouvert les lèvres, que pourtant il referme, saisi par le froid qui a
envahi la salle.
"Eh bien, Moi, je vais parler" dit Jésus.
Et son aspect est imposant et sa voix est un tonnerre comme toujours quand il
va opérer un miracle.
"Je vais parler. Je parle. Je dis : homme, qu'il te soit fait selon
ce que tu crois. Tu es guéri. Loue l'Éternel. Va en paix."
L'homme reste interdit. Peut-être pensait-il redevenir d'un coup agile comme
autrefois. Et il lui semble qu'il n'est pas guéri. Mais qui sait ce qu'il
ressent... il pousse un cri de joie, se jette aux pieds de Jésus et les
baise.
"Va, va ! Sois toujours bon. Adieu !"
L'homme sort suivi de la femme qui, jusqu'au dernier moment, se retourne pour
saluer Jésus.
335.14 – "Pourtant, Maître... Dans
ma maison... Le jour du sabbat..."
"Tu n'approuves pas ! Je le sais. Et c'est pour cela que je suis
venu. Ami, toi ? Non. Mon ennemi. Tu n'es pas sincère avec Moi, ni avec
Dieu."
"Tu m'offenses, maintenant ?"
"Non, je dis la vérité. Tu as dit
qu'Eléazar n'est pas tenu de secourir cette petite vieille parce qu'elle
n'appartient pas à sa propriété. Mais toi, tu avais deux orphelins
dans ta propriété. C'étaient les enfants de deux serviteurs fidèles qui sont morts
au travail, l'un avec la faux en main, l'autre tuée par une fatigue
excessive. Pour que tu la gardes, elle avait dû ajouter à
son service celui de son mari. Tu disais : "J'ai fait un contrat
pour deux travailleurs et, pour te garder, j'exige ton travail et celui du
mort". Et elle te l'a donné, et elle est morte avec l'enfant qu'elle
portait, car cette femme était mère, et elle n'a pas obtenu la pitié que l'on
a pour une bête qui engendre. Où sont maintenant ces deux petits ?"
"Je ne sais pas... Ils sont disparus, un jour."
"Ne mens pas maintenant. Il suffit d'avoir été cruel. Il ne faut pas
ajouter le mensonge pour rendre tes sabbats odieux à Dieu, même s'ils sont
exempts d’œuvres serviles. Où sont ces petits ?"
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286> "Je ne sais pas. Je ne sais plus, crois-le."
"Moi, je le sais. Je les ai trouvés un soir de novembre, froid,
pluvieux, sombre. Je les ai trouvés affamés et tremblants, près d'une maison,
comme deux petits chiens à la recherche d'une bouchée de pain... Maudits et
chassés par un homme qui avait des entrailles de chien, un homme pire qu'un
chien, car un chien aurait eu pitié de ces deux orphelins. Et toi et cet
homme, vous n'avez pas eu pitié. Leurs parents ne te servaient plus, n'est-ce
pas ? Ils étaient morts. Les morts ne peuvent que pleurer dans leurs
tombeaux, en entendant les sanglots de leurs enfants malheureux dont les
autres ne s'occupent pas. Cependant les morts portent à Dieu, par leur
esprit, leurs pleurs et ceux de leurs enfants orphelins, et ils disent :
"Seigneur, exerce Toi nos vengeances, puisque le monde opprime quand il
ne peut plus exploiter". Les deux petits n'étaient pas encore en âge de
te servir, n'est-ce pas ? Oui et non, car la petite pouvait servir pour
glaner... Et tu les as chassés, en leur refusant même le peu de bien qui
appartenait au père et à la mère. Ils pouvaient mourir de faim et de froid
comme deux chiens sur un chemin. Ils pouvaient vivre en devenant l'un voleur
l'autre une prostituée, car la faim porte au péché. Mais que
t'importait ?
Il y a un moment, tu as cité la Loi à l'appui de tes théories. Et la Loi ne
dit-elle pas alors : "Ne faites pas de tort à la veuve et à
l'orphelin. Si vous leur faites du tort, leurs voix s'élèveront vers Moi,
J'entendrai leurs cris et ma fureur s'enflammera et je vous exterminerai par
l'épée, et vos femmes resteront veuves et vos enfants orphelins" ? N'est-ce pas ce que dit la Loi ? Et alors,
pour- quoi ne l'observes-tu pas ? Tu m'as défendu auprès des autres ?
Et alors pourquoi ne prends-tu pas, en toi-même, la défense de ma
Doctrine ? Tu veux être pour Moi un ami ? Et alors pourquoi fais-tu
le contraire de ce que je dis ? L'un de vous est en
train de courir à perdre haleine, s'arrachant les cheveux à cause de la ruine
de son bois. Et il ne se les arrache pas pour les ruines de son cœur !
Et toi, qu'attends-tu pour le faire ?
335.15 – Pourquoi voulez-vous vous
croire parfaits, vous auxquels le sort a donné une haute situation ? Et
si vous l'êtes en quelque chose, pourquoi ne cherchez-vous pas à l'être en
tout ? Pourquoi me haïssez-vous parce que je découvre vos plaies ?
Je suis le Médecin de votre esprit. Est-ce qu'un médecin peut guérir sans
découvrir et nettoyer les plaies ?
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de page.
287> Mais ne savez-vous pas qu'un grand nombre, et cette
femme qui est sortie est une de ceux-là, méritent la première place au
banquet de Dieu en dépit de leur apparence mesquine ! Ce n'est pas
l'extérieur, c'est le cœur et l'esprit qui ont de la valeur. Dieu vous voit,
du haut de son trône, et Il vous juge. Combien Il en voit qui valent mieux
que vous ! Par conséquent, écoutez.
Prenez toujours comme règle de conduite
cela : quand on vous invite à un banquet de noces, choisissez toujours
la dernière place.
Double honneur vous en reviendra quand le maître vous dira : "Ami,
avance". Honneur de mérite et honneur d'humilité. Alors que... O triste
moment pour un orgueilleux d'avoir la honte de s'entendre dire :
"Va là-bas, au fond, car il y a quelqu'un qui est plus que toi". Et
faites la même chose dans le banquet secret de votre esprit pour les noces
avec Dieu. Qui s'humilie sera exalté, et qui s'exalte sera humilié.
335.16 – Ismaël,
ne me hais pas parce que Moi je te soigne. Moi, je ne te hais pas. Je suis
venu pour te guérir. Tu es plus malade que cet homme. Tu m'as invité pour te
donner du lustre à toi-même et satisfaire tes amis. Souvent tu invites, mais
par orgueil et pour ton plaisir. Ne le fais pas. N'invite pas les riches, les
parents, les amis. Mais ouvre ta maison, ouvre ton cœur aux pauvres, aux
mendiants, aux estropiés, aux boiteux, aux orphelins et aux veuves. Ils ne te
donneront en échange que des bénédictions. Mais Dieu les changera pour toi en
grâces. Et à la fin. ..oh ! à la fin, quel sort bienheureux pour tous
les miséricordieux qui seront récompensés par Dieu à la résurrection des
morts !
Malheur à ceux qui caressent seulement une espérance de profit et puis
ferment leur cœur au frère qui ne peut plus servir. Malheur à eux ! Je
ferai les vengeances de ceux qui ont été abandonnés."
"Maître... je... je veux te satisfaire. Je prendrai encore ces
enfants."
"Non."
"Pourquoi ?"
"Ismaël ?!…"
Ismaël baisse la tête. Il veut faire l'humble. Mais c'est
une vipère à laquelle on a pressé le venin et elle ne mord plus parce qu'elle
sait qu'elle n'en a plus, mais pourtant elle attend le moment de mordre...
335.17 – Eléazar
essaie de ramener la paix en disant :
"Bienheureux ceux qui prennent part au banquet de Dieu dans leur esprit
et dans le Royaume éternel. Mais crois-le, Maître, c'est la vie qui nous
apporte des obstacles. Les charges... les occupations..."
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288> Jésus dit la parabole du banquet
et pour finir :
"Les charges... les occupations, as-tu dit. C'est vrai. C'est pour cela
que je t'ai dit, au commencement de ce banquet, que mon Royaume se conquiert
par des victoires sur soi-même et non par des victoires sur des champs de
bataille. La place au grand Banquet est pour ces humbles de cœur qui savent
être grands par leur fidèle amour qui ne mesure pas le sacrifice et qui
surmonte tout pour venir à Moi. Même une heure suffit pour changer un cœur.
Pourvu que ce cœur le veuille. Et il suffit d'une parole. Je vous en
ai tant dit. Et je regarde... Dans un cœur va naître une plante sainte .
Dans les autres, des ronces pour Moi et, dans ces ronces, des aspics et des
scorpions. Peu importe. Je vais droit mon chemin. Qui m'aime me suive. Je
vais en appelant à ma suite. Que ceux qui ont le cœur droit viennent à Moi.
Je vais en instruisant. Que ceux qui cherchent la justice s'approchent de la
Fontaine. Pour les autres... pour les autres c'est le Père Saint qui les
jugera.
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