Vision du vendredi 7
septembre 1945
356> 273.1 – C'est toujours le même
endroit. Seulement le soleil ne vient plus de l'orient en filtrant à travers
le fourré qui borde le Jourdain en ce lieu sauvage près de l'endroit où les
eaux du lac débouchent dans le lit du fleuve, mais il arrive, pareillement
oblique, du couchant, pendant qu'il descend dans une gloire de rouge, en
rayant le ciel de ses derniers rayons. Et sous l'épais feuillage, la lumière
est très adoucie et tend vers les teintes paisibles du soir. Les oiseaux,
enivrés du soleil qu'ils ont eu tout le jour, de la nourriture abondante
qu'ils ont prise dans les campagnes voisines, se livrent à une bacchanale de
trilles et de chants au sommet des arbres. Le soir tombe avec les pompes
finales de la journée. Les apôtres le font remarquer à Jésus qui donne
toujours son enseignement d'après les exemples qui se présentent à Lui.
"Maître, le soir approche, l'endroit est désert, éloigné des maisons et
des villages, ombreux et humide. Sous peu, ici il ne sera plus possible de
nous voir ni de marcher. La lune se lève tard. Renvoie le peuple pour qu'il
aille à Tarichée ou aux villages du Jourdain pour acheter de la nourriture et
chercher un logement."
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357> "Il n'est pas nécessaire
qu'ils s'en aillent. Donnez-leur à manger. Ils peuvent dormir ici comme ils
ont dormi en m'attendant."
"Il ne nous reste que cinq pains et deux poissons, Maître, tu le
sais."
"Apportez-les-moi."
"André, va chercher l'enfant. C'est lui qui garde la bourse. Il y a peu
de temps il était avec le fils du scribe et deux autres, occupé à se faire
des couronnes de fleurs en jouant au roi."
273.2 – André y va vivement et aussi
Jean et Philippe se mettent à chercher Marziam dans la foule toujours en
déplacement. Ils le trouvent presque en même temps, avec son sac de vivres en
bandoulière, un long sarment de clématite enroulé autour de la tête et une
ceinture de clématite de laquelle pend, en guise d'épée, une massette dont la
garde est la massette proprement dite, la lame sa tige. Avec lui, il y en a
sept autres pareillement chamarrés, et ils font un cortège au fils du scribe,
un enfant très grêle, avec l’œil très sérieux de qui a tant souffert qui,
plus fleuri que les autres, tient le rôle de roi.
"Viens, Marziam. Le Maître te demande !"
Marziam plante là ses amis et s'en va rapidement, sans même enlever ses...
ornements floraux, mais les autres le suivent aussi et Jésus est vite entouré
d'une couronne d'enfants enguirlandés. Il les caresse pendant que Philippe
sort du sac un paquet avec du pain, au milieu duquel sont enveloppés deux
gros poissons : deux kilos de poissons, un peu plus. Insuffisants même
pour les dix-sept, ou plutôt les dix-huit avec Manahen, de la troupe de
Jésus.
273.3 – On apporte ces vivres au
Maître.
"C'est bien. Maintenant apportez-moi des paniers. Dix-sept, un pour
chacun. Marziam donnera la nourriture aux enfants ..."
Jésus regarde fixement le scribe qui est toujours resté près de Lui et lui
demande :
"Veux-tu donner, toi aussi, la nourriture aux affamés ?"
"Cela me plairait, mais moi aussi j'en suis démuni."
"Donne la mienne. Je te le permets."
"Mais... tu as l'intention de rassasier presque cinq mille hommes, et en
plus les femmes et les enfants, avec ces deux poissons et ces cinq
pains ?"
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358> "Sans aucun doute. Ne sois pas
incrédule. Celui qui croit, verra s'accomplir le miracle."
"Oh ! alors, je veux bien distribuer la nourriture, moi aussi !"
"Alors, fais-toi donner un panier, toi aussi."
Les apôtres reviennent avec des paniers et des corbeilles larges et peu
profonds, ou bien profonds et étroits. Et le scribe revient avec un panier
plutôt petit. On se rend compte que sa foi ou son manque de foi lui a fait
l’a fait choisir comme le plus grand possible.
"C'est bien. Mettez tout ici devant et faites asseoir les foules en
ordre, en rangs réguliers, autant que possible."
Et pendant cette opération, Jésus élève les pains avec les poissons
par-dessus, les offre, prie et bénit. Le scribe ne le quitte pas un instant
des yeux. Puis, Jésus rompt les cinq pains en dix-huit parts et de même les
deux poissons en dix-huit parts. Il met un morceau de poisson, un bien petit
morceau, dans chaque panier et fait des bouchées avec les dix-huit morceaux
de pain. Chaque morceau en plusieurs bouchées. Elles sont nombreuses
relativement : une vingtaine, pas plus. Chaque morceau est placé dans un
panier, après avoir été fragmenté, avec le poisson.
273.4 – "Et maintenant prenez et
donnez à satiété. Allez. Va, Marziam, le donner à tes compagnons."
"Oh ! comme c'est lourd !" dit Marziam en soulevant son
panier et en allant tout de suite vers ses petits amis. Il marche comme s'il
portait un fardeau.
Les apôtres, les disciples, Manahen, le scribe le regardent partir ne sachant
que penser... Puis ils prennent les paniers, et en secouant la tête, se
disent l'un à l'autre :
"Le gamin plaisante ! Ce
n'est pas plus lourd qu'avant."
Le scribe regarde aussi à l'intérieur et met la main pour tâter au fond du
panier parce qu'il n'y a plus beaucoup de lumière, là, sous le couvert où
Jésus se trouve, alors que plus loin, dans la clairière, il fait encore assez
clair. Mais pourtant, malgré la constatation, ils vont vers les gens et
commencent la distribution. Ils donnent, ils donnent, ils donnent. Et de
temps à autre, ils se retournent, étonnés, de plus en plus loin, vers Jésus
qui, les bras croisés, adossé à un arbre, sourit finement de leur stupeur.
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359> La distribution est longue et
abondante... Le seul qui ne manifeste pas d'étonnement c'est Marziam qui rit,
heureux de remplir de pain et de poisson les mains de tant de pauvres
enfants. Il est aussi le premier à revenir vers Jésus, en disant :
"J'ai tant donné, tant, tant !... car je sais ce que c'est que la
faim ..."
Et il lève son visage qui n'est plus émacié qu'en un souvenir maintenant
disparu cependant il pâlit, en écarquillant les yeux... Mais Jésus le caresse
et le sourire revient, lumineux, sur ce visage enfantin qui, confiant,
s'appuie contre Jésus, son Maître et Protecteur.
Tout doucement les apôtres et les disciples reviennent, rendus muets par la
stupeur. Le dernier, le scribe qui ne dit rien. Mais il fait un geste qui est
plus qu'un discours : il s'agenouille et baise la frange du vêtement de
Jésus.
"Prenez votre part, et donnez m'en un peu. Mangeons la nourriture de Dieu."
Ils mangent en effet du pain et du poisson, chacun selon son appétit...
273.5 – Pendant ce temps, les gens,
rassasiés, échangent leurs impressions. Même ceux qui sont autour de Jésus se
risquent à parler en regardant Marziam qui, en finissant son poisson,
plaisante avec les autres enfants.
"Maître,
demande le scribe, pourquoi l'enfant a-t-il tout de suite senti le poids, et
nous pas ? J'ai même fouillé à l'intérieur. Il n'y avait toujours que
ces quelques bouchées de pain et cet unique morceau de poisson. J'ai commencé
à sentir le poids en allant vers la foule, mais si cela avait pesé pour la
quantité que j'ai donnée, il aurait fallu un couple de mulets pour le transport,
non plus le panier, mais un char complet chargé de nourriture. Au début, j'y
allais doucement... puis je me suis mis à donner, à donner, et pour ne pas
être injuste, je suis revenu vers les premiers en faisant une nouvelle
distribution parce qu'aux premiers j'avais donné peu de chose. Et pourtant,
il y en a eu assez."
"Moi aussi, j'ai senti que le panier devenait lourd pendant que
j'avançais, et tout de suite j'ai donné abondamment, car j'ai compris que tu
avais fait un miracle" dit Jean.
"Moi, au contraire, je me suis arrêté et me suis assis, pour renverser
sur mon vêtement le fardeau et me rendre compte... Alors j'ai vu des pains et
des pains, et j'y suis allé" dit Manahen.
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360> "Moi, je les ai même compté pour ne pas faire
piètre figure. Il y avait cinquante petits pains. Je me suis dit :
"Je vais les donner à cinquante personnes, et puis je
reviendrai". Et j'ai compté.
Mais, arrivé à cinquante, il y avait toujours le même poids. J'ai regardé à
l'intérieur. Il y en avait encore tant. Je suis allé de l'avant et j'en ai
donné par centaine. Mais cela ne diminuait jamais" dit Barthélemy.
"Moi, je le reconnais, je n'y croyais
pas. J'ai pris dans mes mains les bouchées de pain et ce petit morceau de
poisson et je les regardais en disant : "À quoi cela va
servir ? Jésus a voulu plaisanter !..." et je les regardais,
je les regardais, restant caché derrière un arbre, espérant et désespérant de
les voir croître. Mais c'était toujours la même chose. J'allais revenir quand
Mathieu est passé et m'a dit: "Tu as vu comme ils sont
beaux ?".
"Quoi ?" ai-je dit. "Mais les pains et les
poissons !... " "Tu es fou ? Moi je vois toujours des
morceaux de pain"
"Va les distribuer avec foi, et tu verras". J’ai jeté dans le panier
ces quelques bouchées et je suis allé avec réticence… Et puis… pardonne-moi,
Jésus car je suis pécheur !" dit Thomas.
"Non, tu es un esprit du monde. Tu raisonnes comme les gens du
monde."
"Moi aussi, Seigneur, alors" dit l’Iscariote. "Au point que
j’ai pensé donner une pièce avec le pain en pensant : "ils
mangeront ailleurs". J’espérais t’aider à faire meilleure figure. Que
suis-je donc, moi ? Comme Thomas ou davantage ?"
"Bien plus que Thomas, tu es "monde".
"Mais pourtant j’ai pensé faire l’aumône pour être Ciel ! C’étaient
mes deniers à moi…"
"Aumône à toi-même et à ton orgueil et non pas à Dieu. Ce dernier n’en a
pas besoin et l’aumône à ton orgueil est une faute, pas un mérite."
Judas baisse la tête et se tait.
"Moi de mon côté" dit Simon le Zélote "je pensais que cette
bouchée de poisson, ces bouchées de pain, il me fallait les fragmenter pour
qu’elles suffisent. Mais je ne doutais pas qu’elles auraient suffit pour le nombre et la valeur nutritive. Une goutte
d’eau, donnée par Toi, peut-être plus nourrissante qu’un banquet".
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361> "Et vous, qu’en pensiez-vous ?"
demande Pierre aux cousins de Jésus.
"Nous nous rappelions Cana… et nous ne doutions pas" dit
sérieusement Jude.
"Et toi, Jacques, mon frère, tu n’as pensé qu’à cela ?"
"Non. J’ai pensé que c’était un sacrement. Comme tu m’en as parlé …
Est-ce ainsi ou je me trompe ?"
Jésus sourit :
"Oui et non. À la vérité de la puissance d’une goutte d’eau, exprimée par
Simon, il faut ajouter ta pensée pour une figure lointaine. Mais ce n’est pas
encore un sacrement."
273.6 – Le scribe garde une croûte
entre ses doigts.
"Qu’en fais-tu ?"
"Un… souvenir."
"Je la garde moi aussi. Je la mettrai au cou de Marziam dans un
sachet" dit Pierre.
"Moi, je la porterai à notre mère" dit Jean.
"Et nous ? Nous avons tout mangé…" disent les autres,
mortifiés.
"Levez-vous. Faite de nouveau le tour avec les paniers, recueillez les
restes. Séparez les gens les plus pauvres d’avec les autres et amenez-les moi ici, avec les paniers. Et puis vous, mes
disciples, allez tous vers les barques et prenez le large pour aller à la
plaine de Génésareth. Je vais congédier les gens après avoir fait une
distribution aux plus pauvres et puis je vous rejoindrai."
Les apôtres obéissent... et reviennent avec douze paniers combles de restes,
et suivis d'une trentaine de mendiants ou de personnes très misérables.
"C'est bien. Allez."
Les apôtres et ceux de Jean saluent Manahen et s'en vont avec un peu de
regret de quitter Jésus. Mais ils obéissent. Manahen attend, pour quitter
Jésus, que la foule, aux dernières lueurs du jour, s'en aille vers les
villages ou cherche une place pour dormir parmi les joncs hauts et secs. Puis
il fait ses adieux. Avant lui s'en est allé le scribe, un des premiers même,
parce que, avec son petit garçon, il a suivi les apôtres.
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