Le samedi 12 août
1944.
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183.1 - Le
collège apostolique au complet est autour de Jésus. Assis sur l'herbe, à
l'ombre d'un bouquet d'arbres, près d'un ruisseau,
tous mangent pain et fromage et boivent de l'eau du ruisseau qui est fraîche
et limpide. Les sandales poussiéreuses disent qu'on a déjà fait beaucoup de chemin
et que peut-être les disciples ne demanderaient qu'à se reposer dans l'herbe
haute et fraîche.
Mais l'Infatigable Marcheur n'est pas de cet avis. À peine juge-t-il passée
l'heure la plus chaude qu'il se lève se dirige vers la route. Il regarde... puis
il se retourne et dit :
"Allons." Simplement.
Arrivés à une bifurcation ou plutôt à un carrefour parce que quatre routes
poussiéreuses aboutissent à ce point,
Jésus prend résolument celle qui va en direction nord-est.
"Nous revenons à Capharnaüm ?" demande Pierre.
Jésus répond :
"Non." Uniquement : non.
"Alors à Tibériade" insiste Pierre qui veut savoir.
"Non plus."
"Mais cette route va à la mer de Galilée... et là se trouvent Tibériade
et Capharnaüm..."
"Il y a aussi Magdala" dit Jésus d'un air à moitié sérieux pour
calmer la curiosité de Pierre.
"Magdala ? Oh !..."
Pierre est un peu scandalisé. Ce qui me fait penser que cette ville a
mauvaise réputation.
"À Magdala, oui. À Magdala. Penses-tu être trop honnête pour y
entrer ? Pierre, Pierre !... Pour mon amour, tu devras entrer non
pas dans une ville de plaisir, mais dans de vrais lupanars...
Le Christ n'est pas venu pour sauver ceux qui sont sauvés, mais pour sauver ceux qui sont perdus...
et toi... tu seras "Pierre" et non pas Simon; ou Céphas, pour
cela. Tu as peur de te souiller ? Non ! Même pas lui,
vois-tu (et il indique le très jeune Jean) même lui n'en recevra pas de
dommage. Lui non, parce qu'il
ne veut pas. Comme toi, tu ne
veux pas, comme ne le veut pas ton frère et le frère de
Jean... comme aucun d'entre vous, pour
l'instant, ne le veut. Tant
qu'on ne veut pas, il n'arrive pas de mal. Mais il faut ne pas vouloir avec force et constance.
Force et constance s'acquièrent auprès du Père en priant avec sincérité
d'intention. Vous ne saurez pas tous, par la suite, prier ainsi... Que
dis-tu, Judas ? Ne te fie pas trop à toi-même. Moi, qui suis le Christ,
je prie constamment pour avoir la force contre
Satan. Es-tu plus que Moi? L'orgueil
est la fissure par où Satan pénètre. Judas, sois vigilant et humble.
Mathieu, toi qui connais bien l'endroit,
dis-moi : vaut-il mieux prendre cette route,
ou y en a-t-il une autre ?"
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"Cela dépend, Maître. Si tu veux entrer dans la Magdala des pêcheurs et
des pauvres, c'est la route. Par ici on entre dans le faubourg populaire.
Mais - je ne le crois pas, mais je te le dis pour donner une réponse complète
- mais si tu veux aller dans le quartier des riches; alors il faut laisser à
quelques centaines de mètres cette route et en prendre une autre car les
maisons riches sont à peu près à cette hauteur, et il faut revenir en
arrière..."
"Nous allons revenir en arrière car c'est à la Magdala des riches que je
veux aller. Qu'as-tu dit, Judas ?"
"Rien, Maître. C'est la seconde fois que tu me le demandes en peu de
temps. Mais moi, je n'ai jamais parlé."
"Avec tes lèvres, non. Mais tu as parlé, à voix basse, avec ton cœur. Tu
as parlé à voix basse avec ton hôte : le cœur. Il n'est pas nécessaire d'avoir une autre personne comme
interlocuteur pour parler. Beaucoup de paroles, nous les disons de nous à nous... Mais il ne faut pas jaser
ou calomnier même avec notre propre moi."
183.2 - Le
groupe chemine, à présent en silence. La route principale devient une rue
pavée avec des pierres d'un palme carré.
Les maisons sont toujours plus riches et plus belles parmi les potagers et
les jardins luxuriants et fleuris. J'ai l'impression que la Magdala élégante
était pour les Palestiniens une sorte de lieu de plaisir comme certaines
villes de nos lacs de Lombardie : Stresa,
Gardone,
Pallanza,
Bellagio,
etc. etc. Aux riches palestiniens sont mêlés des romains, certainement venus
d'autres lieux comme Tibériade ou Césarée, où autour du Gouverneur, il y
avait certainement des fonctionnaires et des négociants pour exporter à Rome
les plus beaux produits de la colonie palestinienne.
Jésus y pénètre, sûr de Lui, comme s'il savait où aller. Il côtoie le lac
jusqu'à la limite duquel les maisons s'avancent avec leurs jardins.
Des cris déchirants sortent d'une riche demeure. Ce sont des voix de femmes
et d'enfants et une voix de femme, très aiguë, qui crie :
"Fils ! Fils !"
Jésus se retourne et regarde ses apôtres. Judas s'avance.
"Non pas toi" commande Jésus.
"Toi, Mathieu. Va et informe-toi."
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"C'est une rixe, Maître. Il y a un homme mourant. Un juif. Le meurtrier s'est échappé: c'était un romain.
La femme, la mère et les petits enfants sont accourus... Mais il meurt."
"Allons."
"Maître... Maître... Le fait s'est produit dans la maison d'une femme...
qui n'est pas l'épouse."
"Allons-y."
183.3 - Ils
entrent par la porte ouverte dans un large et long vestibule qui donne ensuite
sur un beau jardin. La maison semble divisée par cette espèce de péristyle
très riche en plantes vertes dans des vases, en statues
et en objets de marqueterie. Quelque chose d'intermédiaire entre la salle et
la serre. Dans une pièce, dont la porte est ouverte sur le vestibule, se
trouvent des femmes en pleurs. Jésus entre sans hésiter. Il ne donne pourtant
pas son salut habituel.
Parmi les hommes présents, il y a un marchand qui doit connaître Jésus car, à
peine il le voit, il dit :
"Le Rabbi de Nazareth !"
Et il le salue respectueusement.
"Joseph, qu'y a-t-il ?"
"Maître, un coup de poignard au cœur... Il meurt."
"Pourquoi ?"
Une femme aux cheveux gris et défaits se lève - elle
était à genoux près du mourant dont elle tenait une main déjà inerte - et
avec des yeux de folle elle crie :
"À cause d'elle, à cause d'elle !... Elle me l'a rendu satanique...
Plus de mère, plus d'épouse, plus d'enfants, il n'y avait plus rien pour
lui ! L'enfer doit te posséder, satan !"
Jésus lève les yeux en suivant la main tremblante qui accuse et il voit dans
un coin, contre le mur rouge foncé, Marie de Magdala, plus provocante que
jamais, je dirais vêtue... de rien jusqu'à mi-corps, car elle est à moitié
nue au-dessus de la taille, enveloppée d'une sorte de filet à mailles
hexagonales avec des petites boules qui me paraissent des perles. Mais elle
est dans la pénombre et je ne vois pas bien.
Jésus baisse de nouveau les yeux. Marie, excitée par son indifférence, se
redresse alors qu'auparavant elle était comme accablée, et elle se donne une
contenance.
"Femme" dit Jésus à la mère. "Pas d'imprécations. Réponds.
Pourquoi ton fils était-il dans cette maison ?"
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201/202> "Je te l'ai
dit. Parce qu'elle l'avait rendu fou. Elle."
"Silence. Lui aussi était donc en état de péché puisque adultère et père
indigne de ces innocents. Il mérite donc son châtiment. En cette vie et dans l'autre, il
n'y a pas de miséricorde pour
qui ne se repent pas. Mais j'ai pitié de ta douleur, femme, et de ces
innocents.
183.4 - Ta maison est
loin ?"
"Une centaine de mètres."
"Soulevez l'homme et portez-le là."
"Ce n'est pas possible, Maître, dit le marchand Joseph. Il est sur le
point de mourir."
"Fais ce que je dis."
Ils passent une planche sous le corps du moribond et le cortège sort
lentement. Il traverse la rue et pénètre dans un jardin ombragé. Les femmes
continuent de pleurer bruyamment. Lorsqu'ils sont à l'intérieur du jardin,
Jésus se tourne vers la mère :
"Peux-tu pardonner ? Si tu
pardonnes, Dieu pardonne. Il faut se faire un cœur bon pour obtenir grâce. Celui-ci
a péché et péchera encore. Pour lui mieux vaudrait mourir car en vivant il
retombera dans le péché et il devra en plus répondre de son ingratitude
envers Dieu qui le sauve. Mais toi et ces innocents (il indique l'épouse et
les enfants) tomberiez dans le désespoir. Je suis venu pour sauver et non
pour perdre.
Homme, je te le dis : lève-toi et sois guéri."
L'homme reprend vie et ouvre les yeux. Il voit sa mère, ses enfants, sa
femme. Il baisse la tête, honteux.
"Fils, fils !" dit la mère. "Tu étais mort s'il ne
t'avait pas sauvé. Reviens à toi. Ne délire pas pour une..."
Jésus interrompt la vieille :
"Femme, tais-toi. Montre la même miséricorde dont tu as profité. Ta maison est sanctifiée par le miracle
qui est toujours une preuve de la
présence de Dieu. C'est pour cela que je n'ai pu l'accomplir dans la
maison du péché. Toi, au moins, garde ta maison telle, même si lui ne le sait pas. Soignez-le, maintenant. Il est juste
qu'il souffre quelque peu. Sois bonne, femme. Et toi. Et vous, les petits.
Adieu."
Jésus a posé la main sur la tête des deux femmes et des petits.
183.5 - Puis
il sort en passant devant Marie de Magdala qui a suivi le cortège jusqu'au bout
de la rue et est restée adossée contre un arbre. Jésus ralentit comme pour
attendre les disciples, mais je crois qu'il le fait pour donner à Marie la
possibilité de faire un geste. Mais elle ne le fait pas.
Les disciples rejoignent. Jésus et Pierre ne peut se retenir de dire à Marie,
entre les dents, une épithète appropriée. Et elle pour se donner une
contenance éclate de rire ce qui est pour elle un bien pauvre triomphe.
Mais Jésus a entendu la parole de Pierre. Il se retourne et lui dit sévèrement :
"Pierre, Moi, je n'insulte pas. N'insulte pas.
Prie pour les pécheurs. Rien d'autre."
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