Vision du lundi 4
septembre 1944
83/84> 12.1 -
Je vois une riche salle, bien parée, avec des tentures, des tapis et des
meubles de marqueterie. Elle doit encore faire partie du Temple, parce qu'il
s'y trouve des prêtres et, parmi eux Zacharie
et beaucoup d'hommes de tout âge de vingt à cinquante ans plus ou moins.
Ils parlent entre eux doucement, mais la conversation est animée. Ils
paraissent inquiets pour une raison que j'ignore. Tous sont en habit de fête
avec des vêtements neufs ou au moins très rafraîchis comme s'ils étaient
venus pour une fête. Beaucoup ont enlevé le turban qui leur sert de
couvre-chef d'autres l'ont encore, surtout les plus âgés pendant que les
jeunes montrent leur têtes nues, aux cheveux blonds foncé, d'autres bruns,
quelques uns très noirs, un seul avec des cheveux rouges cuivrés. Les
chevelures sont courtes en majeure partie mais il y en a de longues arrivant
même jusqu'aux épaules. Ils ne doivent pas se connaître tous entre eux car
ils s'observent avec curiosité. Mais ils semblent parents car on se rend
compte qu'une seule pensée les préoccupe.
12.2 -
Dans un coin, je vois Joseph. Il parle avec un vieillard bien portant. Joseph est
sur les trente ans. Un bel homme aux cheveux courts et plutôt épais, d'un
brun châtain comme la barbe et les moustaches qui ombragent un beau menton et
montent vers les joues brun rouge, pas olivâtres comme chez les autres bruns.
Il a les yeux sombres, bons et profonds, très sérieux, je dirais presque un
peu tristes. Mais pourtant quand il sourit, comme à présent, ils expriment la
joie et la jeunesse. Il est entièrement vêtu de marron clair, tenue simple
mais très correcte.
12.3 -
Un groupe de jeunes lévites entre. Ils se rangent entre la porte et une table
longue et étroite qui est près du mur au centre duquel se trouve la porte qui
reste ouverte. Il y a seulement une tenture qui pend jusqu'à vingt
centimètres de terre et qui recouvre l'entrée.
La curiosité du public s'aiguise et plus encore
quand une main écarte le rideau pour donner passage à un lévite qui porte
dans ses bras un faisceau de branches sèches sur lequel est posé délicatement
un rameau fleuri. De légers flocons de pétales blancs à peine teintées d'une
nuance rose qui à partir du centre s'irradie de plus en plus tendre jusqu'à
l'extrémité des pétales légers. Le lévite dépose le faisceau de branches sur
la table avec de délicates précautions pour ne pas abîmer ce rameau
miraculeusement fleuri au milieu de tant de branches sèches.
Un bruit se répand dans la salle. Les cous s'allongent, les regards se font
plus attentifs pour mieux voir. Zacharie lui-même, avec les prêtres plus
proches de la table cherche à voir, mais il ne voit rien.
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85> Joseph dans son
coin donne à peine un coup d’œil au faisceau de branches et quand son
interlocuteur lui dit quelque chose, il fait un signe qui veut dire :
"Impossible !" et il sourit.
12.4 -
Un son de trompette derrière le rideau. Silence complet, et tous se rangent
en bel ordre, la figure tournée vers la sortie qui maintenant apparaît toute
découverte parce qu'on .a fait courir le rideau sur ses anneaux. Entouré
d'autres anciens le Grand
Prêtre fait son entrée. Tous
s'inclinent profondément. Le Pontife va auprès de la table et parle tout en
restant debout.
"Hommes de la race de David, qui êtes venus à mon appel, écoutez. Le
Seigneur a parlé, louange à Lui ! De sa Gloire un rayon de lumière est
descendu comme un soleil de printemps et a donné vie à un rameau sec . Il a fleuri miraculeusement, alors qu'aucun rameau sur
la terre n'est fleuri en ce moment, dernier jour de l'Encénie , bien que la neige tombée ne soit pas encore disparue
sur les hauteurs de Juda. C'est l'unique blancheur entre Sion et Béthanie.
Dieu a parlé en se faisant père et tuteur de la Vierge de David qui n'a que
Lui comme seule protection. Sainte enfant, gloire du Temple et de sa race,
elle a mérité que la parole de Dieu lui fasse connaître le nom de l'époux
agréable à l'Éternel. Vraiment juste doit être celui-là, l'Élu du Seigneur
pour être le tuteur de la Vierge qui lui est si chère ! Aussi notre
peine de la perdre s'apaise et nous n'avons plus de préoccupations sur son
destin d'épouse. À celui que Dieu a désigné nous confions en toute sécurité
la Vierge sur laquelle repose la bénédiction de Dieu et la nôtre. Le nom de
l'époux est Joseph de Jacob, de Bethléem de la tribu de David, charpentier à
Nazareth de Galilée. Joseph, avance. C'est le Grand Prêtre, qui te
l'ordonne."
Beaucoup de bruit. Têtes qui se retournent, des mains, des yeux qui se font
signe, déceptions et satisfactions. Il en est, surtout parmi les plus âgés,
qui doivent être heureux que le sort ne soit pas tombé sur eux.
Joseph tout rouge et gêné s'avance. Il est maintenant devant la table en face
du Pontife qu'il a salué respectueusement.
"Venez tous et regardez le nom inscrit sur le rameau, que chacun prenne
sa propre branche pour s'assurer qu'il n'y a pas de fraude."
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86> Les hommes obéissent. Ils regardent le rameau
délicatement tenu par le Grand Prêtre, chacun prend le sien. Les uns le
brisent, d'autres le gardent. Tous regardent Joseph. Certains le regardent en
silence, d'autres le félicitent. Le petit vieux avec lequel il parlait au
début de la séance lui dit :
"Je te l'avais dit, Joseph. C'est celui qui se sent le moins assuré qui
gagne la partie."
Maintenant tous ont défilé.
12.5 -
Le Grand Prêtre donne à Joseph le rameau fleuri et puis lui met la main sur
l'épaule en disant :
"Elle n'est pas riche, et tu le sais, l'épouse que Dieu te donne. Mais
en elle est toute vertu. Sois-en toujours plus digne. Il n'y a pas une fleur
aussi belle et pure comme elle en Israël. Sortez tous maintenant. Joseph
reste. Et toi, Zacharie, son parent, amène l'épouse."
Tous sortent sauf le Grand Prêtre et Joseph. On fait retomber le rideau sur
la porte.
Joseph se tient humblement près du Prêtre majestueux. Un silence, et puis il
lui dit :
"Marie doit te dire le vœu qu'elle a fait. Aide sa timidité. Sois bon,
avec elle si bonne."
"Je mettrai à son service toutes mes forces, et pour elle aucun
sacrifice ne me pèsera. Sois en assuré."
Marie entre avec Zacharie et Anne de Phanuel.
"Viens, Marie" dit le Pontife. "Voici l'époux que Dieu te
destine. C'est Joseph de Nazareth. Tu retourneras donc dans ta cité.
Maintenant je vous laisse. Dieu vous donne sa bénédiction, que le Seigneur
vous garde et vous bénisse, qu'il vous montre sa face et ait pitié de vous,
toujours. Qu'Il tourne vers vous son visage et vous donne la paix. "
Zacharie sort pour accompagner le Pontife. Anne se félicite avec l'époux et
sort elle aussi.
12.6 -
Les deux fiancés sont en face l'un de l'autre. Marie, toute rouge, a la tête
inclinée. Joseph, un peu rouge aussi, l'observe et cherche les paroles à lui dire
pour commencer. il les trouve finalement et un sourire éclaire son visage. il
dit :
"Je te salue Marie. Je t'ai vue toute petite alors que tu avais quelques
jours... J'étais l'ami de ton père et j'ai un neveu
de mon frère Alphée qui aimait tant ta mère.
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87> C'était pour elle un petit ami,
car il n'a que dix huit ans et quand tu n'étais pas encore née, c'était un
tout petit homme et il réjouissait la tristesse de ta mère qui l'aimait tendrement.
Tu ne nous connais pas parce que tu es venue ici toute petite. Mais à
Nazareth, tout le monde t'aime bien et parle de la petite Marie de Joachim
dont la naissance fut un miracle du Seigneur qui fit refleurir la stérile...
Et moi, je me rappelle le soir de ta naissance... Tout le monde s'en souvient
à cause du prodige d'une forte pluie qui sauva les récoltes et d'un violent
orage dans lequel les coups de foudre ne brisèrent pas même un brin de
bruyère sauvage et qui se termina par un arc-en-ciel plus grand et plus beau
qu'on n'ait jamais vus. Et puis... qui ne se rappelle pas la joie de Joachim?
il te balançait en te montrant aux voisins... comme si tu avais été une fleur
venue du Ciel, il t'admirait et voulait communiquer à tous son admiration.
Heureux et vieux père, qui mourut en parlant de sa Marie, si belle et si
bonne et dont les paroles étaient pleines de grâce et de sagesse... il avait
raison de t'admirer et de dire qu'il n'y a pas une plus belle que toi! Et ta
mère? Elle remplissait de son chant le coin où est ta maison. On aurait dit
une alouette au printemps quand elle te portait et après quand elle
t'allaitait. C'est moi qui ai fait ton berceau, un petit berceau orné de
roses sculptées comme le voulait ta mère.
Peut-être est-il encore dans votre demeure, fermée... Je suis âgé, moi,
Marie. Quand tu es née, je faisais mon apprentissage. Je travaillais déjà...
Qui m'aurait dit que je t'aurais eue pour épouse ! Peut-être la mort des
tiens aurait été plus heureuse parce que nous étions amis. J'ai enseveli ton
père, le pleurant d'un cœur sincère car il avait été un bon maître pour ma
vie."
Marie redresse doucement, doucement le visage, de plus en plus rassurée en
entendant Joseph lui parler ainsi. Quand il parle du berceau elle esquisse un
sourire et quand Joseph lui parle de son père, elle lui tend la main et lui
dit: "Merci, Joseph." Un "merci" timide et plein de
douceur.
Joseph prend entre ses mains courtes et robustes de charpentier la petite
main de jasmin et la caresse avec une affection qui ne cesse de tâcher à la
rassurer. Peut-être attend-il d'autres paroles, mais Marie se tait de
nouveau. Alors il reprend:
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88> "La maison, tu le sais, est
intacte, sauf la partie qui a été abattue par ordre du Consul pour
transformer le sentier en une route pour les fourgons de Rome. Mais les
champs, ce qui t'en est resté parce que tu sais... la maladie de ton père a
coûté une grande partie de tes biens, sont un peu négligés. Il y a plus de trois
printemps que les arbres et les vignes n'ont pas vu le sécateur du jardinier
et la terre est inculte et dure. Mais les arbres qui t'ont vue toute petite
sont encore là et, si tu le permets, je m'en occuperai de suite."
"Merci, Joseph. Mais tu as déjà ton travail..."
"Je travaillerai à ton jardin les premières et les dernières heures du
jour. En ce moment les jours allongent. Pour le printemps, je veux que tout
soit en ordre pour te faire plaisir. Regarde, c'est un rameau de l'amandier
qui touche la maison. J'ai voulu le cueillir... - on entre de tous côtés par
la haie éventrée mais je vais la refaire solide et bien fournie - j'ai voulu
cueillir ce rameau dans le cas où le choix serait tombé sur moi - mais je ne
l'espérais pas parce que je suis naziréen
et j'ai obéi à la convocation parce qu'elle émanait du Prêtre, non par désir
du mariage - je l'ai donc cueilli, disais-je, en pensant que tu serais
contente d'avoir une fleur de ton jardin. Le voilà, Marie. Avec lui je te
donne mon cœur qui jusqu'à présent n'a fleuri que pour le Seigneur et
maintenant fleurit pour toi, mon épouse."
12.7 -
Marie prend le rameau. Elle est émue et regarde Joseph d'un air plus rassuré
et radieux. Elle se sent sûre de lui, quand ensuite il lui dit :
"Je suis naziréen" son visage devient tout lumineux et elle prend
courage. "Moi aussi, j'appartiens toute à Dieu, Joseph. Je ne sais si le
Grand Prêtre te l'a dit..."
"Il m'a dit seulement que tu es bonne et pure et que tu dois me faire
connaître un vœu que tu as fait, et d'être bon avec toi. Parle, Marie. Ton
Joseph veut te rendre heureuse en tous tes désirs. Je ne t'aime pas selon la
chair. Je t'aime selon mon esprit, sainte enfant que Dieu me donne !
Vois en moi un père et un frère, pas seulement un époux. Confie-toi à moi
comme à un père, aie confiance comme en un frère."
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89> "Toute enfant, je me suis
consacrée au Seigneur. Je sais que cela ne se fait pas en Israël, mais j'ai
entendu une voix qui me demandait ma virginité en sacrifice d'amour pour
l'avènement du Messie. Il y a si longtemps qu'Israël l'attend Ce n'est pas
trop de renoncer pour cela à la joie d'être mère !..."
Joseph la regarde fixement comme s'il voulait lire au fond de son cœur et
puis, prenant les deux petites mains qui tiennent encore entre leurs doigts
le rameau fleuri il lui dit :
"Moi aussi, j'unirai mon sacrifice au tien et par notre chasteté nous
témoignerons tant d'amour à l'Éternel, tant d'amour que Lui donnera
plus tôt le Sauveur à toute la terre, nous permettant de voir sa Lumière
illuminer le monde. Viens, Marie. Allons devant sa Maison et jurons de nous
aimer comme les anges s'aiment entre eux. 12.8 -
Puis, j'irai à Nazareth préparer tout pour toi, dans ta maison si tu préfères
ou ailleurs si tu veux."
"Dans ma maison... Il y avait une grotte, au fond... y est-elle
encore ?"
"Elle y est toujours, mais elle ne t'appartient plus... Mais je t'en
ferai une tranquille et fraîche où tu pourras te retirer pendant les heures
les plus chaudes de la journée. Je la ferai aussi grande. Et puis, dis-moi,
qui veux-tu pour te tenir compagnie ?"
"Personne. Je n'ai pas peur. La mère d'Alphée
qui vient toujours me voir me tiendra un peu compagnie le jour. La nuit, je
préfère être seule. Aucun mal ne peut m'arriver."
"Et puis, maintenant j'y suis moi... Quand dois-je venir te
prendre ?"
"Quand tu veux, Joseph."
"Alors je viendrai dès que la maison sera bien rangée. Je ne dérangerai
rien. Je veux que tu la trouves comme ta mère l'a laissée. Mais je la veux
toute ensoleillée et très propre pour qu'elle t'accueille sans tristesse.
Viens Marie, allons dire au Très-Haut que nous Le
bénissons."
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