Le dimanche 16
décembre 1945.
510> 362.1 - Ils sont maintenant de l'autre côté du Jourdain et ils
marchent rapidement en direction sud-ouest en allant vers une seconde chaîne
de collines, plus élevée que la première, des collines basses, au-delà
desquelles se trouve la plaine du Jourdain. Par leurs conversations je
comprends qu'ils ont évité la plaine pour ne pas retomber dans la boue qu'ils
ont laissée de l'autre côté, et ils pensent aller où ils doivent en suivant
les routes de l'intérieur qui sont mieux entretenues et plus praticables
surtout par temps de pluie.
"À quel endroit pouvons-nous être ? demande Matthieu qui s'oriente mal.
"Entre Silo et Béthel certainement, dit Thomas. Je
reconnais les montagnes. J'y suis passé il y a peu de temps, avec Judas, qui à
Béthel fut reçu par des pharisiens."
Haut de page.
511> "Tu pouvais l'être toi aussi. Tu n'as pas voulu
venir. Mais ni eux ni moi ne t'avons dit : "Ne viens pas".
"Et je ne dis pas non plus que vous me l'ayez dit. Je dis seulement que
j'ai préféré rester avec les disciples qui évangélisaient là."
L'incident est terminé. Et même André se réjouit en
disant :
"Si à Béthel nous avons des pharisiens comme amis, on ne nous attaquera
pas."
"Mais nous revenons en arrière au lieu d'aller à Jérusalem" lui
objectent-ils.
"Nous devrons pourtant y aller pour la Pâque et je ne sais pas comment
nous ferons..."
"Mais oui ! Pourquoi a-t-il dit que nous retournons à Cana ? Les femmes pouvaient revenir, et nous accomplir
le pèlerinage..."
"C'est écrit que ma femme ne fera pas la Pâque à Jérusalem !"
s'exclame Pierre.
362.2 - Jean interpelle Jésus qui est en grande conversation avec
le Zélote :
"Maître, comment ferons-nous pour aller et revenir à temps ?"
"Je ne sais pas. Je m'en remets à Dieu. Si nous sommes en retard, ce ne
sera pas ma faute."
"Tu as bien fait d'être prudent" dit le Zélote.
"Oh ! Moi, j'aurais continué car ce n'est pas encore mon heure. Je
le sens. Mais vous, comment auriez-vous supporté l'aventure, vous qui
depuis quelque temps êtes si... fatigués ?"
"Maître... tu as raison. Il semble qu'un démon ait soufflé parmi nous.
Nous sommes tellement changés !"
"L'homme se fatigue. Il veut que les choses aillent vite ; et il a
des rêves déraisonnables. Quand il s'aperçoit que le rêve est différent de la
réalité, il se trouble et, s'il n'est pas de bonne volonté, il fléchit. Il ne
se souvient pas que le Tout Puissant, qui en un instant pouvait sortir du
Chaos l'Univers, l'a fait en des phases régulières et séparées en espaces de
temps appelés jours. Je dois du Chaos
spirituel de tout un monde sortir le Royaume de Dieu. Et je le ferai. J'en
construirai les bases, je suis en train de les construire, et je dois briser
la roche très dure pour y tailler des fondements qui ne s'écrouleront pas.
Vous élèverez lentement les murs.
Haut de page.
512> Vos successeurs continueront le travail en hauteur et
en largeur. Comme Moi je mourrai au travail ; ainsi vous mourrez, et il
y en aura d'autres qui mourront en versant leur sang ou sans le verser, mais
consumés par ce travail qui demande l'esprit d'immolation, de générosité, et
des larmes, et du sang, et une patience sans mesure..."
362.3 - Pierre passe sa tête
grisonnante entre Jésus et Jean.
"Peut-on savoir ce que vous dites ?"
"Oh ! Simon ! Viens ici. On parlait de la future Église.
J'expliquais qu'au lieu de vos hâtes, de vos lassitudes, de vos
découragements, et autres choses du même genre, elle réclamait le calme, la
constance, l'effort, la confiance. J'expliquais qu'elle demande le sacrifice de tous ses membres.
Depuis Moi, qui en suis le Fondateur et qui en suis la Tête mystique, jusqu'à
vous, jusqu'à tous les disciples, jusqu'à tous ceux qui auront le nom de
chrétiens et qui appartiendront à l'Église universelle. Et en vérité, dans la
grande échelle des hiérarchies, ce seront souvent les plus humbles, ceux qui
sembleront simplement des "numéros", qui rendront l'Église vraiment
vivante. En vérité je devrai souvent me réfugier en eux pour continuer à
maintenir vivante la foi et la force des collèges apostoliques toujours
renouvelés, et ces apôtres je devrai les laisser tourmenter par Satan et par
des hommes envieux, orgueilleux et incrédules. Et leur martyre moral ne sera
pas moins pénible que le martyre matériel, pris comme ils le seront entre la
volonté de Dieu qui les pousse à agir et la volonté mauvaise de l'homme,
instrument de Satan, qui appliquera tout son soin et toute sa violence à les
faire passer pour des menteurs, des fous, des obsédés, pour paralyser mon
œuvre en eux et ses fruits qui sont autant de coups victorieux contre la
Bête."
"Et ils résisteront ?"
"Et ils résisteront sans même m'avoir
matériellement avec eux. Ils devront croire non seulement à ce qu'il faut
croire obligatoirement, mais aussi à leur mission secrète, la croire sainte,
la croire utile, croire qu'elle vient de Moi alors qu'autour d'eux Satan
sifflera pour les terroriser, et que criera le monde pour les tourner en
ridicule, et des ministres de Dieu, pas toujours parfaitement éclairés, pour
les condamner. C'est le destin de mes futures voix. Et pourtant je n'aurai pas
d'autres ressources pour secouer les hommes, les ramener à l'Évangile et au
Christ ! Mais pour tout ce que je leur aurai demandé, ce que je leur
aurai imposé et reçu d'eux, oh ! je leur donnerai une joie éternelle,
une gloire spéciale !
Haut de page.
513> 362.4 - Il y a au Ciel un livre fermé. Dieu seul peut le lire. Il
renferme toutes les vérités. Mais parfois Dieu enlève les sceaux et réveille
les vérités déjà dites aux hommes en contraignant un homme, choisi pour ce
destin, à connaître le passé, le présent et l'avenir tels que le livre
mystérieux les contient. N’avez-vous jamais vu un fils, le meilleur de la
famille, ou un écolier, le meilleur de l'école, appelé par son père ou par
son maître pour lire un livre de grandes personnes et en recevoir
l'explication ? Il se tient à côté du père ou du maître qui l'entoure
d'un bras, alors que de la main opposée il marque avec l'index les lignes
dont il veut qu'elles soient lues et connues par son préféré. C'est ainsi que
Dieu fait pour ceux qu'il appelle à une telle destinée. Il les attire et les
retient par son bras et Il les force à lire ce qu'il veut, et à en savoir le
sens, et à le dire ensuite, et à en avoir mépris et douleur. Moi, l'Homme, je
suis le Chef de file de ceux qui disent les Vérités du Livre céleste, et j'en
reçois le mépris, la douleur et la mort. Mais déjà le Père prépare ma Gloire.
Et Moi, une fois que j'y serai monté, je préparerai la gloire de ceux que
j'aurai forcé à lire dans le livre fermé les points que j'ai voulu, et en
présence de l'Humanité toute entière ressuscitée et des chœurs angéliques je
les montrerai pour ce qu'ils ont été, en les appelant auprès de Moi alors que
j'ouvrirai les sceaux du Livre que désormais il sera inutile de tenir fermé,
et eux souriront en revoyant écrites, en relisant les paroles que déjà
j'avais éclairées pour eux quand ils souffraient sur la terre."
362.5 - "Et les autres ?" demande Jean très
attentif à l'instruction.
"Quels autres ?"
"Les autres, qui comme moi n'ont pas lu ce livre sur la terre, ils ne
sauront jamais ce qu'il dit ?"
"Au Ciel, tout sera connu aux bienheureux. Ils connaîtront, absorbés
dans la Sagesse Infinie."
"Tout de suite ? À peine morts ?"
"Tout de suite dès l'entrée dans la Vie."
"Mais alors pourquoi au Dernier Jour feras-tu voir que tu les appelles à
connaître le Livre ?"
"Parce qu'il n'y aura pas seulement les bienheureux à le voir, mais
toute l'Humanité. Et dans les damnés, il y en aura beaucoup de ceux qui ont
tourné en dérision les voix de Dieu comme celles de fous et de possédés, et
qui les auront tourmentés pour ce don que je leur ai fait. C'est une longue
mais obligatoire revanche accordée à ces martyrs de la méchanceté obtuse du
monde."
Haut de page.
514> "Comme ce sera beau de voir cela !"
s'écrie Jean ravi.
"Oui, et de voir tous les pharisiens grincer des dents avec rage"
dit Pierre en se frottant les mains.
"Oh ! moi je pense que je regarderai seulement Jésus et les bénis
qui liront avec Lui le Livre..." répond Jean qui rêve à cette heure, les
yeux perdus dans je ne sais quelle vision de lumière, devenus plus clairs par
une larme produite par l'émotion qui reste dans l’œil et en fait briller
l'iris bleu clair, avec un sourire enfantin sur ses lèvres rouges.
Le Zélote le
regarde, Jésus aussi le regarde. Mais Jésus ne dit rien. Le Zélote, au
contraire, dit :
"Tu te regarderas toi-même alors ! Car si parmi nous il y en a un
qui doit être "voix de Dieu" sur la terre, et qui sera appelé à
lire les passages du Livre scellé, ce sera bien toi, Jean, préféré de Jésus
et ami de Dieu."
"Oh ! ne dis pas cela ! Moi, je suis le plus ignorant de tous.
Et si Jésus n'avait pas dit que c'est aux enfants qu'appartient le Royaume
des Cieux je ne penserais pas pouvoir le posséder, tellement je ne suis qu'un
bon à rien. N'est-ce pas, Maître, que ma seule valeur c'est de ressembler à
un enfant ?"
"Oui, tu appartiens à la bienheureuse enfance, et sois-en
béni !"
362.6 - Ils marchent encore quelque temps, puis Pierre, qui
regarde en arrière de la route caravanière sur laquelle ils sont maintenant,
s'écrie :
"Miséricordieuse Providence ! Mais c'est le char des
femmes !"
Tout le monde se retourne. C'est réellement le lourd char de Jeanne qui avance au trot
de deux robustes chevaux. Ils s'arrêtent pour l'attendre. La capote de cuir
entièrement descendue ne permet pas de voir qui se trouve à l'intérieur. Mais
Jésus fait signe d'arrêter et le conducteur pousse une exclamation de joie
quand il voit Jésus debout, les bras levés, sur le bord de la route.
Alors que l'homme arrête les deux chevaux qui soufflent, apparaît à l'entrée
le visage maigre d'Isaac :
"Le Maître ! crie-t-il. Mère, sois heureuse ! Il est
ici !"
Des voix de femmes, des bruits de pas, se produisent dans le char, mais avant
qu'une seule d'entre elles descende, ont déjà sauté à terre Manahen, Marziam et Isaac, qui accourent pour vénérer le Maître.
Haut de page.
515> "Encore ici, Manahen ?"
"Fidèle à la consigne, et maintenant plus que jamais parce que les
femmes avaient peur... Mais... Nous t'avons obéi parce qu'il faut obéir, mais
crois bien qu'il n'y a rien de préoccupant. Je sais de source certaine que
Pilate a rappelé à l'ordre ceux qui mettent le trouble, en disant que
quiconque créerait des troubles pendant ces jours de fête serait durement
puni. Je crois que la femme de Pilate n'est pas étrangère à cette protection et encore moins
ses amies. À la cour on sait tout et rien. Mais on est assez informé..."
362.7 - Puis Manahen s'écarte pour céder la place à Marie qui est descendue du char et a fait quelques mètres de
route, toute tremblante et émue.
Ils s'embrassent pendant que toutes les femmes disciples vénèrent le Maître.
Cependant Marie et Marthe de
Lazare ne sont pas là.
Marie murmure :
"Quelle angoisse depuis ce soir-là ! Fils, comme ils te haïssent
tous !"
Et des larmes descendent le long des marques rouges, traces de beaucoup
d'autres qu'elle a versées ces derniers jours.
"Mais tu vois que le Père pourvoit à tout. Ne pleure donc pas ! Je
défie avec courage toute la haine du monde, mais une seule de tes larmes
m'accable. Allons, Mère sainte !"
Et, la tenant enlacée, il se tourne vers les femmes disciples pour les
saluer, et il a un mot particulier pour Jeanne qui a voulu revenir en arrière
pour accompagner Marie.
"Oh ! Maître ! On n'a pas de peine à rester avec ta Mère.
Marie est retenue à Béthanie par les souffrances de son frère. Moi, je suis
venue. J'ai laissé les enfants à la femme du gardien du palais, qui est bonne
et maternelle. Mais il y a aussi Kouza qui y veille et pense qu'il ne manquera rien au cher Matthias
que mon mari aime particulièrement ! Pourtant Kouza m'a dit aussi qu'il
était inutile de partir. L'avertissement du Proconsul a brisé les ongles même à Hérodiade. Et
lui, le Tétrarque,
tremble de peur, et il n'a qu'une pensée : veiller à ce que Hérodiade ne
le ruine pas aux yeux de Rome. La mort de Jean a fait beaucoup de tort à
Hérodiade. Et Hérode se rend compte aussi, et très bien, que le peuple est
révolté contre lui à cause du meurtre de Jean.
Haut de page.
516/517> Le renard comprend que le pire châtiment serait de
perdre la protection haineuse et illusoire de Rome. Le peuple l'attaquerait
tout de suite. Par conséquent, oh ! ne doute pas ! Il ne prendra
aucune initiative !"
362.8 - "Alors retournons à Jérusalem ! Vous pouvez
aller en toute sécurité. Allons ! Que les femmes remontent sur le char
et avec elles Matthieu et ceux qui sont fatigués. Nous nous reposerons à
Béthel. Allons."
Les femmes obéissent. Montent avec elles Matthieu et Barthélemy. Les
autres préfèrent suivre le char à pied avec Manahen, Isaac et Marziam. Et Manahen
raconte comment il s'est informé pour savoir ce qu'il y avait de vrai dans
les racontars de l'hérodien qui avait semé l'inquiétude dans la tranquille
retraite de Béthanie près de Lazare "très
souffrant" dit Manahen.
"Est-il venu une femme à Béthanie ?"
"Non, Seigneur. Mais nous en sommes absents depuis trois jours. Qui
est-ce ?"
"Une disciple. Je la donnerai à Élise, car elle est jeune, seule et sans
moyens."
"Elise est au palais de Jeanne. Elle voulait venir, mais elle est très
enrhumée. Elle brûlait de te voir. Elle disait : "Mais vous ne
comprenez pas que sa vue me donne la paix ?"
362.9 - "Je lui donnerai aussi une joie avec cette jeune
fille. Et toi, Marziam, tu ne parles pas ?"
"J'écoute, Maître."
"Le garçon écoute et écrit. Par l'un, par l'autre, il se fait répéter
tes paroles et il écrit, il écrit. Mais les aurons-nous bien dites,
nous ?" dit Isaac.
"Je les regarderai, Moi, et j'ajouterai ce qui manque dans le travail de
mon disciple" dit Jésus en caressant la joue légèrement brune de Marziam.
Puis il demande :
"Et ton grand-père ? Tu l'as vu ?"
"Oh ! oui ! Il ne me reconnaissait pas. Il a pleuré de joie.
Mais nous le reverrons au Temple car Ismaël les envoie. Et même cette année
il leur a donné plus de jours. Il a peur de Toi."
"Naturellement ! Après le petit ennui arrivé à Chanania au mois de Scebat !" dit Pierre en riant.
|