Le jeudi 31 octobre 1946.
186> 521.1 - L'arrière
de la maison de Simon
de Tecua est simplement une place bordée par
les deux ailes de la maison. Elle est en forme de U. Je dis place, car les jours de marché, comme celui que je vois, on ouvre en trois endroits
la solide grille qui la sépare d'une place publique plus grande et de
nombreux vendeurs envahissent, avec leurs étalages, les portiques qui se
trouvent sur les trois côtés de la maison et dont je comprends maintenant
l'intérêt... financier, car Simon, en bon hébreu, perçoit de chaque marchand
le prix de la place qu'il occupe. Il se fait suivre du petit vieux revêtu
d'un habit convenable et il le présente à tous les vendeurs en disant :
"Voilà, dorénavant, c'est à lui que vous payerez le prix convenu."
Puis, une fois fait le tour des portiques, il dit à Éli-Hanna :
"Voilà ton travail. Ici, et à l'intérieur, avec l'auberge et les
écuries. Il n'est ni difficile ni fatigant, mais il te montre l'estime que
j'ai pour toi.
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187> J'ai chassé, l'un après l'autre,
trois employés parce qu'ils n'étaient pas honnêtes. Mais tu me plais et puis
c'est Lui qui t'a amené. Et le Maître sait connaître les cœurs. Allons le
trouver maintenant pour Lui dire que, s'il veut, c'est le bon moment pour
parler."
Et il s'en va, suivi du petit vieux...
Les gens envahissent de plus en plus la place et le bruit
ne cesse d'augmenter. Des femmes qui viennent faire leurs emplettes; des
marchands de bestiaux; des acquéreurs de bœufs de labour ou d'autres animaux;
des paysans courbés sous le poids de paniers de fruits et qui vantent leur
marchandise; des couteliers avec leurs étalages d'instruments tranchants et
qui, avec un bruit infernal, frappent les haches sur des souches pour montrer
la solidité de la lame, ou bien qui avec un marteau frappent sur des faux
suspendues à des chevalets pour faire voir la trempe parfaite de la lame, ou
qui soulèvent des socs et à deux mains les piquent dans la terre, qui s'ouvre
blessée, pour donner une preuve de la solidité du soc auquel aucun terrain ne
résiste; et des chaudronniers avec des amphores et des seaux, des poêles et
des lampes, dont ils frappent le métal en faisant un bruit assourdissant pour
montrer qu'il est massif et ils crient à pleins gosiers pour offrir des
lampes à un ou plusieurs becs pour les fêtes prochaines de Casleu;
et par dessus tous ces bruits, monotone et perçant
comme le cri plaintif de la chouette durant la nuit, le cri des mendiants,
disséminés aux points stratégiques du marché.
521.2 - Jésus vient de la maison avec Pierre et Jacques de
Zébédée. Je ne vois pas les autres. Je pense qu'ils font un tour
dans la ville pour annoncer le Maître, car je vois que la foule le reconnaît
tout de suite et que beaucoup de gens accourent alors que s'affaiblissent les
voix et le bruit du marché. Jésus fait donner l'obole à quelques mendiants et il s'arrête pour saluer deux hommes qui, suivis de leurs
serviteurs, allaient quitter le marché après leurs achats. Mais maintenant
ils s'arrêtent, eux aussi, pour écouter le Maître. Et Jésus commence à parler
en tirant son sujet de ce qu'il voit :
"Chaque chose en son temps, chaque
chose à sa place. On ne tient pas le marché le sabbat, et on ne fait pas de commerce dans
les synagogues, et on ne travaille pas non plus la nuit, mais au contraire
pendant qu'il fait jour. Seul celui qui est pécheur fait du commerce le jour
du Seigneur, ou profane par des relations humaines les lieux destinés à la
prière, ou agit en voleur pendant la nuit en commettant des vols et des
crimes.
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188> De même le commerçant honnête
s'affaire à prouver aux acheteurs la bonne qualité de ses denrées et la
solidité de ses outils, et l'acheteur s'en va satisfait de sa bonne
acquisition. Mais si par exemple, à force d'astuce, le vendeur réussissait à
tromper l'acheteur, et que ce dernier se rendait compte que l'outil ou la
denrée achetée n'était pas de bonne qualité, et qu'il avait payé trop cher,
est-ce que l'acheteur n'aurait pas recours à des moyens de défense, qui vont
du minimum de ne plus jamais rien acheter à ce marchand et à un maximum
d'avoir recours au juge pour récupérer son argent ? C'est ce qui arriverait,
et ce serait juste.
Et pourtant ne voyons-nous pas, nous en Israël, le peuple trompé par des gens
qui vendent des marchandises avariées pour des bonnes et dénigrent celui qui
vend de bonnes marchandises, puisqu'il est le Juste du Seigneur ? Oui, nous
les voyons tous. Hier soir plusieurs d'entre vous sont venus raconter les
menées des mauvais vendeurs, et Moi, j'ai dit : "Laissez faire. Gardez
vos cœurs fermes, et Dieu pourvoira".
Ceux qui vendent des choses qui ne sont pas
bonnes, qui offensent-ils ? Vous ? Moi ? Non. Dieu, Lui-même. Celui qui
est coupable, ce n'est pas tant celui qui est trompé que celui qui trompe. Ce
n'est pas tant un péché contre l'homme que contre Dieu que de chercher à
écouler des choses qui ne sont pas bonnes, pour que celui qui veut acheter
n'aille pas vers les choses bonnes. Moi je ne vous dis pas : réagissez,
vengez-vous. Ce n'est pas une parole qui puisse venir de Moi. Je vous dis
seulement : écoutez le vrai son des
paroles, observez bien, en pleine lumière,
les actions de celui qui vous parle, goûtez la première gorgée ou la première
bouchée qui vous est offerte, et si vous sentez un son aigre, si la conduite
d'autrui a quelque chose de ténébreux, si la saveur qui vous reste dans le
cœur vous trouble, repoussez ce qui vous est offert comme une chose qui n'est pas bonne. La sagesse, la justice, la charité ne
sont jamais aigres, ne troublent pas et n'aiment pas agir dans l'ombre.
521.3 - Je sais que j'ai été précédé par mes
disciples, et je vous laisse deux de mes apôtres. De plus, hier soir, par mes
actions plus que par mes paroles, j'ai témoigné d'où je viens et avec quelle
mission. Il n'est donc pas besoin de longs discours pour vous attirer à ma
voie. Réfléchissez et ayez la volonté d'y rester. Imitez les fondateurs de
cette ville à la limite de l'aride désert.
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189> Ne cessez pas de penser qu'en
dehors de ma doctrine, c'est l'aridité du désert, alors que dans ma doctrine
se trouvent les sources de la Vie. Et si nombreux que soient les événements
qui peuvent survenir, ne vous troublez pas, ne vous scandalisez pas. Rappelez-vous
les paroles du Seigneur dans Isaïe.
Elle ne sera jamais raccourcie ni devenue petite ma main pour combler de
bienfaits ceux qui suivent mes voies, de même qu'elle ne sera jamais réduite
à rien la main du Très-Haut pour frapper ceux qui me donnent — à Moi qui suis
venu et qui en ai trouvé bien peu pour m'accueillir, à Moi qui ai appelé, et
bien peu m'ont répondu — l'offense et la douleur. Car, de même que celui qui
me fait honneur honore le Père qui m'a envoyé, ainsi celui qui me méprise,
méprise Celui qui m'a envoyé. Et d'après l'antique loi du talion celui qui me
repousse sera repoussé.
Mais vous qui avez accueilli ma parole, ne
craignez pas les opprobres des hommes et ne tremblez pas à cause de leurs
outrages adressés d'abord à Moi, et ensuite à vous parce que vous m'aimez.
Moi, bien que je semble persécuté et que je semblerai frappé, je vous
consolerai et vous protégerai. Ne craignez pas,
ne craignez pas l'homme mortel qui est aujourd'hui et qui demain ne sera
qu'un souvenir et de la poussière. Mais craignez le Seigneur, craignez-le
avec un saint amour, pas avec peur, craignez de ne pas savoir l'aimer en
proportion de son amour infini. Je ne vous dis pas : faites telle ou telle
chose. Ce qu'il faut faire, vous le savez. Je vous dis : aimez. Aimez Dieu et
son Christ, aimez votre prochain comme je vous l'ai enseigné. Et vous ferez
tout, si vous savez aimer.
521.4 - Je vous bénis, habitants de Tecua,
ville à la lisière du désert mais oasis de paix pour le Fils de l'homme persécuté,
et que ma bénédiction soit dans vos cœurs et dans vos maisons, maintenant et
toujours."
"Reste, Maître ! Reste avec nous. Le désert a toujours été bon pour les
saints d'Israël ! "
"Je ne puis. J'en ai d'autres qui m'attendent. Vous êtes en Moi, Moi en vous, puisque nous nous aimons."
Jésus a du mal à passer à travers les gens qui le suivent, oubliant le
commerce et toute autre chose. Malades guéris qui le bénissent encore, cœurs
consolés qui le remercient, mendiants qui le saluent : "Vivante Manne de
Dieu"...
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190> 521.5 - Le
petit vieux est à ses côtés, il y reste jusqu'aux limites de la ville. Et
c'est seulement quand Jésus bénit Matthieu et Philippe
qui restent à Tecua, qu'il se décide à quitter son Sauveur et il le fait avec
des baisers sur les pieds nus du Maître, des pleurs et des paroles de
reconnaissance.
"Lève-toi, Éli-Hanna, et viens que je te donne un baiser. Un baiser d'un
fils à un père, et que cela te récompense de tout. Je t'applique les paroles
du prophète : "Toi qui pleures, tu ne pleureras plus, car le
Miséricordieux a eu pitié de toi".
Le Seigneur t'a donné un peu de pain et un peu d'eau. Je n'ai pu faire
davantage. Si tu as été chassé par un seul, j'ai pour me chasser tous les
puissants d'un peuple, et c'est beaucoup si je trouve pour Moi et mes apôtres
un peu de nourriture et un abri. Mais tes yeux ont vu Celui que tu désirais,
et tes oreilles ont entendu mes paroles, de même que ton cœur doit sentir mon
amour. Va, et sois en paix car tu es un martyr de la justice, un des
précurseurs de tous ceux qui seront persécutés à cause de Moi. Ne pleure pas,
père !"
Puis il dépose un baiser sur sa tête chenue.
Le vieillard Lui rend son baiser sur la joue et Lui murmure à l'oreille :
"Défie-toi de l'autre Judas,
mon Seigneur, je ne veux pas souiller ma langue... Mais défie-toi. Ce n'est
pas avec de bonnes pensées qu'il vient chez mon fils..."
"Oui. Mais ne pense plus au passé. Tout sera bientôt fini et personne ne
pourra plus me nuire. Adieu, Éli-Hanna. Le Seigneur est avec toi."
Ils se séparent...
521.6 - "Maître, que t'a dit le
vieillard tout bas ?" demande Pierre qui marche à côté de Jésus et avec
peine, car Jésus fait de grands pas avec ses longues jambes, chose interdite
à Pierre de si petite taille.
"Pauvre vieillard ! Que veux-tu qu'il me dise que je ne sache déjà
?" répond Jésus en évitant une réponse précise.
"Il parlait de son fils, hein ? Il t'a dit qui c'est ?"
"Non, Pierre. Je te l'assure. Il a gardé ce nom dans son cœur."
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191> "Mais tu le connais pourtant
?"
"Je le connais, mais je ne te le dirai pas."
Un silence prolongé. Puis, tourmentée, la question de Pierre et son aveu.
"Mais pourquoi, Maître, dans quel but l'Iscariote va-t-il dans la maison d'un homme très mauvais tel que le fils d'Éli-Hanna ?
J'ai peur, Maître ! Il n'a pas de bons amis. Il n'y va pas ouvertement. Il
n'a pas en lui la force de résister au mal. J'ai peur, Maître. Pourquoi ?
Pourquoi Judas va-t-il chez ces gens et en cachette ?"
Le visage de Pierre exprime une interrogation anxieuse.
Jésus le regarde et ne répond pas. Que doit-il répondre en effet ? Quoi, pour
ne pas mentir et lancer le fidèle Pierre contre l'infidèle Judas ? Il préfère
laisser parler Pierre.
"Tu ne réponds pas ? Moi, depuis hier, depuis le moment où le vieillard
a cru reconnaître Judas parmi nous, je n'ai pas de paix. C'est comme le jour
où tu as parlé avec l'épouse du sadducéen. Tu te souviens ? Tu te rappelles mon soupçon
?"
"Je me le rappelle. Et toi, tu te rappelles les paroles que je t'ai dites alors
?"
"Oui, Maître."
"Il n'y a pas autre chose à dire Simon. Les actions de l'homme ont une
apparence différente de la réalité. Mais je suis content d'avoir pourvu aux
besoins de cet homme. C'est comme si Ananias
était revenu. Et vraiment, si Simon de Tecua ne l'avait pas accueilli, je
l'aurais conduit dans la maisonnette de Salomon,
pour y avoir toujours un père pour nous attendre. Mais pour Éli, c'est mieux
ainsi. Simon est bon, il a de nombreux petits-enfants. Éli aime les
enfants... Et les enfants font oublier tant de choses douloureuses..."
Avec son habituel savoir-faire pour distraire l'interlocuteur et l'amener à
d'autres sujets, quand il trouve qu'il ne convient pas de répondre à des
questions dangereuses, Jésus a distrait Pierre de sa pensée. Et il continue
de lui parler des enfants qu'il a connus ça et là, pour arriver à lui
rappeler Marziam
qui peut-être à cette heure retire les filets après avoir péché dans le beau
lac de Génésareth.
Pierre est loin maintenant de la pensée d'Éli et de Judas, et il sourit en
demandant :
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192> "Mais, après la Pâque, nous y
allons, n'est-ce pas ? C'est si beau ! Oh ! beaucoup plus qu'ici. Nous,
galiléens, nous sommes des pécheurs pour ceux de Judée... Mais pour vivre ici
! Oh ! Miséricorde éternelle ! Si nous, nous serons châtiés, certainement
dans cette région il n'y aura pas de récompense."
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