Le mercredi 27 mars 1946.
312/313> 404.1 – L'aube
met une clarté verte laiteuse sur la voûte du ciel, au-dessus de la vallée
fraîche et silencieuse. Puis cette clarté si indéfinie, qui est et qui n'est
pas encore de la lumière, baigne le haut des deux pentes. Elle semble
caresser doucement les plus hauts sommets des monts de Judée et dire aux
vieux arbres qui les couronnent : "Me voici, je descends du ciel,
je viens de l'orient, précédant l'aurore, chassant les ombres, apportant la
lumière, l'activité, la bénédiction d'un nouveau jour que Dieu vous
accorde." Et les cimes s'éveillent avec le soupir des feuillages, le
pépiement des premiers oiseaux, réveillés par ce premier frémissement des
branchages, par cette première clarté. Et l'aube continue de descendre vers
les buissons du sous-bois, puis vers les herbes, puis vers les pentes, de
plus en plus bas et elle est saluée par des gazouillements de plus en plus
nombreux dans les feuillages et le bruissement dans les herbes des lézards
réveillés. Et puis elle atteint le petit torrent du fond, change ses eaux
sombres en un opaque scintillement d'argent qui ne cesse de s'éclaircir et de
devenir brillant. Et là-haut, dans le ciel, où l'indigo de la nuit s'était à
peine éclairci en un pâle bleu verdâtre d'aube, se dessine la première
annonce de l'aurore en le colorant de bleu clair teinté de rosé... Et puis
voici un cirrus léger, floconneux, qui arrive, déjà tout mousseux et rosé...
Jésus sort de la grotte et regarde... Puis il se lave au
torrent, se coiffe, s'habille,
jette un coup d’œil dans la grotte... Il n'appelle pas... Il gravit au
contraire la montagne et il va prier sur un pic qui fait saillie et qui est
déjà assez élevé pour donner une large vue sur l'orient déjà tout rosi par
l'aurore, sur l'occident encore teinté d'indigo. Il prie... il prie ardemment
à genoux, les coudes à terre, presque allongé... Et il prie ainsi jusqu'à ce
que d'en bas montent les voix des douze qui se sont réveillés et qui l'appellent.
Il se lève et répond :
"J'arrive !"
L'écho de l'étroite vallée répercute plusieurs fois l'écho de la voix parfaite.
Il semble que la vallée transmette à la
plaine, qu'on entrevoit à l'occident, la promesse du Seigneur :
"J'arrive" pour que la plaine s'en réjouisse à l'avance.
Jésus se met en route en soupirant et en prononçant une phrase qui résume sa longue prière et l'explique :
"Et Toi, Père, donne-moi ton réconfort..."
Il descend rapidement et, arrivé en bas, il salue d'un sourire très doux ses apôtres et avec les paroles habituelles :
"La paix soit avec vous en cette nouvelle journée."
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314> "Et à Toi, Maître" répondent les apôtres. Tous, même Judas.
404.2 – Je
ne sais pas s'il est rassuré par le silence de Jésus qui ne lui a pas fait de
reproches et qui le traite comme tous les autres, ou si pendant la nuit il a
médité un plan pour se tirer d'affaire. Son regard est moins torve et il se
tient moins à l'écart, et même c'est justement lui qui pose la question au
nom de tous :
"Nous allons à Jérusalem ? Si oui, il faut revenir un peu en
arrière et prendre ce pont. Au-delà il y a une route qui va directement à
Jérusalem."
"Non. Nous allons à Emmaüs de la plaine."
"Mais pourquoi ? Et la Pentecôte ?"
"Il y a le temps. Je veux aller chez Nicodème et chez Joseph, par les
plaines vers la mer..."
"Mais pourquoi ?"
"Parce que je n'y suis pas encore allé et ce peuple m'attend... Et
parce que les bons disciples l'ont désiré. Nous
aurons le temps de tout faire."
"C'est cela que t'a dit Jeanne,
C'est pour cela qu'elle t'a appelé ?"
"Il n'en était pas besoin. C'est à Moi, directement à Moi qu'ils l'ont dit, dans les jours de Pâque. Et je
suis fidèle au rendez-vous."
"Moi, je n'y irais pas... Ils sont peut-être déjà à Jérusalem... La fête
est proche... Et puis... Tu pourrais rencontrer des ennemis, et..."
"Des ennemis, j'en rencontre partout et je les ai toujours près de
Moi..."
Et Jésus darde son regard sur l'apôtre qui est sa douleur... Judas ne parle
plus. Il est trop dangereux d'aller plus loin ! Il le sent et se tait.
404.3 – Jean et André reviennent avec des petits fruits qui semblent appartenir à la famille des framboises ou
des caprons, mais plus foncés, presque comme des mûres pas encore mûres, et
ils les offrent au Maître : "Ils vont te plaire. Nous les avons
remarqués hier soir, et nous sommes montés les cueillir pour Toi. Mange-les,
Maître. Ils sont bons."
Jésus caresse les deux bons et jeunes apôtres qui Lui offrent leurs fruits sur une large feuille lavée au torrent et
qui, plus que les fruits, Lui offrent leur amour. Jésus choisit les plus
beaux fruits et en donne un peu à chaque apôtre. Ils les mangent avec du
pain.
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315> "Nous avons cherché du lait pour Toi, mais il n'y
avait pas encore de bergers..." dit André en s'excusant.
"N'importe. Allons vite pour être à Emmaüs avant la grande
chaleur."
Ils s'en vont et ceux qui ont le plus d'appétit mangent encore en marchant. La fraîche vallée s'élargit de plus en plus et
elle finit par déboucher dans une plaine fertile où déjà les moissonneurs
sont en plein travail.
"Je ne savais pas que Nicodème avait des maisons à Emmaüs" remarque
Barthélemy.
"Pas à Emmaüs, plus loin. Des champs de parents dont il a
hérité..." explique Jésus.
"Quelles belles campagnes !" s'exclame le Thaddée.
En effet c'est une mer d'épis dorés où s'intercalent des vergers de rêve, des vignes qui déjà promettent une
gloire de grappes. Arrosées comme elles sont par les centaines de petits
torrents qui descendent des montagnes toutes proches, aux mois où
l'irrigation est la plus nécessaire, avec des veines d'eaux souterraines, c'est
un véritable éden agricole.
"Hum ! elle est plus belle que celle de l'an dernier. Au moins, il y a de l'eau et des fruits..."
murmure Pierre.
"Celle de Saron est encore plus belle" lui répond le Zélote.
"Mais n'est-ce pas déjà celle-là ?"
"Non. elle vient après celle-là. Mais celle-là s'en rapproche..." Les deux apôtres se mettent à parler entre eux, en
s'éloignant un peu.
404.4 – "Propriétés
de pharisiens, hein ?" demande Jacques de Zébédée en montrant la belle campagne.
"De judéens certainement. Ils ont pris les meilleures terres en les
enlevant de mille manières aux premiers possesseurs !" lui répond
le Thaddée qui peut-être se souvient des biens paternels de Judée dont ils
furent chassés en perdant une grande partie de leur fortune.
L'Iscariote est piqué au vif :
"S'ils vous ont été pris, c'est parce que vous, galiléens, vous êtes moins saints, inférieurs..."
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316> "Je te prie de te souvenir qu'Alphée et Joseph
étaient de la race de David. Si bien que
l'Édit les obligea d'aller s'inscrire à Bethléem de Juda. Et Lui, il
est né là pour ce motif" répond calmement Jacques d'Alphée, en prévenant
la riposte mordante de son fougueux frère, et en montrant le Seigneur qui est
en train de parler avec Matthieu et Philippe.
"Oh !
c'est bien ! dit Thomas conciliant et juste. Moi, pour mon compte, je
dis que du bon et du mauvais il y en a partout. Dans notre commerce, nous
avons approché des gens de toutes races et je vous assure que j'ai trouvé des
gens honnêtes et des gens malhonnêtes dans toutes les races. Et puis...
Pourquoi se vanter d'être judéens ? Est-ce que par hasard c'est nous
qui l'avons voulu ? Hum ! Est-ce que je savais quand j'étais dans
le sein de ma mère ce que c'était que d'être judéen ou galiléen ?!
J'étais là... et j'y restais. Une fois né, j'étais dans les langes, bien au
chaud, sans me demander si l'air que je respirais était judéen ou galiléen...
Je ne connaissais que le sein maternel... Et nous tous comme moi. Maintenant
pourquoi se fâcher ainsi parce que l'un est né plus haut et l'autre plus
bas ? Ne sommes-nous pas pareillement d'Israël ?"
"Tu as raison, Thomas" répond Jean. Et il conclut : "Et
puis maintenant, nous sommes d'une seule race, celle de Jésus."
"Oui, Lui - et je crois que cela a été voulu par le Très-Haut, pour nous apprendre que les divisions vont
contre l'amour du prochain et que Lui est envoyé pour nous rassembler tous
comme l'affectueuse poule dont parlent les livres saints
- Lui est d'origine judéenne, mais conçu et habitant en Galilée, après être
né à Bethléem, comme pour nous dire par la voix des faits que Lui est le
Rédempteur d'Israël tout entier, du nord au midi. Et pour la seule
raison qu'il est appelé "le Galiléen" on ne devrait pas avoir de
mépris pour les galiléens" dit Jacques d'Alphée avec douceur et fermeté.
Jésus, qui en avant de quelques mètres semblait occupé à parler avec Mathieu et Philippe, se retourne pour dire :
"Tu as bien parlé, Jacques d'Alphée. Tu comprends la Vérité et les
vérités, et la justice de tous les actes de Dieu. En effet,
rappelez-vous tous et toujours, que Dieu ne fait jamais rien sans but de même
qu'il ne laisse sans récompense rien de ce qu'ont fait ceux qui ont le cœur
droit. Bienheureux ceux qui savent voir les raisons de Dieu dans les
événements même les plus insignifiants et les réponses de Dieu aux sacrifices des hommes."
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317> Pierre se retourne et il est sur le point de parler.
Puis il se tait et se borne à sourire à son
Maître qui maintenant se réunit à ses apôtres car ils marchent maintenant sur
une route de grande circulation à travers des champs dorés.
404.5 – Ils
marchent vers Emmaüs qui est déjà proche, un groupe de maisons d'un blanc
aveuglant au milieu de la couleur blonde des grains mûrs et des vergers verdoyants.
"Maître ! Maître ! Arrête-toi ! Tes
disciples !" crient des voix lointaines, et une poignée d'hommes,
laissant en plan des paysans qui se reposent un peu à l'ombre d'un pommier,
courent vers Jésus par un sentier ensoleillé. Ce sont Mathias et Jean,
ex-bergers, et disciples ensuite du Baptiste, et avec eux il y a Nicolaï, Abel ex-lépreux, Samuel, Hermastée
et d'autres encore.
"Paix à vous. Vous êtes ici ?"
"Oui, Maître. Nous avons fait toutes les côtes de la mer. Maintenant
nous allions vers Jérusalem. Plus haut se trouve Etienne avec d'autres, et
plus haut encore, Hermas et d'autres. Et puis Isaac notre petit maître à tous,
est encore plus haut, du moins il y était. Comme Timon était au-delà du
Jourdain. Mais désormais ils seront tous en train d'aller à la fête de la
Pentecôte. Nous nous sommes repartis en tant de groupes, petits, mais pas
inactifs. Ainsi s'ils nous persécutent, ils pourront en capturer
quelques-uns, mais pas tous" explique Mathias.
"Vous avez bien fait. Je me suis étonné de ne pas vous avoir trouvés
dans toute la Judée méridionale..."
"Maître... Tu
y allais... Qui mieux que Toi ? Et puis... Oh ! elle a eu plus qu'il ne faut pour devenir
sainte !... Et au contraire !... Elle donne des pierres à qui
apporte la parole du Ciel. Dans les gorges du Cédron, Élie et Joseph ont été
frappés et ils sont allés au-delà du Jourdain, dans la maison de Salomon. Joseph a
failli être tué par une pierre à la tête. Pendant huit jours, ils ont vécu
dans une grotte profonde, avec quelqu'un que tu avais envoyé qui connaissait
tous les secrets des montagnes. Puis, de nuit, lentement ils sont allés de
l'autre côté..."
Les disciples et les apôtres sont agités par le souvenir et la nouvelle de
ces persécutions, mais Jésus les calme en disant :
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318> "Les Innocents ont teint de la pourpre de leur
sang innocent le chemin du Christ. Mais ce chemin devra être toujours
empourpré pour effacer les empreintes du Mal sur le chemin de Dieu. C'est le
chemin royal. Les martyrs l'empourprent par amour pour Moi. Bienheureux,
entre les bienheureux, ceux qui à cause de Moi souffrent la
persécution."
"Maître, nous parlions à ces paysans. Toi, maintenant, ne vas-tu pas parler ?"
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