22> 365.1 – Jésus entre dans la verdure tranquille du
Jardin des Oliviers. Marziam est toujours à côté de Lui, et il
rit en pensant à la course haletante que certainement Pierre fera pour les rejoindre. Il
dit :
"Oh ! Maître ! Qui sait ce qu'il va dire ! Et si tu avais
continué pour Béthanie
sans t'arrêter ici, il serait vraiment dans un triste état."
Jésus sourit Lui aussi en regardant le garçon et il lui répond :
"Oui, il va m'ensevelir sous ses lamentations. Mais cela lui servira la
prochaine fois à être plus attentif. Je parlais. Lui se distrayait en jasant
avec l'un ou l'autre..."
"Ils l'interrogeaient, Seigneur" dit pour l'excuser Marziam qui ne
rit plus.
"On fait signe avec bonne grâce que l'on répondra
après, quand la Parole du Seigneur se tait.
365.2 – Souviens-toi de cela pour ton
avenir. Pour quand tu seras prêtre. Exige le plus grand respect aux heures et
dans les lieux où l'on donne l'instruction."
"Mais alors, Seigneur, ce sera le pauvre Marziam qui parlera..."
"N'importe. C'est toujours Dieu qui parle par les lèvres de ses
serviteurs, aux heures de leur ministère. Et en tant que tels on doit les
écouter en silence et avec respect."
Marziam fait une grimace significative pour commenter son raisonnement
intérieur.
Jésus qui l'observe lui dit :
"Tu n'en es pas persuadé ? Pourquoi ce visage ? Parle, fils,
sans crainte."
"Mon Seigneur, je me demandais si Dieu
est aussi sur les lèvres des prêtres de maintenant... et... avec terreur je
me demandais s'ils seront pareils ceux de l'avenir... Et j'en concluais
que... beaucoup de prêtres font faire au Seigneur une piètre figure... J'ai
sûrement péché... Mais ils ont le cœur tellement mauvais, et avare, et sec...
que..."
"Ne juge pas. Mais rappelle-toi cependant ce sentiment de dégoût. Qu'il
te soit présent dans l'avenir, et tends de toutes tes forces à ne pas être
tel que ceux qui te dégoûtent. Et que ne le soient pas ceux qui dépendront de
toi.
Haut
de page.
23> Fais servir au
bien jusqu'au mal que tu vois. Toute action et toute connaissance doit se
changer en bien en passant par un jugement et une volonté droits."
"Oh ! Seigneur ! Avant d'entrer dans la maison que l'on voit
déjà, réponds encore à une question ! Tu ne nies pas que le sacerdoce
actuel soit défectueux. Tu me dis à moi de ne pas juger. Mais Toi, tu juges
et tu peux le faire. Et tu juges avec justice. Maintenant, Seigneur, écoute
ce que je pense. Quand les prêtres actuels parlent de Dieu et de la religion,
étant tels qu'ils sont en plus grande partie, et je parle maintenant des plus
mauvais d'entre eux, faut-il encore les écouter comme s'ils disaient la
vérité ?"
"Toujours, mon fils, par respect pour leur mission. Quand ils font des
actes de leur ministère, ce n'est plus l'homme Hanne ou l'homme Sadoq, et cetera, mais c'est "le prêtre". Sépare
toujours du ministère la pauvre humanité."
"Mais s'ils s'en acquittent mal..."
"Dieu suppléera.
365.3 – Et
puis!... Écoute Marziam ! Il n'y a pas d'homme
complètement bon, ni d'homme complètement mauvais. Et personne n'est si
complètement bon qu'il soit en droit de juger ses frères complètement
mauvais. Il faut tenir compte de nos défauts, leur opposer les bonnes qualités
de celui que nous voulons juger, et alors nous aurons une juste mesure de
charitable jugement. Je n'ai pas encore trouvé un homme complètement
mauvais."
"Pas même Doras,
Seigneur ?"
"Pas même lui, car c'est un mari honnête et un père affectueux."
"Ni même le père de Doras ?"
"Lui aussi était un mari honnête et un père affectueux."
"Mais il n'était pas que cela, pourtant !"
"Il n'était pas que cela, mais en cela il n'était pas mauvais. Il
n'était donc pas complètement mauvais."
"Et même Judas
n'est pas mauvais ?"
"Non."
"Mais il n'est pas bon, cependant !"
"Il n'est pas totalement bon comme il n'est pas totalement mauvais.
N'es-tu pas convaincu de ce que je dis ?"
"Je suis convaincu que Toi, tu es totalement bon et que tu es absolument
exempt de méchanceté. Cela, oui. Tu l'es tellement que tu ne trouves jamais
d'accusation pour personne..."
Haut de page.
24> "Oh !
mon fils ! Si je disais la première syllabe d'un mot d'accusation, vous vous jetteriez tous comme des fauves sur
l'accusé !... Moi, j'évite que vous vous souilliez du péché de jugement
en agissant ainsi. Comprends-moi, Marziam. Ce n'est pas que je ne vois pas le
mal là où il est. Ce n'est pas que je ne vois pas le mélange de mal et de
bien qu'il y a dans certains. Ce n'est pas que je ne comprends pas quand une
âme monte ou descend du niveau où je l'ai amenée. Ce n'est pour rien de tout
cela, mon fils. Mais c'est de la prudence pour éviter les manques de charité en
vous. Et j'agirai toujours ainsi. Même dans les siècles à venir quand je
devrai me prononcer sur une créature. Tu ne sais pas,
fils, que parfois une parole de louange, d'encouragement vaut mieux que mille
reproches ? Tu ne sais pas que sur cent cas très mauvais, signalés comme
relativement bons, au moins la moitié deviennent réellement bons parce
qu'alors, après ma parole bienveillante, ne fait pas défaut l'aide des bons
qui autrement fuiraient l'individu signalé comme pervers ? Il faut
soutenir les âmes, ne pas les accabler. Mais si Moi, je ne suis pas le
premier à les soutenir, à voiler ce qu'il y a de mauvais, à susciter en vous
bienveillance et secours pour elles, jamais vous ne vous donneriez à elles
avec une miséricorde active. Rappelle-toi, Marziam..."
"Oui, Seigneur... (un profond soupir). Je m'en souviendrai... (nouveau
soupir)... Mais c'est bien difficile devant certaines évidences..."
365.4 – Jésus
le regarde fixement, mais du garçon il ne voit que le haut du front, car il
baisse beaucoup le visage.
"Marziam, lève ton visage. Regarde-moi. Et réponds-moi. Quelle est
l'évidence qu'il est difficile de négliger ?"
Marziam s'embrouille... Il rougit sous sa peau un peu brune...
Il répond :
"Mais... il y en a tant, Seigneur..."
Jésus le presse :
"Pourquoi as-tu nommé Judas ? Parce que c'est une
"évidence". Peut-être celle qu'il t'est le plus difficile de
surmonter... Que t'a fait Judas ? En quoi t'a-t-il
scandalisé ?"
Et Jésus met sa main sur les épaules du garçon qui maintenant est tout
empourpré tant il est rouge.
Marziam le regarde, les yeux brillants, puis il se dégage et s'échappe en
criant :
"C'est un profanateur, Judas !... Mais je ne puis dire...
Respecte-moi, Seigneur !..."
Haut
de page.
25> Et il va se cacher tout en larmes, appelé en vain par
Jésus qui a un geste de douleur découragée.
365.5 – Son
cri a pourtant attiré l'attention des gens de la maison du Gethsémani, et sur
le seuil de la cuisine apparaît Jonas
et la Mère
de Jésus, et en arrière les femmes
disciples : Marie
de Cléophas, Marie Salomé
et Porphyrée.
Elles voient Jésus et se mettent à marcher vers Lui.
"La paix à vous toutes ! Me voici, Maman !"
"Seul ? Pourquoi ?"
"Je suis accouru en avant. Les autres, je les ai quittés au Temple...
Mais j'étais avec Marziam..."
"Et où est maintenant mon fils que je ne vois pas ?" demande
Porphyrée un peu inquiète.
"Il est monté là-haut... Mais il va venir. Avez-vous de la nourriture
pour tout le monde ? Les autres vont arriver sous peu."
"Non, Seigneur. Tu avais dit que tu allais à Béthanie..."
"Oui... Mais j'ai pensé qu'il était bien de faire ainsi. Allez vite
prendre ce qu'il faut. Moi, je reste avec ma Mère."
Les femmes disciples obéissent sans discuter.
365.6 – Jésus reste seul avec Marie,
et ils marchent lentement sous l'entrelacement des branches à travers
lesquelles filtrent des rayons de soleil qui dessinent des cercles d'or sur
l'herbe verte et fleurie.
"J'irai après le repas à Béthanie. Avec Simon."
"Simon de Jonas ?"
"Non, avec Simon le Zélote. Et j'emmènerai avec Moi Marziam..."
Jésus se tait pensif.
Marie l'observe, puis elle demande :
"Marziam te cause du chagrin ?"
"Non, Maman. Au contraire ! Pourquoi penses-tu cela ?"
"Pourquoi es-tu pensif ?... Pourquoi l'as-tu appelé sur un ton de
commandement ? Et pourquoi lui t'a-t-il quitté ? Pourquoi s'est-il
détaché de Toi comme s'il avait honte ? Il n'est même pas venu saluer sa
mère et moi !"
"L'enfant s'est enfui à cause d'une question que je lui posais."
"Oh!..."
Marie est dans une profonde stupeur. Elle se tait un instant, et puis elle
murmure comme si elle se parlait à elle-même :
Haut
de page.
26> "Les deux dans le Paradis Terrestre s'enfuirent,
après le péché, en entendant la voix de Dieu... Mais, ô mon Fils, il faut
avoir pitié de l'enfant. Il commence à
devenir homme... et peut-être... Mon Fils, Satan mord tous les
hommes..."
Marie est toute pitié et supplication... Jésus la regarde et lui dit :
"Comme tu es mère ! Comme tu es "la Mère" ! Mais ne
crois pas que l'enfant ait péché. Au contraire tu dois croire qu'il souffre à
cause du choc d'une révélation. Il est très pur. Il est très bon... Je vais
l'emmener avec Moi aujourd'hui pour lui faire comprendre, sans paroles, que
je le comprends. Toute parole serait de trop... et je n'en trouverais pas une
pour excuser celui qui a violé une innocence."
Jésus est sévère dans ces dernières paroles.
"Oh ! mon Fils ! Nous en sommes là ! Je ne te demande pas
de nom. Mais si parmi nous quelqu'un a été capable de troubler l'enfant, il
n'y en a qu'un qui a pu l'être... Quel démon !"
365.7 – "Allons
chercher Marziam, Maman. Il ne s'enfuira pas devant toi."
Ils vont et le découvrent derrière un buisson d'aubépine.
"Cueillais-tu des fleurs pour moi, mon fils ?" demande Marie
en s'approchant de lui et en l'embrassant...
"Non, mais je te désirais" dit Marziam avec encore des larmes sur
le visage.
"Et moi, je suis venue. Allons, vite ! C'est qu'aujourd'hui tu dois
aller avec mon Jésus à Béthanie ! Et tu dois être en tenue comme il
convient."
Le visage de Marziam s'illumine, déjà oublieux du trouble qu'il éprouvait, et
il dit :
"Moi seul avec Lui ?"
"Et avec Simon le Zélote."
Marziam, encore très enfant, bondit de joie et court hors de sa cachette pour
aller tomber sur la poitrine de Jésus... Il se trouve confus. Mais Jésus rit
et l'excite en lui disant :
"Cours voir si ton père est venu."
Et pendant que Marziam part en courant, Jésus observe :
"C'est un véritable enfant bien que sa pensée soit déjà mûre. Lui
troubler le cœur est un grand crime, mais j'y veillerai"
Tout en parlant il va vers la maison avec Marie. Mais ils ne sont pas arrivés
qu'ils voient Marziam qui revient en arrière en galopant.
Haut de page.
27> "Maître... Mère... Il y a des personnes... de
celles qui étaient dans le Temple... Les prosélytes... Il y a une femme...
Une femme qui veut te voir, ô Mère... Elle dit qu'elle t'a connue à
Bethléem... Elle s'appelle Noémi."
"J'en ai tant connues, alors ! Mais allons..."
365.8 – Ils
arrivent à la petite place où se trouve la maison. Un groupe de personnes
attendent et dès qu'elles voient Jésus, elles se prosternent. Mais tout de
suite une femme se lève et va se jeter aux pieds de Marie, en la nommant par
son nom.
"Qui es-tu ? Moi, je ne me souviens pas de toi. Lève-toi."
La femme se lève et va parler quand arrivent, hors d'haleine, les apôtres.
"Mais Seigneur ! Mais pourquoi ? Nous avons couru comme des
fous à travers Jérusalem. Nous croyions que tu étais allé chez Jeanne ou chez
Annalia... Pourquoi ne t'es-tu pas arrêté ?"
Questions et informations se croisent confusément.
"Maintenant nous sommes ensemble. Inutile d'expliquer le pourquoi.
Laissez cette femme parler en paix."
Tous se groupent pour écouter.
"Tu ne te souviens pas de moi, ô Marie de Bethléem. Mais moi, depuis
trente et un ans, je me rappelle ton nom et ton visage comme celui de la
pitié. J'étais venue, moi aussi de loin, de Pergé, pour l'Édit. Et j'étais
enceinte. Mais j'espérais revenir à temps. Mon mari tomba malade en route, et
à Bethléem il languit jusqu'à mourir. J'avais enfanté depuis vingt jours au
moment de sa mort. Mes cris percèrent le ciel et tarirent mon lait ou le
rendirent mauvais. Je me couvris de pustules et mon fils s'en couvrit
aussi... Et on nous jeta dans une caverne pour y mourir... Eh bien... Toi,
toi seule tu es venue avec précaution, pendant presque toute une lune, pour
m'apporter de la nourriture et soigner mes plaies, pleurant avec moi, donnant
du lait à mon enfant qui est vivant grâce à toi, à toi seule... Tu as risqué
d'être tuée à coups de pierres parce qu'ils m'appelaient "la
lépreuse"... Oh ! ma douce étoile ! Je n'ai pas oublié cela.
Je suis partie après ma guérison. J'ai appris le massacre à Éphèse. Je t'ai
tant cherchée ! Tant ! Tant ! Je ne pouvais croire que tu
avais été tuée avec ton Fils dans cette nuit affreuse. Mais je ne t'ai jamais
trouvée. L'été dernier, quelqu'un d'Éphèse a entendu ton Fils, il a su qui il
était, il l'a suivi quelque temps, il a été avec d'autres à sa suite aux
Tabernacles...
Haut
de page.
28> Et à son retour, il a parlé. Moi,
je suis venue pour te voir, ô Sainte, avant de mourir. Pour te bénir autant
de fois que tu as donné de gouttes de lait à mon Jean, en l'enlevant à ton
Fils béni..."
La femme pleure en une attitude respectueuse, un peu penchée, serrant de ses
mains les bras de Marie...
"Le lait, on ne le refuse jamais, ma sœur. Et..."
"Oh ! non. Je ne suis pas ta sœur ! Toi, Mère du Sauveur; moi,
pauvre femme, perdue, loin de sa maison, veuve avec un fils sur mon sein, sur
mon sein desséché comme un torrent en été... Sans toi, je serais morte. Tu
m'as tout donné, et j'ai pu retourner chez mes frères, marchands à Éphèse,
grâce à toi."
"Nous étions deux mères, deux pauvres mères, avec
deux bébés, dans le monde. Toi, tu avais la douleur du veuvage, moi celle de
devoir être transpercée en mon Fils, comme disait au Temple le vieux Siméon.
Je n'ai fait que mon devoir de sœur en te donnant ce que tu n'avais plus.
365.9 – Et ton fils, il est
vivant ?"
"Il est là. Et ton Fils saint me l'a guéri ce matin. Qu'il en soit
béni !"
Et la femme se prosterne devant le Sauveur en criant :
"Viens, Jean, remercier le Seigneur."
Quittant ses compagnons, un homme de l'âge de Jésus, s'avance robuste, au
visage loyal à défaut de beauté. De beau, il a l'expression de ses yeux
profonds.
"La paix à toi, frère de Bethléem. De quoi t'ai-je guéri ?"
"De la cécité, Seigneur. Un œil perdu, et l'autre presque. J'étais chef
de la synagogue,
mais je ne pouvais plus lire les rouleaux sacrés."
"Maintenant tu les liras avec une plus grande foi."
"Non, Seigneur. Maintenant c'est Toi que je lirai. Je veux rester comme
disciple, et sans faire valoir les droits pour les gouttes de lait que j'ai
sucées au sein qui t'a nourri. Ce ne sont rien les jours d'une lune pour
créer un lien, mais c'est tout que la pitié de ta Mère alors, et que la
tienne ce matin."
Jésus se tourne vers la femme :
"Et toi, qu'en penses-tu?"
"Que mon fils t'appartienne deux fois. Accepte-le, Seigneur, et le rêve
de la pauvre Noémi sera réalisé."
"C'est bien. Tu seras du Christ. Vous, recevez ce compagnon au nom du
Seigneur" dit-il en s'adressant aux apôtres.
Haut
de page.
29> Les prosélytes s'exaltent par
l'émotion. Les hommes voudraient rester tout de suite. Tous. Mais Jésus dit
avec fermeté :
"Non. Vous, restez ce que vous êtes. Retournez à vos maisons en
conservant la foi et en attendant l'heure de l'appel. Et que le Seigneur soit
toujours avec vous. Allez."
"Pourrons-nous encore te trouver ici ?" demandent-ils.
"Non. Comme un oiseau qui vole de branche en branche, j'irai sans
m'arrêter. Vous ne me trouverez pas ici. Je n'ai pas d'itinéraire ni de
demeure fixe. Mais, s'il est juste, nous nous verrons et vous m'entendrez.
Allez. Que la femme reste avec le nouveau disciple."
Et il entre dans la maison suivi des femmes et des apôtres qui commentent
avec émotion l'épisode jusqu'alors ignoré et la charité profonde de Marie.
365.10 – Jésus, d'un pas rapide, se
rend à Béthanie. Il a à ses côtés Simon le Zélote et Marziam, heureux d'avoir
été tous les deux choisis pour cette visite. Marziam, complètement rasséréné,
pose mille questions sur la femme venue d'Ephèse. Il demande si Jésus connaissait
ce fait, et cetera.
"Je ne le connaissais pas. Les bontés de ma Mère sont infinies et
accomplies avec un si doux silence que la plupart restent ignorées."
"Il est très beau, pourtant, l'épisode" dit le Zélote.
"Oui. Tellement que je veux le faire connaître à Jean d'En-Dor. Que
dis-tu, Maître ? Trouverons-nous ses lettres à Béthanie ?"
"J'en suis presque certain."
"Nous devrions trouver aussi la femme guérie de la lèpre"
observe le Zélote.
"Oui, elle a fidèlement observé les préceptes, mais maintenant le temps
de la purification doit être accompli."
365.11 – Béthanie apparaît sur son
plateau.
Ils passent devant la maison où autrefois il y avait des paons et des
flamants. Maintenant elle est abandonnée et fermée .
Simon le remarque, mais son observation est interrompue par le joyeux salut
de Maximin qui débouche hors du portail.
Haut
de page.
30> "Oh ! Maître saint !
Quel bonheur dans une si grande douleur !"
"Paix à toi. Pourquoi douleur?"
"Parce que Lazare souffre à cause de ses jambes ulcérées, et nous ne
savons que faire pour soulager cette souffrance. Mais en te voyant, il ira
mieux, au moins pour l'esprit."
Ils entrent dans le jardin, et alors que Maximin court en avant, eux avancent
lentement vers la maison.
Marie de Magdala accourt dehors avec son cri d'adoration :
"Rabbouni" et elle est suivie par Marthe qui est plus calme. Toutes
les deux sont pâles comme des personnes qui ont souffert et veillé.
"Levez-vous. Allons tout de suite voir Lazare."
"Oh! Maître! Maître qui peux tout, guéris mon frère!" dit Marthe
suppliante.
"Oui, bon Maître! Il souffre plus qu'il ne peut supporter ! Il
s'épuise, il gémit. Il va certainement mourir si cela continue. Aie pitié de
lui, Seigneur !" insiste Marie.
"Je suis toute pitié. Mais ce n'est pas pour lui l'heure du miracle.
Qu'il soit courageux, et vous avec lui. Aidez-le à faire la volonté du
Seigneur."
"Ah ! Tu veux dire qu'il doit mourir ?!" gémit et demande
Marthe toute en larmes.
Marie a les yeux noyés de larmes et qui brillent de passion, d'une double passion pour Jésus et pour son
frère :
"Oh ! Maître, mais en agissant ainsi, tu m'empêches de te suivre et
de te servir, et tu empêches mon frère de jouir de ma résurrection. Ne
veux-tu donc pas que dans la maison de Lazare on jouisse pour une
résurrection ?"
Jésus la regarde avec un fin et bon sourire et il dit :
"Pour une ? Une seule ? Allons ! Vous me croyez bien peu
de chose, si vous croyez que je ne puisse qu'une seule chose ! Soyez
bonnes et courageuses. Allons. Et ne pleurez pas ainsi. Vous l'accableriez de
soupçons pénibles."
Et il s'éloigne le premier.
365.12 – Lazare, certainement pour
faciliter les soins, a été transporté dans une salle près de la bibliothèque,
en face de la grande salle réservée aux banquets. Maximin Lui indique la
porte, mais il laisse Jésus entrer seul.
"Paix à toi, Lazare, mon ami !"
Haut
de page.
31> "Oh ! Maître saint !
Paix à Toi. Pour moi, dans mes membres, il n'y a plus de paix. Mon esprit est
accablé. Je souffre tant, Seigneur ! Donne-moi ton cher
commandement : "Lazare, viens dehors" et je me lèverai guéri
pour te servir..."
"Je te le donnerai. Mais pas maintenant" répond Jésus en
l'embrassant.
Lazare est très maigre, jaune, les yeux enfoncés. Il est visiblement très
malade et très affaibli. Il pleure comme un enfant en montrant ses jambes
enflées, bleuâtres, avec des plaies que j'appellerais variqueuses, ouvertes
en plusieurs endroits. Il espère peut-être qu'en montrant à Jésus cette ruine
Jésus sera ému et fera un miracle. Mais Jésus se borne à replacer
délicatement sur les plaies les linges enduits de baume.
"Tu es venu pour rester ?" demande Lazare déçu.
"Non, mais je viendrai souvent."
"Comment ? Tu ne fais pas la Pâque avec moi, même cette
année ? Je me suis fait porter ici exprès. Tu m'avais promis aux
Tabernacles que tu serais resté si longtemps avec moi après les
Encénies..."
"Et j'y resterai, mais pas maintenant. Je te gêne à rester ici assis sur
le bord de ton lit ?"
"Oh ! non. La fraîcheur de ta main semble adoucir l'ardeur de ma
fièvre. Pourquoi ne restes-tu pas, Seigneur ?"
"Parce que comme tu es tourmenté par tes plaies, Moi je le suis par mes
ennemis. Bien que Béthanie soit compris dans les limites pour la Cène, et
pour tous, pour Moi, on considérerait comme un péché de consommer la Pâque
ici. Pour le Sanhédrin et les pharisiens, tout ce que je fais est chameau et
poutre..."
"Ah ! les pharisiens ! C'est vrai ! Mais dans une de mes
maisons, alors... Cela au moins !"
"Cela, oui. Mais, par prudence, je le dirai au dernier moment."
"Oh! oui. Ne te fies pas. 365.13 – Tout s'est bien passé avec
Jean. Tu sais? Hier Ptolmaï est venu avec d'autres,
et il m'a apporté des lettres pour Toi. Ce sont mes sœurs qui les ont. Mais
où sont restées Marthe et Marie ? Elles ne se préoccupent pas de te
faire honneur ?"
Lazare est irrité comme beaucoup de malades.
"Sois tranquille ! Elles sont dehors avec Simon et Marziam. Je suis
venu avec eux et je n'ai besoin de rien. Je vais les appeler."
Haut
de page.
32> Et en effet il appelle ceux qui, prudents, étaient
restés dehors.
Marthe sort et revient avec deux rouleaux qu'elle donne à Jésus. Marie
rapporte que le serviteur de Nicodème a dit qu'il précédait son maître qui
vient avec Joseph d'Arimathie. Et, en même temps, Lazare se souvient d'une
femme "qui s'est présentée hier en ton nom" dit-il.
"Ah ! oui ! Tu sais qui c'est ?"
"Elle nous l'a dit. C'est la fille d'un riche de Jéricho, qui est parti
en Syrie tout jeune, depuis des années. Il l'a appelée Anastasica, en
souvenir de la fleur du désert . Cependant elle n'a pas voulu faire connaître le nom de
son mari " explique Marthe.
"Il n'en est pas besoin. Il l'a répudiée, et elle est donc uniquement
"la disciple". Où est-elle?"
"Elle est bien fatiguée et elle dort. Ces derniers jours et nuits elle a
vécu bien mal. Si tu veux, je vais l'appeler."
"Non, laisse-la dormir. Je m'en occuperai demain."
365.14 – Lazare
regarde Marziam avec admiration. Et Marziam est sur les épines. Il voudrait
bien savoir ce qu'il y a sur les rouleaux.
Jésus le comprend et les ouvre. Lazare dit :
"Comment ? Il est au courant ?"
"Oui. Lui et les autres, excepté Nathanaël, Philippe, Thomas et
Judas..."
"Tu as bien fait de le lui tenir caché à lui ! interrompt Lazare.
Moi, j'ai beaucoup de soupçons..."
"Je ne suis pas imprudent, mon ami" interrompt Jésus.
Et il lit les rouleaux en rapportant ensuite les principales nouvelles, à
savoir que les deux se sont bien acclimatés, que l'école est prospère et que,
sans l'affaiblissement de Jean, tout irait bien.
365.15 – Mais il ne peut en dire
davantage parce qu'on annonce l'arrivée de Nicodème et de Joseph.
"Dieu te garde, ô Maître ! Toujours, comme ce matin !"
"Merci, Joseph. Et toi, Nicodème, tu n'étais pas là ?"
"Non. Mais ayant su que tu étais arrivé, j'ai pensé à venir chez Lazare,
presque certain de te trouver. Et Joseph est venu avec moi."
Haut
de page.
33> Ils parlent des événements de la matinée autour du lit
de Lazare qui s'y intéresse tellement qu'il semble oublier sa souffrance.
"Mais ce Gamaliel, Seigneur ! Tu as entendu ?" dit Joseph
d'Arimathie.
"J'ai entendu."
Nicodème dit :
"Moi, par contre, je dis : ce Judas de Kériot, Seigneur !
Après ton départ, je l'ai trouvé, vociférant comme un démon, au milieu d'un
groupe d'élèves des rabbis. Il t'accusait et te défendait à la fois. Et je
suis certain qu'il était vraiment convaincu de bien faire. Eux voulaient te
trouver en défaut, poussés à cela par leurs maîtres. Lui combattait leurs
accusations avec une fougue attristée en disant : "II n'a qu'un
tort, mon Maître ! C'est de faire trop peu éclater sa puissance. Il
laisse passer l'occasion. Il fatigue les bons par son excessive douceur. Il
est Roi : Et il doit agir en Roi. Vous le traitez en serviteur parce
qu'il est doux. Et Lui se ruine à n'être que doux. Pour vous, lâches et
cruels, il n'y a que le fouet d'un pouvoir absolu et violent. Oh !
pourquoi ne puis-je faire de Lui un violent Saül!"
Jésus hoche la tête sans parler.
"Et pourtant il t'aime" observe Nicodème.
"Quel homme déconcertant !" dit Lazare.
"Oui, tu as bien dit. Moi, je ne le comprends pas encore, depuis deux
ans que je suis avec lui" confirme le Zélote.
Marie de Magdala se lève avec la majesté d'une reine, et de sa voix splendide
elle proclame :
"Moi, je l'ai compris mieux que tous: c'est l'opprobre à côté de la
Perfection. Et il n'y a rien d'autre à dire"
Puis elle sort pour quelque occupation, en emmenant avec elle Marziam.
"Peut-être Marie a-t-elle raison" dit Lazare.
"Moi aussi, je le pense" dit Joseph.
365.16 – "Et
Toi, Maître, qu'en dis-tu ?"
"Je dis que Judas c'est "l'homme". Comme Gamaliel. L'homme
borné près du Dieu infini. L'homme est si étroit dans sa pensée, tant qu'on
ne lui fait pas respirer le surnaturel qu'il ne peut accueillir qu'une seule
idée, l'incruster en lui, s'incruster en elle et s'en tenir à elle. Même en
dépit de l'évidence. Têtu. Obstiné.
Haut
de page.
34> Pour la foi, peut-être, à la chose qui l'a le plus
frappé. Au fond Gamaliel a une foi, comme peu de gens en Israël, dans le
Messie qu'il a entrevu et reconnu dans un enfant. Et il est fidèle à la
parole de cet Enfant... Et de même Judas. Saturé de l'idée messianique telle
que la plus grande partie d'Israël la cultive, confirmé en elle par la
première manifestation qu'il a vue de Moi , il voit, il veut voir dans le Christ le roi. Le roi
temporel et puissant... et il est fidèle à l'idée qu'il s'est faite.
Oh !
combien, même dans l'avenir, se ruineront à cause d'une idée erronée de la
foi, rebelle à toute raison ! Mais vous, que croyez-vous ? Qu'il
soit facile de suivre la vérité et la justice en toutes choses ? Que
croyez-vous ? Qu'il soit facile de se sauver parce qu'on est un Gamaliel
ou un Judas apôtre ? Non. En vérité, en vérité je vous dis qu'il est
plus facile de se sauver pour un enfant, un fidèle du commun, que pour
quelqu'un qui est élevé à une charge spéciale, à une mission spéciale.
Généralement ceux qui sont appelés à un destin extraordinaire laissent entrer
en eux l'orgueil de leur vocation, et cet orgueil ouvre les portes à Satan,
en chassant Dieu. Les chutes des étoiles arrivent plus facilement que celles
des cailloux. Le Maudit cherche à éteindre les astres et il s'insinue, il
s'insinue sournoisement pour servir de levier à ceux qui sont choisis afin de
les faire tomber. Si mille et dix mille hommes tombent dans les erreurs
communes, leur chute n'entraîne qu'eux mêmes. Mais si celui qui tombe est
quelqu'un qui a été choisi pour un destin extraordinaire, et devient un
instrument de Satan au lieu de l'être pour Dieu, sa voix au lieu d'être
"ma" voix, son disciple au lieu d'être "mon"
disciple, alors la ruine est bien plus grande et peut même donner naissance à
des hérésies profondes qui blessent d'innombrables esprits.
Le bien que je donne à quelqu'un produira beaucoup de bien s'il tombe sur un
terrain humble et qui sait rester tel. Mais s'il tombe sur un terrain
orgueilleux ou qui devient tel à cause du don reçu, alors de bien il devient
mal. À Gamaliel fut accordée une des premières manifestations du Christ. Ce
devait être pour lui un précoce appel vers le Christ. C'est la raison de sa
surdité à l'appel de ma Voix qui l'appelle. À Judas il a été
accordé d'être apôtre : un des douze apôtres parmi les milliers d'hommes
d'Israël. Cela devait être sa sanctification. Mais qu'en sera-t-il ?...
Haut de page.
35> Mes amis, l'homme est l'éternel Adam... Adam avait
tout, tout sauf une chose. Il voulut l'avoir. Et pourvu que
l'homme reste Adam ! Mais bien souvent il devient Lucifer. Il a tout,
moins la divinité . Il veut celle-là. Il veut le surnaturel pour étonner,
pour être acclamé, craint, connu, célébré... Et pour avoir quelque chose de
ce que seul Dieu peut donner gratuitement, il s'agrippe à Satan, qui est le
singe de Dieu, et donne de prétendus dons surnaturels. Oh ! quel
horrible sort que celui de ses insatanisés !
365.17 – Je
vous quitte, mes amis. Je me retire pour quelque temps. J'ai besoin de me
recueillir en Dieu..."
Jésus sort très troublé... Ceux qui sont restés : Lazare, Joseph,
Nicodème et le Zélote, se regardent.
"Tu as vu comme il était troublé ?" demande à mi-voix Joseph à
Lazare.
"Je l'ai vu. Il semblait voir un spectacle horrible. "
"Que peut-il avoir dans le cœur ?" demande Nicodème.
"Il n'y a que Lui et l'Éternel qui le sachent" répond Joseph.
"Tu ne sais rien, Simon ?"
"Non. Il est certain que depuis des mois, il est très angoissé."
"Que Dieu le sauve ! Mais il est certain que la haine
grandit."
"Oui, Joseph, la haine grandit... Je crois que bientôt la Haine va
vaincre l'Amour."
"Ne dis pas cela, Simon ! S'il devait en être ainsi, je ne
demanderai plus de guérir ! Il vaut mieux mourir que d'assister à la
plus horrible des erreurs."
"Des sacrilèges, devrais-tu dire, Lazare..."
"Et pourtant... Israël est capable de cela. Il est mûr pour répéter le
geste de Lucifer, en faisant la guerre au Seigneur béni" soupire
Nicodème.
|