Vision du vendredi 2
novembre 1945
140> 317.1 – Jésus
est de nouveau au pied du massif sur lequel est construit Jiphtaël, mais pas
sur la route principale (donnons-lui ce nom) ou muletière, suivie auparavant
par le char. Mais il est sur un sentier de chèvres, très en pente, tout en
brèches, en fissures profondes qui s'appuie à la montagne, je dirais taillé
dans sa paroi verticale comme si elle était griffée par un monstrueux coup
d'ongle, borné par un gouffre qui descend à pic vers de nouvelles
profondeurs, au fond desquelles écume un torrent rageur.
Là, un faux pas veut dire une chute sans espoir, en rebondissant de buisson
en buisson de ronces ou autres plantes sauvages, qui ont poussé je ne sais
comment dans les fissures du rocher et qui ne se dressent pas verticalement
comme d'ordinaire les plantes mais obliquement ou même suivant une direction
horizontale que leur impose leur situation Un faux pas, cela veut dire se
faire déchirer par tous les peignes épineux de ces plantes, ou avoir les
reins brisés par le choc de troncs rigides qui se penchent sur l'abîme. Un
faux pas, cela veut dire être déchiré par les pierres acérées qui dépassent
des parois du précipice. Un faux pas, cela veut dire arriver sanglant et
brisé dans les eaux écumeuses du torrent rageur et se noyer en restant
submergé sur un lit de roches pointues, giflées par la violence du courant.
Et pourtant Jésus parcourt ce sentier, cette griffure dans le roc encore plus
dangereuse par l'humidité qui monte en fumant du torrent, qui suinte de la
paroi supérieure, qui dégoutte des arbres qui ont poussé sur cette paroi à
pic, je dirais légèrement concave.
Je m’efforce d’illustrer ce lieu infernal .
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141> Il va avec lenteur et prudence, calculant ses pas sur
les pierres pointues, certaines branlantes, obligé parfois de s'écraser
contre la paroi tant le sentier devient étroit et, pour franchir des passages
extrêmement dangereux, il doit s'agripper aux branches qui pendent de la
paroi. Il contourne ainsi le côté ouest et arrive au côté sud sur lequel la
montagne, après être descendue à pic du sommet devient concave plus
qu'ailleurs, en donnant plus de largeur au sentier, mais en revanche en lui
enlevant de la hauteur au point qu'en certains endroits Jésus doit avancer en
se baissant pour ne pas se frapper la tête contre les roches.
317.2 – Peut-être
il a l'intention de s'arrêter là où le sentier finit brusquement comme par un
éboulis. Mais, en observant, il voit que sous l'éboulis il y a une caverne,
une fissure dans la montagne plutôt qu'une caverne, et il y descend à travers
l'éboulement. Il y entre. Une fissure au début, mais une vaste grotte à
l'intérieur comme si la montagne avait été creusée il y a bien longtemps à
coups de pic, dans je ne sais quel but.
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142> On voit clairement les endroits où à la courbure
naturelle de la roche s'est associée celle produite par l'homme qui, du côté
opposé à la fissure d'entrée, a ouvert une sorte d'étroit couloir au fond
duquel il y a une bande de lumière où on aperçoit des bois qui indiquent
comment il s'y enfonce du sud à l'est en coupant l'éperon de la montagne.
Jésus s'enfile par ce couloir sombre et étroit et le parcourt jusqu'à ce
qu'il arrive à l'ouverture qui se trouve au-dessus de la route faite par Lui
avec les disciples et le char pour monter à Jiphtaël. Il a en face de Lui les
monts qui entourent le lac de Galilée, au-delà de la vallée, et en direction
nord-est resplendit le grand Hermon sous son habit de neige. Un escalier
primitif est creusé dans le flanc de la montagne qui ici n'est pas verticale,
ni en montée, ni en descente, et cet escalier conduit à la route muletière
qui est dans la vallée et aussi au sommet où se trouve le pays de Jiphtaël.
Jésus est satisfait de son exploration. Il revient en arrière dans l'ample
caverne et cherche un endroit abrité où il entasse des feuilles sèches
poussées dans l'antre par les vents. Une bien misérable couchette, une
épaisseur de feuilles sèches mise entre son corps et le sol nu et glacé... Il
se laisse tomber dessus en restant inerte, étendu, les mains sous la tête,
les yeux fixés sur la voûte rocheuse, pensif, abasourdi dirais-je, comme
quelqu'un qui a supporté un effort ou une douleur supérieure à ses forces.
317.3 – Puis
lentement des larmes, sans sanglots, commencent à descendre de ses yeux et
coulent sur les deux côtés du visage, en se perdant dans les cheveux du côté
des oreilles et en finissant certainement dans les feuilles sèches...
Il pleure ainsi, longuement, sans parler ni faire de mouvements... Puis il
s'assoit, la tête entre les genoux qu'il soulève et entoure de ses mains
entrelacées, il appelle de toute son âme la Mère lointaine :
"Maman ! Maman ! Maman ! Mon éternelle douceur ! Oh ! Maman ! Oh ! Maman ! comme je te voudrais tout près !
Pourquoi ne t'ai-je pas toujours, seul réconfort de Dieu ?"
Seule la cavité de la grotte répond par un murmure d'écho imparfait à ses
paroles, à ses sanglots, et il semble qu'elle sanglote elle aussi dans ses
recoins, ses roches et dans les petites stalactites qui pendent dans un coin,
celui peut-être qui est le plus exposé au travail des eaux intérieures.
Les pleurs de Jésus continuent, bien que plus calmes, comme si seulement
d'avoir appelé sa Mère l'avait réconforté, et lentement ils se sont changés
en monologue.
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143> "Ils sont partis... Et pourquoi ? Et pour
qui ? Pourquoi ai-je dû donner cette douleur ? Et pourquoi me la
donner, puisque déjà le monde en remplit ma journée ? ...
Judas !"...
Qui sait où s'envole la pensée de Jésus qui relève sa tête de ses genoux et
regarde devant Lui, les yeux dilatés et le visage tendu de quelqu'un qui est
absorbé par les spectacles spirituels de l'avenir ou par de grandes
méditations. Il ne pleure plus, mais il souffre visiblement. Puis il semble
répondre à un interlocuteur invisible et, pour le faire, il se dresse debout.
"Je suis homme, Père. Je suis l'Homme. La vertu d'amitié, blessée et
déchirée en Moi, se tord et se lamente douloureusement...
Je sais que je dois tout souffrir. Je le sais. Comme Dieu, je le sais,
et comme Dieu je le veux, pour le bien du monde. Comme homme aussi je le
sais, parce que mon esprit divin le communique à mon humanité. Et comme homme
aussi, je le veux, pour le bien du monde. Mais quelle douleur, ô mon
Père !
Cette heure est beaucoup plus pénible que celle
que j'ai vécue avec ton esprit et le mien au désert ... Et elle est bien plus forte la tentation présente de
ne pas aimer et de ne pas supporter à mes côtés l'être visqueux et tortueux
qui a pour nom Judas, la cause de la grande douleur qui m'abreuve et me
sature, et qui torture les âmes auxquelles j'avais donné la paix.
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144> 317.4 – Père,
je le sens. Tu deviens plus sévère avec ton Fils à mesure que j'approche du
terme de cette expiation que je fais mienne en faveur du Genre Humain. De
plus en plus s'éloigne de Moi ta douceur, et apparaît sévère ton visage à mon
esprit, qui se trouve toujours plus repoussé dans les profondeurs, là où
l'Humanité, frappée par ton châtiment, gémit depuis des millénaires.
Elle m'était douce la souffrance, doux le chemin au commencement de
l'existence, douce aussi quand, de fils du menuisier, je devins le Maître du
monde en m'arrachant à une Mère pour Te donner Toi, Père, à l'homme tombé.
Elle m'était douce encore, en comparaison de maintenant, la lutte avec
l'Ennemi, dans la tentation du désert. Je l'ai affrontée avec la hardiesse
d'un héros aux forces intactes... Oh ! mon Père !... maintenant mes
forces sont alourdies par l'absence d'amour et par la connaissance de trop de
personnes et de trop de choses...
Satan, je le savais, s'en serait allé, et il s'en est allé, une fois la
tentation finie, et les anges vinrent pour consoler ton Fils d'être homme,
soumis à la tentation du Démon.
Mais maintenant elle ne cessera pas, une fois passée l'heure où l'Ami a
souffert pour les amis envoyés au loin, et pour l'ami parjure qui lui nuit de
près et de loin. Elle ne cessera pas. Ils ne viendront pas tes anges me
consoler de cette heure et après cette heure. Mais il viendra le monde, avec
toute sa haine, ses moqueries, son incompréhension. Mais il viendra, et il
sera toujours plus près et plus tortueux et plus visqueux, le parjure, le
traître, le vendu à Satan. Père !!..."
Ce cri est vraiment déchirant, c'est un cri d'épouvante, un appel, et
l'agitation de Jésus me rappelle l'heure du Gethsémani.
"Père ! Je le sais, je le vois... Pendant que Moi ici je souffre et
vais souffrir, et que je t'offre ma souffrance pour sa conversion, et pour
ceux qui ont été arrachés à mes bras, et qui sont en train d'aller, le cœur
transpercé, à leur destin, lui se vend pour devenir plus grand que Moi, le
Fils de l'homme !
C'est Moi, n'est-ce pas, le Fils de
l'homme ? Oui. Mais je ne suis pas seul à l'être. L'Humanité, l'Ève
prolifique a engendré ses fils, et si je suis l'Abel, l'Innocent, Caïn ne
manque pas dans la descendance de l'Humanité. Et si je suis le Premier-Né,
parce que je suis tel qu'auraient dû l'être les fils de l'homme, sans tache à
tes yeux, lui, engendré dans le péché, est le premier de ce qu'ils sont
devenus après avoir mordu le fruit empoisonné.
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145> Et maintenant, non content d'avoir en lui les ferments
répugnants et les blasphèmes du mensonge, la contre-charité, la soif de sang,
le désir cupide de l'argent, l'orgueil et la luxure, il devient démoniaque,
homme qui pouvait devenir ange, pour être l'homme qui devient démon... "Et Lucifer voulut être semblable à Dieu, et pour
cela il fut chassé du Paradis et, changé en démon, il habita l'Enfer".
317.5 – Mais,
Père ! Oh ! mon Père ! Je l'aime... je l'aime encore. C'est un
homme... C'est un de ceux pour lesquels je t'ai quitté... Au nom de mon
humiliation, sauve-le... permets-moi de le racheter, Seigneur
Très-Haut ! Cette pénitence est plus pour lui que pour les autres !
Oh ! je sais l'inconséquence de ce que je demande, Moi qui sais tout ce
qu'il est !... Mais, mon Père, pour un instant, ne vois pas en Moi ton
Verbe. Contemple seulement mon Humanité de Juste... et permets que Moi, pour
un instant, je puisse être seulement "l'Homme" grâce à Toi, l'Homme
qui ne connaît pas l'avenir, qui peut s'illusionner... l'Homme qui, ne
sachant pas l'inéluctable destin, peut prier avec une espérance absolue pour
t'arracher le miracle.
Un miracle ! Un miracle pour Jésus de Nazareth, pour Jésus de Marie de
Nazareth, notre Éternelle Aimée ! Un miracle qui viole ce qui est marqué
et l'annule ! Le salut de Judas ! Il a vécu à mes côté. Il a bu mes
paroles, il a partagé la nourriture avec Moi, il a dormi sur ma poitrine...
Pas Lui, que ce ne soit pas lui mon satan !...
Je ne te demande pas de n'être pas trahi...
Cela doit être et sera... pour que, par ma douleur de trahi soient annulés
tous les mensonges, comme par ma douleur de vendu soient expiées toutes les
avarices, comme par mon déchirement de blasphémé soient réparés tous les
blasphèmes, et pour celui de n'être pas cru soit donnée la foi à ceux qui
sont et seront sans foi, comme par ma torture soient purifiées toutes les
fautes de la chair... Mais, je t'en prie : pas lui, pas lui, Judas, mon
ami, mon apôtre !
Je voudrais que personne ne trahisse... Personne... Pas même le plus éloigné
dans les glaces hyperboréennes ou les feux de la zone torride... Je voudrais
que le Sacrificateur ce fût Toi seul... comme les autres fois Tu l'as été en
brûlant par tes feux les holocaustes...
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146> Mais puisque je dois mourir de la main de l'homme, et
plus que vrai bourreau sera un bourreau l'ami traître, le putréfié qui aura en
lui la puanteur de Satan, et déjà l'aspire en lui, pour être semblable à Moi
en puissance... ainsi pense-t-il dans son orgueil et dans sa convoitise,
puisque c'est par la main de l'homme que je dois mourir, Père, accorde-moi
que ce ne soit pas celui que j'ai appelé ami et aimé comme tel, qui soit le
Traître.
Multiplie, mon Père, mes tortures, mais donne-moi l'âme de Judas... Je mets
cette prière sur l'autel de ma Personne victime... Père,
accueille-la !...
317.6 – Le
Ciel est fermé et muet !... C'est donc cela l'horreur que j'aurai avec
Moi jusqu'à la Mort ?
Le Ciel est muet et fermé !... Ce sera donc cela le silence et la prison
dans laquelle expirera mon esprit ?
Le Ciel est fermé et muet !... Ce sera donc cela la suprême torture du
Martyr ? ...
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