La deuxième conception mystique de Marie.
Maternité spirituelle de Marie.
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135> En attendant que Jésus parle,
je vais parler pour éclaircir certains points.
Vous aurez remarqué [1] qu’en date du 28 juin, il y a une prière au Très Précieux Sang. Cependant, si Jésus se plaint qu’on ne vénère pas assez son Sang, il
n’impose pas impérieusement qu’on fasse connaître cette prière. Alors
qu’il ne m’a laissé aucun répit tant que je ne vous ai pas envoyé celle du 4
juin, en réparation à Jésus dans le
Sacrement. Jésus me laisse entendre
qu’il faut dire cette prière souvent, et personnellement, il me la
fait dire avec la phrase qu’il a dictée : “... par la main de Satan”.
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136> Je regrette de désobéir au censeur ecclésiastique. Mais entre lui et
le Maître, je choisis le Maître. Même si je voulais en faire autrement, je ne
le pourrais pas.
Je regrette aussi d’avoir à dire que
je ne connais pas celui qui a écrit cette prière. Oh !, si je le connais !
Mais il se cache derrière l’anonymat. Il nous donne une formule parfaite dans
sa concision, complète, telle que lui seul pouvait la faire, il nous demande
de la dire et c’est tout. Si bien que je dis à ceux qui sont loin d’ici
qu’elle a été écrite par une infirme.
Écrite : ce mot a un sens très large. Je peux écrire La Divine Comédie [2], si je m’y mets avec patience. Mais
ce n’est sûrement pas moi qui l’ai composée. C’est la même chose maintenant.
C’est moi qui l’ai écrite et lui qui l’a composée. Mais aux voisins qui
pourraient demander où se trouve cette infirme, je dis : “Je ne sais pas
qui a écrit cette prière”.
Si je disais : “C’est moi qui l’ai écrite”, j’en aurais injustement des
louanges. Si je révélais qui me l’a dictée, les gens penseraient de deux
façons différentes. Pour ce qui est de la première, patience, je la subirais
en pensant à Jésus qu’on a appelé “fou”. Mais je ne veux pas qu’on dise la
deuxième. Car si Jésus, véritable Samaritain compatissant, se penche sur mon
âme qui n’est que déchirure, cela est preuve de son infinie miséricorde et
non de mérite de ma part.
Je sens, avec la même précision que
si je l’avais déjà vécu, que si l’orgueil s’emparait de moi, tout serait fini. Je vous le disais ce matin. J’en
suis persuadée personnellement, et le bon Jésus le confirme en me disant que
“l’orgueil tue toutes les vertus, à commencer par la charité. Il
apporte donc avec soi la perte de la lumière de Dieu. L’orgueilleux -
m’explique Jésus - ne traite pas avec un saint respect le bon Père des cieux,
n’a pas d’instinct viscéral de miséricorde pour ses frères et sœurs, se croit
supérieur aux faiblesses de la chair et aux règles de la Loi. Il pèche donc
sans cesse, et par le même péché qui causa la ruine de Lucifer d’abord,
d’Adam et de sa progéniture ensuite. Mais par-dessus tout, il tue la charité.
Il détruit donc l’union avec Dieu.”
À propos de charité. Je vous prie d’insister
chaleureusement sur cette question auprès des sœurs de l’Hôpital. Il est
compréhensible et excusable qu’elles soient fatiguées, débordées, énervées,
appelées de tous côtés comme elles le sont par les malades exigeants et
souvent ingrats. Mais elles portent la livrée de la charité, de la charité
active et de la plus sainte des activités.
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137> Elles ont entre les mains des âmes qui souffrent dans des corps
souffrants, des âmes qui parfois rencontrent le visage de Dieu dans ses
servantes, justement dans les couloirs de l’hôpital, des âmes qui sont
peut-être sur le point de se retrouver face à face avec le Dieu éternel pour
le jugement particulier.
Oh ! Qu’elle est grande la responsabilité de celui qui soigne un malade ! Il
peut, par sa façon d’agir, empêcher le contact, la rencontre entre deux êtres
qui se cherchaient, du moins pour ce qui est de l’Un d’eux, sans se trouver.
La douleur est souvent une chaîne, une étincelle, un aimant entre Dieu et sa
créature. Mais quand et d’autant plus que la créature ne connaît pas son
Dieu, il faut savoir exploiter le moyen — la maladie —avec une charité
infinie pour obtenir que l’âme aille là où Jésus l’attire, sur son cœur
aimable, au lieu de fuir, scandalisée, choquée, sceptique car elle voit
qu’une servante de Dieu est... un bouquet d’orties au lieu d’être un bouquet
velouté de violettes.
D’autres malades peuvent être des catholiques tièdes... Mais comment
pourront-ils s’embraser s’ils sont entourés de cœurs qui, sous l’insigne de
la Croix enflammée, sont glacés comme la chair morte ?
Remettre des âmes à Jésus, prendre ces pauvres âmes que la vie jette sur les
douloureuses plages d’un hôpital comme autant de naufragés blessés et
désespérés, et les recueillir avec amour, les soigner, les calmer, leur
insuffler les trois sublimes vertus théologales [3] et les très douces vertus cardinales [4], les conduire à la lumière.
Faire en sorte que, dans la vie, si elles surmontent la maladie, ou dans la
mort si l’heure du trépas est venue, elles quittent l’hôpital ou la vie avec
dans l’âme, allumée par la compatissante sœur infirmière, la Lumière qui ne
meurt pas.
Si être marraine au Baptême est une grande responsabilité, quelle n’est pas
la responsabilité des “marraines de la douleur et de la mort” ? J’ai été
infirmière, je sais et je compatis. Mais tous ne l’ont pas été.
Pourquoi scandaliser, susciter les cancans, blesser les âmes, les fermer à
l’heure où elles devraient plus que jamais rester ouvertes, parce qu’on les
frappe d’anticharité ?
Pardonnez-moi et que les sœurs me pardonnent. Mais par pitié pour celles qui
devront répondre au Juge éternel d’elles-mêmes et des âmes soignées, par
pitié pour ceux qui souffrent dans leur corps et ont tant besoin de lumière
dans l’âme, je vous en prie, insistez sur la charité qui “fait de nous des
servantes empressées”, comme disait notre devise d’infirmières samaritaines.
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138> De la charité viennent à l’infirmière la patience, le calme, le
sourire (si utile auprès de ceux qui souffrent et si héroïque). Tout vient en
cette vie et le baiser du Christ dans l’autre (parfois même dans celle-ci),
ce baiser qui est le passeport pour le Royaume de Dieu.
En ce qui concerne votre
malade, infirme depuis quatorze ans, je prierai pour elle en souffrant. Je
serai heureuse si ma douleur lui obtient la vision de notre divin et doux
Jésus. Elle est sourde et muette. Fût-elle aveugle aussi, Jésus pourrait
toujours briller dans ses ténèbres et parler à ses tympans éteints. Il
suffirait qu’il se révèle un instant... Après, on ne peut plus sortir de son
sillage de lumière...
Je prierai beaucoup pour cette paralysée dans les membres, comme je prie pour
les autres âmes que vous dirigez et qui sont plus ou moins alourdies dans l’esprit.
Oh ! Je voudrais souffrir beaucoup pour monter vers Dieu traînant derrière
moi, comme un vol d’anges, une véritable tribu d’âmes [5]. Je n’ai pas peur de souffrir
trop, parce que je souffre pour faire plaisir à Jésus.
Merci de la surprise vraiment
inattendue. Dimanche, j’avais fait un véritable sacrifice en repoussant
la tentation d’acheter un livre, La vie de J. M. Vianney, qu’on
m’avait donné à lire.
Mais vous voyez comme le Seigneur est bon ? Lorsque je contemple sa divine
bonté, j’en ai les larmes aux yeux. Car dans tout ce que je reçois, je vois
Jésus. C’est la main de Jésus qui me donne ceci ou cela. C’est une sensation
si vive que je dis d’abord “merci” à Jésus et ensuite à la personne
compatissante qui, inspirée par Jésus, donne un réconfort à la pauvre Maria.
Jésus se tient comme un écran entre moi et le monde, et je le vois se
superposer à tout et à tous.
Merci, donc, mon Père, d’avoir suivi l’inspiration de Jésus et de m’avoir...
Jésus commence à parler et je me tais.
Jésus dit :
"Ce fut un soulagement
pour ma Mère de voir que j’avais cessé de souffrir dans la chair, mais ce ne
fut pas l’‘allégresse’. Elle voyait que la chair du Fils ne souffrait plus,
elle savait que l’horreur du déicide matériel était terminée.
Mais la Femme ‘Pleine de Grâce’ avait aussi la connaissance des siècles à venir où d’innombrables
humains continueraient de blesser spirituellement son Fils, et elle était
seule.
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139> Le déicide ne s’est pas terminé sur le Golgotha à l’heure de ma mort.
Il se répète chaque fois qu’un de ceux que j’ai rachetés tue son âme, profane
le temple vivant de son esprit, soulève son esprit sacrilège à blasphémer
contre moi, non seulement par ses propos obscènes, mais par ces mille modes
de vie actuels, toujours plus contraires à ma Loi et qui neutralisent
toujours plus les mérites incalculables de ma passion et de ma mort.
Marie, la sublime Co-Rédemptrice, ne cesse de souffrir, comme je ne cesse moi-même de le faire. Dans
la gloire intangible des Cieux, nous souffrons pour ceux qui nous renient et
nous offensent.
Marie est l’éternelle
accouchée [6] qui vous donne le jour avec une
douleur incomparable, car elle sait que cette douleur n’engendre pas des
bienheureux pour le Ciel, mais, pour la majorité, des damnés pour
l’Enfer. Elle sait qu’elle engendre des créatures mortes ou destinées à
mourir sous peu. Mortes, car mon Sang ne réussit pas à pénétrer dans
certaines âmes, comme si elles étaient faites d’un jaspe très dur : elles se
tuent dès leur plus jeune âge. Ou, destinées à mourir sous peu, c’est-à-dire
celles qui, après une ombre de vitalité chrétienne, succombent à leur propre
inertie que rien ne parvient à secouer.
Marie peut-elle ne pas souffrir de voir périr ses créatures qui ont coûté le
sang du Fils ? Le Sang versé pour tous et qui n’est utile qu’à un si petit
nombre !
Quand le temps cessera d’exister, alors Marie cessera de souffrir, car le
nombre des bienheureux sera complet. Elle aura engendré, avec d’inénarrables
douleurs, le corps qui ne meurt pas, dont son Premier-né est la tête.
Si vous considérez cela, vous
comprendrez sans doute que la douleur de Marie fut la douleur suprême.
Vous comprendrez que - grande dans sa Conception immaculée, grande dans sa
glorieuse Assomption - Marie fut très grande dans le cycle de ma
passion, c’est-à-dire du soir de la dernière Cène à l’aube de la
Résurrection. Alors elle fut, en ordre et en puissance, le second
Christ, et pendant que le ciel s’obscurcissait sur la tragédie accomplie
et que le voile du Temple se déchirait [7], nos cœurs se déchiraient d’une
égale blessure en voyant le nombre incommensurable de ceux pour qui la
Passion fut inutile.
Tout était accompli, en cette heure, du sacrifice matériel; tout
restait à commencer par rapport au cheminement des peuples dans le sillage de
l’Église, dans la matrice de la Vierge Mère, pour donner le jour aux
habitants de la Jérusalem qui ne meurt pas. Et pour commencer avec
l’empreinte de la Croix que doit porter tout ce qui est fait pour le Ciel,
cela commença dans la douleur de la solitude.
C’était l’heure des ténèbres. Les Cieux fermés. L’Éternel absent.
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140> Le Fils dans la mort. Marie commençait seule sa deuxième conception
mystique."
Et maintenant, c’est moi qui
termine.
Je disais donc : merci, mon Père, d’avoir suivi l’inspiration de Jésus et de
m’avoir donné le moyen de relire La vie du curé d’Ars. Je l’aime
beaucoup car il fut une victime.
Quant à moi, je reste dans ma souffrance paisible comme un bébé dans son
berceau et un petit oiseau sous l’aile maternelle. Mon soleil me tient lieu
de vie, d’antidouleur, de tout. Je me tiens dans son rayonnement et je suis
heureuse.
Avez-vous jamais observé les pigeons ? Quand ils le peuvent, ils se
blottissent au soleil, ils ouvrent leurs petites ailes et les soulèvent à
tour de rôle pour recevoir le baiser du soleil sous les ailes, ils lèvent la
tête et, avec une satisfaction manifeste, je dirais presque une béatitude
animale, ils regardent le soleil d’or. Ils sont heureux de s’y réchauffer et
on ignore comment ils puissent résister si longtemps sous ce rayon de feu qui
descend sur eux perpendiculairement de l’astre.
Moi je suis comme une petite colombe sous le soleil. Je reste là, immobile,
et je ne bouge pas, heureuse de me sentir envahir, brûler par son feu, avec
l’espoir d’être bientôt consumée, attirée à lui.
Oh ! Mon Soleil ! Comme vous dites si bien, il faudrait qu’un autre éprouve
ce que j’éprouve pour le comprendre... Je m’efforce en vain d’expliquer ce
qu’est cette Lumière : paix, majesté, savoir, beauté... Non. On ne peut
vraiment pas dire ce qu’est pour l’âme cette inextinguible, inexprimable,
réjouissante splendeur.
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