| Le samedi 1er mars 1947. 182>  571.1 – Voilà Sichem, toute belle et ornée. Elle
  est pleine de gens de la Samarie qui se rendent au temple samaritain,
  pleine de pèlerins de toutes les régions qui vont au Temple de Jérusalem. Le soleil
  l'inonde toute entière, étendue comme elle l'est sur les pentes est du
  Garizim qui la domine à l'ouest, tout vert autant qu'elle est blanche. À son
  nord-est l'Ebal, encore plus sauvage à le voir, semble la protéger contre les
  vents du nord. L'endroit est fertile, enrichi par les eaux qui descendent des
  monts. Elles se partagent entre deux petits fleuves riants, nourris par cent
  rivières et qui descendent vers le Jourdain. La magnificence de la fertilité
  déborde hors des murs des jardins et des haies des cultures maraîchères.
  Chaque maison est enguirlandée de verdure, de fleurs, de branches où se
  gonflent les petits fruits. L'œil, en se tournant vers les alentours bien
  visibles à cause de la configuration du sol, ne voit que le vert des
  oliviers, des vignobles, des vergers et la couleur blonde des champs qui
  quittent chaque jour davantage le ton glauque du grain en herbe pour se
  donner un jaune délicat de paille, d'épis mûrs, que le soleil et le vent, en
  les enveloppant et les courbant, rendent presque de la couleur de l'or blanc. 
 Vraiment les grains "blondissent" comme dit
  Jésus ; ils sont maintenant vraiment blonds, après avoir été
  "blanchissants" à leur naissance, puis d'un vert de joyau précieux
  pendant qu'ils grandissaient et épiaient. Maintenant le soleil les prépare à
  la mort après les avoir préparés à la vie. Et on ne sait pas quand il faut le
  bénir davantage maintenant qu'il les conduit au sacrifice, ou quand,
  paternel, il échauffait les sillons pour faire germer le grain et peignait la
  pâleur de la tige, qui venait de percer, d'un beau vert plein de vigueur et
  de promesses.
 
 Haut de page.
 
 183>
  571.2 – Jésus, qui a parlé de cela en entrant dans la ville et en montrant
  l'endroit de la rencontre avec la Samaritaine et en faisant allusion à cette lointaine
  conversation, s'adresse à ses apôtres, à tous sauf Jean qui a
  déjà pris sa place de consolateur auprès de Marie, si affligée : 
 "Est-ce que ne s'accomplit pas maintenant ce que j'ai dit alors ? Nous
  sommes entrés ici, inconnus et isolés. Nous avons semé. Maintenant : regardez
  ! Une moisson abondante est née de cette semence. Et elle grandira encore et
  vous la moissonnerez. Et d'autres moissonneront plus que vous..."
 
 "Et Toi, Seigneur ?" demande Philippe.
 
 "Moi, j'ai moissonné où avait semé mon Précurseur et puis j'ai semé pour que vous moissonniez et
  semiez la semence que je vous ai donnée. Mais comme Jean n'a pas moissonné ce
  qu'il avait semé, ainsi je ne ferai pas cette moisson. Nous sommes..."
 
 "Quoi, Seigneur ?" demande Jude d'Alphée
  troublé.
 
 "Les victimes, mon frère. Il faut de la sueur pour rendre les champs
  fertiles, maïs il faut le sacrifice pour rendre fertiles les cœurs. On se
  lève, on travaille, on meurt. Quelqu'un après nous, nous succède, se lève,
  travaille, meurt... Et il y a quelqu'un qui moissonne ce que nous avons
  abreuvé de notre mort."
 
 "Oh ! non ! Ne le dis pas, mon Seigneur !" s'écrie Jacques de Zébédée.
 
 "Et c'est toi, disciple de Jean avant d'être le mien, qui dis cela ? Tu
  ne te rappelles pas les paroles de ton premier maître ? "Il faut que Lui
  grandisse et que moi je diminue". Lui comprenait la beauté et la justice
  de mourir pour donner aux autres la justice. Je ne lui serai pas
  inférieur."
 
 "Mais Toi, Maître, c'est Toi : Dieu ! Lui était un homme."
 
 "Je suis le Sauveur. En tant que Dieu, je dois être
  plus parfait que l'homme. Si Jean, qui était un homme, sut diminuer pour
  faire lever le vrai Soleil, Moi je ne dois pas offusquer la lumière de mon
  soleil par un nuage de lâcheté. Je dois vous laisser un limpide souvenir de
  Moi. Pour que vous, vous alliez de l'avant. Pour que
  le monde grandisse dans l'Idée chrétienne.
 
  571.3 – Le Christ s'en ira, retournera là d'où il
  est venu, et c'est de là qu'il vous aimera en vous suivant dans votre
  travail, en vous préparant la place qui sera votre récompense. Mais le
  Christianisme reste. 
 Haut de page.
 
 184> Le Christianisme grandira par mon départ... et
  par celui de tous ceux qui, sans s'attacher au monde et à la vie terrestre,
  sauront comme Jean et comme Jésus, s'en aller... mourir pour faire
  vivre."
 
 "Alors tu trouves juste que l'on te donne la mort … ?" demande
  l'Iscariote comme
  s'il était angoissé.
 
 "Je ne trouve pas juste qu'on me donne la mort. Je trouve juste de
  mourir pour ce qu'amènera mon sacrifice. L'homicide sera toujours homicide
  pour celui qui l'accomplît, même s'il a une valeur et un aspect différent
  pour celui que l'on tue."
 
 "Que veux-tu dire ?"
 
 
  "Je
  veux dire que celui qui est homicide parce qu'on le lui commande ou qu'on l'y force, comme un soldat dans
  la bataille, ou un bourreau qui doit obéir au magistrat, ou quelqu'un qui se
  défend contre un larron, n'a pas du tout de crime sur la conscience ou n'a
  que le crime relatif de tuer un de ses semblables, mais celui qui sans en
  avoir l'ordre et sans y être contraint tue un innocent, ou coopère à son
  meurtre, va devant Dieu avec le visage horrible de Caïn." 
 "Mais ne pourrions-nous pas parler d'autre chose ? Le Maître en souffre,
  tu as les yeux de quelqu'un que l'on tourmente, il nous semble être à
  l'agonie, si la Mère entend, elle pleure. Déjà elle pleure tant derrière
  son voile ! Il y a tant de choses dont on peut parler !...
 
  571.4 – Ah ! voilà ! Les notables arrivent. Cela vous fera taire. Paix à vous
  ! Paix à vous !" 
 Pierre, qui était un peu en avant et s'était retourné pour parler, s'incline
  pour saluer devant un groupe serré de Sichémites pompeux qui viennent vers
  Jésus.
 
 "Paix à Toi, Maître. Les maisons qui t'ont reçu l'autre fois sont toutes
  disposées à te recevoir et beaucoup d'autres avec elles, pour les femmes
  disciples et ceux qui sont avec Toi. Vont venir ceux qui ont reçu tes
  bienfaits récemment ou la première fois. Une
  seule manquera, car
  elle s'est éloignée de l'endroit pour mener une vie d'expiation. C'est ce
  qu'elle a dit, et je le crois. En effet, quand une femme se dépouille de tout
  ce qu'elle aimait, et repousse le péché et donne ses biens aux pauvres, c'est
  signe que vraiment elle veut suivre une vie nouvelle. Mais je ne saurais te
  dire où elle est. Personne ne l'a plus vue depuis qu'elle a quitté Sichem.
  Quelqu'un de nous a cru la voir en qualité de servante dans un village près
  du Fialé. Un autre jure l'avoir reconnue vêtue
  misérablement à Bersabée.
 
 Haut de page.
 
 185> Mais leurs affirmations manquent de certitude.
  Appelée par son nom, elle n'a pas répondu, et la femme répondait au nom de
  Jeanne dans un endroit, et au nom de Agar dans l’autre."
 
 "Il n'est pas nécessaire de savoir autre chose sinon qu'elle s'est
  rachetée. Toute autre connaissance est vaine et toute recherche est une
  curiosité indiscrète. Laissez votre compatriote dans sa paix secrète,
  satisfaits seulement qu'elle ne donne plus de scandale. Les anges du Seigneur
  savent où elle est pour lui donner l'unique secours dont elle a besoin,
  l'unique qui ne puisse pas lui faire du mal à l'âme...
 
  571.5 – Aux femmes qui sont fatiguées, faites la charité de les conduire dans
  les maisons. Demain je vous parlerai. Aujourd'hui je vais tous vous écouter
  et j'accueillerai les malades." 
 "Tu ne restes pas beaucoup avec nous ? Ne feras-tu pas le sabbat ici
  ?"
 
 "Non. Le sabbat, je le ferai ailleurs, en prière."
 
 "Nous espérions t'avoir longuement avec nous..."
 
 "J'ai à peine le temps de retourner en Judée pour les fêtes. Je vous
  laisserai les apôtres et les femmes, s'ils veulent rester jusqu'au soir du
  sabbat. Ne vous regardez pas ainsi. Vous le savez que je dois honorer le
  Seigneur notre Dieu plus que tout autre. En effet d'être ce que je suis ne
  m'exempt pas d'être fidèle à la Loi du Très-Haut."
 |