| Le dimanche 22 avril 1945.  (Texte de l’édition de 1985).
 461>  143.1 – "Je m'arrête ici. Allez
  en ville. Achetez tout ce qu'il faut pour le repas. Nous mangerons ici." 
 "Nous y allons tous?"
 
 "Oui, Jean.
  C'est bien que vous alliez en groupe."
 
 "Et Toi? Tu restes seul... Ils sont samaritains..."
 
 "Ce ne seront pas les pires parmi les ennemis du Christ. Allez, allez.
  Je prie, en vous attendant, pour vous et pour eux."
 
 Les disciples s'en vont à regret et à trois ou quatre reprises ils se
  retournent pour regarder Jésus qui s'est assis sur un muret exposé
  au soleil près du bas et large bord d'un puits .
  Un grand puits, presque
  une citerne, tellement il est large. En été il doit être ombragé par de
  grands arbres, maintenant dépouillés. On ne voit pas l'eau, mais le terrain,
  près du puits, montre clairement qu'on a puisé de l'eau à cause des petites
  mares et des empreintes circulaires laissées par les brocs humides.
  Le puits de Jacob selon un dessin de Lorenzo Ferri réalisé sur les indications de Maria Valtorta.
 Jésus
  s'assied et médite, dans son attitude ordinaire, les coudes appuyés sur les genoux
  et les mains jointes en avant, le corps légèrement incliné et la tête penchée
  vers la terre. Puis il sent un bon petit soleil qui le réchauffe et il laisse
  glisser son manteau de dessus sa tête et de ses épaules tout en le gardant
  encore replié sur sa poitrine.     
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 462> Il
  lève la tête pour sourire à une bande de moineaux querelleurs qui se
  disputent une grosse mie de pain perdue par quelque personne près du puits.
  Mais les oiseaux s'enfuient à l'arrivée d'une femme qui vient au puits avec
  une amphore vide qu'elle tient par une anse de la main gauche, pendant que sa
  main droite écarte avec surprise son voile pour voir quel est l'homme assis
  là.
 
 Jésus sourit à cette femme sur les trente cinq à quarante ans, grande, aux
  traits fortement marqués, mais beaux. Un type que nous dirions presque
  espagnol avec le teint d'une pâleur olivâtre, les lèvres très vives et plutôt
  épaisses, des yeux démesurément grands et noirs sous des sourcils très
  touffus et les tresses couleur de jais que l'on voit sous le voile léger.
  Même les formes, à tendance plantureuse, ont un type oriental marqué,
  légèrement mou, comme celui des femmes arabes. Elle est vêtue d'une étoffe à
  rayures multicolores, bien serrée à la ceinture, tendue sur les hanches et la
  poitrine grassouillettes, et retombant ensuite en une sorte de volant
  ondulant jusqu'à terre. Quantité de bagues et de bracelets aux mains
  grassouillettes et brunes et aux poignets que l'on voit sous les manches de
  lin. Au cou un lourd collier d'où pendent des médailles, je dirais des
  amulettes car il y en a de toutes les formes. De pesantes boucles d'oreilles
  descendent jusqu'au cou et brillent sous le voile.
 
 
  143.2 – "La
  paix soit avec toi, femme. Me donnes-tu à boire ? J'ai beaucoup marché et
  j'ai soif." 
 "Mais, n'es-tu pas juif ? Et tu me demandes à boire, à moi
  samaritaine. Qu'est-il donc arrivé ?  Sommes-nous réhabilités ou est-ce
  vous qui êtes humiliés
  ?Sûrement un grand évènement est
  survenu si un juif parle poliment à une samaritaine. Je devrais cependant te
  dire : Je ne te donne rien pour punir en Toi toutes les insultes que depuis
  des siècles les juifs nous adressent".
 
 "Tu as bien parlé. Un grand évènement est survenu et pour cela beaucoup
  de choses sont changées et un plus grand nombre changeront. Dieu a fait un
  grand don au monde et pour cela beaucoup de choses sont changées.
  Si tu connaissais le don de Dieu et quel est
  Celui qui te dit : "Donne-moi à boire", peut-être toi-même, tu
  Lui aurais demandé à boire et Lui t'aurait donné de l'eau vive." 
 "L'eau vive est dans les veines de la terre, et ce puits la possède.
  Mais il est à nous."
 
 La femme est moqueuse et autoritaire.
 
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 463> "L'eau
  appartient à Dieu. Comme la bonté appartient à Dieu. Comme la vie appartient
  à Dieu. Tout appartient à un Dieu Unique, femme. Et tous les hommes viennent
  de Dieu : les samaritains comme les juifs. Ce puits n'est-il pas celui de
  Jacob ? Et Jacob n'est- il pas le chef de notre souche ? Si
  par la suite une erreur nous a séparés, cela ne change rien à notre
  origine."
 
 "Notre erreur, n'est-ce pas ?" demande la femme agressive.
 
 "Ni la nôtre, ni la vôtre. Erreur de quelqu'un qui avait perdu de vue la
  Charité et la Justice. Moi, je ne t'attaque pas et je n'attaque pas ta race.
  Pourquoi veux-tu être agressive ?"
 
 "Tu es le premier juif que j'entends parler ainsi. Les autres... Mais,
  pour revenir au puits, oui, c'est celui de Jacob et il a une eau si abondante
  et si claire que nous de Sychar nous la préférons aux autres fontaines . Mais il est très profond . Tu n'as pas
  d'amphore ni d'outre. Comment pourrais-tu donc atteindre pour moi l'eau vive?
  Es-tu plus que Jacob, notre saint Patriarche, qui a trouvé cette veine
  abondante, pour lui, ses enfants, ses troupeaux et nous l'a laissée en
  souvenir de lui et comme cadeau ?"
 
 "Tu l'as dit. Mais qui boit de cette eau aura encore soif. Moi, au
  contraire, j'ai une eau telle que celui qui l'a bue ne sentira plus la soif.
  Mais elle n'appartient qu'à Moi et je la donnerai à qui me la demande. Et en
  vérité je te dis que celui qui aura l'eau que Moi Je lui donnerai, deviendra
  baigné pour toujours et n'aura plus soif, car mon eau deviendra en lui une
  source sûre, éternelle."
 
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 464> "Comment ? Je ne comprends pas. Es-tu un mage ?
  Comment un homme peut-il devenir un puits ? Le chameau boit et fait une
  provision d'eau dans le creux de son ventre. Mais ensuite il la consomme et
  elle ne lui dure pas toute sa vie. Et tu dis que ton eau dure toute la vie
  ?"
 
 "Davantage encore: elle jaillira jusqu'à la vie éternelle. En qui la
  boit elle sera jaillissante jusqu'à la vie éternelle et donnera des germes de
  vie éternelle. Car elle est source de salut."
 
 "Donne-moi de cette eau s'il est vrai que tu la possèdes. Je me fatigue
  à venir jusqu'ici. Si je l'ai, je n'aurai plus soif et je ne deviendrai
  jamais malade ni vieille."
 
 
  143.3 – "Il
  n'y a que cela qui te fatigue ? Rien d'autre ? Et tu n'éprouves pas d'autre
  besoin que de puiser pour boire, pour ton misérable corps ? Penses-y. Il y a
  quelque chose qui est plus que le corps: c'est l'âme. Jacob n'a pas seulement
  donné de l'eau du sol, pour lui et pour les siens. Mais il s'est préoccupé de
  se donner et de donner la sainteté, l'eau de Dieu." 
 "Vous nous dites païens, vous... Si c'est vrai ce que vous dites, nous
  ne pouvons pas être saints..."
 
 La femme a perdu son ton impertinent et ironique et elle est soumise et
  légèrement confuse.
 
 "Même un païen peut être vertueux. Et Dieu, qui est juste, le
  récompensera pour le bien qu'il aura fait. Ce ne sera pas une récompense
  complète, mais, je te le dis, entre un fidèle souillé d'une faute grave et un
  païen sans faute, Dieu regarde avec moins de rigueur le païen. Et pourquoi,
  si vous savez être tels, ne venez-vous pas au Vrai Dieu ? Comment
  t'appelles-tu ? "
 
 "Photinaï"
 
 "Eh bien, réponds-moi, Photinaï. Ne souffres-tu pas de ne pouvoir
  aspirer à la sainteté parce que tu es païenne, comme toi tu dis, parce que tu
  es dans les brumes d'une antique erreur, comme Moi je dis ?"
 
 "Oui, que j'en souffre. "
 
 "Et alors, pourquoi ne vis-tu pas au moins en païenne
  vertueuse ? "
 
 "Seigneur !… "
 
 "Oui, peux-tu le nier ? Va appeler ton mari et reviens avec
  lui. "
 
 "Je n'ai pas de mari... "
 
 La confusion de la femme grandit.
 
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 465> "Tu as bien dit.
  Tu n'as pas de mari. Tu as eu cinq hommes et maintenant tu as avec toi
  quelqu'un qui n'est pas ton mari. Était-ce nécessaire, cela ? Même ta
  religion ne conseille pas l'impudicité. Le Décalogue, vous l'avez, vous
  aussi. Pourquoi alors, Photinaï, vis-tu ainsi ? Ne te sens-tu pas lasse
  de cette fatigue d'être la chair de tant d'hommes, au lieu d'être l'honnête
  épouse d'un seul ? N'as-tu pas peur de ta vieillesse, quand tu te
  trouveras seule avec tes souvenirs ? Avec tes regrets ? Avec tes
  peurs ? Oui, même celles-là. La peur de Dieu et des spectres. Où sont
  tes enfants ? "
 
 
   La femme baisse complètement la tête et ne parle pas.
 
 "Tu ne les as pas sur la terre. Mais leurs petites âmes, auxquelles tu
  as interdit de connaître le jour de la lumière, t'adressent des reproches.
  Toujours. Bijoux... beaux vêtements... riche maison... table bien garnie...
  Oui. Mais le vide, les larmes et la misère intérieure. Tu es une délaissée,
  Photinaï. Et ce n'est qu'avec un repentir sincère, moyennant le pardon de
  Dieu et par conséquent de tes enfants que tu peux devenir riche. "
 
 
  143.4 – "Seigneur, je vois que tu
  es un prophète, et j'ai honte..." 
 "Et à l'égard du Père qui est aux Cieux, tu n’éprouvais pas cette honte,
  quand tu faisais le mal? Ne pleure pas de découragement devant l'Homme...
  Viens ici, Photinaï, près de Moi. Je te parlerai de Dieu. Peut-être tu ne Le
  connaissais pas bien. Et c'est pour cela, certainement pour cela, que tu as
  tant erré. Si tu avais bien connu le vrai Dieu, tu ne te serais pas ainsi
  avilie. Lui t'aurait parlé et t'aurait soutenue..."
 
 "Seigneur, nos pères ont adoré sur cette montagne.
  Vous dites que c’est seulement à Jérusalem que l'on doit adorer. Mais, tu le
  dis: il n'y a qu'un seul Dieu. Aide-moi à voir où et comment je dois
  adorer..."
 
 "Femme, crois-moi. Bientôt viendra l'heure où ce ne sera ni sur la
  montagne de Samarie ni à Jérusalem que sera adoré le Père. Vous adorez Celui
  que vous ne connaissez pas. Nous adorons Celui que nous connaissons, car le
  salut vient des juifs. Je te rappelle les Prophètes. Mais l'heure vient, et
  même elle commence déjà, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit
  et en vérité, non plus avec le rite antique mais avec le nouveau rite où il
  n'y aura plus de sacrifices, ni d'hosties d'animaux consumés par le feu. Mais
  le sacrifice éternel de l'Hostie Immaculée brûlée par le Feu de la Charité.
  Culte spirituel du Royaume spirituel. Et il sera compris de ceux qui savent
  adorer en esprit et en vérité. Dieu est Esprit. Ceux qui l'adorent doivent
  l'adorer spirituellement."
 
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 466> "Tu as de
  saintes paroles. Moi, je sais, car nous aussi nous savons quelque: chose, que
  le Messie est sur le point de venir. Le Messie; Celui qu'on appelle aussi
  "le Christ". Quand il sera venu, il nous enseignera toutes choses.
  Tout près d'ici  se trouve aussi celui qu'on dit être son Précurseur. Et
  beaucoup vont l'écouter. Mais il est si sévère !... Toi, tu es bon... et
  les pauvres âmes n'ont pas peur de Toi. Je pense que le Christ sera bon. On
  l'appelle le Roi de la Paix. Tardera-t-il beaucoup à venir ? "
 
 "Je t'ai dit que son temps est déjà présent."
 
 "Comment le sais-tu ? Tu es peut-être son disciple ? Le Précurseur a
  beaucoup de disciples. Le Christ aussi en aura."
 
 "C'est Moi, qui te parle, qui suis le Christ Jésus."
 
 "Toi!... Oh!..." La femme, qui s'était assise près de Jésus, se
  lève et va s'enfuir.
 
 "Pourquoi t'enfuis-tu, femme?"
 
 "C'est que je suis horrifiée de me mettre près de Toi. Tu es
  saint..."
 
 "Je suis le Sauveur. Je suis venu ici - ce n'était pas nécessaire -
  parce que je savais que ton âme était lasse d'être errante. Tu t'es écœurée
  de ta nourriture... Je suis venu te donner une nourriture nouvelle et qui
  t'enlèvera nausée et fatigue...
 
 
  143.5 – Voici
  mes disciples qui reviennent avec mon pain. Mais déjà je suis nourri de
  t'avoir donné les premières miettes de ta rédemption." 
 Les disciples lorgnent, plus ou moins prudemment, la femme, mais personne ne
  parle. Elle s'en va sans plus penser à l'eau ni à son amphore.
 
 "Voici, Maître" dit Pierre. "Ils nous ont bien traités. Il y a
  du fromage, du pain frais, des olives et des pommes .
  Prends ce que tu veux. Cette femme a bien fait de laisser son amphore. Nous
  aurons plus vite fait qu'avec nos petites gourdes.
  Nous boirons et nous les remplirons sans avoir à demander autre chose aux
  samaritains, et sans les côtoyer aussi à leurs fontaines. Tu ne manges pas ?
  Je voulais trouver du poisson pour Toi, mais il n'y en a pas. Peut-être cela
  t'aurait-il plu davantage. Tu es fatigué et pâle."
 
 "J'ai une nourriture que vous ne connaissez pas. Ce sera mon repas. Je
  serai bien restauré."
 
 Les disciples se regardent entre eux, s'interrogeant du regard.
 
 Jésus répond à leurs muettes interrogations :
 
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 467> "Ma nourriture
  est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé  et de porter à son terme l’œuvre qu'Il désire que j'accomplisse.
  Quand le semeur jette la semence, peut-il dire qu'il a déjà tout fait pour
  dire qu'il a la récolte? Non, certainement pas, combien il a encore à faire
  pour dire: "Voici que mon travail est achevé ! Et jusqu'à cette heure,
  il ne peut se reposer. Regardez ces champs sous le gai soleil de la sixième
  heure . Il y a seulement un mois, et même moins, la terre
  était nue, sombre parce que baignée par les pluies. Maintenant, regardez. Des
  tiges innombrables de blé, qui viennent de percer, d'un vert très pâle qui
  dans cette grande lumière semble encore plus clair, la couvrent, pour ainsi
  dire, d'un voile pâle, presque blanc . C'est la moisson future et vous dites en la
  voyant : "Dans quatre mois, c'est la récolte . Les semeurs engageront des moissonneurs, parce que si
  un semeur suffit pour ensemencer, il faut un grand nombre d'ouvriers pour
  moissonner . Semeurs et moissonneurs sont heureux; Celui qui a semé
  un petit sac de grains et qui doit maintenant préparer ses greniers pour la
  récolte, aussi bien que ceux qui, en peu de jours, gagnent de quoi vivre
  pendant quelques mois".
 
 Dans le champ de l'esprit, aussi, ceux qui moissonneront ce que j'ai semé se
  réjouiront avec Moi, et comme Moi, parce que je leur donnerai mon salaire et
  le fruit qui leur est dû. Je leur donnerai de quoi vivre dans mon Royaume
  éternel. Vous, vous n'avez qu'à moissonner; le travail le plus dur, c'est Moi
  qui l'ai fait. Et pourtant je vous dis: "Venez faire la moisson dans mon
  champ. Je suis joyeux que vous vous chargiez des gerbes de mon grain."
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