293> La place principale de Sichem connaît un invraisemblable fourmillement
de gens. Je crois que la ville toute entière est là et que sont venus aussi
les habitants des campagnes et des villages voisins. Ceux de Sichem, dans
l'après-midi du premier jour, ont dû se répandre pour donner l'avis en tout
lieu, et tous sont accourus : bien portants et malades, les pécheurs et les
innocents. Une fois la place remplie, bondées les terrasses sur les toits,
les gens se sont juchés jusque sur les arbres qui ombragent la place.
Au premier rang, vers l'endroit tenu libre pour Jésus, contre une maison
qui est surélevée de quatre marches, se trouvent les trois enfants que Jésus a enlevés aux larrons, et leurs
parents. Comme ils sont anxieux de voir leur Sauveur, les trois petits ! Tout
cri les fait retourner pour le chercher Lui. Et quand s'ouvre la porte de la
maison et que Jésus apparaît dans l'entrebâillement, les trois enfants volent
en avant en criant : "Jésus ! Jésus ! Jésus !" et ils montent les
hautes marches sans même attendre que Lui descende pour les embrasser. Jésus
se penche et les embrasse, les élevant ensuite : vivant bouquet de fleurs
innocentes, et il baise les petits visages qui Lui rendent la pareille.
Les gens font entendre un murmure ému, et s'élève quelque voix qui dit :
"Il n'y a que Lui pour savoir baiser nos innocents." Et d'autres
voix : "Voyez-vous comme il les aime ? Il les a sauvés des larrons, il
leur a donné une maison après les avoir rassasiés et vêtus, et maintenant il
les embrasse comme s'ils étaient les fils de ses entrailles."
Jésus, qui a déposé les enfants par terre, sur la plus haute marche, tout
près, de Lui, répond à tous en répondant à ces dernières paroles anonymes :
"En vérité c'est plus que des fils de mes entrailles qu'ils sont pour
Moi. C'est que je suis pour eux un père pour leur âme, et celle-ci
m'appartient, non pendant le temps qui passe, mais pendant l'éternité qui
demeure. Si je pouvais le dire de tout homme que de Moi, la Vie, il tire la
vie pour sortir de la mort ! Je vous ai invités à cela quand je suis venu
pour la première fois parmi vous, et vous pensiez que vous aviez beaucoup de
temps pour vous décider à le faire. Une seule a montré de l'empressement pour
suivre l'appel et pour aller sur le chemin de la Vie : la créature la plus pécheresse d'entre vous.
Peut-être justement parce qu'elle s'est sentie morte, qu'elle s'est vue morte,
pourrie dans son péché, et qu'elle a eu hâte de sortir de la mort.
Vous, vous ne vous sentez pas et vous ne vous voyez pas morts, et vous n'avez
pas son empressement.
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294> Mais quel est le malade qui attend d'être
mort pour prendre les remèdes de vie ? Celui qui est mort n'a besoin que d'un
linceul et d'aromates et d'un tombeau où reposer pour devenir poussière après
avoir été pourriture. Car, si pour des fins qui sont sages, la pourriture de Lazare que vous regardez
avec des yeux dilatés par la crainte et la stupeur, retrouva la santé par
l'intervention de l'Éternel, cela ne doit tenter personne à arriver à la mort
de l'esprit en disant : "Le Très-Haut me rendra la vie de l'âme". Ne tentez pas
le Seigneur votre Dieu. C'est à vous de venir à la Vie. Il n'y a plus le
temps d'attendre. La Vigne va être cueillie et pressée. Préparez votre esprit
au Vin de la Grâce qui va vous être donné. Ne faites-vous pas ainsi quand
vous devez prendre part à un grand banquet ? Ne préparez-vous pas votre
estomac à recevoir les nourritures et les vins choisis, en faisant précéder
le banquet d'une abstinence prudente qui rend le goût net et l'estomac
vigoureux pour goûter et désirer la nourriture et les boissons ? Et n'agit-il
pas de même le vigneron pour essayer le vin fait depuis peu ? Il ne corrompt
pas son palais le jour où il veut essayer le vin nouveau. Il s'en garde parce
qu'il veut se rendre compte avec exactitude des qualités et des défauts pour
corriger les uns et exalter les autres, et pour bien vendre sa marchandise.
Mais s'il sait faire cela celui qui est invité à un banquet pour goûter avec
plus de plaisir les mets et les vins, et s'il le fait le vigneron pour bien
vendre son vin, ou pour rendre vendable le vin qui à cause de ses défauts
serait repoussé par l'acheteur, l'homme ne devrait-il pas savoir le faire
pour son esprit, pour goûter le Ciel, pour gagner le trésor pour pouvoir
entrer au Ciel ?
Écoutez mon conseil. Oui, ce conseil, écoutez-le. C'est un bon conseil. C'est
un conseil juste du Juste qu'en vain on a mal conseillé et qui veut vous
sauver des fruits des conseils mauvais que vous avez eus. Soyez justes comme
je le suis. Et sachez donner une juste valeur aux conseils qui vous sont
donnés. Si vous savez vous rendre justes, vous leur donnerez une juste
valeur.
Écoutez une parabole : elle ferme le cycle de celles que j'ai dites à Silo et à Lébona et parle toujours
des conseils donnés et reçus.
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Un roi envoya son fils chéri visiter son
royaume. Le royaume de ce roi était divisé en de nombreuses provinces, car il
était très vaste. Ces provinces avaient des connaissances différentes de leur
roi. 295> Certaines le connaissaient si bien
qu'elles se considéraient comme les préférées et pour cela se laissaient
aller à l'orgueil. Selon ces dernières, il n'y avait qu'elles de parfaites et
qui connussent le roi et ce que le roi voulait. D'autres le connaissaient,
mais sans se regarder comme sages pour autant, elles s'efforçaient de le
connaître toujours plus. D'autres avaient la connaissance du roi mais elles
l'aimaient à leur manière, car elles s'étaient donné un code spécial qui
n'était pas le vrai code du royaume. Du code véritable, ils avaient pris ce
qui leur plaisait et dans la mesure où cela leur plaisait et, même ce peu,
ils l'avaient amoindri en le mélangeant avec d'autres lois empruntées à
d'autres royaumes, ou qu'ils s'étaient données eux-mêmes, et qui n'étaient
pas bonnes. Oui, qui n'étaient pas bonnes. D'autres encore ignoraient
davantage leur roi, et certaines savaient seulement qu'il y avait un roi.
Rien de plus. Mais ce peu qu'ils croyaient, ils croyaient même que c'était un
conte.
Le fils du roi vint visiter le royaume de son père pour donner à toutes les
différentes régions une connaissance exacte du roi, ici en corrigeant
l'orgueil, là en relevant ceux que l'on avait avilis, ailleurs en redressant
des idées erronées, plus loin en persuadant d'enlever les éléments impurs de
la loi qui était pure, ici en enseignant pour combler les lacunes, là en
essayant de donner un minimum de connaissances et de foi en ce roi réel dont
tout homme était le sujet. Ce fils de roi pensait pourtant que, pour tous, une
première leçon était l'exemple d'une justice conforme au code aussi bien dans
les parties sérieuses que dans les choses de moindre importance. Et il était
parfait, si bien que les gens de bonne volonté devenaient meilleurs parce
qu'ils suivaient tant les actions que les paroles du fils du roi car ses
paroles et ses actions étaient une unique chose tant elles se correspondaient
sans dissonances.
Pourtant ceux des provinces qui se considéraient comme parfaites seulement
parce qu'ils connaissaient à la lettre la lettre du code, mais n'en
possédaient pas l'esprit, voyaient que de l'observance de ce que faisait le
fils du roi et de ce qu'il exhortait à faire, il ressortait trop clairement
qu'eux connaissaient la lettre du code mais ne possédaient pas l'esprit de la
loi du roi, et qu'ainsi leur hypocrisie se trouvait démasquée. Alors ils
pensèrent à faire disparaître ce qui les faisait apparaître tels qu'ils
étaient. Et pour y arriver, ils prirent deux chemins : un contre le fils du
roi, l'autre contre ses partisans. Pour le premier, les mauvais conseils et
les persécutions; pour les seconds, les mauvais conseils et les
intimidations. Il y a tant de choses qui sont des mauvais conseils. 296> C'est un mauvais conseil de dire : "Ne
fais pas cette chose qui peut te nuire", en feignant un intérêt
bienveillant, et c'est un mauvais conseil de persécuter pour persuader celui
que l'on veut dévoyer de manquer à sa mission. C'est un mauvais conseil de
dire aux partisans : "Défendez à tout prix et par tous les moyens le
juste persécuté", et c'est un mauvais conseil de dire aux partisans :
"Si vous le protégez, vous vous heurterez à notre indignation".
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Mais je ne parle pas ici des conseils donnés aux partisans. Je parle des
conseils que l'on a donnés ou fait donner au fils du roi. Avec une fausse
bonhomie, avec une haine livide, ou par la bouche d'instruments ignorants que
l'on portait à nuire en leur faisant croire qu'ils rendraient service.
Le fils du roi écouta ces conseils. Il avait des oreilles, des yeux, de
l'intelligence et du cœur. Il ne pouvait donc pas ne pas les entendre, ne pas
les voir, ne pas les comprendre et ne pas les juger. Mais le fils du roi
avait surtout l'esprit droit du vrai juste et à tout conseil donné sciemment
ou inconsciemment pour le faire pécher en donnant un mauvais exemple aux
sujets de son père et une infinie douleur à son père, il répondit :
"Non. Je fais ce que veut mon père. Je suis son code. D'être fils du roi
ne m'exempt pas d'être le plus fidèle de ses sujets pour observer la Loi.
Vous qui me haïssez et voulez m'effrayer, sachez que rien ne me fera violer
la Loi. Vous qui m'aimez et voulez me sauver, sachez que je vous bénis pour
votre intention, mais sachez aussi que votre amour et l'amour que je vous
porte, car vous m'êtes plus fidèles que ceux qui se disent 'sages', ne doit
pas me rendre injuste dans mon devoir envers le plus grand amour qui est
celui qu'il faut donner à mon père".
Voilà la parabole, mes fils. Et elle est si claire que chacun de vous peut
l'avoir comprise. Et chez les esprits justes il ne peut s'élever qu'une seule
voix : "Il est vraiment le juste car aucun conseil humain ne peut
l'entraîner sur la voie de l'erreur".
Oui, fils de Sichem, rien ne peut m'induire en erreur. Malheur si je tombais
dans l'erreur ! Malheur à Moi et malheur à vous. Au lieu d'être votre
Sauveur, je serais pour vous un traître, et vous auriez raison de me haïr.
Mais je ne le ferai pas. Je ne vous reproche pas d'avoir accepté des
suggestions et pensé à des mesures contraires à la justice. Vous n'êtes pas
coupables puisque vous l'avez fait par esprit d'amour, mais je vous dis ce
que je vous ai dit au commencement et à la fin, je vous le dis à vous : vous
m'êtes plus chers que si vous étiez les fils de mes entrailles, car vous êtes
les fils de mon esprit. Votre esprit, je l'ai amené à la Vie, et je le ferai
encore plus.
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297> Sachez, et que ce soit votre souvenir de Moi, sachez que
je vous bénis pour la pensée que vous avez eue dans le cœur. Mais grandissez
dans la justice, en voulant seulement ce qui honore le vrai Dieu pour qui il
faut avoir un amour absolu qu'on ne doit donner à aucune autre créature.
Venez à cette parfaite justice dont je vous donne l'exemple, une justice qui
foule aux pieds les égoïsmes du propre bien-être, la peur des ennemis et de
la mort, qui piétine tout, pour faire la volonté de Dieu.
Préparez votre esprit. L'aube de la Grâce se lève, le banquet de la Grâce
s'apprête. Vos âmes, les âmes de ceux qui veulent venir à la Vérité, sont à
la veille de leurs noces, de leur libération, de leur rédemption.
Préparez-vous, dans la justice, à la fête de la Justice."
Jésus fait signe aux parents des enfants, qui sont près d'eux, d'entrer dans
la maison avec Lui et il se retire après avoir pris dans ses bras les trois
enfants, comme au début.
Sur la place se croisent les commentaires, très divers. Les meilleurs disent
: "Il a raison. Nous avons été trahis par ces faux envoyés."
Les moins bons disent : "Mais alors il ne devait pas nous flatter. Il
nous fait haïr encore plus. Il nous a bernés. C'est un vrai juif."
"Vous ne pouvez pas le dire. Nos pauvres connaissent ses secours, nos
malades sa puissance, nos orphelins sa bonté. Nous ne pouvons pas prétendre
qu'il pèche pour nous faire plaisir."
"Il a déjà péché car il nous a haïs en nous faisant haïr..."
"Et par qui ?"
"Par tout le monde. Il nous a bernés. Oui, il nous a bernés."
Les opinions diverses remplissent la place, mais elles ne troublent pas
l'intérieur de la maison où Jésus se trouve avec les notables, les enfants et
leurs parents.
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