Vision du samedi 8
septembre 1951 (Nativité de la Vierge).
487> 643.1 -
C’est l’aube, une claire aube d’été. Marie,
avec son fidèle Jean,
sort de la petite maison du Gethsémani
et marche promptement à travers l’oliveraie silencieuse et déserte. Seul
quelque chant d’oiseau et le pépiement des petits dans les nids rompent le
grand silence de l’endroit. Marie se dirige avec assurance vers le rocher de
l’Agonie. Elle s’agenouille contre lui, dépose un baiser là où de fines
lézardes du rocher présentent encore des traces rouge rouille du Sang de Jésus, qui a pénétré dans les fissures et
s’y est coagulé. Elle les caresse comme si elle caressait son Fils ou quelque
chose de Lui.
Jean, debout derrière elle, l’observe et pleure sans bruit, essuyant
rapidement ses yeux quand Marie se relève; il l’aide à le faire et le fait
avec tant d’amour, de vénération et de pitié.
643.2 -
Marie descend maintenant vers l’endroit où on s’empara de Jésus. Elle s’y
agenouille aussi et se penche pour baiser la terre après avoir demandé à Jean
:
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488> "Est-ce bien l’endroit du baiser
horrible et infâme qui a contaminé ce lieu
plus encore que n’a souillé le Paradis terrestre le colloque infâme et
corrupteur du Serpent avec Ève ?"
Puis elle se dresse pour dire : "Mais
moi je ne suis pas Ève. Je suis la Femme
de l’Ave. J’ai retourné les choses. Ève a
jeté dans la boue horrible ce qui était chose du Ciel. Moi, j’ai tout accepté
: incompréhensions, critiques, soupçons, douleurs — que de douleurs et de
toutes sortes, avant la suprême douleur — pour relever de la fange souillée
ce que Ève et Adam y avaient jeté, et le relever vers le Ciel. À moi le démon
n’a pu parler bien qu’il l’ait essayé, comme il l’a essayé avec mon Fils,
pour détruire définitivement le dessein rédempteur. Avec moi il n’a pu parler
car j’ai fermé mes oreilles et mes yeux à sa vue et à sa voix, et surtout
j’ai fermé mon cœur et mon esprit contre tout assaut de ce qui n’est pas
saint et pur. Mon moi limpide, mais que comme un pur diamant on ne
peut rayer, ne s’est ouvert qu’à l’Ange annonciateur. Mes oreilles n’ont
écouté que cette voix spirituelle, et ainsi j’ai réparé, réédifié ce que Ève
avait lézardé et détruit. Je suis la Femme de l’Ave et du Fiat. J’ai rétabli
l’ordre bouleversé par Ève. Et maintenant je puis enlever et laver par mon
baiser et mes pleurs l’empreinte de ce baiser maudit et de cette
contamination, la plus grande de toutes car elle n’a pas été faite par une
créature à une créature, mais par une créature à son Maître et Ami, à son
Créateur et Dieu."
643.3 -
Puis elle se dirige vers la grille que Jean ouvre. Ils sortent ensemble du
Gethsémani, descendent le Cédron, franchissent le petit pont, et là aussi
Marie s’agenouille pour baiser la rustique balustrade du pont, à l’endroit où
y était tombé son Fils. Elle dit : "Tout endroit m’est sacré, où Lui a
souffert les suprêmes douleurs et outrages. Je voudrais avoir tout dans ma
petite maison, mais on ne peut tout avoir !" Elle soupire, puis ajoute :
"Allons vite, avant que les gens ne circulent."
Et avec Jean elle reprend la marche.
643.4 -
Elle n’entre pas dans la ville. Elle côtoie la vallée d’Hinnon
et les cavernes où vivent les lépreux. Elle lève les yeux vers ces antres de
douleur. Elle fait un signe à Jean, qui met tout de suite sur un rocher des
vivres qu’il avait dans un sac, en jetant en même temps un cri d’appel.
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489> Des lépreux se présentent et
viennent vers le rocher en remerciant. Mais personne ne demande la guérison.
Marie le remarque et elle dit :
"Ils savent que Lui n’est plus et, frappés comme ils sont restés à cause
de sa mort horrible, ils ne savent plus avoir foi en Lui, ni en ses
disciples. Deux fois malheureux ! Deux fois lépreux ! Deux fois ? Non, plutôt totalement malheureux,
lépreux, morts ! Sur la Terre et dans l’autre monde."
"Mère, veux-tu que j’essaie de leur parler ?"
"C’est inutile ! Ils y ont essayé Pierre, Jude d’Alphée,
Simon le Zélote...
Ils se sont moqués d’eux. Marie de Lazare
est venue. Elle les secourt toujours en souvenir de Jésus et ils se sont
moqués d’elle aussi. Lazare lui-même y est allé, et avec Joseph et Nicodème,
pour les persuader que Lui était le Christ en leur racontant sa résurrection,
opérée par Jésus, après quatre jours au tombeau et celle de l’Homme-Dieu par
son propre pouvoir, et son Ascension. Tout a été inutile. Ils ont répondu :
“Ce sont des mensonges. C’est ce que disent ceux qui savent la vérité"
"Et eux sont certainement les pharisiens et les prêtres. Ce sont eux qui
travaillent pour abattre la foi en Lui. J’en suis sûr que ce sont eux !"
"C’est possible, Jean. Ce qui est
certain, c’est que les lépreux qui ne se sont pas convertis auparavant, même
pas devant les miracles de Jésus, ne se convertiront plus, jamais plus. Signe
et symbole de tous ceux qui, au cours des siècles, ne se convertiront pas au Christ
et seront, par leur libre volonté, atteints par la lèpre du péché, morts à la
Grâce qui est Vie, symbole de tous ceux pour lesquels Lui est mort
inutilement... Et de cette manière !..." et elle pleure paisiblement,
sans sanglots, mais avec un vrai déluge de larmes.
643.5 -
Jean la prend par un bras quand Marie, pour cacher ses pleurs à des passants
qui l’observent, se couvre le visage avec son voile. Jean, en la conduisant
affectueusement, lui dit :
"Est-il possible que tes pleurs, tes prières, ton, ou plutôt votre amour
pour tous les hommes, le vôtre parce que le tien est actif comme est actif,
parfaitement actif, celui de Jésus glorieux au Ciel, est-il possible que
votre douleur, la tienne à cause de la surdité des hommes, la sienne à cause
de l’obstination dans le péché d’un trop grand nombre, ne donnent pas de
fruits ?
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490> Espère, ô Mère ! Les hommes t’ont
donné beaucoup de douleur et t’en donneront encore, mais ils te donneront
aussi amour et joie. Qui ne t’aimera pas quand il te connaîtra ? Maintenant
tu es ici, ignorée, inconnue du monde. Mais quand la Terre saura, parce que
devenue chrétienne, combien d’amour viendra vers toi ! J’en suis sûr, ô Mère
sainte."
643.6 -
Le Golgotha désormais est proche, et plus proche encore le jardin de Joseph.
Quand ils arrivent à ce dernier, Marie n’y entre pas. Elle va d’abord au
Golgotha et dans les endroits marqués par des épisodes particuliers durant la
Passion, c’est-à-dire aux endroits des chutes, de la rencontre avec Nikê, et avec elle-même, elle s’agenouille
et baise le sol.
Arrivée au sommet, ses baisers se multiplient sur le lieu de la Crucifixion.
Baisers et larmes, les premiers presque convulsifs, les secondes calmes, mais
serrées comme la pluie, tombent sur la terre jaunâtre, baignant cette dernière
et accentuant sa couleur jaunâtre. Une petite plante a poussé justement là où
la terre a été remuée pour y planter la Croix, une humble petite plante de
pré, aux feuilles en forme de cœur, aux fleurettes rouges comme des rubis .
Marie la regarde, réfléchit, puis délicatement l’enlève du sol en même temps
qu’un peu de terreau et la met dans un pli de son manteau en disant à Jean :
"Je vais la mettre dans un vase. On dirait son Sang, et elle a poussé
sur la terre rougie par son Sang. C’est certainement une semence apportée par
le tourbillon de ce jour-là, venue qui sait d’où, tombée là qui sait
pourquoi, pour pousser des racines dans la poussière fécondée par ce Sang.
S’il pouvait en être ainsi pour toutes les âmes ! Pourquoi le plus grand
nombre d’entre elles sont-elles plus rétives que la terre aride et maudite du
Golgotha, lieu de supplice pour les larrons et les meurtriers, et du déicide
de tout un peuple ? Maudite ? Non. Lui a sanctifié cette poussière. Maudits
par Dieu sont ceux qui ont fait de cette colline le lieu du crime le plus
horrible, injuste, sacrilège qu’aura jamais vu la Terre." Maintenant ses
sanglots se mêlent à ses larmes.
Jean entoure de son bras ses épaules pour lui faire sentir tout son amour et
lui persuader de quitter cet endroit, trop douloureux pour elle.
643.7 -
Ils descendent de nouveau au pied de la colline. Ils entrent dans le jardin
de Joseph. Le Tombeau montre son intérieur avec sa large ouverture, qui n’est
plus fermée par la pierre, qui git encore dans l’herbe, renversée sur le sol.
L’intérieur est vide.
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491> Toute trace de la Déposition et de
la Résurrection est disparue. On dirait un tombeau qui n’a jamais servi.
Marie baise la pierre de l’Onction, caresse les murs du regard. Puis elle
demande à Jean : "Répète-moi une autre fois comment tu as trouvé les
choses ici, quand tu
es venu dans ce lieu avec Pierre, à l’aurore de la
Résurrection."
Et Jean commence à décrire, en se déplaçant ici et là, à l’extérieur et à
l’intérieur du Tombeau, comment étaient les choses, et ce qu’ils ont fait lui
et Pierre, et il termine en disant :
"Nous aurions dû retirer les linges, mais nous étions tellement secoués
par tous les événements de ce jour que nous n’y avons pas pensé. Quand nous
sommes revenus ici, il n’y avait plus de linges."
"Ceux du Temple les auront pris pour
les profaner" dit Marie toute en larmes en l’interrompant. Et elle
conclut : "Même Marie de Magdala n’a pas pensé qu’il
était bien de les enlever pour me les donner. Elle était trop
troublée."
"Le Temple ? Non. Je pense que Joseph les a pris."
"Il me l’aurait dit... Oh ! pour un dernier affront les ennemis de Jésus
les auront pris !" dit Marie en gémissant.
"Ne pleure plus, ne souffre plus. Lui désormais est dans la gloire, dans
l’amour parfait et infini. La haine et le mépris ne peuvent plus le
frapper."
"C’est vrai, mais ces linges..."
"Ils te donneraient de la douleur, comme t’en donne le premier Linceul,
que tu n’as pas la force de déplier car, outre les traces de son Sang, il
porte celles des choses immondes jetées sur ce corps très Saint."
"Celui-là, oui. Mais ces linges, non. Ils ont absorbé ce qui suintait de
Lui, alors qu’il ne souffrait plus... Oh ! tu ne peux comprendre !"
"Je comprends, Mère. Mais je croyais que toi, qui certainement n’es pas
séparée de Lui Dieu, comme nous le sommes, et plus encore comme le sont les
simples croyants en Lui, tu ne ressentais si fortement le désir et même le
besoin d’avoir quelque chose de Lui, Homme torturé. Pardonne ma sottise.
Viens... Nous reviendrons encore ici. Maintenant partons car le soleil monte
de plus en plus, et il est fort, et le chemin est long pour nous qui devons
éviter la ville."
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