Vision sans date.
179> 612.7 – La lamentation de la Vierge .
"Jésus ! Jésus ! Où es-tu ? M'entends-tu encore ? L'entends-tu ta pauvre
Maman qui crie, en ce moment, ton Nom saint et béni, après l'avoir gardé dans
son cœur pendant tant d'heures ? Ton Nom saint, qui a été mon amour, l'amour
de mes lèvres qui goûtaient une saveur de miel en disant ton Nom, de mes
lèvres qui maintenant, au contraire, semblent en le disant boire l'amertume
qui est restée sur tes lèvres, l'amertume de l'atroce mixture...
180> Ton Nom, amour de mon cœur qui se
gonflait de joie quand il le disait, comme il s'était dilaté pour transvaser
son sang et t'accueillir et t'en revêtir quand tu es descendu du Ciel
vers moi, si petit, si minuscule, que tu aurais pu poser dans le calice de la
menthe sauvage. Toi, si grand, Toi, le Puissant anéanti dans un germe d'homme
pour le salut du monde. Ton Nom, douleur de mon cœur, maintenant qu'il est
arraché aux caresses de ta Maman pour te jeter dans les bras des bourreaux
qui t'ont torturé jusqu'à te faire mourir.
J'ai le cœur broyé par ce Nom que j'ai dû renfermer pendant tant d'heures et
dont le cri augmentait à mesure que croissait ta douleur, jusqu'à l'abattre,
comme une chose piétinée par le pied d'un géant. Oh ! oui, ma douleur est
gigantesque, elle m'écrase, me broie et il n'est rien qui puisse la soulager.
À qui je dis ton Nom ? Rien ne répond à mon cri. Même si je hurlais jusqu'à
fendre la pierre qui ferme ton tombeau, tu ne l'entendrais pas puisque tu es
mort. Ne l'entends-tu plus ta Maman ?
612.8 – Que
de fois ne t'ai-je pas appelé, pendant ces trente-quatre ans ,
ô mon Fils ! Du moment où j'ai su que je devais être Mère, et que mon petit
se serait appelé "Jésus !". Tu n'étais pas né et moi, en caressant
le sein où tu grandissais, je t'appelais doucement : "Jésus !" et
il me semblait que tu remuais pour me dire : "Maman !".
Je te donnais déjà une voix, je la rêvais déjà, ta voix. Je l'entendais avant
qu'elle existât. Et quand je l'ai entendue, faible comme celle d'un agnelet
qui vient de naître, qui tremblait dans la nuit froide où tu es né, j'ai
connu l'abîme de la joie... et je croyais avoir connu l'abîme de la douleur
parce que c'étaient les pleurs de mon Enfant qui avait froid, qui était mal à
l'aise, qui versait ses premières larmes de Rédempteur et que je n'avais pas
de feu ni de berceau et que je ne pouvais souffrir à ta place, Jésus. Je
n'avais que mon sein comme feu et oreiller, et mon amour pour t'adorer, mon
Fils saint.
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de page.
181> Je croyais avoir
connu l'abîme de la douleur... c'était l'aube de cette douleur, c'en était le
bord. Maintenant, c'en est le midi. Maintenant c'est le fond. C'est l'abîme
ce que je touche maintenant, après y être descendue en ces trente-quatre
années, bousculée par tant de choses et prostrée, aujourd'hui, sur le fond
horrible de ta Croix.
Quand tu étais petit je te berçais en chantant : "Jésus ! Jésus !"
Quelle harmonie plus sainte et plus belle que ce Nom qui fait sourire les
anges au Ciel ? Pour moi, il était plus beau que le chant, si doux, des anges
dans la nuit de ta Naissance. J'y voyais à l'intérieur le Ciel, c'était le
Ciel entier que je voyais à travers ce Nom. Et maintenant, en le disant à Toi
qui es mort et qui ne m'entends pas, et ne me réponds pas, comme si tu
n'avais jamais existé, je vois l'Enfer, tout l'Enfer. Voilà : je comprends
maintenant ce que veut dire être damné. C'est ne plus pouvoir dire :
"Jésus !" Horreur ! Horreur ! Horreur !...
612.9 – Combien
durera cet enfer pour ta Maman ? Tu as dit : "En trois jours, je
réédifierai ce Temple". C'est tout aujourd'hui que je me répète ces
paroles que tu as dites, pour ne pas tomber tuée, pour être prête à te saluer
à ton retour, et te servir encore... Mais comment pourrai-je te savoir mort,
pendant trois jours ? Trois jours dans la mort, Toi, Toi, ma Vie ?
Mais comment, Toi qui sais tout, puisque tu es la Sagesse infinie, ne la
connais-tu pas la douleur de ta Maman ? Ne peux-tu te l'imaginer en te
rappelant quand je t'ai perdu à Jérusalem et que tu m'as vu fendre la foule
qui était autour de Toi, avec le visage d'un naufragé qui touche le rivage
après une si longue lutte avec l'eau et la mort, avec le visage d'une femme
qui sort d'une torture, épuisée, ayant perdu son sang, vieillie, brisée ? Et
alors je pouvais penser que tu étais seulement perdu. Je pouvais avoir
l'illusion qu'il en était seulement ainsi. Aujourd'hui, non. Aujourd'hui,
non. Je le sais que tu es mort. L'illusion n'est pas possible. Je t'ai vu tuer. Même si la douleur me
le faisait oublier, voici ton Sang sur mon voile, qui me dit : "Il est
mort ! Il n'a plus de sang ! Celui-ci est le dernier sorti de son Cœur
!" De son Cœur ! Du cœur de mon Enfant, de mon Fils ! De mon Jésus ! Oh
! Dieu ! Dieu de pitié, ne me fais pas souvenir qu'on Lui a ouvert le Cœur...
612.10 – Jésus,
je ne puis rester seule ici pendant
que tu es seul là-bas. Moi qui n'ai
jamais aimé les chemins du monde et les foules, et tu le sais, depuis que tu
as quitté Nazareth, je t'ai suivi de plus en plus, pour ne pas vivre loin de
Toi.
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182> J'ai affronté la curiosité et les
mépris, je ne compte pas les fatigues parce qu'elles ne
comptaient pour rien quand je te voyais, pour vivre où tu étais. Et
maintenant, je suis ici seule, et tu es là-bas seul. Pourquoi ne m'ont-ils
pas laissé dans ton tombeau ? Je me serais assise près de ton lit glacé, en
tenant une de tes mains dans les miennes, pour te faire sentir que j'étais
près de Toi... Non, pour sentir que tu étais près de moi. Tu ne sens plus
rien. Tu es mort !
Que de fois j'ai passé les nuits près de ton berceau, en priant, en aimant,
en me délectant de Toi. Veux-tu que je te dise comment tu dormais, avec les
petits poings clos comme deux boutons de fleur près de ton petit visage saint
? Veux-tu que je te dise comment tu souriais dans ton sommeil et comment, en
te rappelant certainement le lait de la Maman, tu faisais en donnant le geste
de sucer ? Veux-tu que je te dise comment tu t'éveillais et ouvrais tes
petits yeux et riais, en me voyant penchée sur ton visage et comment tu
tendais joyeusement tes menottes, impatient que je te prenne, et comment,
avec un petit cri doux comme le trille d'une fauvette, tu réclamais ta
nourriture ? Oh ! que j'étais heureuse quand tu t'attachais à mon sein et que
je sentais la tiédeur lisse de tes joues, les caresses de tes menottes à ma
mamelle !
Tu ne savais pas rester seul sans ta Maman. Et maintenant, tu es seul !
Pardonne-moi, Fils, de t'avoir laissé seul, de ne m'être pas révoltée pour la
première fois de ma vie et d'avoir voulu rester là. C'était ma place. Je me
serais sentie moins désolée si j'avais été près de ton lit funèbre, pour
arranger les langes comme autrefois et les changer... Même si tu n'avais pu
me sourire et me parler, il m'aurait semblé t'avoir, de nouveau, petit. Je
t'aurais accueilli sur mon cœur pour ne pas te faire sentir la froideur de la
pierre, la dureté du marbre. Ne t'ai-je pas tenu aujourd'hui même ? Le sein
d'une mère est toujours capable d'accueillir un fils, même s'il est homme. Le
fils est toujours un enfant pour sa maman, même s'il est déposé de la croix,
couvert de plaies et de blessures.
612.11 – Combien ! Combien de blessures !
Que de douleur ! Oh ! mon Jésus, mon Jésus si durement blessé ! Ainsi blessé
! Ainsi tué ! Non. Non. Seigneur, non ! Ce ne peut être vrai ! Je suis folle
! Jésus mort ? Je délire. Jésus ne peut mourir ! Souffrir, oui. Mourir, non.
Lui est la Vie ! Lui est le Fils de Dieu. Il est Dieu. Dieu ne meurt pas.
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183> Il ne meurt pas ? Et alors
pourquoi s'est-il appelé "Jésus" ? Que veut dire "Jésus"
? Cela veut dire... oh ! cela veut dire : "Sauveur" ! Il est mort !
Il est mort parce qu'il est le Sauveur. Il a dû sauver tous les hommes, en se
perdant Lui-même... Je ne délire pas, non. Je ne suis pas folle.
Non. Si je l'étais ! Je souffrirais moins ! Il est mort. Voici son Sang.
Voici sa couronne. Voici les trois clous : c'est avec ceux-ci qu'ils l'ont
transpercé !
Hommes, regardez avec quoi vous avez transpercé Dieu, mon Fils ! Et je
dois vous pardonner et je dois vous aimer. Parce que Lui vous a pardonné,
parce que Lui m'a dit de vous aimer ! Il m'a fait votre Mère, Mère des
assassins de mon Enfant ! Une de ses dernières paroles, en luttant contre le
râle de l'agonie... "Mère, voici ton fils... tes fils". Même si je
n'avais pas été Celle qui obéit, j'aurais dû obéir aujourd'hui, car c'était
le commandement d'un mourant.
Voici. Voici. Jésus, je pardonne, je les aime. Ah ! mon cœur se brise dans ce
pardon, dans cet amour ! Entends-tu que je leur pardonne et les aime ? Je
prie pour eux. Voilà : je prie pour eux... Je ferme les yeux pour ne pas voir
ces objets de ta torture pour pouvoir leur pardonner, pour pouvoir les
aimer, pour pouvoir prier pour eux. Chaque clou sert à crucifier de ma part
toute volonté de ne pas pardonner, de ne pas aimer, de ne pas prier pour tes
bourreaux.
612.12 – Je
dois, je veux penser que je suis
près de ton berceau. Alors je priais aussi pour les hommes, mais alors
c'était facile. Tu étais vivant et moi, bien que je jugeais les hommes
cruels, je n'arrivais jamais à penser qu'ils puissent l'être autant pour Toi,
qui les avais outre mesure comblés de bienfaits. Je priais, convaincue que ta
Parole les aurait rendus bons. En mon cœur, je leur disais en les regardant :
"Vous êtes mauvais, malades, maintenant, frères. Mais d'ici peu il
parlera, mais d'ici peu Lui vaincra en vous Satan. Il vous donnera la vie
perdue !" La vie perdue ! C'est Toi, Toi, Toi qui l'as perdue la vie,
pour eux. Mon Jésus !
Quand tu étais dans les langes, si j'avais
pu voir l'horreur de ce jour, mon doux lait se serait changé en poison à
cause de la douleur ! Siméon l'a dit : "Une épée te transpercera le
cœur". Une épée ? Une forêt d'épées ! Combien de blessures ils t'ont
fait, Fils ? Combien de gémissements tu as poussés ? Combien de spasmes ?
Combien de gouttes de sang tu as versées ? Eh bien, chacune est une épée pour
moi. Je suis une forêt d'épées. En Toi, il n'en est pas une partie de la peau
qui ne soit une plaie. En moi, il n'en est pas qui ne soit transpercée. Elles
transpercent mes chairs et pénètrent dans le cœur.
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184> 612.13 – Quand j'attendais ta naissance, je
te préparais les langes et les linges en filant le plus beau lin de la Terre.
Je n'ai pas regardé au prix pour posséder l'étoffe la plus lisse. Comme tu
étais beau dans les langes de ta Maman ! Tous me disaient
: "Il est beau, ton enfant, Femme !" Tu étais beau ! De la
blancheur du lin ressortait ta petite figure rosé. Tu avais deux yeux plus
bleus que le ciel, et ta petite tète semblait enveloppé d'un nuage d'or tant
tes cheveux étaient blonds et soyeux. Ils sentaient la fleur d'amandier à
peine ouverte. On croyait que je te parfumais. Non, mon trésor n'avait que le
parfum des langes lavés par sa Maman, réchauffés, baisés par son cœur et par
ses lèvres. Je n'étais jamais lasse de travailler pour Toi.
Et maintenant ? Je n'ai plus rien à faire pour Toi. Depuis trois ans tu étais
loin de la maison, mais tu étais encore le but de mes journées. Penser à Toi.
À tes vêtements. À ta nourriture : pétrir la farine et en faire du pain,
soigner les abeilles pour te donner le miel, veiller sur les arbres pour
qu'ils te donnent des fruits. Comme tu les aimais les choses que te portait
ta Maman ! Aucun mets de table riche, aucun vêtement d'étoffe précieuse
n'étaient pour Toi comme ces tissus cousus, soignés, préparés par les mains
de ta Maman. Quand j'allais te voir, tu regardais tout de suite mes mains,
comme quand tu étais tout petit et que Joseph et moi, nous te donnions nos
pauvres dons pour te faire sentir que tu étais notre Roi. Tu n'as jamais été
gourmand, mon Enfant, mais c'était l'amour que tu cherchais, c'était cela ta
nourriture et dans nos soins tu le trouvais. Maintenant aussi, c'était ce que
tu trouvais, ce que tu cherchais, mon pauvre Fils, si peu aimé du
monde !
Maintenant, plus rien. Tout est accompli. Ta Maman ne fera plus rien pour
Toi. Tu n'as plus besoin de rien... Maintenant tu es seul... Et moi, je suis
seule... Oh ! heureux Joseph, qui n'a pas vu ce jour. Si moi aussi je n'avais
plus été là ! Mais alors tu n'aurais pas eu même ce réconfort de voir ta
pauvre Maman. Tu aurais été seul sur la croix, comme tu es seul dans le
tombeau, seul avec tes blessures.
612.14 – Oh ! Dieu ! Dieu, que de blessures
a ton Fils, mon Fils ! Comment ai-je pu les voir sans mourir, moi qui
m'évanouissais quand tout petit tu te faisais mal ?
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185> Une fois tu es tombé dans le jardin de
Nazareth et tu t'es blessé le front : quelques gouttes de sang. Mais moi, qui
m'étais sentie mourir en voyant des gouttes de ton sang à la Circoncision —
en effet Joseph dut me soutenir car je tremblais comme quelqu'un qui meurt —
il me semblait que cette blessure minuscule devait te tuer, et c'est plus
avec mes larmes qu'avec l'eau et l'huile que je l'ai soignée et je ne me suis
rassurée, que quand elle n'a plus donné de sang. Une autre fois, tu apprenais
à travailler, et tu t'es blessé avec la scie. Une petite blessure.
Mais c'était comme si la scie m'avait coupée en deux. Je n'ai eu de repos que
quand, six jours après, j'ai vu ta main guérie.
Et maintenant ? Et maintenant ? Maintenant tu as les mains, les pieds,
le côté ouvert, maintenant ta chair tombe en lambeaux et ton visage est
couvert de contusions. Ce visage que je n'osais effleurer d'un baiser. Ton
front et ta nuque sont couverts de plaies et personne ne t'a donné de remède
et de réconfort.
612.15 – Regarde
mon cœur, ô Dieu qui m'as frappée dans mon Enfant ! Regarde-le ! N'est-il pas
couvert de plaies comme le Corps de Celui qui es mon Fils et le tien ? Les
coups de fouets sont tombés sur moi comme une grêle pendant qu'on le
frappait. Qu'est la distance pour l'amour ? J'ai souffert les tortures de mon
Fils ! Que ne les ai-je souffertes moi seule ! Que n'ai-je été moi sur la
pierre du tombeau ! Regarde-moi, ô Dieu ! Mon cœur ne suinte-t-il pas le sang
? Voici le cercle des épines, je le sens. C'est une bande qui me serre et me
transperce. Voici le trou des clous: trois stylets fixés dans mon cœur.
Oh ! ces coups ! Ces coups ! Comment le ciel
ne s'est-il pas écroulé à cause de ces coups sacrilèges dans la chair de Dieu
? Et ne pouvoir crier ! Ne pouvoir m'élancer pour arracher l'arme aux
assassins et m'en faire une défense pour mon Enfant mourant. Mais devoir les
entendre, entendre et ne rien faire ! Un coup sur le clou, et le clou entre
dans les chairs vivantes. Un autre coup, et il entre encore davantage. Un
autre et un autre et les os et les nerfs se brisent, et voilà transpercée la
chair de mon Enfant et le cœur de sa Maman.
Et quand ils t'ont élevé sur la Croix ? Combien tu dois avoir souffert, Fils
Saint ! Je vois encore ta main se déchirer dans la secousse de la chute. J'ai
le cœur déchiré comme elle. Je suis contusionnée, flagellée, piquée, frappée,
transpercée comme Toi. Je n'étais pas avec Toi sur la croix, mais regarde-la,
ta Maman !
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186> Est-elle différente de Toi ? Non. Il
n'y a pas de différence de martyre. Et même le tien est fini, le mien dure
encore. Tu n'entends plus les accusations menteuses, moi je les entends. Tu
n'entends plus les blasphèmes horribles, moi je les entends encore. Tu ne
sens plus la morsure des épines et des clous, ni la soif et la fièvre. Je
suis pleine de pointes de feu et je suis comme quelqu'un qui meurt brûlé et
délirant.
612.16 – Si
du moins ils m'avaient laissé te donner une goutte d'eau ! Mes larmes, si la
férocité des hommes refusait au Créateur l'eau créée par Lui. Je t'ai donné
tant de lait, parce que nous étions pauvres, mon Fils, et dans la fuite en
Égypte nous avions tant perdu, et nous avions dû nous
refaire un toit, des meubles, sans compter les vêtements et la nourriture, et
nous ne savions pas combien l'exil aurait duré, ni ce que nous aurions trouvé
en revenant au pays. Je t'ai donné du lait au-delà du temps habituel pour que
tu ne sentes pas le manque de nourriture. Jusqu'au moment où nous eûmes la
chevrette, c'est moi qui fus ta chevrette, enfant de ta Maman. Tu avais déjà
tant de dents et tu mordais... Oh ! joie de te voir rire dans tes jeux
enfantins !...
Tu voulais marcher. Tu étais si sain et si fort. Moi je te soutenais pendant
des heures et des heures, et je ne sentais pas se briser mes reins en restant
penchée sur Toi, qui faisais tes petits pas et tu disais à chaque pas:
"Maman !", "Maman !". Oh ! béatitude de s'entendre
chanter ce nom !
Tu le disais aussi aujourd'hui : "Maman, Maman !" Mais ta Maman ne
pouvait que te voir mourir. Je ne pouvais même pas caresser tes pieds ! Tes
pieds ? Oh ! même s'ils avaient été à portée de ma main, je n'aurais pu les
toucher pour ne pas accroître ton tourment. Comme ils devaient souffrir tes
pauvres pieds, ô mon Jésus ! Si j'avais pu monter jusqu'à Toi, et me mettre
entre le bois et ton Corps, et t'empêcher de heurter contre le bois dans les
convulsions de l'agonie ! Je l'entends encore ta tête frapper le bois dans
les derniers sursauts. Et ce bruit, ce bruit me rend folle. C'est comme si
j'avais un marteau dans la tête.
Reviens, reviens, cher Fils, Fils saint ! Je meurs. Je ne puis me faire à
cette désolation qu'est la mienne. Montre-moi de nouveau ton visage.
Appelle-moi encore. Je ne puis penser que tu es sans voix, sans
regard, dépouille froide et sans vie !
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187> Oh ! Père, secours-moi. Jésus ne
m'entend pas ! La Passion n'est-elle pas finie ? Tout n'est-il pas accompli ?
Ne suffisent-ils pas ces clous, ces épines, ce sang, ces larmes ? Faut-il
encore autre chose pour guérir l'homme ?
612.17 – Père,
je te nomme les instruments de sa douleur et mes pleurs. Mais ceci est ce
qu'il y a de moindre. Ce qui l'a fait mourir dans une angoisse surhumaine, a
été ton abandon. Ce qui me fait crier, c'est ton abandon. Je ne t'entends
plus. Où es-tu, Père saint ? J'étais "la Pleine de Grâce". L'Ange l'a dit : "Salut, Marie,
pleine de Grâce, le Seigneur est avec toi, et tu es bénie entre toutes les
femmes".
Non. Ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas vrai ! Je suis comme quelqu'une qui est
maudite par Toi à cause de son péché. Tu n'es plus avec moi. La grâce s'est
retirée, comme si moi j'étais une seconde Ève pécheresse. Mais moi, je t'ai
toujours été fidèle. En quoi t'ai-je déplu ? Tu as fait de moi ce qui t'a
semblé bon et je t'ai toujours dit : "Oui, Père, je suis prête".
Les anges peuvent-ils donc mentir ? Et Anne , qui m'a assuré
que Tu m'aurais donné ton ange à l'heure de la douleur ? Je suis seule. Je ne
trouve plus grâce à tes yeux, je ne te possède plus Toi, Grâce, en moi. Je
n'ai plus d'Ange. Mentent-ils donc les Saints ? En quoi t'ai-je déplu, s'ils
mentent et si j'ai mérité cette heure ?
Et Jésus ? En quoi a-t-il manqué, ton Agneau pur et doux ? En quoi
t'avons-nous offensé, pour qu'en plus du martyre donné par les hommes, on
doive avoir la torture incalculable de ton abandon ? Lui, Lui, ensuite, qui
était ton Fils et qui t'appelait de cette voix qui a fait frissonner la Terre
et se secouer dans un sanglot de pitié ! Comment as-Tu pu le laisser seul en
tant de tourments ?
Pauvre Cœur de Jésus qui t'aimait tant ! Où est la marque de la blessure du
Cœur ? La voici. Regarde, Père, cette marque. Ici c'est l'empreinte de ma
main entrée dans la large blessure de la lance. Ici... Ici... Les pleurs, le
baiser de la Mère, qui a brûlé ses yeux et consumé ses lèvres par les pleurs
et les baisers, ne l'effacent pas. Ce signe crie et reproche. Ce signe, plus
que le sang d'Abel, crie vers Toi de la Terre.
Haut de
page.
188> Or Toi, qui as maudit Caïn et as
exercé sur lui ta vengeance, Tu n'es pas intervenu pour mon Abel, déjà saigné
par ses Caïns, et Tu as permis le dernier outrage ! Tu lui as broyé le cœur
par ton abandon et Tu as laissé un homme le mettre à nu, pour que je le voie
et que j'en sois broyée. Mais de moi, il n'importe pas. C'est pour Lui, pour
Lui, que je fais cette demande et que je t'appelle pour que Tu répondes. Tu
ne devais pas... Tu ne devais pas...
612.18 – Oh
! Pardon, Père ! Pardon, Père Saint ! Pardonne à une Mère qui pleure son
Enfant... Il est mort ! Il est mort mon Fils ! Mort avec le cœur ouvert. Oh !
Père, Père, pitié ! Je t'aime ! Nous t'avons aimé et Tu nous as tant aimés !
Comment as-Tu permis que fût blessé le Cœur de notre Fils ? Oh ! Père !...
Pitié pour une pauvre femme. Je délire, Père. Je suis tienne, ton rien, j'ose
te faire des reproches ! Pitié ! Tu as été bon. La blessure, l'unique
blessure qui ne Lui a pas fait mal, c'est celle-là. Ton abandon a servi à le
faire mourir avant le coucher du soleil, pour Lui éviter d'autres tortures.
Tu as été bon. Tu fais tout dans un but de bonté. Nous sommes nous des
créatures qui ne comprenons pas. Tu as été bon. Tu as été bon. Dis-la, mon
âme, cette parole pour enlever la morsure de ta souffrance. Dieu est bon et
Il t'a toujours aimée, mon âme. Du berceau à cette heure, Il t'a toujours
aimée. Il t'a donné toute la joie du temps. Toute. Il t'a donné Lui-même. Il
a été bon, bon, bon. Merci, Seigneur, que tu sois béni pour ton infinie
bonté.
Merci, Jésus. Je te dis merci à Toi aussi !
Moi seule l'ai sentie dans mon cœur quand j'ai vu le tien ouvert. Maintenant ta
lance est dans le mien et elle fouille et déchire. Mais c'est mieux ainsi. Tu
ne la sens pas. Mais Jésus, pitié ! Un signe de Toi !
Une caresse, une parole pour ta pauvre Maman au cœur déchiré ! Un signe, un
signe, Jésus, si tu veux me trouver vivante à ton retour."
Le samedi 29 mars 1947.
612.19 – Un coup résolu à la porte fait
sursauter tout le monde. Le maître de maison fuit courageusement. Marie de Zébédée
voudrait que son fils le suive et elle pousse Jean vers la cour. Les autres,
sauf la Madeleine, se serrent l'une contre l'autre en gémissant. C'est Marie
de Magdala qui droite et courageuse va à la porte et demande :
"Qui frappe ?"
Haut
de page.
189> Une voix de femme répond :
"C'est Nikê. J'ai quelque chose à donner à la Mère.
Ouvrez ! Vite. La ronde fait son tour."
Jean, qui s'est dégagé de sa mère et est accouru près de la Madeleine,
s'affaire autour des multiples serrures tous bien en place ce soir. Il ouvre.
Nikê entre avec sa servante et un homme musclé qui l'accompagne. On ferme.
"J'ai une chose..." Nikê pleure et ne peut parler...
"Quoi ? Quoi ?"
Ils sont tous près d'elle, curieux.
"Sur le Calvaire... J'ai vu le Sauveur en cet état... J'avais préparé le
voile des reins pour qu'il ne se serve pas des chiffons des bourreaux... Mais
il était tout en sueur, avec du sang dans les yeux, et j'ai pensé le Lui
donner pour qu'il s'essuie. Et Lui l'a fait... Et il m'a rendu le voile. Je
ne m'en suis plus servie... Je voulais le garder comme relique avec sa sueur
et son sang. Et, voyant l'acharnement des juifs, après un moment, avec
Plautina et les autres romaines Lidia et Valeria ensemble, nous avons décidé
de revenir, craignant qu'ils nous enlèvent ce voile. Les romaines sont des
femmes viriles. Elles nous ont mises au milieu, la servante et moi, et elles
nous ont protégées. Il est vrai qu'elles sont une contamination pour
Israël... et qu'il est dangereux de toucher Plautina. Mais cela, on y pense
par temps calme. Aujourd'hui, ils étaient tous ivres... À la maison, j'ai
pleuré... pendant des heures... Puis est venu le tremblement de terre et je
me suis évanouie... Revenue à moi, j'ai voulu baiser ce voile et j'ai vu...
Oh !... Il y a dessus le visage du Rédempteur !... "
"Fais voir ! Fais voir !"
"Non. D'abord à la Mère. C'est son droit."
"Elle est tellement épuisée ! Elle ne résistera pas..."
"Oh ! ne dites pas cela ! Ce sera pour elle un réconfort, au contraire.
Avertissez-la !"
612.20 – Jean
frappe doucement à l'entrée.
"Qui est-ce ?"
"Moi, Mère, Dehors, il y a Nikê... Elle est venue de nuit... Elle t'a
apporté un souvenir... un cadeau... Elle espère te réconforter avec
cela."
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190> "Oh ! un seul cadeau peut me
réconforter ! Le sourire de son Visage..."
"Mère !"
Jean l'entoure de ses bras de peur qu'elle ne tombe et il dit, comme s'il
confiait le vrai Nom de Dieu :
"C'est lui. C'est le sourire de son Visage imprimé dans le voile avec
lequel Nikê l'a essuyé au Calvaire."
"Oh ! Père ! Dieu Très-Haut ! Fils Saint ! Éternel Amour ! Soyez bénis !
Le signe ! Le signe que je vous ai demandé ! Fais-la, fais-la entrer !"
Marie s'assoit car elle n'est plus maîtresse d'elle-même et, pendant que Jean
fait signe aux femmes qui guettent le passage de Nikê, Marie revient à elle.
Nikê entre et s'agenouille à ses pieds avec sa servante près d'elle. Jean
debout près de Marie, lui passe le bras derrière les épaules comme pour la
soutenir. Nikê ne dit pas un mot, mais elle ouvre le coffre, en tire le
voile, le déplie. Et le Visage de Jésus, le Visage vivant de Jésus, le Visage
douloureux et pourtant souriant de Jésus, regarde la Mère et lui sourit.
Marie pousse un cri d'amour douloureux et tend les bras. Les femmes lui font
écho de l'entrée où elles sont groupées, et l'imitent en s'agenouillant
devant le Visage du Sauveur.
Nikê ne trouve pas de parole. Elle passe le voile de ses mains aux mains
maternelles, et se penche ensuite pour en baiser le bord. Et puis elle sort à
reculons, sans attendre que Marie revienne de son extase.
Elle s'en va... Elle est déjà dehors dans la nuit quand on pense à elle... Il
ne reste qu'à fermer la porte comme elle était avant.
Marie est de nouveau seule dans un colloque d'âme avec l'image de son Fils
car tous se retirent de nouveau.
612.21 – Il
se passe un moment. Puis Marthe
dit :
"Comment ferons-nous pour les onguents ? Demain c'est le sabbat..."
"Et nous ne pourrons rien trouver..." dit Salomé.
"Et il faudrait le faire... Plusieurs livres d'aloès et de myrrhe...
mais il était si mal lavé..."
"Il faudrait que tout soit prêt pour l'aurore du premier jour après le
sabbat" observe Marie d'Alphée.
"Et les gardes ? Comment allons-nous faire ?" demande Suzanne.
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191> "Nous le dirons à Joseph
s'ils ne nous laissent pas entrer" répond Marthe.
"Nous ne pourrons déplacer la pierre."
La Madeleine
répond :
"Oh ! tu dis qu'à cinq nous ne pourrons pas ? Nous sommes toutes
robustes... et l'amour fait le reste."
"Et puis je viendrai avec vous" dit Jean.
"Non, toi vraiment pas. Je ne veux pas te perdre aussi, fils."
"Mais n'y pense pas. Nous suffirons."
"Mais en attendant... Qui nous donne les aromates ?"
Elles restent toutes accablées... Puis Marthe dit :
"Nous pouvions demander à Nikê si c'était vrai ce qu'on disait de Jeanne...
des soulèvements..."
"C'est vrai ! Mais nous sommes idiotes. Nous pouvions alors prendre
aussi les aromates. Isaac était sur le seuil de sa porte quand nous sommes
revenues...
612.22 – Dans le palais, il y a de nombreux
petits vases d'essences et il y a de l'encens fin. Je vais les prendre."
Et Marie-Madeleine se lève de sa place et elle met son manteau.
Marthe crie :
"Tu ne vas pas y aller."
"J'y vais."
"Tu es folle ! Ils vont te prendre !"
"Ta sœur a raison. N'y va pas !"
"Oh ! quelles femmelettes inutiles et criardes vous êtes ! En vérité
Jésus avait une belle troupe de suivantes ! Vous avez déjà épuisé votre
réserve de courage ? Pour moi, au contraire, plus j'en use et plus il m'en
vient."
"Moi, je vais aller avec elle. Je suis un homme."
"Et moi je suis ta mère et je te le défends."
"Sois tranquille, Marie Salomé, et toi aussi, Jean. Je vais seule. Je
n'ai pas peur. Je sais ce que c'est de courir dans les rues la nuit. Je l'ai
fait mille fois pour pécher... et je devrais craindre maintenant que je vais
pour servir le Fils de Dieu ?"
"Mais aujourd'hui la ville est en révolte. Tu as entendu l'homme."
"C'est un couard, et vous avec lui. J'y vais."
"Et si tu trouves les soldats ?"
"Je dirai : "Je suis la fille de Théophile, syrien, serviteur fidèle de
César". Et ils me laisseront aller, et puis... L'homme devant une femme
jeune et belle est un jouet plus inoffensif qu'un fétu de paille. Je le sais,
pour ma honte..."
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192> "Mais où veux-tu trouver des
parfums dans le palais puisqu'il n'est plus habité depuis des années ?"
"Tu le crois ? Oh ! Marthe ! Tu ne te souviens pas qu'Israël vous
obligea à le quitter parce que c'était un de mes lieux de rendez-vous avec
mes amants ? J'y avais tout ce qui servait à les rendre encore plus fous de
moi. Quand je fus sauvée par mon Sauveur, j'ai caché dans un endroit, connu
de moi seule, les albâtres et les encens dont je me servais pour mes orgies
d'amour. Et j'ai juré que ce serait uniquement les pleurs sur mon péché et
l'adoration de Jésus très saint qui auraient été les eaux parfumées et les
encens ardents de Marie repentie, et que des signes d'un culte profane des
sens et de la chair, j'aurais seulement usé pour les sanctifier sur Lui et
Lui donner l'onction. Maintenant c'est l'heure. J'y vais. Restez, et
tranquilles. Avec moi vient l'ange de Dieu et rien de mal ne m'arrivera.
Adieu. Je vous apporterai des nouvelles. Et à Elle ne dites rien... Cela
augmenterait son angoisse..."
Et Marie de Magdala sort sûre d'elle, imposante.
612.23 – Jean
prend alors la parole :
"Mère que cela soit pour toi un enseignement... et qu'il te dise de ne
pas faire que le monde dise que ton fils est un lâche. Demain, ou plutôt
aujourd'hui, car déjà est donnée la seconde veille, j'irai chercher les
compagnons comme elle le veut..."
"C'est le sabbat... tu ne peux pas..." objecte Salomé pour le
retenir.
"Le sabbat est mort" je le dis, moi aussi, avec Joseph.
L'ère nouvelle est commencée avec, en elle, d'autres lois, d'autres
sacrifices et d'autres cérémonies."
Marie Salomé baisse la tête sur ses genoux et elle pleure sans plus
protester.
"Oh ! avoir des nouvelles de Lazare !" gémit Marie de Cléophas.
"Si vous me laissez aller, vous les aurez. Car les compagnons, Simon le
cananéen en avait reçu l'ordre, ont été conduits chez lui, chez Lazare. Jésus
l'a dit à Simon en ma présence."
"Hélas ! Tous là ? Alors tous perdus !"
Marie de Cléophas et Salomé versent des pleurs de désolation.
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193> Il se passe du temps au milieu des
pleurs et des attentes.
612.24 – Puis
Marie-Madeleine revient triomphante, chargée de sacs pleins de vases
précieux.
"Vous voyez que rien n'est arrivé ? Voici des huiles de toutes espèces,
et du nard, et de l'oliban, et du benjoin. Pas de myrrhe ni d'aloès... Moi je
ne voulais pas d'amertumes... Je les bois toutes maintenant... Mais en
attendant nous mélangerons celles-ci et demain nous prendrons... oh ! en
payant, Isaac les donnera même le jour du sabbat... Nous prendrons de la
myrrhe et de l'aloès."
"Ils t'ont vue ?"
"Personne. Dans mon tour, je n'ai même pas rencontré une
chauve-souris."
"Les soldats ?"
"Les soldats ? Je crois qu'ils ronflent sur leurs paillasses."
"Mais les séditions... les arrestations..."
"C'est la peur de cet homme qui les a vues..."
"Qui est dans le palais ?"
"Mais Lévi et sa femme, tranquilles comme des enfants. Les hommes armés
ont pris la fuite... Ah ! Ah ! Nous avons de beaux preux, ma foi !... Ils
sont partis dès qu'ils ont appris la condamnation. Je dis la vérité : Rome
est dure et elle emploie le fouet... Mais avec cela, elle se fait craindre et
servir. Et elle a des hommes, pas des lapins... Oh ! oui ! Lui disait :
"Mes fidèles connaîtront le même sort que Moi". Hum ! Si de
nombreux romains se rallient à Jésus, c'est possible. Mais s'il doit y avoir
des martyrs parmi les israélites ! Il restera seul... Voici mon sac et
l'autre c'est celui de Jeanne qui... oui. Nous sommes non seulement lâches,
mais menteurs. Jeanne est seulement accablée. Elle et Élise se sont senties
mal sur le Golgotha. L'une est une mère qui a vu son fils mort et d'entendre
les râles de Jésus lui ont fait éprouver un malaise. L'autre est délicate,
elle n'est pas habituée à tant marcher et au soleil. Mais rien comme
blessures, rien comme agonie. Elle pleure comme nous certainement. Pas
davantage. Elle regrette d'avoir été éloignée. Elle viendra demain et elle
envoie ces aromates, ce qu'elle avait. Avec elle, était restée Valeria sur
l'ordre de Plautina, et maintenant elle est partie avec les esclaves chez
Claudia, car elles ont beaucoup d'encens. Quand elle viendra, car elle aussi,
grâce au Ciel, n'est pas un lièvre qui tremble toujours, ne vous mettez pas à
crier comme si vous sentiez le glaive à votre gorge. Allons, levez-vous !
Prenons des mortiers, travaillons. Pleurer ne sert pas, ou au moins pleurez
et travaillez. Notre baume sera détrempé par nos larmes, et il les sentira
sur Lui... Il sentira notre amour."
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194> Et elle se mord les lèvres pour ne
pas pleurer et pour donner du courage aux autres, vraiment à bout.
Elles travaillent avec énergie.
612.25 – Marie
appelle Jean.
"Mère, qu'as-tu ?"
"Ces coups..."
"Elles pilent les encens..."
"Ah !... Mais... pardonnez... Ne faites pas ce bruit... il me semble que
ce sont les marteaux..."
En effet les pilons de bronze contre le marbre des mortiers font vraiment le
bruit des marteaux.
Jean le dit aux femmes et elles sortent dans la cour pour qu'on les entende
moins.
Jean retourne vers la Mère.
"Comment les ont-elles eus ?"
"Marie de Lazare est allée à son palais et chez Jeanne...
Et on en apportera d'autres..."
"Personne n'est venu ?"
"Personne depuis Nikê."
"Mais regarde-le, Jean, comme il est beau même dans sa douleur !"
Marie, les mains jointes, est absorbée en face de la toile qu'elle a étendue
contre un coffre en la tendant avec des poids.
"Beau, oui, Mère. Et il te sourit... Ne pleure plus... Déjà plusieurs
heures sont passées. Autant de moins pour attendre son retour..."
Cela n’empêche pas Jean de pleurer.
Marie caresse sa joue, mais elle ne regarde que l'image de son Fils. Jean
sort, aveuglé par les larmes.
612.26 – La
Madeleine aussi, qui est revenue prendre des amphores, est dans les mêmes
conditions. Mais elle dit à l'apôtre :
"Il ne faut pas faire voir qu'on pleure, car autrement celles-là ne
savent plus rien faire. Et on doit faire..."
"...et on doit croire" achève Jean.
"Oui, croire. Si on ne pouvait pas croire, ce serait le désespoir. Moi,
je crois. Et toi ?"
"Moi aussi..."
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195> "Tu le dis mal. Tu n'aimes
pas encore suffisamment. Si tu aimais avec tout toi-même, tu ne pourrais
pas ne pas croire. L'amour est lumière et voix. Même en face des ténèbres
de la négation et le silence de la mort, il dit : "Je crois".
Elle est splendide la Madeleine, si grande et imposante, impérieuse dans sa
confession de foi ! Elle doit avoir le cœur torturé, et ses yeux brûlés par
les larmes le disent, mais l'âme est invaincue.
Jean la regarde avec admiration et murmure :
"Tu es courageuse !"
"Toujours. Je l'étais au point de défier le monde et j'étais sans Dieu
alors. Maintenant que je l'ai Lui, je sens que je puis défier même l'enfer.
Toi qui es bon, tu devrais être plus courageux que moi. Car la faute déprime,
sais-tu ? Plus qu'une consomption. Mais tu es innocent... C'est pour cela
qu'il t'aimait tant..."
"Il t'aimait aussi..."
"Et moi je n'étais pas innocente. Mais j'étais sa conquête et..."
612.27 – On
frappe avec force à la porte.
"Ce sera Valeria.
Ouvre."
Jean le fait sans peur, dominé par le calme de Marie.
C'est en fait Valeria avec ses esclaves qui portent la litière d'où elle est
descendue. Elle entre en saluant en latin :
"Salve."
"La paix soit avec toi, soeur. Entre" dit Jean.
"Puis-je offrir à la Mère l'hommage de Plautina
? Claudia aussi y a contribué. Mais si ce
n'est pas une douleur pour elle de me voir."
Jean entre chez Marie.
"Qui frappe ? Pierre ? Judas ?
Joseph
?"
"Non, c'est Valeria. Elle a apporté des résines précieuses. Elle
voudrait te les offrir... si cela ne te peine pas."
"Je dois surmonter la peine. Lui a appelé à son Royaume les fils
d'Israël et les païens. Il les a tous appelés. Maintenant... il est
mort... Mais je suis ici pour Lui, et je reçois tout le monde. Qu'elle
entre."
Valeria entre. Elle a enlevé son manteau foncé et elle a une étole toute
blanche. Elle s'incline jusqu'à terre, salue et parle :
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196> "Domina, tu sais qui nous
sommes : les premières rachetées de l'obscurantisme païen. Nous étions fange
et ténèbres. Ton Fils nous a donné ailes et lumière. Maintenant il est... il
est endormi dans la paix. Nous connaissons vos usages et nous voulons que les
baumes de Rome aussi soient répandus sur le Triomphateur."
"Que Dieu vous bénisse, filles de mon Seigneur. Et... pardonnez si je ne
sais en dire davantage..."
"Ne te force pas, Domina. Rome est forte, mais elle sait aussi
comprendre la douleur et l'amour. Elle te comprend, Mère Douloureuse.
Adieu."
"La paix soit avec toi, Valeria ! À Plautina, à vous toutes, ma
bénédiction."
Valeria se retire en laissant ses encens et autres essences.
"Tu le vois, Mère ? Tout le monde donne pour le Roi du Ciel et de la
Terre."
"Oui" dit Marie. "Tout le monde. Et la Mère n'aura pu
Lui donner que ses pleurs."
612.28 – Un
coq chante joyeusement non loin de là. Jean sursaute.
"Qu'as-tu, Jean ?" demande la Vierge.
"Je pensais à Simon Pierre..."
"Mais n'était-il pas avec toi ?" demande la Madeleine qui est
entrée dans la pièce.
"Si. Dans la maison d'Anne. Puis j'ai compris que je devais venir ici et
je ne l'ai plus vu du tout."
"D'ici peu, c'est l'aube."
"Oui. Ouvrez."
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