Le vendredi 7
février 1947.
85> 564.1 – Il
s'est passé plusieurs jours. Je dis cela car je vois que les grains, qui dans
les dernières visions mesuraient à peine un empan, après les dernières pluies et le beau soleil qui leur a
succédé, ont beaucoup grandi et se préparent à former des épis. Un vent léger
fait onduler les tiges encore tendres des blés. La brise joue avec les
frondaisons nouvelles des arbres fruitiers les plus précoces qui, à peine les
fleurs sont-elles tombées ou alors que des pétales voltigent et tombent, ont
déjà ouvert leurs petites feuilles d'émeraude clair, tendres, brillantes,
belles comme tout ce qui est vierge et nouveau. Plus tardives, les vignes sont
encore nues et noueuses, mais sur les sarments enchevêtrés, d'un tronc à
l'autre, les bourgeons ont déjà rompu la sombre enveloppe qui les enserrait
et, encore clos, ils font voir déjà le duvet gris argent, nid des futurs
pampres et des vrilles nouvelles. Les festons ligneux et serpentins des
vignobles semblent s'assouplir et prendre une grâce nouvelle.
Le soleil, déjà chaud, commence son travail de coloris et de distillation des arômes végétaux, et pendant qu'il peint de
teintes plus vives ce qu'hier était encore pâle, il échauffe, et ainsi dégage
des sillons, des prés en fleurs, des champs de céréales, des jardins et des
vergers, des bosquets, des murs, du linge étendu à sécher, les nuances
diverses des odeurs, pour en faire une unique symphonie olfactive qui durera
tout l'été pour s'éteindre dans une violente odeur de moût dans les cuves où
les raisins pressés se changent en vin .
Tout un concert de chants d'oiseaux dans les feuillages, des moutons et des béliers
qui brament doucement dans les troupeaux. Des chants d'hommes sur les pentes,
les rires des enfants et les sourires des femmes.
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86>
C'est le printemps. La nature aime, et l'homme jouit de l'amour de la nature
qui demain le rendra plus riche, et il jouit de ses amours qui s'allument
plus vifs dans ce réveil serein. Plus aimée lui paraît son épouse, plus
protecteur paraît l'homme à sa compagne et plus chers à tous les deux les
enfants qui, maintenant sourire et travail, seront demain dans la vieillesse,
sourire encore et protection pour les vieux qui déclinent.
564.2 – Jésus
passe à travers les champs qui montent et descendent, en suivant les
dénivellations de la montagne. Il est seul. Vêtu de lin, car il a donné à Samuel son dernier vêtement de laine, mais avec un léger
manteau d'un bleu plutôt vif, jeté sur une seule épaule puis mollement
enroulé sur le corps et qu'il retient avec son bras sur la poitrine. Le pan
jeté sur le bras ondule légèrement sous le vent très doux qui parcourt la
terre et sur sa tête ondule sa chevelure qui brille au soleil. Il passe, et
là où il y a des enfants, il se penche pour caresser les petites têtes
innocentes et écouter leurs petites confidences, pour admirer ce qu'ils
accourent pour Lui montrer comme si c'était un trésor.
Une fillette qui trébuche encore en courant, tant elle est petite, et
s'empêtre dans une robe trop longue pour elle qu'elle a héritée, peut-être
d'un petit frère un peu plus âgé, s'amène. C'est tout un sourire qui éclaire
ses yeux et découvre les petites incisives entre ses lèvres rosés. Elle tient
un bouquet de marguerites , un gros bouquet dans ses deux mains, autant que peuvent
en tenir des menottes si tendres et si petites, et elle lève son trophée en
disant :
"Tiens ! C'est pour Toi. Pour maman, ce sera après. Un baiser, ici
!"
Et elle frappe avec ses menottes, désormais libérées du bouquet que Jésus a
pris avec des paroles d'admiration et de remerciements, la petite bouche.
Elle se tient, la tête renversée, se tendant sur ses pieds déchaussés jusqu'à
en perdre presque l'équilibre, dans la vaine
tentative d'allonger sa minuscule personne jusqu'au visage de Jésus. Il rit
en la prenant dans ses bras et va avec elle, accroupie là-haut, comme un
oiseau sur un grand arbre, vers un groupe de femmes qui lavent des toiles
neuves dans les eaux limpides d'un ruisseau afin de les étendre ensuite pour
qu'elles blanchissent au soleil.
Les femmes penchées sur l'eau se redressent pour saluer, et l'une d'elles dit
en souriant :
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87>
"Tamar t'a dérangé... Mais elle est là depuis l'aurore à
cueillir des fleurs avec la secrète espérance de te voir passer. Elle ne m'en
a pas donné une seule, car elle voulait d'abord te les donner."
"Elles me sont plus chères que les trésors des rois, car elles sont
innocentes comme les petits et données par une petite, innocente comme les
fleurs."
Il donne un baiser à la fillette en la déposant par terre et la salue :
"Que vienne à toi la grâce du Seigneur."
Il salue les femmes et continue son chemin en saluant les agriculteurs ou les
bergers qui le saluent depuis les champs ou les prés.
564.3 – Il
semble se diriger vers en bas, du côté qui mène vers Jéricho, mais ensuite il
revient en arrière pour prendre un autre sentier qui monte de nouveau vers
les montagnes au nord d'Éphraïm. Ici le sol, bien exposé et à l'abri des
vents du nord, a des moissons plus belles. Le sentier entre les deux champs a
d'un côté des arbres à fruits à des distances presque régulières et les
bourgeons des prochains fruits sont déjà comme autant de perles le long des
branches.
Une route qui descend du nord vers le midi coupe le sentier. Ce doit être une
route assez importante car, au croisement, elle a une de ces pierres
miliaires dont les romains se servent avec une inscription sur la face
septentrionale : "Neapolis" et sous ce nom — gravé en grand avec les caractères
lapidaires des latins, forts comme eux-mêmes — et en caractères beaucoup plus
petits à peine marqués dans le granit : "Sichem"; sur la face
occidentale : "Silo-Jérusalem"; et sur le côté tourné vers le midi : "Jéricho". Du côté du levant, il n'y a pas de nom.
Mais on pourrait dire que s'il n'y a pas de nom de ville, il y a un nom de
malheur humain. En effet, par terre, entre la pierre miliaire et le fossé qui
côtoie la route, comme pour toutes les routes entretenues par les romains,
creusé pour l'écoulement des eaux dans les temps de pluies, il y a un homme
tout recroquevillé, un paquet de chiffons et d'os, peut-être mort.
564.4 – Jésus
se penche sur lui quand il le découvre au milieu des herbes du bord de la
route que les ondées de printemps ont rendues luxuriantes. Il le touche et l'appelle :
"Homme, qu'as-tu ?"
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88> Un
gémissement Lui répond. Mais le tas de chiffons remue, se tourne, et un
visage squelettique, qui pourrait être celui d'un mort, apparaît. Deux yeux
fatigués, souffrants et languissants, regardent avec étonnement Celui qui est
penché sur sa misère. Il cherche à s'asseoir en s'appuyant au sol avec ses
mains squelettiques, mais il est si faible que sans l'aide de Jésus il ne le
pourrait pas.
Jésus l'aide en appuyant son dos contre la pierre miliaire et il lui
demande :
"Qu'as-tu ? Es-tu malade ?"
"Oui."
Un "oui" très faible.
"Mais comment as-tu pu te mettre en voyage, tout seul, dans cet état ?
N'as-tu personne ?"
L'homme fait signe que si, mais il est trop faible pour répondre.
Jésus regarde autour de Lui. Il n'y a personne dans les champs, c'est un
endroit vraiment désert. Au nord, presque au sommet d'une colline, une
poignée de maisons ; à l'ouest, dans la verdure de la pente qui en
gravissant d'autres mamelons se change de champs en prairies et bosquets, il
y a des pâtres au milieu d'un troupeau de chèvres agitées. Jésus abaisse de
nouveau les yeux sur l'homme. Il lui demande :
"Si je t'aidais, te sens-tu capable d'aller à ce village ?"
L'homme secoue la tête et deux larmes coulent sur ses joues si flétries
qu'elles en paraissent rugueuses comme s'il était âgé, alors que sa barbe
noire montre qu'il est jeune encore. Il rassemble ses forces pour dire :
"Ils m'ont chassé... Peur de la lèpre... Je ne suis pas... Et je
meurs... de faim."
Il meurt de faiblesse. Il se met un doigt dans la bouche et il en sort une
bouillie verdâtre :
"Regarde... J'ai mastiqué du grain... mais il est encore en herbe."
"Je vais trouver ce berger. Je vais t'apporter du lait tiède. J'aurai
vite fait."
Et en courant presque, il se dirige là où se trouve le troupeau, à environ
deux cents mètres au-dessus de la route.
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89>
Il rejoint le berger, lui parle, lui indique où se trouve l'homme. Le berger
se tourne pour regarder, indécis, se demandant s'il doit écouter la demande
de Jésus. Puis il se décide. Il détache de sa ceinture l'écuelle de bois
qu'il porte comme tous les bergers, et il trait une chèvre pour donner une
tasse pleine à Jésus, qui descend avec précaution la pente, suivi d'un enfant
qui était avec le berger.
564.5 – Le
voici de nouveau près de l'affamé. Il se met à genoux près de lui, lui passe
un bras derrière les épaules pour le soutenir et approche le bol, où le lait
écume encore, de ses lèvres. Il lui fait boire de petites gorgées, puis il
pose le bol sur le sol en disant : "Pour l'instant, c'est assez. Tout en une fois cela te ferait du mal. Laisse ton estomac se ranimer
en absorbant le lait que je t'ai donné."
L'homme ne proteste pas. Il ferme les yeux et se tait, observé par l'enfant
tout étonné.
Après un moment, Jésus lui offre de nouveau le bol pour qu'il boive plus
longuement, et il fait ainsi avec des pauses de plus en plus courtes, jusqu'à
ce que le lait soit fini. Il rend le bol à l'enfant et le congédie.
L'homme se ranime lentement. Il cherche avec des mouvements encore incertains
à se rendre présentable. Il a un sourire de reconnaissance en regardant Jésus
qui s'est assis sur l'herbe près de lui. Il s'excuse :
"Je te fais perdre du temps."
"Ne t'afflige pas ! Ce n'est jamais du temps perdu le temps que l'on
emploie à aimer ses frères. Quand tu iras mieux, nous parlerons."
"Je vais mieux. La chaleur revient dans mes membres, et la vue... J'ai
cru que j'allais mourir ici... Mes pauvres enfants ! J'avais perdu tout
espoir... Et jusqu'à présent, j'en avais eu tant !... Si tu n'étais pas venu,
Toi, je serais mort... ainsi... sur une route ..."
"Cela aurait été très triste, c'est vrai. Mais le Très-Haut a regardé
son fils et l'a secouru. Repose-toi un peu."
L'homme obéit pendant un moment, puis il rouvre les yeux et dit :
"Je me sens revivre. Oh ! si je pouvais aller à Éphraïm !"
"Pourquoi ? As-tu là quelqu'un qui t'attend ? Es-tu de là ?"
"Non.
564.6 – Je suis des campagnes de Jabnia, près de la Grande Mer, mais je suis allé en Galilée, le
long du rivage, jusqu'à Césarée. Je suis allé ensuite à Nazareth car je
suis malade ici (il se frappe l'estomac) d'un mal que personne n'a su guérir
et qui m'empêche de travailler la terre.
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90> Et
je suis veuf avec cinq enfants... Quelqu'un de nos régions, car je suis
originaire de Gaza, né d'un père philistin et d'une mère syro-phénicienne.
Un des nôtres, qui suivait le Rabbi de Galilée, est venu avec un autre parmi
nous, pour nous parler de ce Rabbi. Moi aussi je l'ai entendu et quand je me
suis senti si malade, j'ai dit :
"Je suis syrien et philistin, une ordure pour Israël. Mais Hermastée disait que le Rabbi de Galilée est bon autant que
puissant, et moi, je le crois et je vais le trouver".
Et à peine venu un meilleur temps, j'ai laissé les enfants à la mère de ma
femme, j'ai rassemblé le peu de ressources que j'avais, car la maladie en
avait absorbé beaucoup, et je suis venu pour chercher le Rabbi. Mais l'argent
s'épuise vite en voyage, surtout quand on ne peut pas manger de tout... et
séjourner dans les auberges quand les douleurs m'empêchaient de marcher. À Séphoris j'ai vendu mon âne car je n'avais plus d'argent pour moi
et pour donner au Rabbi ce qui Lui est dû. Je pensais qu'une fois guéri,
j'aurais pu manger de tout en route et revenir bientôt à la maison et là, par
le travail dans mes champs et d'autres, refaire ma situation... Mais le Rabbi
n'est pas à Nazareth, ni à Capharnaüm. Sa Mère me l'a dit. Elle m'a dit :
"Il est en Judée. Cherche-le chez Joseph de Séphoris à Bézéta ou au Gethsémani.
Ils sauront te dire où il est".
Je suis revenu en arrière à pied. Le mal grandissait et l'argent diminuait. À
Jérusalem, où l'on m'avait envoyé, j'ai trouvé des hommes mais pas le Rabbi.
Ils m'ont dit :
"Oh ! ils l'ont chassé depuis longtemps. Il est maudit par le Sanhédrin.
Il s'est enfui, nous ne savons où".
Moi... je me suis senti mourir... comme aujourd'hui. Et même plus
qu'aujourd'hui. Je suis allé demander à des centaines de gens à travers la
ville et dans les campagnes. Personne ne savait. Certains pleuraient avec
moi. Plusieurs m'ont frappé. Puis un jour que je m'étais mis à mendier en
dehors des murs du Temple, j'ai entendu deux pharisiens qui disaient :
"Maintenant que l'on sait que Jésus de Nazareth est à Éphraïm..."
Je n'ai pas perdu de temps et, faible comme j'étais, je suis venu jusqu'ici
en mendiant mon pain, de plus en plus déchiré et de plus en plus malade. Et
n'étant pas au courant, je me suis trompé de route...
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91>
Aujourd'hui je viens d'ici, de ce village. Il y avait deux jours que je ne
mangeais que du fenouil sauvage et que je mâchais de la chicorée et du grain en herbe. Ils m'ont cru
lépreux à cause de ma pâleur et m'ont chassé à coups de pierres. Je ne
demandais que du pain et que l'on m'indique la route pour Éphraïm... Je suis
tombé ici... Mais je voudrais aller à Éphraïm. Je suis si près du but !
Peut-il se faire que je ne l'atteigne pas ? Je crois au Rabbi. Je ne suis pas
Israélite, mais Hermastée ne l'était pas non plus, et Lui l'aimait
pareillement. Est-il possible que le Dieu d'Israël appesantisse sa main sur
moi pour se venger des fautes de ceux qui m'ont engendré ?"
"Le Dieu vrai est le Père des hommes, juste, mais bon. Il récompense
celui qui a la foi et ne fait pas payer aux innocents des fautes qui ne sont
pas les leurs.
564.7 – Mais pourquoi as-tu dit que quand tu as entendu dire
que la demeure du Rabbi était inconnue, tu t'es senti mourir plus
qu'aujourd'hui ?"
"C'est parce que j'ai dit : "Je l'ai perdu avant de l'avoir
trouvé".
"Ah ! à cause de ta santé !"
"Non. Pas pour cela seulement. Mais parce que Hermastée disait de Lui
certaines choses, et il me semblait que si je l'avais connu, je n'aurais plus
été une ordure."
"Tu crois donc que Lui est le Messie ?"
"Je le crois. Je ne sais pas bien ce que c'est que le Messie, mais je
crois que le Rabbi de Nazareth est le Fils de Dieu."
Jésus a un sourire tout lumineux quand il demande :
"Et es-tu certain que s'il l'est, il va t'exaucer toi, incirconcis
?"
"J'en suis certain car Hermastée le disait. Il disait : "Lui est le
Sauveur de tous. Pour Lui, il n'est pas question d'hébreux ou d'idolâtres,
mais seulement de créatures à sauver, car le Seigneur Dieu l'a envoyé pour
cela". Plusieurs riaient. Moi, j'ai cru. Si je peux Lui dire :
"Jésus, aie pitié de moi" il m'exaucera. Oh ! si tu es d'Éphraïm,
conduis-moi à Lui. Peut-être es-tu un de ses disciples..."
564.8 – Jésus
sourit toujours plus et lui conseille :
"Essaie de me demander à Moi, que je te guérisse..."
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92>
"Tu es bon, homme. Près de toi, il y a tant de paix. Oui, tu es bon
comme... comme le Rabbi Lui-même, et certainement Lui t'aura donné le pouvoir
du miracle car pour être bon comme tu l'es, tu ne peux être que l'un de ses
disciples. Je les ai tous trouvés bons ceux qui se sont donnés pour tels.
Mais qu'il ne soit pas offensant pour Toi, si je te dis que tu pourras même
guérir les corps, mais pas les âmes. Et je voudrais que celle-là aussi fût
guérie, comme c'est arrivé à Hermastée. Devenir un juste... Et cela, le Rabbi
seul peut le faire. Je suis pécheur en plus que d'être malade. Je ne veux pas
voir mon corps guéri pour le voir mourir un jour, et l'âme avec lui. Je veux
vivre. Hermastée disait que le Rabbi est la Vie de l'âme et que l'âme qui
croit en Lui vit pour toujours dans le Royaume de Dieu. Conduis-moi au Rabbi.
Sois bon ! Pourquoi souris-tu ? Peut-être penses-tu que je suis audacieux de
vouloir la guérison sans pouvoir donner une obole ? Mais une fois guéri je
pourrai encore cultiver la terre. J'ai de très beaux fruits. Que le Rabbi
vienne à la saison des fruits et je le paierai en Lui donnant l'hospitalité
aussi longtemps qu'il voudra."
"Qui t'a dit que le Rabbi veut de l'argent ? Hermastée ?"
"Non. Au contraire, lui disait que le Rabbi a pitié des pauvres et qu'il
les secourt les premiers. Mais c'est ce qu'on fait avec tous les médecins et
... et avec tous, en somme."
"Mais pas avec Lui, je te l'assure. Et je te dis que si tu sais pousser
ta foi jusqu'à demander ici le miracle, et à le croire possible, tu
l'auras."
"Tu dis la vérité ?... En es-tu certain ? Bien sûr, si tu es un de ses
disciples, tu ne peux mentir ni te tromper. Et bien que je
regrette de ne pas voir le Rabbi... je veux t'obéir... Peut-être Lui,
persécuté comme il l'est... ne veut pas qu'on le voie... il ne se fie plus à
personne. Il a raison, mais ce ne sera pas nous qui serons sa ruine. Ce
seront les vrais hébreux... Pourtant, voilà. Je dis ici (il se met à genoux
avec beaucoup de peine) : Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de moi !"
"Et qu'il te soit fait comme ta foi le mérite"
dit Jésus en faisant son geste de commandement sur les maladies.
564.9 – L'homme a une sorte d'éblouissement, c'est-à-dire
une lumière imprévue. Il comprend — je ne sais si c'est par ouverture de son
intelligence ou par une sensation physique, ou par les deux choses en même
temps — il comprend qui est Celui qu'il a devant lui et il pousse un cri si
aigu que le pâtre, descendu vers la route, peut-être pour voir, hâte sa
marche.
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93> L'homme
est par terre, le visage dans l'herbe, et le pâtre dit en le montrant avec sa
houlette :
"Il est mort ? Il faut autre chose que du lait quand quelqu'un est fini
!"
Et il hoche la tête.
L'homme entend et il se dresse debout, fort, en bonne santé. Il crie :
"Mort ? Je suis guéri ! Je suis ressuscité. C'est Lui qui l'a fait. Je
ne souffre plus de la faim, ni des douleurs de la maladie. Je suis comme au
jour de mes noces ! Oh ! Jésus béni ! Et comment ne t'ai-je pas reconnu plus
tôt ?! Ta pitié aurait dû me dire ton nom ! La paix que je sentais près de
Toi ! J'ai été sot. Pardonne à ton pauvre serviteur !"
Et il se jette de nouveau par terre en adorant.
Le berger abandonne ses chèvres et s'en va en courant et en sautant vers le
petit village.
564.10 – Jésus
s'assoit près de l'homme guéri et lui dit :
"Tu m'as parlé d'Hermastée comme d'un mort. Tu connais donc sa fin. Je
ne veux qu'une chose de toi : que tu viennes avec Moi à Éphraïm et que tu
racontes sa fin à quelqu'un qui est avec Moi. Puis je t'enverrai à Jéricho
chez une femme
disciple pour qu'elle t'aide pour le voyage
de retour."
"J'irai si tu le veux, mais maintenant que je suis sain je n'ai plus
peur de mourir en route. Même l'herbe peut me nourrir et je n'ai pas honte de
tendre la main car ce n'est pas d'une manière crapuleuse mais pour une juste
fin que j'ai dépensé mon avoir."
"Je le veux. Tu lui diras que tu m'as vu et que je l'attends ici, que
désormais elle peut venir et que personne ne l'importunera. Sauras-tu dire
cela ?"
"Je le saurai. Ah ! pourquoi te haïssent-ils. Toi, si bon ?"
"Parce que beaucoup d'entre eux ont en eux un esprit qui les y pousse.
Allons."
Jésus se met en route pour Éphraïm, et l'homme le suit avec assurance. Seule
sa grande maigreur rappelle sa maladie et ses privations passées.
Pendant ce temps du petit village descendent beaucoup de personnes qui crient
et gesticulent. Elles appellent Jésus, Lui disent de s'arrêter. Jésus ne les
écoute pas, mais au contraire il marche plus vite, et eux le suivent...
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94>
Le voilà de nouveau dans le voisinage d'Éphraïm. Les cultivateurs qui se
préparent à rentrer dans leurs maisons, car le soleil va se coucher, le
saluent en regardant l'homme qui est avec Jésus.
564.11 – D'un
sentier débouche Judas de Kérioth. Il sursaute, surpris, en voyant le Maître. Mais Jésus
ne manifeste aucune surprise. Seulement il s'adresse à l'homme et lui
dit :
"C'est un de mes disciples. Parle-lui d'Hermastée."
"Eh ! c'est vite dit. Il était infatigable pour
annoncer le Christ, même après qu'il voulut se séparer de son compagnon pour
rester chez nous. Il disait que nous avions plus que tous besoin de te
connaître, ô Rabbi, et qu'il voulait te faire connaître à sa patrie, et qu'il
serait retourné à Toi quand il aurait proclamé ton Nom dans tous les plus
petits villages. Il vivait comme un pénitent. Si par pitié une personne lui
donnait un pain, il la bénissait en ton nom. Si on lui jetait des pierres, il
se retirait en bénissant aussi, et il se nourrissait de fruits sauvages et de
mollusques marins qu'il arrachait des rochers ou tirait du sable. Plusieurs
le traitaient de "fou", mais personne au fond ne le haïssait. Tout
au plus on le chassait comme s'il était de mauvais augure. Un jour on l'a trouvé
mort sur le chemin, justement près de mon village, sur la route qui entre en
Judée, presque à la frontière. On n'a jamais su de quoi il est mort, mais on
dit tout bas qu'il a été tué par quelqu'un qui ne voulait pas que l'on prêche
le Messie. Il avait une blessure profonde à la tête. On dit qu'il a été
renversé par un cheval, mais je n'y crois pas. Il souriait, étendu dans la
poussière. Oui, il paraissait sourire aux dernières étoiles de la plus
sereine nuit d'elul et au premier soleil du matin. Il fut trouvé par des
jardiniers qui allaient, au point du jour, à la ville avec leurs légumes, et
ils me l'ont dit quand ils sont passés pour prendre mes concombres. J'ai
couru voir : il était dans une grande paix."
"Tu as entendu ?" demande Jésus à Judas.
"J'ai entendu. Mais ne lui avais-tu pas dit qu'il t'aurait servi et
qu'il aurait eu une longue vie ?"
"Ce n'est pas exactement cela que j'ai dit. Le temps qui s'est passé
brouille ta pensée. Mais ne m'a-t-il pas peut-être servi en évangélisant en
pays de mission et n'a-t-il pas eu une longue vie ? Quelle plus longue vie
que cette conquête de celui qui meurt au service de Dieu ? Longue et
glorieuse."
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95>
Judas a ce petit rire étrange qui me choque tellement et il ne réplique rien.
564.12 – Pendant
ce temps ceux du petit village se sont joints à plusieurs d'Éphraïm et
parlent avec eux en montrant Jésus.
Jésus commande à Judas :
"Accompagne l'homme à la maison et finis de le restaurer. Il partira
après le sabbat qui commence déjà."
Judas obéit et Jésus reste seul et il marche lentement en se penchant pour
observer les tiges des blés qui commencent à former des épis.
Des hommes d'Éphraïm Lui demandent :
"Il est beau ce blé, n'est-ce pas ?"
"Beau, mais pas différent de celui des autres régions."
"Certainement, Maître. C'est toujours du blé ! Et il doit forcément être
pareil."
"Vous le dites ? Alors le blé est meilleur que les hommes. En effet,
pourvu qu'il soit semé comme il faut, il donne le même fruit ici qu'en Judée
ou en Galilée, ou, disons, dans les plaines le long de la Grande Mer. Les
hommes au contraire ne donnent pas le même fruit. Et la terre aussi est
meilleure que les hommes. Parce que, quand on lui confie une semence, elle
est bonne pour elle, sans faire de différence que la semence vienne de la
Samarie ou de la Galilée."
"C'est vrai. Mais pourquoi dis-tu que la terre
et le blé sont meilleurs que les hommes ?"
"Pourquoi ?...
564.13 – Tout à l'heure, un homme a demandé un pain, par pitié,
aux portes d'un village. Et on l'a chassé, les gens, le croyant de quelque
endroit de Judée. Chassé à coups de pierres et au cri de "lépreux"
qu'on lui attribuait à cause de sa maigreur, mais qui était dit à cause de sa
provenance. Et cet homme a failli mourir de faim sur la route. Donc les gens
de ce village, ces gens-là qui vous ont envoyé pour m'interroger et qui
voudraient venir à la maison où je réside pour voir le miraculé, sont plus
mauvais que le blé et la terre parce qu'ils n'ont pas su, bien que je les
travaille depuis longtemps, donner le même fruit qu'a donné cet homme qui
n'est ni juif, ni samaritain, qui ne m'avait jamais vu ni entendu, mais qui a accueilli les paroles d'un de mes disciples et a cru en
Moi sans me connaître.
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96>
Et parce qu'ils sont plus mauvais que ces terres, puisqu'ils ont repoussé
l'homme parce qu'il était d'une autre semence. Maintenant ils voudraient
venir pour satisfaire leur faim de curiosité, eux qui n'ont pas su satisfaire
la faim de quelqu'un qui n'en pouvait plus. Dites à ces gens que le Maître ne
satisfera pas cette curiosité inutile. Et apprenez tous la grande loi de
l'amour, sans laquelle vous ne pourriez jamais me suivre. Ce n'est pas
l'amour pour Moi, ce n'est pas cela seulement qui sauvera vos âmes, mais
l'amour de ma doctrine. Et ma
doctrine enseigne l'amour fraternel sans distinction de race, ni de fortune.
Qu'ils s'en aillent donc ces gens au cœur dur qui ont affligé mon cœur, et
qu'ils se repentent s'ils veulent que je les aime. Car, rappelez-vous-le
tous, si je suis bon je suis juste aussi, si je ne fais pas de différence et
si je vous aime autant que les autres de Galilée et de Judée, cela ne doit
pas vous rendre sottement orgueilleux d'être des préférés, et la permission
de faire le mal en ne craignant pas mes reproches. Je donne des louanges ou
je fais des reproches, selon que la justice le veut, à mes parents et à mes
apôtres comme à toute autre créature, et dans mes reproches il y a de
l'amour. Car je le fais parce que je veux la justice dans les cœurs pour
pouvoir récompenser un jour celui qui l'a pratiquée. Allez-le-leur rapporter
et que la leçon donne ses fruits en tous."
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