Le
lundi 2 septembre 1946.
441> 485.1 - Les
verts de toutes nuances des campagnes qui entourent Béthanie se présentent à
la vue dès que l'on a franchi le sommet de la colline et que l'on pose le
pied sur son versant sud, qui descend par une route en zigzag vers Béthanie.
Le vert argenté des oliviers, le vert bien marqué des pommiers, parsemé ici
et là par les premières feuilles jaunes, le vert rare et plus jaunâtre des
vignes, le vert foncé et compact des chênes et des caroubiers, mêlés au
marron des champs déjà labourés et qui attendent la semence et au vert tendre
des prés où pousse une herbe nouvelle et des jardins fertiles, forment une
sorte de tapis multicolore pour celui qui d'en haut domine Béthanie et ses
alentours. Et, se détachant sur le vert, plus en bas, les pinceaux des
palmiers dattiers toujours élégants et qui rappellent l'Orient.
La petite ville d'Ensémès,
groupée au milieu de la verdure et illuminée par le soleil qui va bientôt se
coucher, est bien vite franchie et aussi la source abondante qui est un peu
au nord de l'endroit où commence Béthanie, et puis voilà les premières
maisons dans la verdure...
Ils sont arrivés après tant de chemin, de chemin fatigant et, malgré leur
fatigue extrême, ils semblent reprendre des forces rien que par la proximité
de la maison amie de Béthanie.
La petite ville est tranquille, presque vide. Beaucoup d'habitants doivent
être déjà à Jérusalem pour la fête. Aussi, Jésus
passe inaperçu jusque dans le voisinage de la maison de Lazare. C'est
seulement quand il est près du jardin en friche de la maison, où il y avait
tant d'échassiers,
qu'il rencontre deux hommes. Ils le reconnaissent et le saluent et puis Lui
demandent :
"Tu vas chez Lazare,
Maître ? Tu fais bien. Il est si malade. Nous en venons après lui avoir
apporté le lait de nos ânesses, la seule nourriture que son estomac digère
encore avec un peu de jus de fruits et de miel. Les deux sœurs ne font que
pleurer, épuisées par les veilles et la douleur... Et lui ne fait que te
désirer. Je crois qu'il serait déjà mort, mais l'anxiété de te revoir l'a
fait vivre jusqu'ici."
"J'y vais tout de suite. Dieu soit avec vous."
"Et... tu le guériras ?" demandent-ils curieux.
"La volonté de Dieu se manifestera sur lui, et avec elle la puissance du
Seigneur" répond Jésus en quittant les deux, perplexes.
485.2 - Il se hâte vers le portail du
jardin.
Un serviteur le voit et court Lui ouvrir, mais sans aucun cri de joie. Sitôt
le portail ouvert, il s'agenouille pour vénérer Jésus, et il dit d'une voix
attristée :
"Tu tombes bien, ô Seigneur ! Et veuille ta venue être un signe de joie
pour cette maison éplorée. Lazare, mon maître..."
"Je le sais. Soyez tous résignés à la volonté du Seigneur. Il
récompensera le sacrifice de votre volonté à la sienne. Va et appelle Marthe et Marie.
Je les attends dans le jardin."
Le serviteur s'éloigne en courant et Jésus le suit lentement après avoir dit
à ses apôtres :
"Je vais près de Lazare. Reposez-vous car vous en avez besoin..."
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Les deux sœurs se présentent sur le seuil, et elles ont du mal à reconnaître
le Seigneur tant leurs yeux sont fatigués par les veilles et les larmes, et
le soleil qui les frappe en face augmente la difficulté qu'elles éprouvent
pour le voir. Pendant ce temps, d'autres serviteurs sortent par une porte
secondaire à la rencontre des apôtres pour les emmener avec eux.
"Marthe ! Marie ! C'est Moi. Vous ne me reconnaissez pas ?"
"Oh ! le Maître !" s'écrient les deux sœurs, et elles se mettent à
courir vers Lui, se jetant à ses pieds, et étouffant difficilement leurs
sanglots. Baisers et larmes tombent sur les pieds de Jésus comme autrefois
dans la maison de Simon le pharisien.
Mais cette fois Jésus ne reste pas raide comme alors pour recevoir la pluie
de larmes de Marthe et de Marie. Maintenant il se penche et il touche leurs
têtes, les caresse et les bénit par ce geste et les force à se lever, en
disant :
"Venez. Allons sous la tonnelle des jasmins. Pouvez-vous quitter Lazare
?"
Plus par signes que par paroles, tout en sanglots, elles disent que oui. Et
ils vont sous le pavillon ombragé, sous le feuillage fourni et sombre duquel
quelque tenace étoile de jasmin blanchit et exhale son parfum.
485.3 - "Parlez donc..."
"Oh ! Maître ! Tu viens dans une maison bien triste ! Nous sommes
abêties par la douleur. Quand le serviteur nous a dit : "II y a
quelqu'un qui vous cherche" nous n'avons pas pensé à Toi. Quand nous
t'avons vu, nous ne t'avons pas reconnu. Mais tu vois ? Nos yeux sont brûlés
par les larmes. Lazare se meurt… !"
Et les pleurs reprennent interrompant les paroles des deux sœurs qui ont
parlé alternativement.
"Et je suis venu..."
"Pour le guérir ?! Oh ! mon Seigneur !" dit Marie rayonnante
d'espoir à travers ses larmes.
"Oh ! Moi, je le disais ! Si le Maître vient..."dit Marthe en
joignant les mains en un geste de joie.
"Oh ! Marthe ! Marthe ! Que sais-tu des opérations et des décrets de
Dieu ?"
"Hélas, Maître ! Tu ne vas pas le guérir ?!" s'écrient-elles
ensemble en retombant dans leur peine.
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"Je vous dis : ayez une foi sans bornes dans le Seigneur. Continuez de
l'avoir malgré toute insinuation et tout événement, et vous verrez de grandes
choses quand votre cœur n'aura plus de raison d'espérer les voir. Que dit
Lazare ?"
"Il y a un
écho de tes paroles dans les siennes. Lui nous dit : "Ne doutez pas de
la bonté et de la puissance de Dieu. Quoi qu'il arrive, Il interviendra pour
votre bien et le mien, et pour le bien d'un grand nombre, de tous ceux qui,
comme moi et comme vous, sauront rester fidèles au Seigneur". Et quand
il est en mesure de le faire, il nous explique les Écritures ; il ne lit
plus qu'elles désormais, et il nous parle de Toi, et il dit qu'il meurt dans
un temps heureux parce que l'ère de la paix et du pardon est commencée. Mais
tu l'entendras... car il dit aussi d'autres choses qui nous font pleurer
aussi, plus que pour notre frère..." dit Marthe.
"Viens, Seigneur. Toute minute qui passe est dérobée à l'espoir de
Lazare. Il comptait les heures... Il disait : "Et pourtant, pour la
fête, il sera à Jérusalem et il viendra..." Nous, nous qui savons
beaucoup de choses que nous ne disons pas à Lazare pour ne pas le faire
souffrir, nous avions moins d'espoir, car nous pensions que tu ne viendrais
pas pour échapper à ceux qui te cherchent... C'était ce que pensait Marthe. Moi non, car... si j'étais
à ta place, je défierais les ennemis. Je ne suis pas de celles qui ont peur
des hommes, moi. Et maintenant, je n'ai même plus peur de Dieu. Je
sais combien II est bon pour les âmes repenties..." dit Marie, et elle
le regarde de son regard d'amour.
"Tu n'as peur de rien, Marie ?" demande Jésus.
"Du péché... et de moi-même... J'ai toujours peur de retomber dans le
mal. Je pense que Satan doit me haïr beaucoup."
"Tu as raison. Tu es une des âmes que Satan hait le plus, mais tu es
aussi une des plus aimées de Dieu. Souviens-toi de cela."
"Oh ! je m'en souviens. C'est ma force ce souvenir ! Je me rappelle ce
que tu as dit dans la maison de Simon. Tu as dit : "II lui est beaucoup
pardonné, parce qu'elle a beaucoup aimé", et à moi : "Les péchés te
sont pardonnés. Ta foi t'a sauvée. Va en paix". Tu as dit : "les
péchés". Non pas plusieurs, tous. Et alors je pense que tu m'as aimée, ô
mon Dieu, sans mesure. Or, si ma pauvre foi d'alors, telle qu'elle pouvait
surgir dans une âme appesantie par les fautes, a tant obtenu de Toi, ma foi
de maintenant ne pourra-t-elle pas me défendre du Mal ?"
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"Oui, Marie. Veille et surveille toi-même. C'est humilité et prudence.
Mais aie foi dans le Seigneur. Il est avec toi."
485.4 - Ils entrent dans la maison. Marthe
va trouver son frère. Marie voudrait servir Jésus, mais il veut d'abord aller
voir Lazare. Ils entrent dans la pièce dans la pénombre, où se consomme le
sacrifice.
"Maître !"
"Mon ami !"
Les bras squelettiques de Lazare se tendent vers le haut, ceux de Jésus se
penchent pour embrasser le corps de l'ami languissant. Un long embrassement.
Puis Jésus recouche le malade sur les oreillers et le contemple avec pitié.
Mais Lazare sourit. Il est heureux. Dans son visage ravagé, ne resplendissent
vivants que les yeux enfoncés, mais rendus lumineux par la joie d'avoir là
Jésus.
"Tu vois ? Je suis venu, et pour rester beaucoup avec toi."
"Oh ! tu ne peux Seigneur. À moi, on ne dit pas tout, mais j'en sais
assez pour te dire que tu ne le peux. À la douleur qu'ils te donnent, ils
ajoutent la mienne, ma part, en ne me laissant pas expirer dans tes bras.
Mais moi qui t'aime, je ne puis par égoïsme te retenir près de moi, en
danger. Pour Toi... j'ai déjà pourvu... Tu dois changer d'endroit sans cesse.
Toutes mes maisons te sont ouvertes. Les gardiens ont des ordres et de même
les intendants de mes champs. Mais ne va pas séjourner au Gethsémani,
l'endroit est très surveillé. Je parle de la maison. Car dans les oliviers,
surtout ceux du haut, tu peux y aller et par plusieurs chemins, sans qu'ils
le sachent. Marziam,
tu sais qu'il est déjà ici ? Marziam a été interrogé par certains alors qu'il
était dans le pressoir avec Marc. Ils voulaient savoir où tu étais, si tu
venais. L'enfant a très bien répondu : "Il est Israélite et il
viendra. Par où, je ne sais pas, l'ayant quitté au Mérom". Ainsi il les a empêchés de
te dire pécheur et il n'a pas menti."
"Je te remercie, Lazare. Je t'écouterai, mais nous nous verrons souvent
tout de même".
Il le contemple encore.
"Tu me regardes, Maître ? Tu vois à quel point je suis réduit ? Comme un
arbre qui se dépouille de ses feuilles à l'automne, je me dépouille d'heure
en heure de chair, de forces et d'heures de vie. Mais je dis la vérité quand
je dis que, si je regrette de ne pas vivre assez pour voir ton triomphe, je
suis heureux de m'en aller pour ne pas voir, impuissant comme je le suis pour
la freiner, la haine qui grandit autour de Toi."
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"Tu n'es pas impuissant ; tu ne l'es jamais. Tu pourvois aux
besoins de ton Ami, dès avant qu'il n'arrive. J'ai deux maisons de paix, et
je pourrais dire également chères : celle de Nazareth, et celle-ci. Si
là-bas se trouve ma
Mère, l'amour céleste pour ainsi dire aussi grand que le Ciel
pour le Fils de Dieu, ici j'ai l'amour des hommes pour le Fils de l'homme,
l'amour amical, plein de foi et de vénération... Merci, mes amis !"
"Ta Mère ne viendra jamais ?"
"Au début du printemps."
"Oh ! alors, je ne la verrai plus..."
"Si. Tu la verras. C'est Moi qui te le dis. Tu dois me croire."
"Je crois à tout, Seigneur, même à ce que les faits démentent."
"Marziam, où est-il ?"
"À Jérusalem avec les disciples, mais il vient ici le soir, d'ici peu,
désormais. Et tes apôtres, ils ne sont pas avec Toi ?"
"Ils sont à côté avec Maximin qui vient au secours de leur
fatigue et de leur épuisement."
"Vous avez beaucoup marché ?"
"Beaucoup, sans arrêt. Je te raconterai... Pour l'instant, repose-toi.
Je te bénis pour maintenant."
Et Jésus le bénit et se retire.
485.5 - Les apôtres sont maintenant avec
Marziam et avec presque tous les bergers, et ils parlent de l'insistance des
pharisiens pour savoir quelque chose de Jésus. Ils disent que cela a éveillé
leurs soupçons, de sorte que leurs disciples ont pensé à se mettre de garde
sur toutes les routes qui conduisent à l'intérieur de Jérusalem pour avertir
le Maître.
"En effet, rapporte Isaac, nous sommes disséminés sur toutes
les routes à quelques stades des Portes, et à tour de rôle nous passons une
nuit ici. C'est notre tour."
"Maître, dit en riant Judas, ils disent qu'à la porte de Jaffa
il y avait la moitié du Sanhédrin. Ils se disputaient
entre eux, car certains rappelaient mes paroles d'Engannim ;
d'autres juraient avoir appris que tu avais été à Dothaïn ; d'autres, au
contraire, disaient qu'ils t'avaient vu près d'Éphraïm, et cela les
rendait furieux de ne pas savoir où tu étais..."
Et il rit de la farce qu'il a jouée aux ennemis de Jésus.
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"Demain ils me verront."
"Non, demain, c'est nous qui y allons. C'est déjà convenu : tous en
groupe, et en nous mettant bien en vue."
"Je ne veux pas. Tu mentirais."
"Je te jure que je ne mentirai pas. S'ils ne me disent rien, je ne leur
dis rien. S'ils nous demandent si tu es avec nous, je dirai : "Et ne
voyez-vous pas qu'il n'y est pas ?", et s'ils veulent savoir où tu es,
je répondrai : "Cherchez-le, vous. Comment voulez-vous que je sache
où est le Maître, en ce moment ?"
En effet, je ne pourrais certes pas savoir si tu es à la maison, ici, ou dans
les vergers, ou bien je ne sais où."
"Judas, Judas, je t'ai dit..."
"Et moi, je te dis que tu as raison. Mais ce ne sera pas toujours de ma
part simplicité de colombe, mais prudence de serpent. Toi la colombe, moi le
serpent. Et ensemble nous formerons cette perfection que tu as
enseignée".
Il prend le ton qu'a Jésus quand il instruit, et il dit, en imitant le Maître
à la perfection :
"Je vous envoie comme des brebis parmi des loups. Soyez donc prudents
comme les serpents et simples comme les colombes... Ne vous préoccupez pas
comment répondre, car à ce moment-là vous seront mises sur les lèvres les
paroles car ce n'est pas vous qui parlez, mais l'Esprit qui parle en vous...
Quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre jusqu'à ce
qu'arrive le Règne du Fils de l'homme..."
Je les rappelle et c'est le moment de les appliquer."
"Je ne les ai pas dites ainsi, et pas celles-ci seulement" objecte Jésus.
"Oh ! pour le moment, il ne faut se rappeler que celles-là, et les dire
ainsi. Je sais ce que tu veux dire. Mais si la foi en Toi ne s'est pas bien
établie, et c'est une pierre dans ton Royaume, il ne convient pas de se
livrer aux ennemis. Ensuite... nous dirons et ferons le reste..."
L'expression de Judas est si brillante d'intelligence et d'espièglerie qu'il
conquiert tout le monde, sauf Jésus qui soupire. C'est vraiment le séducteur
auquel rien ne manque pour triompher des hommes.
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Jésus soupire et réfléchit... Mais il se rend, en remarquant que la
prévoyance de Judas n'est pas entièrement mauvaise. Judas expose
triomphalement tout son plan.
"Nous irons donc demain et après-demain jusqu'au lendemain du sabbat, et
nous resterons dans une cabane de branchages dans la vallée du Cédron, en
parfaits Israélites. Eux se lasseront de t'attendre... et alors tu viendras.
En attendant, tu resteras ici, tranquille, à te reposer. Tu es épuisé, mon
Maître, et nous ne le voulons pas. Les portes closes, l'un de nous viendra te
dire ce qu'ils font. Oh ! ce sera beau de les voir déçus !"
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