Vision
du lundi 12 novembre 1945
98> On a de nouveau rejoint la route
après un long détour à travers les champs et après avoir passé un torrent sur
un petit pont de planches branlantes permettant seulement le passage des
personnes : une passerelle plutôt qu'un pont.
99> Et la marche continue à
travers la plaine qui se rétrécit de plus en plus car les collines se
rapprochent du littoral, au point qu'après un autre torrent avec
l'indispensable pont romain, la route de plaine devient route de montagne, en
se dédoublant au pont en une moins rapide qui s'éloigne vers le nord-est à
travers une vallée, tandis que celle choisie par Jésus, d'après l'indication
de la borne romaine : "Alexandroscène - m. V", est
un véritable escalier dans la montagne rocheuse et escarpée plongeant son
museau dans la Méditerranée, qui se découvre de plus en plus à la vue à
mesure que l'on monte. Seuls les piétons et les ânes suivent cette route, ces
gradins pourrait-on dire. Mais peut-être parce qu'elle est un raccourci avantageux,
la route est encore très battue et les gens observent avec curiosité le
groupe galiléen, si inhabituel, qui la suit.
"Ce doit être le cap de la tempête"
dit Mathieu en montrant le promontoire qui s'avance dans
la mer.
"Oui, voilà au-dessous le village dont nous a parlé le pêcheur"
approuve Jacques de Zébédée.
"Mais qui peut avoir construit cette route ?"
"Qui sait depuis combien de temps elle existe ! Les phéniciens
peut-être..."
"Du sommet nous allons voir Alexandroscène au-delà de laquelle se trouve
le Cap Blanc. Mon Jean, tu
vas voir une grande étendue de mer !" dit Jésus et Il met son bras autour des épaules de l'apôtre.
"J'en serai content. Mais il va bientôt faire nuit. Où allons-nous
reposer ?"
"À Alexandroscène. Tu vois ? La route commence à descendre.
Au-dessous se trouve la plaine jusqu'à la ville que l'on voit là-bas."
"C'est la ville de la femme
d'Antigonea... Comment pourrons-nous faire pour la contenter ?"
dit André.
"Tu sais, Maître? Elle nous a dit : " Allez à Alexandroscène.
Mes frères y ont des comptoirs et ils sont prosélytes. Parlez-leur du Maître.
Nous sommes fils de Dieu, nous aussi..." et elle pleurait parce qu'elle
était mal vue comme belle-fille... de sorte que jamais ses frères ne viennent
la voir et qu'elle est sans nouvelles d'eux..." explique Jean.
"Nous chercherons les frères de la femme. S'ils nous accueillent comme
pèlerins, nous pourrons lui faire ce plaisir..."
"Mais comment allons-nous faire pour dire que nous l’avons
vue ?"
"Elle est au service de Lazare. Nous
sommes amis de Lazare" dit Jésus.
"C'est vrai, Tu parleras, Toi..."
Haut
de page
100> "Oui. Mais activez la marche pour trouver la
maison. Savez-vous où elle est ?"
"Oui, près du Camp. Ils ont beaucoup de relations avec les romains
auxquels ils vendent tant de choses."
"C'est bien."
Ils font rapidement la route plane, belle, une vraie route consulaire qui
certainement communique avec celles de l'intérieur, ou plutôt, qui se
poursuit vers l'intérieur après avoir lancé son prolongement rocheux, en
gradins, le long de la côte, à cheval sur le promontoire.
Alexandroscène est une ville plus militaire
que civile, Elle doit avoir une importance stratégique que j'ignore. Blottie
comme elle l'est entre les deux promontoires, elle semble une sentinelle
préposée à la garde de ce coin de mer. Maintenant que l'œil peut voir l'un et
l'autre cap, on voit qu'il s'y dresse en grand nombre des tours fortifiées
qui forment une chaîne avec celles de la plaine, et de la ville où, vers la
côte, trône le Camp imposant.
Ils entrent dans la ville après avoir franchi un autre petit torrent situé
tout près des portes, et ils se dirigent vers la masse hostile de la
forteresse en jetant tout autour des regards curieux, et deviennent eux aussi
objets de curiosité.
Les soldats sont très nombreux et ils semblent en bons rapports avec les
habitants, ce qui fait bougonner les apôtres : "Gens de la
Phénicie ! Sans fierté !"
Ils arrivent aux magasins des frères d'Hermione alors
que les derniers acheteurs en sortent, chargés des marchandises les plus
variées, qui vont des draps aux nappes, et des fourrages aux grains, ou bien
à l'huile et aux aliments. Odeurs de cuir, d'épices, de paille, de laine
grège, remplissent le large hall par lequel on arrive dans une cour vaste
comme une place et sous les portiques de laquelle sont les nombreux dépôts.
Accourt un homme barbu et brun. "Que voulez-vous ? Des
vivres ?"
"Oui... et aussi le logement, si tu ne dédaignes pas de loger des pèlerins.
Nous venons de loin, et nous ne sommes jamais venus ici. Accueille-nous au
nom du Seigneur."
L’homme regarde attentivement Jésus, qui parle au nom de tous. Il le
scrute... Puis il dit : "Vraiment je ne donne pas le logement, mais
tu me plais. Tu es galiléen, n'est-ce pas ? Les galiléens valent mieux
que les juifs. Il y a trop de moisissure chez eux.
Haut
de page
101> Ils ne nous pardonnent pas d'avoir un
sang qui n'est pas pur. Ils feraient mieux d'avoir, eux, l'âme pure. Viens,
entre ici, j'arrive tout de suite. Je ferme parce qu'il va faire nuit."
En effet, c'est déjà. le crépuscule, et il fait encore plus sombre dans la
cour que domine le Camp puissant.
Ils entrent dans une pièce et ils s'assoient sur des sièges disposés çà et
là. Ils sont fatigués...
L'homme revient avec deux autres, l'un plus âgé, l'autre plus jeune, et il
montre les hôtes qui se lèvent en saluant, et dit : "Voici. Que
vous en semble-t-il ? Ils me paraissent honnêtes..."
"Oui. Tu as bien fait" dit le plus âgé à son frère et puis,
s'adressant aux hôtes, ou plutôt à Jésus qui semble clairement leur chef, il
demande: "Comment vous appelez-vous ?"
"Jésus de Nazareth, Jacques et Jude de Nazareth aussi, Jacques et Jean
de Bethsaïda, et aussi André, en plus Mathieu de Capharnaüm."
"Comment vous trouvez-vous ici ? Persécutés ?"
"Non. Nous évangélisons. Nous avons parcouru plus d'une fois la
Palestine, de la Galilée à la Judée, d'une mer à l'autre et nous avons été
jusqu'au-delà du Jourdain, dans l'Auranitide.
Maintenant nous sommes venus ici... pour enseigner."
"Un rabbi ici ? Cela nous étonne, n'est-ce pas, Philippe et Élie ?"
demande le plus âgé.
"Beaucoup. De quelle caste es-tu ?"
"D'aucune. Je suis de Dieu. Croient en Moi ceux du monde qui sont bons.
Je suis pauvre, j'aime les pauvres, mais je ne méprise pas les riches,
auxquels j'enseigne l'amour et la miséricorde et le détachement des
richesses, de même que j'enseigne aux pauvres d'aimer leur pauvreté en ayant
confiance à. Dieu qui ne laisse périr personne. Parmi mes amis riches et mes
disciples il y a Lazare de Béthanie..."
"Lazare ? Nous avons une sœur mariée à un de ses serviteurs."
"Je le sais. C'est pour cela aussi que je suis venu, pour vous dire
qu'elle vous salue et vous aime."
"Tu l'as vue ?"
"Pas Moi. Mais ceux qui sont avec Moi, envoyés par Lazare à
Antigonea."
"Oh ! dites ! Que fait Hermione ? Est-elle vraiment
heureuse ?"
"Son mari et sa belle-mère l'aiment beaucoup. Le beau-père la
respecte..." dit Jude Thaddée.
"Mais il ne lui pardonne pas le sang maternel. Dis-le."
Haut
de page
102> "Il est en passe de le lui pardonner. Il nous en a
fait de grandes louanges. Et elle a quatre enfants très beaux et gentils.
Cela la rend heureuse. Mais vous êtes toujours dans son cœur et elle a dit de
vous amener le Maître Divin."
"Mais... comment... Tu es le... Tu es celui qu'on appelle le Messie,
Toi ?"
"Je le suis."
"Tu es vraiment le... On nous a dit à Jérusalem que tu es, que l'on
t'appelle le Verbe de Dieu. Est-ce vrai ?"
"Oui."
"Mais l'es-tu pour ceux de là-bas ou bien pour tous ?"
"Pour tous. Pouvez-vous croire que je le suis ?"
"Croire ne coûte rien, surtout quand on espère que ce que l'on croit
peut enlever ce qui fait souffrir."
"C'est vrai, Élie. Mais ne parle pas ainsi. C'est une pensée très
impure, beaucoup plus que le sang mêlé. Réjouis-toi non pas dans l'espoir que
tombe ce qui te fait souffrir, comme homme, du mépris d'autrui, mais
réjouis-toi dans l'espoir de conquérir le Royaume des Cieux."
"Tu as raison. Je suis à moitié païen, Seigneur..."
"Ne te rabaisse pas. Je t'aime toi aussi et c'est aussi pour toi que je
suis venu."
"Ils doivent être fatigués, Élie. Tu les retiens par tes discours.
Allons souper et puis conduisons-les se reposer. Il n'y a pas de femmes
ici... Aucune israélite n'a voulu de nous et nous désirions une d'elles...
Pardonne-nous donc si la maison te parait froide et sans ornements."
"Votre bon cœur me la rendra ornée et chaude."
"Combien de temps restes-tu ?"
"Pas plus d'un jour. Je veux aller vers Tyr et Sidon et je voudrais être
à Aczib avant le sabbat."
"Tu ne peux pas, Seigneur ! Sidon est loin !!"
|