Le mardi 13 novembre
1945.
221> 329.1 – La cour des trois frères
est moitié à l'ombre, moitié au soleil. Elle est pleine de gens qui vont et viennent
pour leurs achats alors qu'en dehors du portail, sur la petite place, on
entend la rumeur du marché d'Alexandroscène avec le va-et-vient confus des
acheteurs et des vendeurs. avec le bruit des ânes, des brebis, des agneaux,
des poules. On comprend qu'ici, il y a moins de complications et on apporte
même les poulets au marché sans craindre de contaminations d'aucune sorte.
Braiments, bêlements, gloussement des poules et cocorico triomphant des coqs
se mêlent aux voix des hommes en un chœur joyeux qui parfois monte à des
notes aiguës et dramatiques à la suite de quelque altercation.
Même dans la cour des frères il règne un bruit confus et il se produit
quelque altercation ou pour le prix ou parce qu'un acheteur a pris une chose
qu'un autre voulait acquérir. Elle n'est pas absente non plus la plainte
lamentable des mendiants qui de la place, près du portail, défilent la
litanie de leurs misères sur un air triste comme la plainte d'un mourant.
Des soldats romains vont et viennent en maîtres dans l'entrepôt et sur la
place. Je suppose que c'est un service d'ordre, car je les vois armés, et
jamais seuls, parmi les phéniciens tous armés.
Jésus aussi va et vient dans la cour, se promenant avec les six apôtres,
attendant le moment favorable pour parler. Et puis. Il sort un moment sur la
place en passant près des mendiants auxquels il donne une obole. Les gens se
distraient pendant quelques minutes pour regarder le groupe des galiléens et
se demandent qui sont ces étrangers. Et il en est qui informent, parce qu'ils
ont demandé aux trois frères, qui sont leurs hôtes.
Un murmure suit les pas de Jésus qui s'en va tranquillement caressant les
enfants qu'il trouve sur son chemin. Il y a aussi, au milieu du murmure, les
ricanements et les épithètes peu flatteuses pour les hébreux, et aussi le
désir honnête d'entendre ce "Prophète", ce "Rabbi", ce
"Saint", ce "Messie" d'Israël, auquel ils donnent ces
noms lorsqu'ils en parlent, selon leur degré de foi et de rectitude de leurs
âmes.
Haut
de page.
222> 329.2 – 'entends deux mères :
"Mais est-ce vrai ?"
"C'est Daniel qui me l'a dit, justement à moi. Il
a parlé à Jérusalem avec des gens qui ont vu les miracles du Saint."
"Oui, d'accord ! Mais est-ce bien cet homme ?"
"Oh ! Daniel m'a dit que ce ne peut être que Lui à cause de ce
qu'il dit."
"Alors... que dis-tu ? Il me fera grâce même si je ne suis que
prosélyte ?"
"Je dirais que oui... Essaie. Peut-être il ne reviendra plus ici chez
nous. Essaie, essaie ! Il ne te fera sûrement pas de mal !"
"J'y vais" dit la petite femme en laissant en plan le vendeur de
vaisselle avec lequel elle marchandait des assiettes. Le vendeur qui a
entendu la conversation des deux femmes, déçu, irrité à cause de la bonne
affaire qui s'en va en fumée, s'en prend à la femme qui est restée, la
couvrant d'injures telles que : "Prosélyte maudite. Sang d'hébreux.
Femme vendue" et cætera.
J'entends deux hommes graves et barbus :
"J'aimerais l'entendre. On dit que c'est un grand Rabbi."
"Un Prophète, dois-tu dire. Plus grand que le Baptiste. Élie m'a dit
certaines choses ! Certaines choses ! Il est au courant, car il a
une sœur mariée à un serviteur d'un grand riche d'Israël, et pour avoir de
ses nouvelles s'informe auprès des serviteurs. Ce riche est très ami du
Rabbi..."
Un troisième, un phénicien peut-être, qui a entendu parce qu'il était tout
près, amène sa figure sournoise, moqueuse entre les deux, et raille :
"Belle sainteté ! Confite dans la richesse ! À mon avis, un
saint devrait vivre pauvrement !"
"Tais-toi, Doro, langue maudite. Tu n'es pas digne, toi païen, de juger
ces choses."
"Ah ! vous en êtes dignes vous, toi spécialement, Samuel ! Tu
ferais mieux de me payer ce que tu me dois."
"Tiens ! et ne me tourne plus autour, vampire à la face de
faune !"...
J'entends un vieillard à moitié aveugle, accompagné d'une fillette, qui
demande :
"Où est ? Où est le Messie ?"
Haut de page.
223> Et la petite crie :
"Laissez passer le vieux Marc ! Veuillez dire au vieux Marc où se
trouve le Messie !"
Les deux voix, celle du vieillard, faible et tremblante, celle de la
fillette, argentine et assurée, se répandent sur la place, inutile- ment,
jusqu'à ce qu'un autre homme dise :
"Vous voulez trouver le Rabbi ? Il est revenu vers la maison de
Daniel. Le voilà arrêté qui parle avec des mendiants."
329.3 – J'entends
deux soldats romains :
"Ce doit être celui que persécutent les juifs, les bonnes peaux !
On voit, rien qu'à le regarder, qu'il vaut mieux qu'eux."
"C'est pour cela qu'il leur cause des ennuis !"
"Allons le dire au porte-drapeau. C'est l'ordre."
"Un ordre stupide, Caïus ! Rome a peur des agneaux et elle
supporte, il faudrait dire, caresse, les tigres." (Scipion).
"Il ne me semble pas, Scipion ! Ponce massacre
facilement !" (Caïus).
"Oui, mais il ne ferme pas sa maison aux hyènes qui le flattent."
(Scipion).
"Politique, Scipion ! Politique !" (Caïus).
"Lâcheté, Caïus, et sottise. C'est de celui-ci qu'il devrait être l'ami,
pour avoir de l'aide pour garder dans l'obéissance cette racaille asiatique.
Il ne sert pas bien Rome, Ponce, en négligeant cet homme qui est bon, et en
flattant les mauvais." (Scipion).
"Ne critique pas le Proconsul. Nous sommes des soldats, et le supérieur
est sacré comme un dieu. Nous avons juré obéissance au divin César et le
Proconsul est son représentant." (Caïus).
"Cela va bien pour ce qui concerne le devoir envers la Patrie, sacrée et
immortelle. Mais cela ne vaut pas pour le jugement intérieur."
(Scipion).
"Mais l'obéissance vient du jugement. Si ton jugement se révolte contre
un ordre et le critique, tu n'obéiras plus totalement. Rome s'appuie sur
notre obéissance aveugle pour protéger ses conquêtes." (Caïus).
"Tu sembles un tribun et tu parles bien. Mais je te fais remarquer que
si Rome est reine, nous ne sommes pas des esclaves, mais des sujets. Rome n'a
pas, ne doit pas avoir, de citoyens esclaves. C'est l'esclavage qui impose le
silence à la raison des citoyens. Moi, je dis que ma raison juge que Ponce
agit mal en négligeant cet israélite appelle-le Messie, Saint, Prophète,
Rabbi, à ton goût.
Haut de page.
224> Et j'ai le sentiment que je puis le
dire car ma fidélité à Rome n'en est pas amoindrie, ni mon amour. Mais, au contraire,
je le voudrais parce que Lui, en enseignant le respect envers les lois et les
Consuls, comme il le fait, coopère à la prospérité de Rome." (Scipion).
"Tu es cultivé, Scipion... Tu feras ton chemin. Tu es déjà avancé !
Moi, je suis un pauvre soldat. Mais, en attendant, tu vois là ? Il y a
un rassemblement autour de cet Homme. Allons le dire aux chefs."
- (Caïus)...
329.4 – En
effet près du portail des trois frères, il y a un tas de gens autour de Jésus
qui, par sa grande taille, est bien en vue. Puis tout à coup un cri s'élève,
et les gens s'agitent. Certains accourent du marché alors que d'autres
s'éloignent vers la place et au-delà.
Questions... réponses...
"Qu'est-il arrivé ?"
"Qu'y a-t-il ?"
"L'Homme d'Israël a guéri le vieux
Marc !"
"Le voile de ses yeux a disparu."
Jésus, entre temps, est entré dans la cour avec une suite de gens. En
arrière, se traînant péniblement, il y a un des mendiants, un bancal qui se
traîne avec les mains plutôt qu'avec les jambes. Mais si les jambes sont
tordues et sans force, et sans l'aide de béquilles il ne saurait avancer, la
voix est très robuste ! On dirait une sirène qui déchire l'atmosphère
ensoleillée du matin :
"Saint ! Saint ! Messie ! Rabbi ! Pitié !"
Il ne cesse de crier à perdre haleine.
Deux ou trois personnes se retournent :
"Garde ton souffle ! Marc est hébreu, toi, pas."
"Il accorde des grâces aux vrais israélites, pas aux fils de
chiens !"
"Ma mère était juive..."
"Et Dieu l'a frappée en te donnant à elle, toi monstre, à cause de son
péché. Va-t'en, fils de louve ! Retourne à ta place, être pétri de
boue..."
L'homme s'adosse au mur, humilié, effrayé par
la menace des poings tendus...
Jésus s'arrête, se retourne, regarde. Il commande :
"Homme, viens ici !"
L'homme le regarde, regarde ceux qui le menacent... et il n'ose pas avancer.
Haut de page.
225> Jésus fend la petite foule et il va
à lui. Il le prend par la main, c'est-à-dire lui met la main sur l'épaule, et
dit :
"N'aie pas peur. Viens avec Moi"
Et regardant les gens cruels, il dit, l'air sévère :
"Dieu appartient à tous les hommes qui le cherchent et sont
miséricordieux."
Les gens comprennent l'allusion, et maintenant ce sont eux qui restent en
arrière, ou plutôt qui s'arrêtent où ils sont.
Jésus se retourne. Il les voit là, confus, prêts à s'en aller, et il leur
dit :
"Non, venez, vous-aussi. Cela vous fera du bien à vous aussi, cela
redressera et fortifiera votre âme comme je redresse et fortifie cet homme
parce qu'il a su avoir foi. Homme, je te le dis, sois guéri de ton
infirmité."
Et il retire la main de l'épaule du bancal après que celui-ci ait éprouvé une
sorte de secousse. L'homme se redresse avec assurance sur ses jambes, jette
ses vieilles béquilles et il crie :
"Il m'a guéri ! Louange au Dieu de ma mère !"
Puis il s'agenouille pour baiser le bord du vêtement de Jésus.
329.5 – L'agitation des gens qui
veulent voir, ou qui, ayant vu, font des commentaires, est à son comble. Dans
le fond de l'entrée qui mène de la place à la cour, les cris qui viennent de
la foule résonnent bruyamment et se répercutent contre les murs du Camp.
Les troupes doivent craindre qu'il se soit produit une rixe - cela doit se
produire facilement dans ces endroits où il y a tant d'oppositions de races
et de religions - et le porte-drapeau accourt en se frayant brutalement un
chemin et en demandant ce qui arrive.
"Un miracle, un miracle ! Jonas, le bancal, a été guéri, Le voilà,
près de l'Homme de Galilée."
Les soldats se regardent entre eux. Ils ne parlent pas jusqu'à ce que toute
la foule se soit écoulée, mais en arrière, il s'en est rassemblé une autre
des gens qui étaient dans les magasins ou sur la place, où ne sont restés que
les vendeurs pleins de dépit à cause de la diversion imprévue qui réduit à
rien le marché de ce jour. Puis, voyant passer un des trois frères, ils
demandent :
"Philippe, sais-tu ce que va faire maintenant le Rabbi ?"
"Il parle, il enseigne, et dans ma cour !" dit Philippe tout
joyeux.
Haut de page.
226> Les soldats s'interrogent :
Rester ? S'en aller ?
"Le chef nous a dit de surveiller..."
"Qui ? L'Homme ? Mais pour Lui, nous pourrions jouer aux dés
une amphore de vin de Chypre" dit Scipion, le soldat qui auparavant
défendait Jésus auprès de son compagnon.
"Moi, je dirais que c'est Lui qui a besoin qu'on le protège, pas le
droit de Rome ! Vous le voyez là-bas ? Parmi nos dieux, il n'y en a
aucun de si doux et pourtant d'aspect si viril. Cette racaille n'est pas
digne de le posséder, et les indignes sont toujours mauvais. Restons pour le
protéger. À l'occasion, nous le tirerons d’affaire et nous caresserons les
épaules de ces galériens" dit un autre. Son intervention est un mélange
de moquerie et d'admiration.
"Tu parles bien, Pudens. D'ailleurs Atius (Azio), va appeler Procore le
chef. Il rêve toujours de complots contre Rome et... d'avancement pour lui,
pour récompenser son activité toujours en éveil pour le salut du divin César
et de la déesse Rome, mère et maîtresse du monde. Il se persuadera qu'ici il
n'acquerra pas de brassard ni de couronne."
329.6 – Un
jeune soldat part en courant - et revient de même en disant :
"Procore ne vient pas. Il envoie le triaire
Aquila…"
"Bien ! Bien ! Mieux vaut lui que Cecilius Maximus lui-même,
Aquila a servi en Afrique, en Gaule, et il a été dans les forêts cruelles qui nous ont enlevé Varus et ses légions. Il connaît les grecs et les
bretons et il a un bon flair pour s'y reconnaître... Oh ! Salut !
Voilà le glorieux Aquila ! Viens, apprends-nous, à nous misérables, à
connaître la valeur des êtres !"
"Vive Aquila, chef des troupes !" crient tous les soldats en
donnant des tapes affectueuses au vieux soldat, dont on ne compte plus les
cicatrices sur le visage, les bras et les mollets nus.
Lui sourit d'un air débonnaire et il s'écrie :
"Vive Rome, maîtresse du monde ! Pas moi, pauvre soldat. Qu'y
a-t-il donc ?"
"Il faut surveiller cet homme grand et qui est blond comme le cuivre le
plus clair."
"Bien ! Mais qui est-ce ?"
"Ils l'appellent le Messie. Il s'appelle Jésus et il est de Nazareth.
C'est celui, sais-tu, pour qui on a transmis l'ordre..."
"Hum ! Peut-être... Mais il me semble que nous courons après les
nuages."
Haut de page.
227> "Ils disent qu'il veut se
faire roi et supplanter Rome. Il a été dénoncé par le Sanhédrin, et les
pharisiens, les sadducéens, les hérodiens, à Ponce, Tu sais que les hébreux
ont ce ver dans le crâne et, de temps à autre, il en sort un roi..."
"Oui, qui... Mais si c'est pour cela !... De toute façon écoutons
ce qu'il dit. Il me semble qu'il se dispose à parler."
"J'ai su par un soldat qui est avec le centurion que Publius
Quintilianus lui en a parlé comme d'un philosophe divin... Les femmes
impériales en sont enthousiastes..." dit un autre soldat, qui est jeune.
"Je le crois ! J'en serais enthousiaste moi aussi si j'étais une
femme et je le voudrais dans mon lit..." dit en riant franchement un
autre jeune soldat.
"Tais-toi, impudique ! La luxure te dévore !" plaisante
un autre.
"Et toi pas, Fabius ! Anne, Sira,
Alba, Marie..."
"Tais-toi, Sabin. Il parle et je veux écouter" commande le triaire,
et tous se taisent.
329.7 – Jésus
est monté sur une caisse installée contre un mur, il est donc bien visible
pour tout le monde. Son doux salut s'est déjà répandu dans l'air et il a été
suivi par les paroles :
"Enfants d'un unique Créateur, écoutez" puis, dans le silence
attentif des gens, il continue.
"Le Temps de la Grâce est venu pour tous, non seulement pour Israël,
mais pour le monde entier.
Hébreux, qui vous trouvez ici pour diverses raisons, prosélytes, phéniciens, gentils, écoutez tous la Parole de Dieu, comprenez la
Justice, connaissez la Charité. Possédant la Sagesse, la Justice et la
Charité, vous aurez le moyen d'arriver au Royaume de Dieu, à ce Royaume qui
n'est pas réservé aux seuls fils d'Israël, mais à tous ceux qui désormais
aimeront le Vrai, l'Unique Dieu et croiront à la parole de son Verbe.
329.8 – Écoutez.
Je suis venu de si loin non pas avec des visées d'usurpateur, ni avec la
violence de conquérant. Je suis venu seulement pour être le Sauveur de vos
âmes. La puissance, la richesse, les charges ne me séduisent pas, Elles ne
sont rien pour Moi, et je ne les regarde même pas, ou plutôt, je les regarde
pour en avoir pitié parce qu'elles me font pitié, car ce sont autant de
chaînes pour retenir prisonnier votre esprit, en l'empêchant de venir au
Seigneur Eternel, Unique, Universel, Saint et Béni. Je les regarde et les
approche comme les plus grandes misères.
Haut de page.
228> Et je cherche à guérir les hommes
de leurs fascinantes et cruelles tromperies qui séduisent les fils de
l'homme, pour qu'ils puissent en user avec justice et sainteté, non comme des
armes cruelles qui blessent et tuent l'homme, et toujours pour commencer
l'esprit de ceux qui ne savent pas en user saintement.
Mais, en vérité, je vous dis que pour Moi il
est plus facile de guérir un corps difforme qu'une âme difforme. Il est plus
facile de donner la lumière à des pupilles éteintes, la santé à un corps qui
meurt, que de donner la lumière aux esprits et la santé aux âmes malades.
Pourquoi cela ? Parce que l'homme a perdu de vue la fin véritable de sa
vie et se laisse absorber par ce qui est transitoire. L'homme ne sait pas ou ne se souvient pas,
ou s'il se souvient, il ne veut pas obéir à cette sainte injonction du
Seigneur et, je parle aussi pour les gentils qui m'écoutent, de faire le
Bien, car le Bien existe à Rome comme à Athènes, en Gaule comme en Afrique,
car la loi morale existe sous tous les cieux, dans toute religion, dans tout
cœur droit. Et les religions, depuis celle de Dieu jusqu'à celle de la morale
isolée, disent que ce qu'il y a de meilleur en nous survit et que c'est selon
comme il se sera comporté que son sort sera fixé de l'autre côté.
La fin de l'homme est donc la conquête de la paix dans l'autre vie, non pas
la bombance, l'usure, la domination, le plaisir, ici-bas, pour un temps
limité, qu'il faut payer pendant l'éternité, par des tourments très durs. Eh
bien, l'homme ne sait pas, ou ne se rappelle pas, ou ne veut pas se rappeler,
cette vérité. S'il ne la connaît pas, il est moins coupable. S'il ne s'en
souvient pas, il a une certaine culpabilité, car il
faut garder la vérité allumée comme un saint flambeau dans les esprits et
dans les cœurs. Mais, s'il ne veut pas s'en souvenir et si, quand elle
flambe, il ferme les yeux pour ne pas la voir, en la haïssant comme la voix
d'un rhéteur pédant, alors sa faute est grave, très grave.
329.9 – Et pourtant Dieu lui pardonne,
si l'âme répudie sa mauvaise façon d'agir et se propose de poursuivre, pour
le reste de sa vie, la vraie fin de l'homme qui est de conquérir la paix
éternelle dans le Royaume du vrai Dieu. Avez-vous jusqu'à maintenant suivi
une mauvaise route ? Avilis, pensez-vous qu'il soit trop tard pour
prendre le bon chemin ? Est-ce que, désolés, vous dites : "Je
ne savais rien de tout cela ! Et maintenant je suis ignorant et je ne
sais pas m'y prendre" ? Non, ne pensez pas qu'il en soit comme des
choses matérielles et qu'il faut beaucoup de temps et de peine pour refaire
ce qui a déjà été fait, mais avec sainteté.
Haut de page.
229> La bonté de l'Éternel, le Véritable
Seigneur Dieu, est telle qu'il ne vous fait certainement pas parcourir de
nouveau à rebours le chemin déjà fait, pour vous ramener au carrefour où
vous, en errant, avez quitté le bon sentier pour le mauvais. Elle est si
grande que du moment où vous dites : " Je veux appartenir à
la Vérité", c'est-à-dire à Dieu parce que Dieu est Vérité, Dieu, par un
miracle tout spirituel, verse en vous la Sagesse par laquelle d'ignorants
vous devenez possesseurs de la Science surnaturelle, comme ceux qui depuis
des années la possèdent.
La Sagesse c'est vouloir Dieu, aimer Dieu, cultiver l'esprit, tendre au
Royaume de Dieu en répudiant tout ce qui est chair, monde et Satan. La
Sagesse c'est obéir à la Loi de Dieu qui est loi de Charité, d'Obéissance, de
Continence, d'Honnêteté. La Sagesse c'est aimer Dieu avec tout soi-même,
aimer le prochain comme nous-mêmes. Ce sont les deux éléments indispensables
pour être sages de la Sagesse de Dieu. Et dans notre prochain, il n’y a pas
seulement ceux de notre sang ou de notre race et de notre religion, mais tous
les hommes riches ou pauvres, sages ou ignorants, hébreux, prosélytes,
phéniciens, grecs, romains..."
329.10 – Jésus
est interrompu par des cris menaçants de certains forcenés. il les regarde et
il dit :
"Oui, cela c'est l'amour. Je ne suis pas un maître servile. Je dis la
vérité, car c'est ainsi que je dois faire pour semer en vous ce qui est
nécessaire pour la Vie éternelle. Que cela vous plaise ou non, je dois vous
le dire pour faire mon devoir de Rédempteur. À vous de faire le vôtre de
besogneux de la Rédemption. Aimez donc le prochain, tout le prochain,
d'un amour saint. Non pas d'un louche concubinage d'intérêts pour
lequel est "anathème" le romain, le phénicien ou le prosélyte ou
vice versa, tant que ne se mêlent pas la sensualité ou l'argent, alors que
s'il y a soif de sensualité ou intérêt d'argent les "anathèmes"
disparaissent..."
Une autre rumeur de la foule alors que les romains, de leur place dans
l'atrium, s'écrient :
"Par Jupiter ! Il parle bien celui-ci !"
Jésus laisse la rumeur se calmer et reprend :
"Aimer le prochain comme nous voudrions être aimés. Car cela ne nous
fait pas plaisir d'être maltraités, vexés, volés, opprimés, calomniés,
insultés.
Haut de page.
230> Les autres ont la même
susceptibilité nationale ou personnelle. Ne faisons donc pas le mal que nous
ne voudrions pas réciproquement qu'il nous fût fait.
La Sagesse c'est d'obéir aux dix
Commandements de Dieu :
"Je suis le Seigneur ton Dieu. N'en aie pas d'autre en dehors de Moi.
N'aie pas d'idoles, ne leur rends pas un culte.
N'emploie pas le Nom de Dieu en vain. C'est le Nom du Seigneur, ton Dieu, et
Dieu punira celui qui s'en sert sans raison, ou pour des imprécations, ou
pour valider un péché.
Souviens-toi de sanctifier les fêtes. Le sabbat est sacré pour le Seigneur
qui s'y reposa de la Création, et l'a béni et sanctifié.
Honore ton père et ta mère afin de vivre en paix longuement sur la terre et
éternellement dans le Ciel.
Ne tue pas.
Ne commets pas l'adultère.
Ne vole pas.
Ne parle pas faussement contre ton prochain.
Ne désire pas la maison, la femme, le serviteur, la servante, le bœuf, l'âne
de ton prochain, ni autre chose qui lui appartienne"
Cela, c'est la Sagesse. Celui qui fait cela est sage et il conquiert la Vie
et le Royaume sans fin. Donc à partir d'aujourd'hui, proposez-vous de vivre
selon la Sagesse en la faisant passer avant les pauvres choses de la terre.
329.11 – Que
dites-vous ? Parlez. Vous dites qu'il est tard ? Non. Écoutez une
parabole.
Un maître sortit au point du jour pour
engager des travailleurs pour sa vigne et il convint avec eux d'un denier
pour la journée.
Il sortit de nouveau à l'heure de tierce et, réfléchissant que les
travailleurs engagés étaient peu nombreux, voyant d'autre part sur la place
des travailleurs désœuvrés qui attendaient qu'on les embauche, il les prit et
il leur dit :
"Allez à ma vigne, et je vous donnerai ce que j'ai promis aux
autres". Et ils y allèrent.
Il sortit à sexte et à none et il en vit d'autres encore et il leur
dit :
"Voulez-vous travailler dans mon domaine? Je donne un denier par jour à
mes travailleurs".
Haut de page.
231> Ces derniers acceptèrent et ils y
allèrent. Il sortit enfin vers la onzième heure et il en vit d'autres qui
paressaient au coucher du soleil.
"Que faites-vous, ainsi oisifs ? N'avez-vous pas honte de rester à
rien faire pendant tout le jour ?" leur demanda-t-il.
"Personne ne nous a embauchés pour la journée. Nous aurions voulu
travailler et gagner notre nourriture, mais personne ne nous a appelés à sa
vigne"
"Eh bien, je vous embauche pour ma vigne. Allez et vous aurez le salaire
des autres". Il parla ainsi, car c'était un bon maître et il avait pitié
de l'avilissement de son prochain.
Le soir venu et les travaux terminés, l'homme appela son intendant et lui
dit :
"Appelle les travailleurs, et paie-leur leur salaire selon ce que j'ai
fixé, en commençant par les derniers qui sont les plus besogneux, n'ayant pas
eu pendant la journée la nourriture que les autres ont eue une ou plusieurs
fois et qui, même par reconnaissance pour ma pitié, ont travaillé plus que
tous. Je les ai observés : renvoie-les, pour qu'ils aillent au repos
qu'ils ont bien mérité et pour jouir avec les leurs du fruit de leur
travail".
Et l'intendant fit ce que le maître ordonnait en donnant à chacun un denier.
Vinrent en dernier ceux qui travaillaient depuis la première heure du jour.
Ils furent étonnés de ne recevoir, eux aussi, qu'un seul denier, et ils se
plaignirent entre eux et à l'intendant qui leur dit :
"J'ai reçu cet ordre. Allez vous plaindre au maître et pas à moi".
Ils s'y rendirent et ils dirent :
"Voilà, tu n'es pas juste ! Nous avons travaillé douze heures,
d'abord à la rosée et puis au soleil ardent et puis de nouveau dans
l'humidité du soir, et tu nous as donné le même salaire qu'à ces paresseux
qui n'ont travaillé qu'une heure !... Pourquoi cela ?"
Et l'un d'eux, surtout, élevait la voix en se déclarant trahi et indignement
exploité.
"Ami, en quoi t'ai-je fait tort ? De quoi ai-je convenu avec toi à
l'aube ? Une journée de travail continu pour un denier de
salaire. N'est-ce pas ?"
Haut de page.
232> "C'est vrai. Mais tu as donné
la même chose à ceux qui ont si peu travaillé…"
"N'as-tu pas accepté ce salaire qui te paraissait
convenable ?"
"Oui, j'ai accepté, parce que les autres donnaient encore moins".
"As-tu été maltraité ici par moi ?"
"Non, en conscience, non".
"Je t'ai accordé un long repos pendant le jour et la nourriture,
n'est-ce pas ? Je t'ai donné trois repas. Et on n'était pas convenu de
la nourriture et du repos. N'est-ce pas ?"
"Oui, ils n'étaient pas convenus."
"Pourquoi alors les as-tu acceptés ?"
"Mais... Tu as dit : 'Je préfère agir ainsi pour que vous ne soyez
pas trop lassés en revenant chez vous'. Et cela nous semblait trop beau... Ta
nourriture était bonne, c'était une économie, c'était..."
"C'était une faveur que je vous faisais gratuitement et personne ne
pouvait y prétendre. N'est-ce pas ?"
"C'est vrai".
"Je vous ai donc favorisés. Pourquoi vous lamentez-vous ? C'est moi
qui devrais me plaindre de vous qui, comprenant que vous aviez affaire à un
bon maître, vous travailliez nonchalamment alors que ceux qui étaient venus
après vous, avec le bénéfice d'un seul repas, et les derniers sans repas,
travaillaient avec plus d'entrain faisant en moins de temps le même travail
que vous avez fait en douze heures. Je vous aurais trahis si, pour payer
ceux-ci, je vous avais enlevé la moitié de votre salaire. Pas ainsi. Prends
donc ce qui te revient et va-t-en. Voudrais-tu venir chez moi pour m'imposer
tes volontés ? Moi, je fais ce que je veux et ce qui est juste. Ne sois
pas méchant et ne me porte pas à l'injustice. Je suis bon".
329.12 – O
vous tous qui m'écoutez, je vous dis en vérité que Dieu le Père propose à
tous les hommes les mêmes conditions et promet un même salaire. Celui qui
avec zèle se met au service du Seigneur sera traité par Lui avec justice,
même s'il n'a pas beaucoup travaillé à cause de l'imminence de sa mort. En
vérité je vous dis que ce ne sont pas toujours les premiers qui seront les
premiers dans le Royaume des Cieux, et que là-haut on verra de ceux qui
étaient les derniers, devenir les premiers et d'autres qui étaient les
premiers être les derniers. Là on verra beaucoup d'hommes, qui
n'appartiennent pas à Israël, plus saints que beaucoup d'Israël.
Haut de page.
233> Je suis venu appeler tout le monde,
au nom de Dieu. Mais si les appelés sont nombreux, peu nombreux sont les
choisis, car peu nombreux sont ceux qui veulent la Sagesse. N'est pas sage celui qui vit du monde et de la
chair, et non pas de Dieu. Il n'est pas sage, ni pour la terre, ni pour le
Ciel. Car sur la terre il s'attire des ennemis, des punitions, des remords.
Et pour le Ciel, il perd tout pour l'éternité.
Je répète : soyez bons avec le prochain quel qu'il soit. Soyez
obéissants, en laissant à Dieu le soin de punir celui qui donne des ordres
injustes. Soyez continents en sachant résister aux sens, honnêtes en
résistant à l'or. Soyez cohérents pour dire anathème à ce qui le mérite et à
le refuser quand la chose vous semble juste, quitte ensuite à établir des
relations avec ceux dont vous aviez d'abord maudit l'idée. Ne faites pas aux
autres ce que vous ne vous ne voudriez pas qu'il vous soit fait, et alors..."
329.13 – "Mais
va-t-en, ennuyeux prophète ! Tu nous as gâté
le marché !... Tu nous as enlevé les clients !..." crient les
marchands en faisant irruption dans la cour...
Et ceux qui avaient murmuré dans la cour aux premiers enseignements de Jésus
- ce n'était pas seulement des phéniciens mais aussi des hébreux qui se
trouvent dans la ville, pour je ne sais quel motif - s'unissent aux marchands
pour insulter et menacer et surtout pour le chasser...
Jésus ne plaît pas parce qu'il ne pousse pas au mal...
Il croise les bras et regarde, attristé, solennel.
Les gens, divisés en deux partis, en viennent aux mains pour défendre ou
attaquer le Nazaréen. Insultes, louanges, malédictions, bénédictions, des
apostrophes :
"Ils ont raison les pharisiens. Tu es vendu à Rome, l'ami des publicains
et des courtisanes"
Ou par contre :
"Taisez-vous, blasphémateurs ! C'est vous qui êtes vendus à Rome,
phéniciens d'enfer !"
"Vous êtes des Satans !"
"Que l'Enfer vous engloutisse !"
"Hors d'ici ! Hors d'ici !"
"Hors d'ici, voleurs qui venez faire le marché ici, usuriers" et
cætera.
Les soldats interviennent en disant :
"Ce n'est pas Lui qui met le trouble ! Il le subit !" Et
avec leurs lances ils font évacuer la cour et ferment le portail.
Haut de page.
234> Il reste avec Jésus les trois
frères prosélytes et les six disciples.
"Mais comment vous est-il venu à l'idée de le faire parler ?"
demande le triaire aux trois frères.
"Il y en a tant qui parlent !" répond Élie.
"Oui. Et il n'arrive rien car ils enseignent ce qui plaît à l'homme.
Mais ce n'est pas cela que Lui enseigne, et ils ne le digèrent pas..."
Le vieux soldat regarde avec attention Jésus qui est descendu de sa place et
qui est debout, comme abstrait.
Au dehors la foule est toujours en effervescence. Aussi on fait sortir
d'autres troupes de la caserne et avec elles le centurion en personne, Ils
frappent et se font ouvrir, alors que d'autres restent pour repousser aussi
bien ceux qui crient :
"Vive le Roi d'Israël!", que ceux qui le maudissent.
Le centurion s'amène inquiet et, en colère, s'en prend au vieil Aquila :
"C'est ainsi que tu fais respecter Rome, toi ? En laissant acclamer
un roi étranger sur une terre soumise ?"
Le vieux soldat salue avec froideur et répond :
"Il enseignait le respect et l'obéissance et il parlait d'un royaume qui
n'est pas de cette terre. C'est pour cela qu’ils le haïssent. Car il est bon
et respectueux. Je n'ai pas trouvé motif d'imposer le silence à quelqu'un qui
n'attaquait pas notre loi."
Le centurion se calme et bougonne :
"Alors c'est une nouvelle sédition de cette infecte racaille... C'est
bien. Donnez l'ordre à l'homme de s'en aller immédiatement. Je ne veux
pas d'histoires, ici, Obéissez et escortez-le hors de la ville dès que le
chemin sera libre. Qu'il aille où il Lui plaira, aux enfers s'il le veut,
mais qu'il sorte de ma juridiction. Compris ?"
"Oui. Nous le ferons."
Le centurion tourne le dos en faisant briller sa cuirasse et ondoyer son
manteau pourpre, et il s'en va sans même regarder Jésus.
329.14 – Les
trois frères disent au Maître :
"Nous sommes désolés..."
"Ce n'est pas votre faute. Et ne craignez pas, vous n'en éprouverez pas
de mal. C'est Moi qui vous le dis..."
Les trois changent de couleur... Philippe dit :
"Comment connais- tu notre peur ?"
Haut de page.
235> Jésus sourit doucement, un rayon de
soleil sur son visage attristé :
"Je sais ce qu'il y a dans les cœurs et je connais l'avenir."
Les soldats, en attendant, se sont mis au soleil. Ils lorgnent, commentent...
"Comment donc pourraient-ils nous aimer, s'ils le détestent Lui qui ne
les opprime pas ?"
"Et qui fait des miracles, devrais-tu dire..."
"Par Hercule ! Quel est celui de nous qui est allé prévenir qu'il y
avait un suspect ?"
"C'est Caïus !"
"Celui qui fait du zèle ! En attendant, nous avons manqué la soupe
et je prévois que je vais perdre le baiser d'une fillette !…
Ah !"
"Épicurien ! Où est ta belle ?"
"Je ne te le dirai sûrement pas à toi, ami !"
"Elle est derrière le potier, du côté des Fondations. Je le sais. Je
t'ai vu, il y a quelques soirs..." dit un autre.
329.15 – Le
triaire, comme s'il passait, va vers Jésus et Lui tourne autour, il le
regarde, le regarde. Il ne sait que dire... Jésus lui sourit pour
l'encourager. L'homme ne sait que faire... Mais il s'approche davantage.
Jésus montre les cicatrices :
"Toutes des blessures ? Tu es un preux et un fidèle, alors..."
Le vieux soldat rougit à ce compliment.
"Tu as beaucoup souffert pour l'amour de ta Patrie et de ton empereur...
Ne voudrais-tu pas souffrir un peu pour une plus grande Patrie : le
Ciel ? Pour un Empereur éternel : Dieu !"
Le soldat secoue la tête et il dit :
"Je suis un pauvre païen, mais il n'est pas dit que je n'arrive pas moi
aussi à la onzième heure. Mais qui va m'instruire ? Tu vois !...
Ils te chassent. Et ce sont des blessures qui font mal, pas les
miennes ! Moi, au moins, je les ai rendues aux ennemis. Mais Toi, que
donnes-tu à ceux qui te blessent ?"
"Le pardon, soldat. Le pardon et l'amour."
"Moi, j'ai raison. Le soupçon qu'ils font peser sur Toi est stupide.
Adieu, galiléen."
"Adieu, romain."
Haut de page.
236> Jésus reste seul jusqu'à ce que les
frères et les disciples reviennent avec des vivres. Les frères en offrent aux
soldats pendant que les disciples en offrent à Jésus. Ils mangent sans
appétit, au soleil, pendant que les soldats mangent et boivent joyeusement.
Puis un soldat sort pour regarder sur la place silencieuse.
"Nous pouvons aller, crie-t-il. Ils sont tous partis. Il n'y a plus que
les patrouilles."
Jésus se lève docilement, il bénit et réconforte les trois frères auxquels il
donne un rendez-vous pour la Pâque au Gethsémani, et il sort, encadré par les
soldats avec ses disciples humiliés qui viennent par derrière et ils suivent
la route vide jusqu'à la campagne.
"Salut, galiléen" dit le triaire.
"Adieu, Aquila. Je t'en prie : ne faites pas de mal à Daniel, Élie
et Philippe. C'est Moi, seul le coupable. Dis-le au centurion."
"Je ne vais rien dire. À cette heure, il ne s’en souvient même plus, et
les trois frères nous fournissent un bon ravitaillement, spécialement de ce
vin de Chypre que le centurion aime plus que la vie. Sois tranquille.
Adieu."
|