Le mardi 8 mai 1945.
529/530> 158.1 – Jésus est sur le lac, dans la
barque de Pierre,
derrière deux autres barques ; l'une, c'est la barque de pêche
ordinaire, jumelle de celle de Pierre, l'autre, une barque de plaisance,
légère, riche. C'est la barque de Jeanne de Kouza,
mais sa propriétaire n'y est pas ; elle est aux pieds de Jésus dans la
barque rustique de Pierre.
Je dirais que le hasard les a réunis en un endroit de la rive fleurie de
Génésareth. Le rivage est très beau en ce début du printemps de Palestine ,
qui répand ses nuées d'amandiers en fleurs
et dépose les perles des fleurs qui vont éclore sur les poiriers et les pommiers,
les grenadiers, les cognassiers, tous, tous les arbres les plus riches et les
plus agréables pour leurs fleurs et leurs fruits. Quand la barque suit une
rive ensoleillée, déjà apparaissent les millions de boutons qui se gonflent
sur les branches en attendant de fleurir, pendant que papillonnent dans l'air
tranquille, jusqu'à ce qu'elles se posent sur les claires eaux du lac, les
pétales des amandiers précoces.
Les rives, au milieu de l'herbe nouvelle qui semble un gai tapis de soie
verte, sont constellées des boutons d'or des renoncules, des étoiles
rayonnantes des marguerites et près d'elles, raides sur leurs tiges comme de
petites reines couronnées, sourient, légers, tranquilles comme des yeux
d'enfants, les myosotis élégants, couleur d'azur et qui semblent dire
"oui, oui" au soleil, au lac, aux herbes leurs sœurs, qu'elles sont
heureuses de fleurir et de fleurir sous les yeux bleu clair de leur Seigneur.
En ce début de printemps, le lac n'a pas encore cette opulence qui le rendra
triomphal les mois suivants. Il n'a pas encore cette somptuosité, je dirais
sensuelle, des mille et mille rosiers rigides ou flexibles qui font des
massifs dans les jardins ou qui voilent les murs, des
milliers et des milliers de corymbes des cytises et des acacias, des milliers
et des milliers d'alignements de tubéreuses en fleurs, des mille et mille
étoiles des agrumes, de tout ce mélange de couleurs, de parfums violents,
enivrants, qui environnent et excitent un désir humain de jouissance qui
profane, qui profane trop ce coin de terre si pur qu'est le lac de Tibériade,
le lieu choisi depuis des siècles, pour être le théâtre du plus grand nombre
des prodiges de notre Seigneur Jésus.
158.2 – Jeanne regarde Jésus absorbé
par la beauté de son lac galiléen, et son visage sourit, reflétant comme un
miroir fidèle son sourire à Lui.
Dans les autres barques, on parle. Ici, c'est le silence. Seul bruit, le
bruit sourd des pieds nus de Pierre et d'André qui règlent la manœuvre de la
barque, et le soupir de l'eau que fend la proue et qui murmure sa douleur aux
flancs du bateau, une douleur qui se change en rire à la poupe quand la
blessure se referme en un sillage argenté que le soleil allume comme si c'était
une poussière de diamants.
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531> Finalement Jésus arrête sa contemplation et tourne son
regard vers la disciple. Il lui sourit. Il lui demande :
"Nous sommes presque arrivés, n'est-ce pas ? Et tu diras que le
Maître est un compagnon bien peu aimable. Je ne t'ai pas dit une seule
parole."
"Mais je les ai lues sur ton visage, Maître, et j'ai entendu tout ce que
tu disais à ces choses qui nous entourent."
"Que disais-je, alors ?"
"Aimez, soyez purs, soyez bons. Parce que vous venez de Dieu, et que de
sa main il n'est rien sorti de mauvais ou d'impur."
"Tu as bien lu."
"Mais, mon Seigneur, les herbes le
feront encore. Et le feront aussi les animaux. L'homme... pourquoi ne le
fait-il pas, lui qui est le plus parfait ?"
"Parce que la morsure de Satan
est entrée seulement en l'homme. Il a essayé de démolir le Créateur dans son
prodige le plus grand, dans ce qui était le plus semblable à Lui."
158.3 – Jeanne baisse la tête et
réfléchit. Elle paraît hésiter et comparer deux vouloirs opposés. Jésus
l'observe. À la fin elle relève la tête et dit :
"Seigneur, dédaignerais-tu d'approcher de mes amies païennes ? Tu
sais... Kouza appartient
à la cour. Et le Tétrarque
- et plus encore la véritable maîtresse de la cour, Hérodiade, à la volonté de
laquelle se soumet tout désir d'Hérode ,
par... mode, pour se montrer plus fins que les autres Palestiniens, pour être
protégés par Rome, en adorant Rome et tout ce qui est romain - flatte les romains de la maison proconsulaire... et nous les impose
pour ainsi dire. En vérité, je dois dire que les femmes ne sont pas pires que
nous. Même parmi nous, sur ces rives, il y en a qui sont tombées bien bas. Et
de quoi pouvons-nous parler, si nous ne parlons pas d'Hérodiade ?
...Quand j'ai perdu mon enfant
et que je fus malade, elles furent très bonnes pour moi qui ne
les avais pas recherchées. Et, depuis, l'amitié est restée. Mais, si tu me
dis que c'est mal, j'y renonce. Non ? Merci, Seigneur. Avant-hier,
j'étais chez une de ces amies ,
visite d'amitié pour moi, de devoir de la part de Kouza. C'était un ordre du
Tétrarque qui... voudrait bien revenir ici mais qui ne s'y sent pas très en
sécurité et alors... il noue les relations les plus intéressées avec Rome
pour avoir sa protection. Par ailleurs... je te prie...
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532> Tu
es parent du Baptiste. N'est-ce pas ? Dis-lui alors de ne pas trop se
fier. Qu'il ne sorte jamais des frontières de la Samarie .
Mais au contraire, s'il ne le dédaigne pas, qu'il se cache pour quelque temps.
Le serpent s'approche de l'agneau et l'agneau a tout lieu de
craindre. De tout. Qu'il se tienne sur ses gardes, Maître. Et qu'on ne sache
pas que c'est moi qui l'ai dit. Ce serait la ruine de Kouza."
"Sois tranquille, Jeanne. J'avertirai le Baptiste
de façon à lui rendre service sans qu'il en résulte de dommage."
"Merci, Seigneur. Je veux te servir, mais je ne voudrais pas ce faisant
nuire à mon mari. D'autre part... moi... je ne pourrai pas venir toujours
avec Toi. Parfois, je devrai rester, parce que lui le veut, et c'est
juste..."
"Tu resteras, Jeanne. Je comprends tout. Ne dis rien de plus que ce qui
est nécessaire."
"Pourtant, aux heures les plus dangereuses pour Toi, tu me voudras près
de Toi ?"
"Oui, Jeanne, certainement."
"Oh ! comme ça me pesait d’avoir à dire cela et de te le
dire ! Mais maintenant, je suis soulagée..."
158.4 – "Si tu as foi en Moi, tu
seras toujours soulagée... Mais, tu parlais de l'une de tes amies
romaines..."
"Oui, c'est une amie intime de Claudia
et je crois qu'elle doit lui être parente. Elle voudrait parler avec Toi ou,
au moins, t'entendre parler. Et elle n'est pas la seule. Et maintenant que tu
as guéri la petite de Valeria, et la nouvelle est arrivée rapide
comme l'éclair ,
elles le désirent encore plus vivement. Au banquet de l'autre soir, on a
beaucoup parlé, pour et contre Toi. Il y avait en effet des hérodiens et des
sadducéens...
bien qu'ils n'en voulussent pas convenir quand on le leur demandait... et puis, il y avait aussi des
femmes... riches et... et pas honnêtes. Il y avait... cela me déplaît de le
dire parce que je sais que tu es un ami de son frère, Marie de Magdala
avec son nouvel ami et une autre femme, grecque je crois, et de mœurs aussi
libres qu'elle. Tu sais... chez les païens, les femmes sont à table avec les
hommes et c'est très... très... Quel ennui ! Par gentillesse, mon amie
m'avait choisi comme compagnon mon propre époux ce qui m'avait beaucoup
soulagée. Mais les autres... oh !... Eh bien... on parlait de Toi, car
le miracle sur Faustine
a fait du bruit. Et si les romains admirent en Toi le grand médecin ou le
mage -pardonne-moi, Seigneur - les hérodiens et les sadducéens jetaient du
venin sur ton nom, et Marie, oh ! Marie ! quelle horreur !...
Elle a commencé par la dérision et puis... Non, cela, je ne veux pas te le
dire. J'en ai pleuré toute la nuit..."
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533> "Laisse-la
faire. Elle guérira."
"Mais, elle se porte bien, sais-tu ?"
"La chair, oui. Le reste est tout intoxiqué. Elle guérira."
"Tu le dis... Les romaines, tu sais comme elles sont, ont dit :
"Nous ne craignons pas les sorcelleries et nous ne croyons pas aux
racontars, mais nous voulons juger par nous-mêmes" et ensuite elles
m'ont dit : "Ne pourrions-nous pas l'entendre ?"
"Dis-leur qu'à la fin de la lune de scebat, je
serai chez toi."
"Je le dirai, Seigneur. Tu crois qu'elles viendront à Toi ?"
"Chez elles, c'est tout un monde à refaire. Il faut d'abord démolir puis
bâtir. Mais ce n'est pas impossible...
158.5 – Jeanne, voici ta maison avec
son jardin. Travailles-y pour ton Maître, comme je te l'ai dit. Adieu,
Jeanne. Que le Seigneur soit avec toi. Je te bénis en son nom."
La barque accoste. Jeanne demande, insistante :
"Tu ne viens pas ?"
"Pas maintenant. Il me faut réveiller la flamme .
En peu de mois d'absence, elle s'est presque éteinte. Et le temps
s'envole."
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