Le vendredi 6 septembre 1946.
474> 489.1 - C'est un village groupé, assez bien
tenu. Les habitants sont dans les maisons, car il y a beaucoup de vent. Mais quand les disciples viennent avertir que Jésus est là, voilà que toutes les femmes,
les enfants et les vieux que l'âge a retenus au village, se groupent autour de
Jésus qui s'est arrêté sur la petite place principale. Le village, étant sur
une hauteur, a de l'air et de la lumière même dans une journée couverte et de
là, l'œil découvre Jérusalem au sud, et Rama au nord (je dis Rama car ce nom est
écrit sur une borne avec l'indication des milles).
Les gens sont très remués. Être devenus ceux qui donnent l'hospitalité au
Seigneur, est pour eux une chose si nouvelle et si émouvante !... Un
vieillard, un vrai patriarche, le dit au nom
de tous, et les femmes acquiescent de la tête. Habitués à être écrasés par
l'orgueil des prêtres et des pharisiens, ils sont craintifs...
Mais Jésus les met tout de suite à l'aise en prenant dans ses bras une
fillette qui fait ses premiers pas, en caressant le vieillard, et en disant :
"Vous ne m'aviez pas encore vu ?"
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475> "De loin... Passer sur la
route... Quelques hommes au Temple. Mais pour nous si proches de la ville,
c'est encore plus difficile d'avoir ce que les autres ont en venant de
loin" dit le vieillard.
"C'est toujours ainsi, père. Ce qui semble faciliter les choses, les
rend difficiles, parce que tous s'appuient sur la pensée que c'est facile.
Mais maintenant nous allons nous connaître.
489.2 - Rentre chez toi, père. L'automne
fait souffler ses vents, et ils ne sont pas favorables aux patriarches."
"Oh ! Je suis resté seul. Le jour est sans valeur pour moi..."
"Sa fille s'est mariée loin d'ici, et sa femme est morte aux
Encénies" explique une femme.
"Jean, tu ne dois pas parler ainsi, aujourd'hui que tu as le Rabbi avec
toi. Tu l'as tant désiré !" lui dit une petite vieille.
"C'est vrai. Mais... tu es le Messie, n'est-ce pas ?"
"Oui, père."
"Et alors que puis-je désirer de plus, maintenant que je l'ai vu et que
j'ai vu accomplie la promesse faite à Abraham ? Un
vieillard, c'était lui alors le vieillard,
chanta un jour au Temple, j'y étais car ce jour-là ma Lia se purifiait de son
unique enfantement, et j'étais près d'elle, et avant nous, avait accompli le
rite Une qui était un peu plus qu'enfant... un vieillard chanta en baisant le
Bébé de cette toute jeune Femme : "Maintenant laisse, ô Seigneur,
ton serviteur s'en aller en paix puisque mes yeux ont vu le Sauveur" .
Ce Nouveau-né c'était Toi, alors. Oh ! pour moi, quel bonheur ! Alors j'ai
prié le Seigneur en disant : "Fais que moi
aussi, je puisse mourir après l'avoir connu". Maintenant je te connais.
Tu es ici. La main de mon Seigneur est posée sur ma tête. Sa voix m'a parlé.
L'Éternel m'a exaucé. Et que dirais-je sinon les paroles du vieux Siméon,
instruit et juste ? Je les dis : "Laisse, ô Seigneur, ton serviteur s'en
aller en paix, puisque mes yeux ont connu ton Christ !"
"Tu ne veux pas attendre de voir son Règne ?" dit une femme.
"Non, Marie. Les fêtes ne sont pas pour les vieux. Et moi, je ne crois
pas ce que disent la plupart des gens. Je me rappelle les paroles de
Siméon... Il a annoncé une épée dans le cœur de cette jeune Femme, car le
monde n'aimera pas tout entier le Sauveur... Il a dit que la ruine ou la
résurrection viendra pour beaucoup par Lui... et il y a Isaïe... et il y a
David... Non. Je préfère mourir et attendre sa grâce de là-bas... Et de
là-bas son Règne..."
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476> "Père, tu vois plus clair que
les jeunes. Mon Royaume c'est celui des Cieux. Mais pour toi, ma venue n'est
pas ruine car tu sais croire en Moi.
489.3 - Allons chez toi. Je reste avec
toi."
Et conduit par le vieillard, il va à une maisonnette blanche dans une petite
rue au milieu des jardins, qui se sont dépouillés de leurs feuilles arrachées
par le vent, et il y entre avec Pierre, les deux fils d'Alphée, et Jean. Les
autres se dispersent dans les autres maisons...
...pour revenir après un moment s'entasser dans la maisonnette, le jardin, la
terrasse sur le toit, jusqu'à monter sur le muret en pierres sèches qui
sépare de la route un côté du jardin, sur un noyer puissant et sur un pommier
robuste, sans se soucier du vent qui ne fait que grandir et soulève la
poussière.
Ils veulent entendre Jésus. Et Jésus hésite un moment, puis il commence à
parler en se tenant sur le seuil de la cuisine, de façon que la voix se
répande à l'intérieur et à l'extérieur de la maison.
489.4 - "Un
roi puissant, dont le royaume était très vaste, voulut aller un jour visiter
ses sujets. Il habitait dans un palais élevé d'où, par ses serviteurs et ses
messagers, il envoyait ses ordres et faisait parvenir ses bienfaits à ses
sujets, qui ainsi connaissaient son existence, l'amour qu'il avait pour eux,
ses projets, mais ne le connaissaient pas personnellement, ne connaissaient
pas sa voix et son langage. En un mot, ils savaient qu'il existait et qu'il
était leur seigneur, mais rien de plus. Et comme il arrive souvent, de ce
fait, beaucoup de ses lois et de ses instructions étaient déformées, ou par
mauvaise volonté ou par incapacité de les comprendre, si bien que les
intérêts des sujets et les désirs du roi, qui les voulait heureux, en subissaient
un dommage. Il était obligé de les punir parfois et il en souffrait plus
qu'eux, et les punitions n'amenaient pas d'amélioration. Il dit alors : "J'irai, je leur parlerai directement. Je me
ferai connaître. Ils m'aimeront, me suivront mieux et deviendront
heureux". Et il quitta sa somptueuse demeure pour venir parmi son
peuple.
Ce fut un grand étonnement qu'occasionna sa venue. Le peuple s'émut, s'agita,
les uns avec joie, d'autres avec terreur, certains avec colère, d'autres avec
défiance, d'autres avec haine.
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477> Le roi, patient, sans jamais se lasser,
se mit à approcher aussi bien ceux qui l'aimaient, que ceux qui le
craignaient, que ceux qui le haïssaient. Il se mit à expliquer sa loi, à
écouter ses sujets, à leur donner ses bienfaits, à les supporter. Et
plusieurs finirent par l'aimer, par ne plus le fuir parce qu'il était trop
grand ; quelques-uns, peu nombreux, cessèrent même de se défier et de
haïr. C'étaient les meilleurs. Mais beaucoup restèrent ce qu'ils étaient, ne
possédant pas en eux la bonne volonté. Mais le roi, qui était très sage, supporta
aussi cela, en se réfugiant dans l'amour des meilleurs pour être récompensé
de ses fatigues.
Pourtant qu'arriva-t-il ? Il arriva que même parmi les meilleurs il ne fut
pas compris par tous. Il venait de si loin ! Son langage était si nouveau !
Ses volontés étaient si différentes de celles de ses sujets ! Et il ne fut
pas compris par tous... Et même certains le firent souffrir, et avec la
souffrance lui firent subir des dommages, ou du moins risquèrent de les lui
faire subir, pour l'avoir mal compris. Et quand ils comprirent qu'ils lui
avaient procuré peine et dommage, ils fuirent désolés sa présence et ils ne
vinrent plus vers lui, craignant sa parole.
Mais le roi avait lu dans leurs cœurs et chaque jour il les appelait par son
amour, priait l'Éternel de lui accorder de les retrouver pour leur dire :
"Pourquoi me craignez-vous ? C'est vrai, votre incompréhension m'a fait
souffrir, mais je l'ai vue sans malice, le fruit seulement de votre
incapacité de comprendre mon langage si différent du vôtre. Ce qui m'afflige,
c'est votre crainte. Cela me dit que non seulement vous ne m'avez pas compris
comme roi, mais pas même comme ami. Pourquoi ne venez-vous
pas ? Mais revenez donc. Ce que la joie de m'aimer ne vous avait pas fait
comprendre, vous a été rendu clair par la souffrance de m'avoir fait
souffrir. Oh ! venez, venez, mes amis. N'augmentez pas votre ignorance en
restant loin de moi, vos brumes en vous cachant, vos amertumes en vous
interdisant mon amour. Vous voyez ? Nous souffrons autant vous que moi d'être
séparés. Moi, plus encore que vous. Venez donc, et donnez-moi la joie".
C'est ce que voulait dire le roi. Ce furent ses paroles. Et de même Dieu
parle aussi à ceux qui pèchent et c'est ainsi que parle le Sauveur à ceux qui
peuvent s'être trompés.
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478> Et c'est ainsi que le Roi d'Israël
parle à ses sujets, le vrai Roi d'Israël, celui qui veut amener ses sujets du
petit royaume de la Terre au grand Royaume des Cieux. Ne peuvent y entrer
ceux qui ne suivent pas le Roi, ceux qui n'apprennent pas à comprendre ses
paroles et sa pensée. Mais, comment comprendre si à la première erreur on
fuit le Maître ?
Que personne ne se laisse abattre s'il a péché
et s'est repenti, s'il s'est trompé et reconnaît son erreur. Qu'il vienne à
la Source qui efface les erreurs et qui donne lumière et sagesse, qu'il se
désaltère à elle qui brûle de se donner et qui est venue du Ciel pour se
donner aux hommes."
489.5 - Jésus se tait. Seul le vent fait
entendre sa voix de plus en plus forte. En haut de la colline où se trouve
Nobé, le vent s'acharne tellement que les arbres font entendre des
craquements effrayants.
Les gens sont obligés de rentrer dans leurs maisons. Mais quand ils se sont
éloignés et que Jésus revient à la maison en fermant la porte, Mathias,
suivi de Manahen et de Timon,
sort de derrière le muret et entre dans le petit jardin pour frapper à la
porte close.
Jésus Lui-même vient ouvrir.
"Maître, les voilà … !" dit Mathias en montrant les deux qui
sont restés honteux au bord du jardin et qui n'osent pas lever le visage pour
regarder Jésus.
"Manahen ! Timon ! Mes amis !" dit Jésus en sortant dans le jardin
et en refermant la porte, pour indiquer à ceux de l'intérieur de ne pas
sortir par curiosité.
Et il va vers les deux, les bras ouverts, déjà ouverts pour les embrasser.
Les deux lèvent leur visage, touchés par l'amour qui tremble dans la voix du
Maître, ils voient le visage et les yeux tout pleins d'amour, et leur peur
tombe, ils courent en avant et disent avec un cri rendu rauque par leurs
larmes : "Maître !" et ils tombent à ses pieds pour embrasser ses
chevilles, en baisant ses pieds nus qu'ils baignent de leurs larmes.
"Mes amis ! Pas là ! Ici sur le cœur. Je vous ai tant attendu ! Et j'ai
tant compris ! Allons … !"
Et il cherche à les relever.
"Pardon ! Oh ! Pardon !... Ne nous le refuse pas, Maître. Nous avons
tant souffert !"
"Je le sais. Mais si vous étiez venus plus tôt, plus tôt je vous aurais
dit : "Je vous aime".
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479> "Tu nous aimes ? Maître ?!
Comme avant ?!" dit, le premier, Timon en levant un visage
interrogateur.
"Plus qu'avant, car maintenant vous êtes guéris de toute humanité dans
votre amour pour Moi."
"C'est vrai ! Oh ! mon Maître !" et Manahen bondit debout et ne
résiste plus. Il se jette sur la poitrine de Jésus, et Timon l'imite...
"Vous voyez comme on est bien ici ? N'y est-on pas mieux que dans un
pauvre palais royal ? Où m'avoir davantage, et plus puissant, doux, riche de
trésors sans fin, qu'en me possédant comme Sauveur, Rédempteur, Roi
spirituel, Ami affectueux ?"
"C'est vrai ! C'est vrai ! Oh ! ils nous avaient séduits ! Et il nous
semblait qu'ils t'honoraient et que leurs idées étaient justes !"
"N'y pensez plus. C'est passé, cela appartient au passé. Laissez le
temps, qui s'écoule rapidement comme le tourbillon qui nous frappe, l'emmener
au loin, le disperser pour toujours...
489.6 - Mais entrons dans la maison. Il
n'est pas possible de rester ici..."
C'est en fait une vraie trombe ce qui arrive du nord sur le village. Des
branches qui tombent, des tuiles qui volent, quelque muret peu résistant de
terrasse qui tombe avec fracas. Le noyer et le pommier se tordent comme s'ils
voulaient s'arracher du sol.
Ils entrent dans la maison, et les quatre apôtres regardent étonnés le
visage, encore mouillé de larmes des deux disciples, contrastant avec le
sourire de leur visage. Mais ils ne disent rien.
"Quelque malheur se prépare" dit le vieux Jean.
"Oui. Ceux qui sont dans les cabanes, je ne sais pas comment ils vont
faire..." dit Pierre.
Le vent est si fort que les petites flammes d'une lampe à trois becs, allumée
pour éclairer la pièce fermée, vacillent bien que les portes soient barrées.
Au fracas du vent qui croît toujours plus et frappe la maison avec de la
terre et des débris, au point qu'il semble tomber une grêle fine, se mêlent
des cris de femmes de plus en plus proches. Ce sont des épouses épouvantées,
des mères angoissées :
"Nos maris ! Nos fils ! Ils sont en route. Nous avons peur. Un mur de la
maison abandonnée s'est écroulé... Seigneur ! Jésus ! Pitié !"
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480> 489.7 - Jésus se lève debout, ouvre non sans
mal la porte que le vent pousse de toute sa force. Des femmes courbées pour
résister au vent — c'est une vraie trombe d'air sous un ciel menaçant —
gémissent en tendant les bras.
"Entrez. Ne craignez pas !" dit Jésus.
Et il regarde le ciel et les arbres sur le point d'être déracinés.
"Rentre, Jésus ! Tu vois comme s'abattent les branches et tombent les
tuiles ? Il n'est pas prudent de rester dehors" crie Jude d'Alphée.
"Pauvres oliviers ! C'est de la grêle. Là où elle tombe, la récolte est
finie" dit Pierre sentencieusement.
Jésus ne rentre pas. Il sort même tout à
fait dans le tourbillon qui tord son vêtement et soulève ses cheveux. Il
ouvre les bras, prie, et puis commande :
"Suffit ! Je le veux !" et il rentre dans la maison.
Le vent a un dernier mugissement et puis il tombe tout d'un coup. Il est
impressionnant le silence qui se fait après pareil fracas. Il l'est tellement
que des maisons se montrent des visages étonnés. Il reste les signes de la
trombe d'air : feuilles, branches arrachées, lambeaux de rideaux. Mais tout
est tranquille. Le firmament répond à la terre, qui n'est plus bouleversée,
par un éclaircissement des nuages qui de noirs deviennent clairs, se
dispersent sans faire de dégâts, mais en laissant tomber une pluie fine qui
achève de purifier l'air souillé par tant de poussière.
"Mais qu'y a-t-il eu ?"
"C'est fini ?"
"Cela semblait la fin, et maintenant il fait beau !"
Des voix s'interrogent d'une maison à l'autre.
Les femmes qui étaient accourues
près de Jésus courent dehors :
"Le Seigneur ! Le Seigneur est avec nous ! Il a fait un miracle !
Il a arrêté le vent ! Il a rompu les nuages ! Hosanna ! Hosanna ! Louange au
Fils de David ! Paix ! Bénédiction ! Le Christ est avec nous ! Il est avec
nous le Béni ! Le Saint ! Le Saint ! Le Saint ! Le Messie est avec nous !
Alléluia !"
Le village déverse dehors tous ses vrais habitants et ceux qui s'y trouvent
occasionnellement, c'est-à-dire les apôtres et les disciples qui accourent
tous à la maisonnette où est Jésus. Tous veulent l'embrasser, le toucher,
l'exalter.
"Louez le Seigneur Très-Haut. C'est Lui le Maître des vents et de l'eau.
S'il a écouté son Fils, cela a été pour récompenser la foi et l'amour que
vous avez eus pour Lui."
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481> Et il voudrait les congédier. Mais qui
peut calmer un village en fête, agité par un miracle évident ? Surtout si
c'est un village rempli de femmes ? Les efforts de Jésus sont vains. Il
sourit avec patience alors que le vieillard qui le loge baise sa main gauche
qu'il arrose de ses larmes.
489.8 - Voici les premiers hommes,
essoufflés, apeurés, qui reviennent de Jérusalem. Ils craignent je ne sais
quel malheur. Ils voient le peuple en fête.
"Qu'y a-t-il ? Qu'y a-t-il eu ? Mais vous n'avez pas eu la tempête ? De
la montagne, on voyait la ville disparaître sous des nuages de poussière.
Nous croyions qu'elle était écroulée. Et ici, tout est sauf !"
"Le Seigneur ! Le Seigneur ! Il est venu à temps pour nous sauver de la
ruine. Seule est tombée la maison maudite et quelques tuiles et quelques
branches. Et vous ? Qu'est-il arrivé à Jérusalem ?"
Les questions et les réponses se croisent, mais les hommes se fraient un
passage pour aller vénérer le Sauveur. Ce n'est qu'après qu'ils expliquent
que la ville était effrayée à cause de la tempête qui menaçait et que tous
s'enfuyaient des cabanes
dans les maisons et que les propriétaires des oliviers pleuraient déjà sur
leur récolte... quand d'un seul coup le vent s'était calmé et que le ciel
s'était éclairci en laissant tomber un peu de pluie... et toute la ville
était étonnée.
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