Le dimanche 21
octobre 1945.
83> 309.1 – Ils sont
accueillis dans une pauvre maison où se trouve une petite vieille entourée
d'une ribambelle d'enfants de dix à deux ans, plus ou moins. La maison est au
milieu de petits champs peu entretenus, plusieurs transformés en prés où
émergent des arbres fruitiers qui ont survécu.
"La paix à toi, Jeanne. Cela va mieux aujourd'hui ? Ils sont venus
t'apporter de l'aide ?"
"Oui, Maître et Jésus. Et ils m'ont dit qu'ils reviendront pour semer.
Ce sera tard, mais ils m'ont dit que cela poussera encore."
"Certainement cela poussera. Ce qui serait un miracle de la terre et de
la semence deviendra miracle de Dieu. Par conséquent un miracle parfait. Tes
champs seront les plus beaux de cette région, et ces oiseaux qui t'entourent
auront du grain en abondance pour remplir leurs bouches. Ne pleure plus.
L'année qui vient, cela ira déjà beaucoup mieux. Mais je t'aiderai encore. Ou
plutôt tu seras aidée par une personne qui a le même nom que toi et qui ne se
rassasie jamais d'être bonne. Regarde : ceci est pour toi. Avec cela, tu
pourras aller jusqu'aux récoltes."
La petite vieille prend la bourse et en même temps elle prend la main, de
Jésus et elle baise cette main en pleurant. Puis elle demande :
"Dis-moi quelle est cette bonne créature pour que je dise son nom au
Seigneur."
"Une de mes
disciples et ta sœur. Le nom est connu
de Moi et du Père des Cieux."
"Oh ! c'est Toi … !"
"Moi, je suis pauvre, Jeanne. Je donne ce que l'on me donne. De
moi-même, je ne puis donner que le miracle. Et je regrette de n'avoir pas su
plus tôt ton malheur.
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84> Je suis venu dès que Suzanne me l'a dit. C'était tard désormais. Mais ainsi
resplendira davantage l’œuvre de Dieu."
"Tard ! Oui. Tard ! Si rapide a été la mort pour faucher
ici ! Et elle a pris les jeunes. Non pas moi qui étais inutile. Ni
ceux-ci : incapables. Mais ceux qui étaient solides pour le travail, Maudite
lune de Ellul, chargée d'influences
malignes !"
"Ne maudis pas la planète. Elle n'y est pour rien...
309.2 – Sont-ils
bons ces petits ? Venez ici. Vous voyez ? Lui aussi est un enfant
sans père et sans mère. Et il ne peut pas même vivre avec son grand-père.
Mais Dieu ne l'abandonne tout de même pas. Et Il ne l'abandonnera pas tant
qu'il sera bon. N'est-ce pas Marziam ?"
Marziam
est d'accord et il parle aux petits qui se
serrent autour de lui, petits pour l'âge plus que lui, mais certains sont
sensiblement plus grands que lui. Il dit :
"Oh ! c'est bien vrai que Dieu n'abandonne pas. Moi, je peux le
dire. Le grand-père a prié pour moi et certainement aussi le père et la mère
de l'autre vie. Et Dieu a écouté ces prières car Lui est très bon, et Il
écoute toujours les prières des justes, qu'ils soient morts ou vivants. Pour
vous certainement vos morts ont prié et cette chère petite grand-mère.
L'aimez-vous bien ?"
"Oui, oui..."
Le pépiement de la nichée orpheline s'élève enthousiaste.
Jésus se tait pour écouter la conversation de son petit disciple et des
orphelins.
"Vous avez raison. Les vieillards, il ne faut pas les faire pleurer.
D'ailleurs, on ne doit faire pleurer personne car celui qui donne douleur au
prochain donne douleur à Dieu. Mais les vieillards ! Le Maître traite
bien tout le monde, mais avec les vieillards, il est toute caresse comme avec
les enfants. Car les enfants sont innocents et les vieillards sont
souffrants. Ils ont déjà tant pleuré ! Il faut les aimer deux fois,
trois fois, dix fois, pour tous ceux qui ne les aiment plus. Jésus dit
toujours que celui qui n'honore pas le vieillard est deux fois méchant comme
celui qui maltraite l'enfant. C'est que les vieillards et les enfants ne
peuvent se défendre. Vous par conséquent soyez bons avec la vieille
mère."
"Moi, quelque fois, je ne l'aide pas..." dit un des grands.
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85> "Pourquoi ? Tu manges pourtant le pain
qu'elle te présente avec sa fatigue ! N'y sens-tu pas le goût de ses
larmes quand tu l'affliges ?
309.3 – Et toi,
femme, l'aides-tu ? (La femme en question a, tout au plus, dix
ans et c'est une frêle et pâle petite fille)."
Les petits frères disent en chœur :
"Oh ! Rachel est bonne ! Elle veille tard pour filer le peu de
laine et de coton que nous avons, et elle a pris la fièvre dans le champ pour
le préparer aux semailles pendant que le père mourait."
"Dieu t'en récompensera" dit sérieusement Marziam.
"Il m'a déjà récompensée en soulageant la peine de la grand-mère."
Jésus intervient :
"Tu ne demandes pas davantage ?"
"Non, Seigneur."
"Mais es-tu guérie ?"
"Non, Seigneur. Mais peu importe. Maintenant, si je meurs, la grand-mère
est secourue. Avant, il me déplaisait de mourir, parce que je l'aidais."
"Mais la mort est une vilaine chose, fillette..."
"Comme Dieu m'aide pendant ma vie, Il m'aidera à la mort et j'irai
trouver maman... Oh ! ne pleure pas grand-mère ! Je t'aime bien,
chérie. Je ne le dirai plus, si cela doit te faire pleurer. Et même, si tu le
veux, je dirai au Seigneur qu'il me guérisse... Ne pleure pas ma petite
maman..." et elle embrasse la petite vieille désolée.
"Fais qu'elle guérisse, Seigneur. Mon
grand-père, tu l'as rendu heureux à cause de moi. Rends heureuse cette petite
vieille, maintenant…"
"Les grâces s'obtiennent par le sacrifice. Toi, quel sacrifice fais-tu
pour l'obtenir ?" demande sérieusement Jésus.
Marziam réfléchit... Il cherche ce à quoi il lui sera plus pénible de
renoncer... puis il sourit :
"Je ne prendrai plus de miel pendant toute une lune."
"C'est peu ! Celle de Casleu est déjà bien avancée..."
"Je parle d'une lune pour dire quatre phases. Et pense... que ces jours c'est la Fête des Lumières et
il y a les fouaces au miel..."
"C'est vrai. Eh bien, Rachel guérira grâce à toi.
309.4 – Maintenant,
partons.
Adieu, Jeanne. Avant de partir, je viendrai encore. Adieu, Rachel, et toi
Tobie, sois toujours bon. Adieu, vous tous, petits. Que reste sur vous ma
bénédiction et en vous ma paix."
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86> Ils sortent suivis par les bénédictions de la petite
vieille et des enfants.
Marziam, une fois joué son rôle "d'apôtre et victime" se met à
sauter comme un cabri en courant en avant.
Simon observe avec un
sourire :
"Son premier sermon et son premier sacrifice. Voilà qui promet, ne te
semble-t-il pas, Maître ?"
"Oui, mais il a déjà prêché plusieurs fois. Même pour Judas de Simon ..."
"...auquel il semble que le Seigneur fasse parler par les enfants ... Peut-être pour éviter des vengeances de sa
part.…"
"Des vengeances, non... Je ne crois pas qu'il arrive à pareille chose.
Mais des réactions vives, oui. Il n'aime pas la vérité, celui qui mérite le
reproche... Et pourtant, il faut la dire..."
Jésus soupire.
Simon l'observe, puis il demande :
"Maître, dis-moi la vérité. Tu l'as éloigné, et tu as pris la décision
d'envoyer tout le monde à la maison pour les Encénies, pour empêcher que
Judas soit en Galilée à ce moment-là. Je ne te demande pas et je ne veux pas
que tu me dises pourquoi il est bien que l'homme de Kérioth ne soit pas parmi
nous. Il me suffit de savoir si j'ai deviné. Tous le pensent, tu sais ?
Thomas lui-même. Et il m'a dit : "Je pars sans réagir, car je
comprends qu'il y a par-dessous un motif sérieux". Et il a ajouté : "Et le Maître fait
bien d'agir comme il le fait. Trop de Nahum, Sadoq, Yokhanan (Giocana) et Éléazar, dans les amitiés de Judas..." Il n'est pas stupide
Thomas ! ... Et il n'est pas mauvais, bien que très homme. Dans son
affection pour Toi, il est très sincère..."
"Je le sais. Et c'est vrai ce que vous avez pensé. Bientôt, vous en
saurez la raison..."
"Nous ne te la demandons pas."
"Mais j'aurai à vous demander de l'aide et je devrai vous la dire."
309.5 – Marziam
revient en vitesse :
"Maître, là-bas, là où le sentier débouche sur la route, il y a ton
cousin Simon, tout en sueur comme s'il avait beaucoup couru. Il m'a
demandé : "Où est Jésus ? "
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87> J'ai répondu : "Ici, en arrière, avec Simon le Zélote".
Il m'a dit : "Il passe par ici ?"
"Certainement" ai-je répondu. "On passe par ici pour revenir à
la maison, à moins de faire comme les oiseaux qui volent et vont de tous les
côtés pour revenir à leurs nids. Tu le veux ?" lui ai-je demandé
aussi. Ton frère est resté incertain. Et pourtant, il te veut, j'en suis
sûr."
"Maître, il a déjà vu sa femme... Voici ce que nous allons faire.
Marziam et moi, nous te laissons libre. Nous passerons par derrière. De toute
façon... nous ne sommes pas pressés d'arriver... Et Toi, tu suis le chemin
direct."
"Oui. Merci, Simon. Adieu à tous les deux."
Ils se séparent et Jésus presse le pas vers la grand-route.
309.6 – Voilà Simon, adossé
à un tronc d'arbre qui halète et essuie sa sueur. En voyant Jésus, il lève
les bras... et puis les laisse retomber, et baisse la tête, humblement.
Jésus le rejoint et lui met la main sur l'épaule en lui demandant :
"Que veux-tu de Moi, Simon ? Me faire plaisir en me disant une
parole d'amour que j'attends depuis de nombreux jours ?"
Simon baisse encore davantage la tête et garde le silence...
"Parle donc. Est-ce que peut-être je suis un étranger pour toi ?
Non, en vérité tu es toujours mon bon frère Simon et Moi, je suis pour toi le
petit Jésus que tu portais péniblement dans tes bras mais avec tant d'amour quand nous sommes revenus à
Nazareth."
L'homme cache son visage avec ses mains et se laisse tomber à genoux en
gémissant :
"Oh ! Mon Jésus ! C'est moi le coupable, mais je suis
suffisamment puni..."
"Allons, lève-toi ! Nous sommes parents. Allons ! Que
veux-tu ?"
"Mon enfant ! Est..." les pleurs l'étranglent.
"Ton enfant ? Eh bien ?"
"Il est vraiment mourant, et avec lui meurt l'amour de Salomé ... et je reste avec deux remords : d'avoir perdu
l'enfant et l'épouse à la fois... Cette nuit, j'ai cru qu'il était déjà mort,
et elle me paraissait une hyène. Elle me criait au visage : "
Assassin de ton fils !" J'ai prié que cela ne soit pas, en me
jurant à moi-même de venir à Toi si l'enfant revenait,
même si on devait me chasser - je le mérite, du reste - pour te faire savoir
que Toi seul pouvais empêcher mon malheur. À l'aurore, l'enfant s'est repris
un peu...
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88> 309.7 – Je me suis
enfui de ma maison pour aller à la tienne par derrière la ville, pour ne pas
trouver d'obstacles... J'ai frappé. Ta Mère m'a ouvert, étonnée. Elle aurait
pu me recevoir mal. Elle m'a seulement dit : "Qu'as-tu, pauvre
Simon ?" Et elle m'a caressé comme si j'étais encore un enfant...
Cela m'a fait beaucoup pleurer. Et l'orgueil, l'hésitation ont ainsi disparu.
Ce n'est pas possible que ce soit vrai ce que nous a dit Judas, ton apôtre, pas mon frère. Cela, je ne l'ai pas dit à Marie, mais je me le dis à
moi-même, en me battant la poitrine et en me traitant de tous les noms,
depuis ce moment-là. À elle j'ai dit : "Jésus est-il là ?
C'est pour Alphée. Il va
mourir..." Marie m'a dit : "Cours ! Il est vers Cana avec
l'enfant et un apôtre. Sur la route de Cana. Mais fais vite. Il est sorti à
l'aurore. Il va revenir. Je prierai pour que tu le trouves". Pas un mot
de reproche, pas un, pour moi qui en mérite tant !"
"Moi non plus je ne te ferai pas de reproches. Mais je t'ouvre les bras
pour..."
"Hélas ! pour me dire qu'Alphée est mort… !"
"Non. Pour te dire que je t'aime bien."
"Viens, alors ! Vite ! Vite… !"
"Non. Ce n'est pas nécessaire."
"Tu ne viens pas ? Ah ! tu ne pardonnes pas ? Ou bien
Alphée est mort ? Mais même s'il l'est, Jésus, Jésus, Jésus, Toi qui
ressuscites les morts, rends-moi mon fils ! Oh ! Jésus
bon !... Oh ! Jésus saint !... Oh ! Jésus que j'ai
abandonné... Oh ! Jésus, Jésus, Jésus..." Les pleurs de l'homme
remplissent la route solitaire pendant que lui, de nouveau à genoux,
chiffonne convulsivement le vêtement de Jésus ou Lui baise les pieds, brisé
par la douleur, le remords, l'amour paternel...
309.8 – "Tu
n'es pas passé chez toi avant devenir ici ?"
"Non. Je suis accouru comme un fou, jusqu'ici... Pourquoi ? Il y a
une autre douleur ? Salomé est déjà en fuite ? Elle est devenue
folle ? Elle semblait déjà l'être cette nuit…"
"Salomé m'a parlé. Elle a pleuré. Elle a cru. Va chez toi, Simon. Ton
fils est guéri."
"Toi !... Toi !... Tu as fait cela pour moi qui t'ai offensé
en croyant à ce serpent ? Oh ! Seigneur ! Je ne suis pas digne
de tant ! Pardon ! Pardon ! Pardon !
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89> Dis-moi ce que tu veux que je fasse pour réparer, pour
te dire que je t'aime, pour te persuader que je souffrais de garder les distances, pour te dire que depuis que tu es ici, même avant
qu'Alphée soit si malade, moi, je désirais te parler !... Mais...
Mais..."
"Laisse tomber. Tout cela, c'est du passé. Moi, je ne m'en
souviens plus. Fais de même, et oublie aussi les paroles de Judas de Kérioth.
C'est un enfant. De toi, je veux seulement ceci : que ni maintenant ni
jamais tu ne répètes ces paroles à mes disciples, à mes apôtres et, moins
encore qu'à tous, à ma Mère. Cela seulement. Maintenant, Simon, va chez toi.
Va. Sois en paix... Ne tarde pas à jouir de la joie qui remplit ta demeure.
Va."
Il l'embrasse et le pousse doucement vers Nazareth.
"Tu ne viens pas avec moi ?"
"Je t'attends à ma maison avec Salomé et Alphée. Va. Et souviens-toi que
c'est à cause de ton épouse, qui a su croire seulement à la vérité, que tu as
la joie actuelle. À cause d'elle."
"Tu veux dire qu'à moi..."
"Non. Je veux dire que j'ai senti en toi le repentir. Et ton repentir
est venu de son ton accusateur... Vraiment Dieu crie par la bouche de ceux
qui sont bons et Il avertit par eux et conseille !... Et j'ai vu la foi
humble et forte de Salomé. Va, je te dis. Ne tarde pas davantage à lui dire
"merci".
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