Vision du mardi 7 août 1945.
133> 246.1 – De nouveau la synagogue de
Nazareth, le jour du sabbat, cependant.
Jésus
a lu l'apologue contre Abimélech
[1]
et termine avec les paroles : "qu'il sorte de lui un feu, et qu'il
dévore les cèdres du Liban [2]" Puis il rend le rouleau au chef de la
synagogue.
"Le reste, tu ne le-lis pas ? Ce serait bon pour faire comprendre
l'apologue" Lui dit ce dernier.
"Ce n'est pas nécessaire. Le temps d'Abimélech est très lointain.
J'applique au moment présent l'apologue antique.
Écoutez, gens de Nazareth. Vous connaissez déjà, par les enseignements du
chef de votre synagogue, les applications de l'apologue contre Abimélech. En
effet, il a été instruit en son temps par un rabbi et celui-ci par un autre
encore et ainsi de suite au cours des siècles, et toujours avec la même
méthode et les mêmes conclusions.
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134> De Moi, vous entendrez une autre
application. Et je vous prie, du reste, de savoir appliquer votre
intelligence et ne pas être comme les cordes disposées sur la poulie du
puits, et qui tant qu'elles ne sont pas usées vont de la poulie à l'eau, de
l'eau à la poulie sans jamais pouvoir changer. L'homme n'est pas un cordage
lié, ni un instrument mécanique. L'homme est pourvu d'un cerveau intelligent
et il doit s'en servir par lui-même selon les besoins et les circonstances.
Car si la lettre de la parole est éternelle,
les circonstances sont changeantes. Malheureux les maîtres qui ne savent pas
vouloir la fatigue et la satisfaction d'en faire sortir à chaque fois un
enseignement nouveau, c'est-à-dire l'esprit que les paroles anciennes et
sages contiennent toujours. Ils seront semblables à l'écho qui ne peut que
répéter dix et dix fois un seul mot sans rien y mettre du leur.
246.2 – Les arbres, c'est-à-dire
l'humanité représentée par le bois où se trouvent les arbres, les arbustes et
les herbes, éprouvent le besoin d'être conduits par quelqu’un qui se charge
de toutes les gloires mais aussi, et cela pèse bien davantage, de toutes les
charges de l'autorité, d'être responsable du bonheur ou du malheur de
ses sujets, le responsable auprès des sujets, auprès des peuples voisins et,
ce qui est redoutable, auprès de Dieu. Car les couronnes, ou les hautes
situations sociales quelles qu'elles soient, sont données par les hommes,
c'est vrai, mais avec la permission de Dieu, sans l'agrément duquel aucune
force humaine ne peut s'imposer. C'est ce qui explique les changements
impensables et imprévus de dynasties qui semblaient éternelles et de
puissances qui semblaient intouchables et qui, quand elles dépassèrent la
mesure dans leur rôle de punitions ou d'épreuves pour les peuples, ont été
renversées par eux avec la permission de Dieu, réduites à n'être plus rien
que poussière, parfois fanges d'égout.
J'ai dit : les peuples sentent le besoin d'élire quelqu'un qui se charge
de toutes les responsabilités, envers les sujets, envers les nations voisines
et envers Dieu, ce qui est le plus redoutable de tout.
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135> Le jugement de l'histoire est terrible,
et c'est en vain que les intérêts des peuples cherchent à le changer, car les
événements et les peuples futurs le rendront à sa vérité première, terrible,
mais plus dur est le jugement de Dieu qui ne subit aucunes pressions et qui
n'est pas sujet à des changements d'humeur ou de jugement, comme trop souvent
les hommes le sont, et encore moins sujet à des erreurs de jugement. Il
faudrait donc que ceux qui sont élus pour être les chefs de peuples et les
créateurs de l'histoire agissent avec la justice héroïque qui est propre aux
saints pour n'être pas déshonorés dans les siècles futurs et punis par Dieu
dans les siècles des siècles.
246.3 – Mais,
revenons à l'apologue d'Abimélek.
Les arbres donc voulurent élire un roi et allèrent trouver l'olivier [3].
Mais ce dernier, arbre sacré et consacré à des usages surnaturels à cause de
l’huile qui brûle devant le Seigneur
et à une place prépondérante dans les dîmes [5] et les sacrifices [6], qui fournit son huile
pour former le baume saint [7] pour l'onction de l'autel [8], des prêtres
[9] et des rois
[10], et descend avec des
propriétés, je dirais de thaumaturgie [11], dans les corps ou sur
les corps malades [12], celui-ci répondit :
"Comment puis-je manquer à ma vocation sainte et surnaturelle pour
m'abaisser aux choses de la terre ? [13]"
Oh ! la douce réponse de l'olivier !
Pourquoi n'est-elle pas apprise et pratiquée par tous ceux que Dieu choisit
pour une sainte mission, au moins par eux, je dis au moins ? Parce que,
en vérité, il faudrait bien qu'elle soit dite par tout homme pour répondre
aux suggestions du démon, étant donné que tout homme est roi et fils de Dieu,
doué d'une âme qui le rend tel, royal, filialement divin, appelé à un destin
surnaturel. Il a une âme qui est un autel et une demeure. L'autel de Dieu, la
demeure où le Père des Cieux descend pour recevoir l'amour et le respect de
celui qui est fils et sujet. Tout homme a une âme, et toute âme, étant un
autel, fait de l'homme qui la contient un prêtre, gardien de l'autel, et il
est dit dans le Lévitique : "Que le prêtre ne se contamine pas [14]".
L'homme donc aurait le devoir de répondre à la tentation du Démon, du monde
et de la chair : "Puis-je cesser d'être spirituel pour m'occuper de
choses matérielles et qui portent au péché ?"
246.4 – Les
arbres allèrent alors trouver le figuier [15]
en l'invitant à régner sur eux. Mais le figuier répondit : "Comment
puis-je renoncer à ma douceur et à mes fruits si savoureux pour devenir votre
roi ? [16]"
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136> Nombreux sont ceux qui se tournent
vers celui qui est doux pour l'avoir comme roi, pas tant par admiration pour
sa douceur que parce qu'ils espèrent qu'à force d'être doux il finira par
devenir un roi de comédie duquel on peut attendre tout consentement et avec
lequel on peut se permettre toutes libertés.
Mais la douceur n'est pas la faiblesse, c'est la bonté. Elle
est juste, intelligente, ferme. Ne confondez jamais la douceur avec la
faiblesse. La première est une vertu, la seconde un
défaut. Et parce qu'elle est une vertu, elle communique à celui qui la
possède une droiture de conscience qui lui permet de résister aux
sollicitations et aux séductions humaines, attentives à le tourner vers leurs
intérêts, qui ne sont pas les intérêts de Dieu. Elle demeure à tout prix
fidèle à sa destinée.
Celui qui est doux ne rejettera jamais avec âpreté les réprimandes d'autrui.
Il ne repoussera jamais avec dureté celui qui le réclame. Mais en pardonnant
et en souriant, il dira toujours : "Frère, laisse-moi à ma douce
destinée. Je suis ici pour te consoler et t'aider, mais je ne peux devenir un
roi tel que tu l'envisages parce que je me soucie et me préoccupe d'une seule
royauté, pour mon âme et la tienne : de celle de l'esprit".
246.5 – Les
arbres allèrent trouver la vigne et lui demandèrent d'être leur roi [17]. Mais la vigne répondit :
"Comment puis-je, moi, renoncer à être l'allégresse et la force pour
devenir votre roi ?
Être roi, à cause de la responsabilité et des remords, car plus rare que le
diamant noir est le roi qui ne pèche pas et ne se crée pas des remords, cela
amène toujours à s'obscurcir l'esprit. La puissance séduit tant qu'elle
brille de loin comme un phare, mais quand on l'a rejointe, on voit que ce
n'est qu'une lumière de luciole et non d'étoile.
Et encore : la puissance n'est qu'une force liée par les mille cordages des
mille intérêts qui s'agitent autour d'un roi. Intérêts des courtisans,
intérêts des alliés, intérêts personnels et de la parenté. Combien de rois se
jurent, pendant que l'huile les consacre: "Moi, je serai impartial"
et ensuite, ils ne savent pas l'être ? Comme un arbre puissant qui ne se
révolte pas au premier embrassement du lierre tendre ou fin en disant :
"Il est si faible qu'il ne peut me nuire" et même il se plaît à en
être enguirlandé et d'en être le protecteur qui le soutient quand il s'élève,
souvent je pourrais dire : toujours, le roi cède au premier embrassement d'un
intérêt courtisan, allié, personnel ou de parenté qui se tourne vers lui, et
il se plaît à en être un munificent protecteur.
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137> "C'est si peu de
chose !" dit-il quand la conscience lui crie : "Gare à
toi !" et il pense que cela ne peut pas lui nuire ni dans sa
puissance, ni dans son renom.
L'arbre aussi le croit. Mais un jour vient où, branche après branche,
croissant en force et en longueur, croissant par sa voracité de sucer la sève
du sol et de monter à la conquête de la lumière et du soleil, le lierre
embrasse tout entier l'arbre puissant, l'accable, l'étouffe, le tue. Et il
était si faible ! Et lui était si fort !
Pour les rois aussi, c'est la même chose. Un premier
compromis avec sa propre mission, un premier haussement d'épaules à la voix
de la conscience parce que les louanges sont douces, parce que l'air de
protecteur que l'on recherche est agréable, et il vient un moment où le roi
ne règne pas mais où règnent les intérêts des autres et ils l'emprisonnent,
le bâillonnent jusqu'à l'étouffer, et ils le suppriment si, devenus plus forts
que lui, ils voient qu'il n'est pas pressé de mourir.
L'homme ordinaire aussi, toujours roi en son
esprit, se perd s'il accepte une royauté inférieure, par orgueil, par
avidité. Et il perd sa sérénité spirituelle qui lui vient de l'union avec
Dieu. Car le Démon, le monde et la chair peuvent donner un pouvoir et une
jouissance illusoires, mais aux dépens de l'allégresse spirituelle qui lui
vient de l'union avec Dieu.
Allégresse et force des pauvres en esprit, vous méritez bien que l'homme
sache dire : "Et comment puis-je accepter de devenir roi dans mon
être inférieur si, en arrivant à m'allier avec vous, je perds la force et la
joie intérieure et le Ciel et sa royauté vraie ?". Et ils peuvent
dire encore ces bienheureux pauvres en esprit qui ne visent qu'à posséder le
Royaume des Cieux et méprisent toute richesse qui n'est pas ce royaume, et
ils peuvent dire aussi : "Et comment pourrions-nous en venir à
amoindrir notre mission qui est de faire mûrir des sucs fortifiants et
porteurs de joie, pour cette humanité, notre sœur qui vit dans le désert
aride de l'animalité et qui a besoin d'être désaltérée pour ne pas mourir,
pour être nourrie de sucs vitaux comme un enfant privé de nourrice ?
Nous sommes les nourrices de l'humanité qui a perdu le sein de Dieu, qui
erre, stérile et malade, qui en arriverait à la mort désespérée, au noir
scepticisme, si elle ne nous trouvait pas nous qui, par le joyeux labeur de
ceux qui sont libres de toute attache terrestre, nous ne leur donnions pas la
certitude qu'il existe une Vie, une Joie, une Liberté, une Paix. Nous ne
pouvons renoncer à cette charité pour un intérêt mesquin".
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138> 246.6 – Les arbres s'en allèrent alors
vers la ronce . Elle ne les repoussa pas mais leur imposa un pacte
sévère : "Si vous me voulez pour roi, venez au-dessous de moi. Mais, si
vous ne voulez pas le faire, après m'avoir élue, je ferai de toute épine un
tourment ardent et je vous brûlerai tous, même les cèdres du Liban".
Voici la royauté que pourtant le monde regarde comme vraie ! L'humanité
corrompue prend la tyrannie et la férocité pour la vraie royauté, alors que
l'on considère la douceur et la bonté comme de la sottise et de la bassesse.
L'homme ne se soumet pas au Bien, mais il se soumet au Mal. Il en est séduit
et en conséquence il en est brûlé.
C'est l'apologue d'Abimélech .
246.7 – Mais
Moi, je vous en propose un autre, non pas lointain et pour des faits
lointains, mais voisin, présent.
Les animaux pensèrent à élire un roi et comme ils étaient astucieux pensèrent
choisir un animal qui ne leur donnât pas la crainte d'être fort ou féroce.
Ils écartèrent donc le lion et tous les félins. Ils déclarèrent ne pas
vouloir des aigles à cause de leurs becs, ni d'aucun oiseau de proie. Ils se
défièrent du cheval qui, grâce à sa rapidité, pouvait les rattraper et voir
ce qu’ils faisaient. Ils se défièrent encore plus de l'âne dont ils
connaissaient la patience, mais aussi les subites furies et les puissants
sabots. Ils étaient horrifiés à l'idée d'avoir pour roi la guenon parce que
trop intelligente et vindicative. Avec l'excuse que le serpent s'était prêté
à Satan pour séduire l'homme, ils déclarèrent ne pas le vouloir pour roi
malgré ses couleurs gracieuses et l'élégance de ses mouvements. En réalité,
ils n'en voulurent pas parce qu'ils connaissaient sa marche silencieuse, la
grande puissance de ses muscles, l’action redoutable de son venin. Se donner
pour roi un taureau ou un autre animal armé de cornes pointues ? Fi
donc ! "Le diable aussi en a" dirent-ils. Mais ils pensaient:
"Si un jour nous nous révoltons, il va nous exterminer avec ses
cornes".
Après des recherches inutiles, ils virent un agnelet grassouillet et blanc
qui gambadait joyeusement dans un pré vert et qui s'alimentait à la mamelle
gonflée de sa mère. Il n'avait pas de cornes, mais il avait des yeux doux
comme un ciel d'avril. Il était doux et simple.
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139> Il était content de tout : de
l'eau d'un petit ruisseau où il buvait en y plongeant son petit museau rose;
des fleurs de goûts différents qui plaisaient à son oeil
et à son palais; de l'herbe touffue où il était agréable de se coucher quand
il était rassasié; et des nuées qui paraissaient être d'autres agneaux qui
s'ébattaient là- haut, au-dessus des prés azurés et qui l'invitaient à jouer
en courant dans le pré, comme eux dans le ciel, et surtout des caresses de la
mère qui lui permettait encore de téter son lait tiède, pendant qu'elle
léchait la blanche toison avec sa langue rose; du bercail bien protégé et à
l'abri du vent, de la litière douce et parfumée sur laquelle il était
agréable de dormir près de sa mère.
"Il est facile à contenter. Il est sans armes ni venin. Il est naïf.
Faisons-Le roi".
Et ils le firent roi. Et ils s'en glorifiaient parce qu'il
était beau et bon, admiré des peuples voisins, aimé de ses sujets à cause de
sa patiente douceur.
246.8 – Le
temps passa et l'agneau devint mouton et dit : "Maintenant c'est le
moment de gouverner réellement. Maintenant je possède pleinement la
connaissance de ma mission. La volonté de Dieu qui a permis que je fusse élu
roi, m'a formé à cette mission en me donnant la capacité de régner. Il est
donc juste que je l'exerce d'une manière parfaite, même pour ne pas négliger
les dons de Dieu".
Voyant des sujets qui faisaient des choses contraires à l'honnêteté des
mœurs, ou à la charité, ou à la douceur, ou à la loyauté, à la tempérance, à
l'obéissance, au respect, à la prudence et ainsi de suite, il éleva la voix
pour les réprimander.
Ses sujets se gaussèrent de son bêlement sage et doux qui ne faisait pas peur
comme le rugissement des félins, ni comme le cri des vautours quand ils
descendent d'un vol rapide sur leur proie, ni comme le sifflement du serpent,
et ni même comme l'aboiement du chien qui inspire la crainte.
L'agneau devenu mouton ne se borna pas à bêler, mais il alla trouver les
coupables pour les ramener à leur devoir. Mais le serpent se glissa dans ses
pattes. L'aigle s'éleva dans les hauteurs en le laissant en plan. Les félins,
d'un coup de patte feutrée, le bousculèrent en le menaçant : "Tu
vois ce qu'il y a dans notre patte feutrée qui pour l'instant te bouscule
seulement ? Les griffes". Les chevaux, et tous les coureurs en
général, se mirent à courir au galop autour de lui, en le tournant en
ridicule. Les éléphants massifs et autres pachydermes, d'un coup de museau,
le jetèrent çà et là, pendant que les guenons du haut des arbres lui
lançaient des projectiles.
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140> L'agneau devenu mouton finit par
s'inquiéter et il dit : " Je ne voulais pas me servir de mes cornes
ni de ma force car, moi aussi, j'ai une force dans ce cou et on la prendra comme
modèle pour abattre les obstacles en temps de guerre. Je ne voulais pas m'en
servir, parce que je voulais user d'amour et de persuasion, mais puisque vous
m'attaquez avec ces armes, voilà que je vais user de ma force parce que, si
vous manquez à votre devoir envers moi et envers Dieu, moi, je ne veux pas
manquer à mon devoir envers Dieu et envers vous. J'ai été mis à cette place,
par vous et par Dieu, pour vous conduire à la Justice et au Bien. Et je veux
que règnent ici la Justice et le Bien, c'est-à-dire l'Ordre".
Et il se servit de ses cornes pour punir, légèrement parce
qu'il était bon, un roquet têtu qui continuait à importuner ses voisins et
puis, de son cou puissant, il défonça la porte d'une tanière où un porc goulu
et égoïste avait accumulé des vivres au détriment des autres, et il abattit
aussi le buisson de lianes choisi par deux singes luxurieux pour leurs amours
illicites.
246.9 – "Ce
roi est devenu trop puissant. Il veut vraiment régner. Il veut absolument que
nous vivions en sages. Cela ne nous plaît pas. Il faut le détrôner"
décidèrent-ils.
Mais un astucieux petit singe leur conseilla: "Ne le faisons que sous
l'apparence d'un juste motif. Autrement nous ferions piètre figure auprès des
peuples et nous serions odieux à Dieu. Epions donc chaque action de l'agneau
devenu mouton pour pouvoir l'accuser avec un semblant de justice".
"J'y pense, moi" dit le serpent.
"Et moi aussi" dit la guenon.
L'un, en se glissant dans les herbes, l'autre, en restant en haut des arbres
ne perdirent plus de vue l'agneau devenu mouton. Chaque soir, quand lui se
retirait pour se reposer des fatigues de la mission et réfléchir sur les
mesures à adopter et les paroles à employer pour dompter la révolte et
triompher des péchés de ses sujets, ceux-ci, à part quelques rares personnes
honnêtes et fidèles, se réunissaient pour écouter le rapport des deux espions
et des deux traîtres. Car c'était bien cela qu'ils étaient.
Le serpent disait à son roi : " Je te suis parce que je t'aime et
si je voyais qu'on t'attaque, je veux pouvoir te défendre". La guenon
disait à son roi : "Comme je t'admire ! Je veux t'aider.
Regarde : d'ici je vois qu'au-delà du pré on est en train de pécher.
Cours !".
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141> Puis elle disait à ses compagnons:
" Aujourd'hui aussi, il a pris part au banquet de certains pécheurs. Il
a feint d'y aller pour les convertir mais ensuite, en réalité, il a été
complice de leur ripaille".
Et le serpent rapportait : "Il est allé jusqu'en dehors de son
peuple, fréquentant les papillons, les mouches et les limaces visqueuses.
C'est un infidèle. il entretient des relations avec des étrangers
immondes".
Ainsi parlaient-ils aux dépens de l'innocent, s'imaginant que celui-ci ne
savait rien.
Mais l'esprit du Seigneur, qui l'avait formé pour sa mission, l'éclairait
aussi sur les complots de ses sujets. Il aurait pu s'enfuir, indigné, en les
maudissant. Mais l'agneau était doux et humble de cœur. Il aimait. Il avait
le tort d'aimer, et il avait le tort encore plus grand de persévérer, en
aimant et pardonnant, dans sa mission, au prix de sa vie, pour accomplir la
volonté de Dieu.
Oh ! quels torts que ceux-là, auprès des hommes !
Impardonnables ! Et ils l'étaient tant qu'ils lui valurent la
condamnation. "Qu'il soit tué ! Pour qu'on soit délivré de son
oppression ".
Et le serpent se chargea de le tuer, parce que le serpent est toujours le
traître.
246.10 – C'est
le second apologue. À toi de le comprendre, peuple de Nazareth ! Quant à
Moi, à cause de l'amour qui m’attache à toi, je te souhaite d'en rester au
moins à l'hostilité, et de ne pas aller au-delà. L'amour de la terre où je
suis venu tout enfant, où j'ai grandi en vous aimant et en recevant de
l'amour, me fait vous dire à vous tous : "Ne soyez pas plus
qu'hostiles. N'agissez pas de façon que l'histoire dise : C'est de
Nazareth qu'est venu le traître qui l'a livré et aussi ses juges
iniques".
Adieu. Soyez droits dans vos jugements et constants dans votre volonté. La
première chose, pour vous tous, mes concitoyens. La seconde pour ceux d'entre
vous qui sont troublés par des pensées qui ne sont pas honnêtes. Je pars...
La paix soit avec vous."
Et Jésus, au milieu d'un silence pénible, rompu seulement par deux ou trois
voix qui l'approuvent, sort, triste, la tête baissée, de la synagogue de
Nazareth.
246.11 – Il
est suivi par les apôtres. Tout à fait en queue sont les fils d'Alphée et leurs yeux ne sont
certainement pas les yeux d'un doux agneau... Ils regardent sévèrement la
foule hostile et Jude Thaddée
n'hésite pas à se planter droit en face de son frère Simon et à lui dire :
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de page.
142> "Je croyais avoir un frère plus
honnête et ayant plus de caractère."
Simon baisse la tête et se tait, mais l'autre frère,
encouragé par les autres de Nazareth, dit : "Tu n'a pas honte
d'offenser ton frère aîné !"
"Non. J'ai honte de vous, de vous tous. Ce n'est pas une marâtre, mais
une marâtre dépravée qu'est Nazareth pour le Messie. Écoutez pourtant ma
prophétie. Vous pleurerez des larmes, assez pour alimenter une fontaine, mais
elles ne suffiront pas à effacer des livres de l'histoire le vrai nom de
cette cité et le vôtre. Vous savez lequel ? "Sottise".
Adieu."
Jacques
ajoute un salut plus large en leur souhaitant la lumière de la sagesse et ils
sortent avec Alphée de Sara
et deux jeunes garçons, si je les reconnais bien, ce sont les deux âniers
qui
escortèrent les ânes qui avaient servi pour aller à la rencontre de Jeanne de
Kouza
mourante.
246.12 – La
foule, restée interdite, murmure : "Mais d'où Lui vient tant de
sagesse ?"
"Et les miracles d'où en a-t-il le pouvoir ? Car, pour en faire, il
en fait. Toute la Palestine en parle."
"N'est-ce pas le fils de Joseph le menuisier ?
Nous l'avons tous vu à son établi de Nazareth faire des tables et des lits,
et ajuster des roues et des serrures. Il n'est même pas allé à l'école et sa
Mère seule fut sa maîtresse."
"Un scandale aussi cela que notre père a critiqué" dit Joseph d'Alphée.
"Mais tes frères aussi ont terminé l'école avec Marie de Joseph."
"Hé ! mon père fut faible avec son épouse..." répond encore
Joseph.
"Et aussi le frère de ton père, alors?"
"Aussi."
"Mais est-ce bien le fils du menuisier ?"
"Et tu ne le vois pas ?"
"Oh ! il y en a tant qui se ressemblent ! Moi je pense que
c'est quelqu'un qui veut se faire passer pour lui."
Haut
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143> "Et alors où est Jésus de
Joseph ?"
"Crois-tu
que sa Mère ne le connaît pas?"
"Il a ici ses frères et ses sœurs et tous l'appellent parent. N'est-ce
pas vrai, peut-être, vous deux ?"
Les deux aînés d'Alphée font signe que oui.
"Alors il est devenu fou ou possédé, car ce qu'il dit ne peut venir d'un
menuisier."
"Il faudrait ne pas l'écouter. Sa prétendue doctrine c'est du délire ou
de la possession…"
246.13 – …Jésus
s'est arrêté sur la place, attendant Alphée de Sara qui parle avec un homme.
Et pendant qu'il attend, un des deux âniers qui était resté près de la porte de
la synagogue Lui rapporte les calomnies qu'on y a dites.
"Ne t'en afflige pas. Un prophète
généralement n'est pas honoré dans sa patrie et dans sa maison. L'homme est
sot au point de croire que, pour être prophètes, il faut être des êtres pour ainsi
dire étrangers à la vie. Et les concitoyens et ceux de la famille plus que
tous connaissent et se rappellent le caractère humain de leur concitoyen et
parent, mais la vérité triomphera. Et maintenant je te salue. La paix soit
avec toi."
"Merci, Maître, d'avoir guéri ma mère."
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