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"l'Évangile tel qu'il m'a été révélé"
Dans les autres ouvrages de Maria
Valtorta Cahiers de 1944 Voir le sommaire des "Cahiers" => Catéchèse du
10 janvier : Il y a un filet de vérité
dans toutes les religions révélées, déposé par moi (l'Esprit-Saint), qui suis
celui qui irrigue et féconde. En outre, comme le jaillissement puissant d’une
source éternelle, je déborde de tous côtés de l’Église catholique du Christ
et, par le moyen de la grâce, des sept dons et des sept sacrements, je
transforme les catholiques fidèles en serviteurs du Seigneur, en élus pour le
Royaume, en fils de Dieu, en frères du Christ, en dieux dont le destin est si
infiniment sublime qu’il mérite qu’on se sacrifie pour le posséder. Dans les
textes fondamentaux chrétiens Dans la
Bible Indication des
sources à venir. Dans le catéchisme de l'Église catholique Indication des sources à venir. Dans d'autres sources Amour des pratiques
religieuses L'amour de la religion instituée, quoique le
nom de Dieu y soit nécessairement présent, n'est pourtant pas, par lui-même, un
amour explicite, mais implicite de Dieu. Car il n'enferme pas un contact
direct, immédiat avec Dieu. Dieu est présent dans les pratiques religieuses,
quand elles sont pures, de la même manière que dans le prochain et dans la
beauté du monde ; non pas davantage. La forme que prend dans l'âme l'amour de la
religion diffère beaucoup selon les circonstances de la vie. Certaines
circonstances empêchent que cet amour prenne même naissance ou bien le tuent
avant qu'il ait pu prendre beaucoup de force. Certains hommes contractent
malgré eux, dans le malheur, la haine et le mépris de la religion, parce que
la cruauté, l'orgueil ou la corruption de certains de ses ministres les ont
fait souffrir. D'autres ont été élevés dès leur enfance dans un milieu
imprégné de cet esprit. Il faut penser qu'en pareil cas, par la miséricorde
de Dieu, l'amour du prochain et celui de la beauté du monde, s'ils sont assez
forts et assez purs, sont suffisants pour conduire l'âme à n'importe quelle
hauteur. L'amour de la religion instituée a
normalement pour objet la religion dominante du pays ou du milieu où on a été
élevé. C'est à elle que tout homme pense d'abord, par l'effet d'une habitude
entrée dans l'âme avec la vie, toutes les fois qu'il pense à un service de
Dieu. La vertu des pratiques religieuses peut être
conçue tout entière d'après la tradition bouddhiste concernant la récitation
du nom du Seigneur. On dit que le Bouddha aurait fait vœu d'élever jusqu'à
lui, dans le Pays de la Pureté, tous ceux qui réciteraient son nom avec le
désir d'être sauvés par lui ; et qu'à cause de ce vœu la récitation du
nom du Seigneur a réellement la vertu de transformer l'âme. La religion n'est pas autre chose que cette
promesse de Dieu. Toute pratique religieuse, tout rite, toute liturgie est
une forme de la récitation du nom du Seigneur, et doit en principe avoir
réellement une vertu ; la vertu de sauver quiconque s'y adonne avec ce
désir. Toutes les religions prononcent dans leur
langue le nom du Seigneur. Le plus souvent, il vaut mieux pour un homme
nommer Dieu dans sa langue natale plutôt que dans une langue étrangère. Sauf
exception, l'âme est incapable de s'abandonner complètement au moment où elle
doit s'imposer le léger effort de chercher les mots d'une langue étrangère,
même bien connue. Un écrivain dont la langue natale est pauvre,
peu maniable et peu répandue dans le monde est très fortement tenté d'en
adopter une autre. Il y a eu quelques cas de réussite éclatante, comme
Conrad, mais très rares. Sauf exception un tel changement fait du mal,
dégrade la pensée et le style ; l'écrivain reste médiocre et mal à
l'aise dans le langage adopté. Un changement de religion est pour l'âme
comme un changement de langage pour un écrivain. Toutes les religions, il est
vrai, ne sont pas également aptes à la récitation correcte du nom du
Seigneur. Certaines sans doute sont des intermédiaires très imparfaits. Il
faut que la religion d'Israël, par exemple, ait été un intermédiaire vraiment
très imparfait pour qu'on ait pu crucifier le Christ. La religion romaine ne
méritait peut-être même à aucun degré le nom de religion. Mais d'une manière générale la hiérarchie des
religions est une chose très difficile à discerner, presque impossible,
peut-être tout à fait impossible. Car une religion se connaît de l'intérieur.
Les catholiques le disent du catholicisme, mais c'est vrai de toute religion.
La religion est une nourriture. Il est difficile d'apprécier par le regard la
saveur et la valeur alimentaire d'un aliment qu'on n'a jamais mangé. La comparaison des religions n'est possible
dans une certaine mesure que par la vertu miraculeuse de la sympathie. On
peut dans une certaine mesure connaître les hommes si en même temps qu'on les
observe du dehors on transporte en eux pour un temps sa propre âme à force de
sympathie. De même l'étude de différentes religions ne conduit à une
connaissance qui si on se transporte pour un temps, par la foi, au centre
même de celle qu'on étudie. Par la foi au sens le plus fort du mot. C'est ce qui n'arrive presque jamais. Car les
uns n'ont aucune foi ; les autres ont foi exclusivement dans une
religion et n'accordent aux autres que l'espèce d'attention qu'on accordent
des coquillages de forme étrange. D'autres encore se croient capables
d'impartialité parce qu'ils ont une vague religiosité qu'ils tournent
indifféremment n'importe où. Il faut au contraire avoir accordé toute son
attention, toute sa foi, tout son amour à une religion particulière pour
pouvoir penser à chaque autre religion avec le plus haut degré d'attention,
de foi et d'amour qu'elle comporte. De même ce sont ceux qui sont capables
d'amitié, non les autres, qui peuvent aussi s'intéresser de tout leur cœur au
sort d'un inconnu. Dans tous les domaines, l'amour n'est réel
que dirigé sur un objet particulier ; il devient universel sans cesser
d'être réel seulement par l'effet de l'analogie et du transfert. Soit dit en passant, la connaissance de ce
que sont l'analogie et le transfert, connaissance pour laquelle la
mathématique, les diverses sciences et la philosophie sont une préparation, a
ainsi un rapport direct avec l'amour. Aujourd'hui, en Europe et peut-être même dans
le monde, la connaissance comparée des religions est à peu près nulle. On n'a
même pas la notion de la possibilité d'une telle connaissance. Même sans les
préjugés qui nous font obstacle, le pressentiment de cette connaissance est
déjà quelque chose de très difficile. Il y a entre les différentes formes de
vie religieuse, comme compensation partielle des différences visibles,
certaines équivalences cachées que peut-être le discernement le plus aigu
peut seulement entrevoir. Chaque religion est une combinaison originale de
vérités explicites et de vérités implicites ; ce qui est explicite chez
l'une est implicite dans telle autre. L'adhésion implicite à une vérité peut
quelquefois avoir autant de vertu qu'une adhésion explicite, et quelquefois
même beaucoup plus. Celui qui connaît le secret des cœurs connaît seul aussi
le secret des différentes formes de la foi. Il ne nous a pas révélé ce
secret, quoi qu'on dise. Quand on est né dans une religion qui n'est
pas trop impropre à la prononciation du nom du Seigneur, quand on aime cette
religion natale d'un amour bien orienté et pur, il est difficile de concevoir
un motif légitime de l'abandonner, avant qu'un contact direct avec Dieu
soumette l'âme à la volonté divine elle-même. Au-delà de ce seuil, le
changement n'est légitime que par obéissance. L'histoire montre qu'en fait,
cela se produit rarement. Le plus souvent, toujours peut-être, l'âme parvenue
aux plus hautes régions spirituelles est confirmée dans l'amour de la
tradition qui lui a servi d'échelle. Si l'imperfection de la religion natale est
trop grande, ou si elle apparaît dans le milieu natal sous une forme trop
corrompue, ou bien si les circonstances ont empêché de naître ou tué l'amour
de cette religion, l'adoption d'une religion étrangère est légitime. Légitime
et nécessaire pour certains ; non pas sans doute pour tous. Il en est de
même à l'égard de ceux qui ont été élevés sans aucune pratique religieuse. Dans tous les autres cas, changer de religion
est une décision extrêmement grave, et il est encore bien plus grave de
pousser un autre à le faire. Il est encore infiniment plus grave d'exercer en
ce sens une pression officielle dans des pays conquis. En revanche, malgré les divergences
religieuses qui existent sur les territoires d'Europe et d'Amérique, on peut
dire qu'en droit, directement ou indirectement, de près ou de loin, la
religion catholique est le milieu spirituel natal de tous les hommes de race
blanche. La vertu des pratiques religieuses consiste
dans l'efficacité du contact avec ce qui est parfaitement pur pour la
destruction du mal. Rien ici-bas n'est parfaitement pur, sinon la beauté
totale de l'univers, qu'il n'est pas en notre pouvoir de ressentir
directement avant d'avoir beaucoup avancé vers la perfection. Cette beauté
totale n'est d'ailleurs enfermée dans rien de sensible, quoiqu'elle soit
sensible en un sens. Les choses religieuses sont des choses
sensibles particulières, existant ici-bas, et pourtant parfaitement pures.
Non pas par leur manière d'être propre. L'église peut être laide, les chants
faux, le prêtre corrompu et les fidèles distraits. En un sens cela n'a aucune
importance. C'est ainsi que si un géomètre, pour illustrer une démonstration
correcte, trace une figure où les droites sont tordues et les cercles
allongés, cela n'a aucune importance. Les choses religieuses sont pures en
droit, théoriquement, par hypothèse, par définition, par convention. Ainsi
leur pureté est inconditionnée. Nulle souillure ne peut l'atteindre. C'est
pourquoi elle est parfaite. Mais non pas parfaite à la manière de la jument
de Roland, qui avec toutes les vertus possibles avait l'inconvénient de ne
pas exister. Les conventions humaines sont sans efficacité, à moins qu'il ne
s'y joigne des mobiles qui poussent les hommes à les observer. En elles-mêmes
elles sont de simples abstractions ; elles sont irréelles et n'opèrent
rien. Mais la convention selon laquelle les choses religieuses sont pures est
ratifiée par Dieu même. Aussi est-ce une convention efficace, une convention
qui enferme une vertu, qui par elle-même opère quelque chose. Cette pureté
est inconditionnée et parfaite, et en même temps réelle. C'est là une vérité de fait, qui par suite
n'est pas susceptible de démonstration. Elle n'est susceptible que de
vérification expérimentale. En fait la pureté des choses religieuses est
presque partout manifeste sous la forme de la beauté, quand la foi et l'amour
ne font pas défaut. Ainsi les paroles de la liturgie sont merveilleusement
belles ; et surtout la prière sortie pour nous des lèvres mêmes du
Christ est parfaite. De même l'architecture romane, le chant grégorien sont
merveilleusement beaux. Mais au centre même il y a quelque chose qui
est entièrement dépourvu de beauté, où rien ne rend la pureté manifeste,
quelque chose qui est uniquement convention. Il faut qu'il en soit ainsi.
L'architecture, les chants, le langage, même si les mots sont assemblés par
le Christ, tout cela est autre chose que la pureté absolue. La pureté absolue
présente ici-bas à nos sens terrestres comme chose particulière, cela ne peut
être qu'une convention qui soit convention et rien d'autre. Cette convention
placée au point central, c'est l'Eucharistie. L'absurdité du dogme de la présence réelle en
constitue la vertu. Excepté le symbolisme si touchant de la nourriture, il
n'y a rien dans un morceau de pain à quoi la pensée tournée vers Dieu puisse
s'accrocher. Ainsi le caractère conventionnel de la présence divine est
évident. Le Christ ne peut être présent dans un tel objet que par convention.
Il peut y être de ce fait même parfaitement présent. Dieu ne peut être
présent ici-bas que dans le secret. Sa présence dans l'Eucharistie est
vraiment secrète, puisque aucune partie de notre pensée n'est admise au
secret. Aussi est-elle totale. Nul ne songe à s'étonner que des
raisonnements opérés sur des droites parfaites et des cercles parfaits qui
n'existent pas aient des applications effectives dans la technique. Pourtant
cela est incompréhensible. La réalité de la présence divine dans
l'Eucharistie est plus merveilleuse, mais non pas plus incompréhensible. On pourrait dire en un sens, par analogie,
que le Christ est présent dans l'hostie consacrée par hypothèse, de la même
manière qu'un géomètre dit qu'il y a deux angles égaux dans tel triangle par
hypothèse. C'est parce qu'il s'agit d'une convention que
la forme de la consécration importe seule, non l'état spirituel de celui qui
consacre. Si c'était autre chose qu'une convention, ce serait
une chose au moins partiellement humaine, non pas totalement divine. Une
convention réelle, c'est une harmonie surnaturelle, en prenant harmonie au
sens pythagoricien. Seule une convention peut être ici-bas la
perfection de la pureté, car toute pureté non conventionnelle est plus ou
moins imparfaite. Qu'une convention puisse être réelle, c'est un miracle de
la miséricorde divine. La notion bouddhiste de la récitation du nom
du Seigneur a le même contenu, car un nom aussi est une convention. Pourtant l'habitude
de confondre dans nos pensées les choses avec leur nom le fait facilement
oublier. L'Eucharistie est conventionnelle à un plus haut degré. Même la présence humaine et charnelle du
Christ était autre chose que la pureté parfaite, puisqu'il a blâmé celui qui
le nommait bon, puisqu'il a dit : "Il vous est avantageux que je
m'en aille." Il est donc vraisemblablement plus complètement présent
dans un morceau de pain consacré. Sa présence est plus complète pour autant
qu'elle est plus secrète. Pourtant cette présence fut sans doute encore
plus complète, et aussi encore plus secrète, dans son corps charnel, au
moment où la police se saisit de ce corps comme de celui d'un repris de
justice. Mais aussi fut-il alors abandonné de tous. Il était trop présent. Ce
n'était pas soutenable pour des hommes. La convention de l'Eucharistie ou toute autre
analogue est indispensable à l'homme ; la présence sensible de la pureté
parfaite lui est indispensable. Car l'homme ne peut diriger la plénitude de
son attention que sur une chose sensible. Et il a besoin de diriger parfois
son attention sur la pureté parfaite. Cet acte seul peut lui permettre, par
une opération de transfert, de détruire une partie du mal qui est en lui.
C'est pourquoi l'hostie est réellement l'Agneau de Dieu qui enlève les
péchés. Tout le monde sent le mal en soi, en a
horreur et voudrait s'en débarrasser. Hors de nous nous voyons le mal sous
deux formes distinctes, souffrance et péché. Mais dans le sentiment que nous
avons de nous-mêmes cette distinction n'apparaît pas, sinon abstraitement et
par réflexion. Nous sentons en nous-mêmes quelque chose qui n'est ni
souffrance ni péché, qui est l'un et l'autre à la fois, la racine commune aux
deux, un mélange indistinct des deux, en même temps souillure et douleur.
C'est le mal en nous. C'est la laideur en nous. Pour autant que nous la
sentons, elle nous fait horreur. L'âme la rejette comme on vomit. Elle la
transporte par une opération de transfert dans les choses qui nous entourent.
Mais les choses devenant ainsi laides et souillées à nos yeux nous renvoient
le mal que nous avons mis en elles. Elles nous le renvoient augmenté. Dans
cet échange le mal qui est en nous s'accroît. Il nous semble alors que les
lieux mêmes où nous sommes, le milieu même où nous vivons nous emprisonnent
dans le mal, et de jour en jour davantage. C'est là une terrible angoisse.
Quand l'âme épuisée par cette angoisse ne la ressent même plus, il y a peu
d'espoir de salut pour elle. C'est ainsi qu'un malade prend sa chambre et
son entourage en haine et en dégoût, un condamné sa prison, et trop souvent
un ouvrier son usine. Ceux qui sont ainsi, il ne sert à rien de
leur procurer de belles choses. Car il n'est rien qui ne finisse par être
souillé jusqu'à faire horreur, avec le temps, par cette opération de
transfert. Seule la pureté parfaite ne peut pas être
souillée. Si au moment où l'âme est envahie par le mal l'attention se porte
sur une chose parfaitement pure en y transférant une partie du mal, cette
chose n'en est pas altérée. Elle ne renvoie pas le mal. Ainsi chaque minute
d'une pareille attention détruit réellement un peu de mal. Ce que les Hébreux essayaient d'accomplir, au
moyen d'une espèce de magie, dans leur rite du bouc émissaire, ne peut être
opéré ici-bas que par la pureté parfaite. Le véritable bouc émissaire, c'est
l'Agneau. Le jour où un être parfaitement pur se
concentre ici-bas sous forme humaine, automatiquement la plus grande quantité
possible de mal diffus autour de lui se concentre sur lui sous forme de
souffrance. À cette époque, dans l'Empire romain, le plus grand malheur et le
plus grand crime des hommes était l'esclavage. C'est pourquoi il subit le
supplice qui était le degré extrême du malheur de l'esclavage. Ce transfert
constitue mystérieusement la Rédemption. De même quand un être humain porte son regard
et son attention sur l'Agneau de Dieu présent dans le pain consacré, une
partie du mal qu'il contient en lui se porte sur la pureté parfaite et y
subit une destruction. Plutôt qu'une destruction, c'est une transmutation.
Le contact avec la pureté parfaite dissocie le mélange indissoluble de la
souffrance et du péché. La partie du mal contenu dans l'âme qui a été brûlée
au feu de ce contact devient seulement souffrance, et souffrance imprégnée
d'amour. De la même manière, tout ce mal diffus dans
l'Empire romain qui se concentra sur le Christ devint en lui seulement
souffrance. S'il n'y avait pas ici-bas de pureté parfaite
et infinie, s'il n'y avait que de la pureté finie que le contact du mal
épuise avec le temps, nous ne pourrions jamais être sauvés. La justice pénale fournit une illustration
affreuse de cette vérité. En principe c'est une chose pure, qui a pour objet
le bien. Mais c'est une pureté imparfaite, finie, humaine. Aussi le contact
ininterrompu avec le crime et le malheur mélangés épuise-t-il cette pureté et
met-il à la place une souillure à peu près égale à la totalité du crime, une
souillure qui dépasse de bien loin celle d'un criminel particulier. Les hommes négligent de boire à la source de
pureté. Mais la Création serait un acte de cruauté si cette source ne
jaillissait pas partout où il y a crime et malheur. S'il n'y avait pas de
crime et de malheur dans les siècles plus éloignés de nous que deux mille
ans, dans les pays non touchés par les missions, on pourrait croire que
l'Église a le monopole du Christ et des sacrements. Comment peut-on sans
accuser Dieu supporter la pensée d'un seul esclave crucifié il y a vingt-deux
siècles, si on pense qu'à cette époque le Christ était absent et toute espèce
de sacrement inconnue ? Il est vrai qu'on ne pense guère aux esclaves
crucifiés il y a vingt-deux siècles. Quand on a appris à porter le regard sur la
pureté parfaite, la durée limitée de la vie humaine empêche seule d'être sûr
qu'à moins de trahison on atteindra dès ici-bas la perfection. Car nous
sommes des êtres finis ; le mal en nous aussi est fini. La pureté qui
est offerte à nos yeux est infinie. Si peu que nous détruisions de mal à
chaque regard, il serait sûr, s'il n'y avait pas de limite de temps, qu'en
répétant assez souvent l'opération un jour tout le mal serait détruit. Nous
serions alors allés au bout du mal, selon l'expression splendide de la Bhagavat-Gitâ Nous aurions détruit le mal pour le Seigneur de
la Vérité, et nous lui apporterions la vérité, comme dit le Livre des morts
égyptien. Une des vérités capitales du christianisme,
aujourd'hui bien méconnue de tous, est que le regard est ce qui sauve. Le
serpent d'airain a été élevé afin que les hommes, gisant mutilés au fond de
la dégradation, le regardent et soient sauvés. C'est dans les moments où on est, comme on
dit, mal disposé, où on se sent incapable de l'élévation d'âme convenable aux
choses sacrées, c'est alors que le regard porté sur la pureté parfaite est le
plus efficace. Car c'est alors que le mal, ou plutôt la médiocrité, affleure
à la surface de l'âme, dans la meilleure position pour être brûlée au contact
du feu. Mais aussi l'opération de regarder est alors
presque impossible. Toute la partie médiocre de l'âme, craignant la mort
d'une crainte plus violente que celle causée par l'approche de la mort
charnelle, se révolte et suscite des mensonges pour se protéger. L'effort de ne pas écouter ces mensonges,
quoiqu'on ne puisse pas s'empêcher d'y croire, l'effort de regarder la pureté
est alors quelque chose de très violent ; c'est pourtant absolument
autre chose que tout ce qu'on nomme généralement effort, violence sur soi,
acte de volonté. Il faudrait d'autres mots pour en parler, mais le langage
n'en a pas. L'effort par lequel l'âme se sauve ressemble
à celui par lequel on regarde, par lequel on écoute, par lequel une fiancée
dit oui. C'est un acte d'attention et de consentement. Au contraire, ce que
le langage nomme volonté est quelque chose d'analogue à l'effort musculaire. La volonté est au niveau de la partie
naturelle de l'âme. Le bon exercice de la volonté est une condition du salut
nécessaire sans doute, mais lointaine, inférieure, très subordonnée, purement
négative. L'effort musculaire du paysan arrache les mauvaises herbes, mais le
soleil et l'eau font seuls pousser le blé. La volonté n'opère dans l'âme
aucun bien. Les efforts de volonté ne sont à leur place
que pour l'accomplissement des obligations strictes. Partout où il n'y a pas
d'obligation stricte, il faut suivre soit l'inclination naturelle, soit la
vocation, c'est-à-dire le commandement de Dieu. Les actes qui procèdent de
l'inclination ne sont évidemment pas des efforts de volonté. Et dans les
actes d'obéissance à Dieu, on est passif ; quelles que soient les peines
qui les accompagnent, quel que soit le déploiement apparent d'activité, il ne
se produit dans l'âme rien d'analogue à l'effort musculaire ; il y a
seulement attente, attention, silence, immobilité à travers la souffrance et
la joie. La crucifixion du Christ est le modèle de tous les actes
d'obéissance. Cette espèce d'activité passive, la plus
haute de toutes, est parfaitement décrite dans la Bhagavat-Gîta
et dans Lao-Tseu. Là aussi il y a unité surnaturelle des contraires, harmonie
au sens pythagoricien. L'effort de volonté vers le bien est un des
mensonges sécrétés par la partie médiocre de nous-mêmes dans sa peur d'être
détruite. Cet effort ne la menace aucunement, ne diminue même pas son
confort, et cela même s'il s'accompagne de beaucoup de fatigue et de
souffrance. Car la partie médiocre de nous-mêmes ne craint pas la fatigue et
la souffrance, elle craint d'être tuée. Il y a des gens qui essaient d'élever leur
âme comme un homme pourrait sauter continuellement à pieds joints, dans
l'espoir qu'à force de sauter tous les jours plus haut un jour il ne
retombera plus, mais montera jusqu'au ciel. Ainsi occupé, il ne peut pas
regarder le ciel. Nous ne pouvons pas faire même un pas vers le ciel. La
direction verticale nous est interdite. Mais si nous regardons longtemps le
ciel, Dieu descend et nous enlève. Il nous enlève facilement. Comme dit
Eschyle : "Ce qui est divin est sans effort." Il y a dans le
salut une facilité plus difficile pour nous que tous les efforts. Dans un conte de Grimm, il y a concours de
force entre un géant et un petit tailleur. Le géant lance une pierre si haut
qu'elle met très longtemps avant de retomber. Le petit tailleur lâche un
oiseau qui ne retombe pas. Ce qui n'a pas d'ailes finit toujours par
retomber. C'est parce que la volonté est impuissante à
opérer le salut que la notion de morale laïque est une absurdité. Car ce
qu'on nomme la morale ne fait appel qu'à la volonté, et dans ce qu'elle a
pour ainsi dire de plus musculaire. La religion au contraire correspond au
désir, et c'est le désir qui sauve. La caricature romaine du stoïcisme fait aussi
appel à la volonté musculaire. Mais le vrai stoïcisme, le stoïcisme grec,
celui auquel saint Jean, ou peut-être le Christ, a emprunté les termes de
"logos" et "pneuma", est uniquement désir, piété et
amour. Il est plein d'humilité. Le christianisme d'aujourd'hui, sur ce point
comme sur beaucoup d'autres, s'est laissé contaminer par ses adversaires. La
métaphore de la recherche de Dieu évoque des efforts de volonté musculaire.
Pascal, il est vrai, a contribué à la fortune de cette métaphore. Il a commis
quelques erreurs, notamment celle de confondre dans une certaine mesure la
foi et l'autosuggestion. Dans les grandes images de la mythologie et
du folklore, dans les paraboles de l'Évangile, c'est Dieu qui cherche
l'homme. "Quaerens me sedisti lassus." Nulle part dans l'Évangile il n'est question
d'une recherche entreprise par l'homme. L'homme ne fait pas un pas à moins
d'être poussé ou bien expressément appelé. Le rôle de la future épouse est
d'attendre. L'esclave attend et veille pendant que le maître est à une fête.
Le passant ne s'invite pas lui-même au repas de noces, il ne demande pas
d'invitation ; il y est amené presque par surprise ; son rôle est
seulement de revêtir un vêtement convenable. L'homme qui a trouvé une perle
dans un champ vend tous ses biens pour acheter ce champ ; il n'a pas
besoin de retourner le champ à la bêche pour déterrer la perle, il lui suffit
de vendre tous ses biens. Désirer Dieu et renoncer à tout le reste, c'est
cela seul qui sauve. L'attitude qui opère le salut ne ressemble à
aucune activité. Le mot grec qui l'exprime est "Hupomonè"
que patientia traduit assez mal. C'est l'attente,
l'immobilité attentive et fidèle qui dure indéfiniment et que ne peut
ébranler aucun choc. L'esclave qui écoute près de la porte pour ouvrir dès
que le maître frappe en est la meilleure image. Il faut qu'il soit prêt à
mourir de faim et d'épuisement plutôt que de changer d'attitude. Il faut que
ses camarades puissent l'appeler, lui parler, le frapper sans qu'il tourne
même la tête. Même si on lui dit que le maître est mort, même s'il le croit,
il ne bougera pas. Si on lui dit que le maître est irrité contre lui et le
battra à son retour, et s'il le croit, il ne bougera pas. La recherche active est nuisible, non
seulement à l'amour, mais aussi à l'intelligence dont les lois imitent celles
de l'amour. Il faut simplement attendre que la solution d'un problème de
géométrie, que le sens d'une -phrase latine ou grecque surgisse dans
l'esprit. À plus forte raison, pour une vérité scientifique nouvelle, pour un
beau vers. La recherche mène à l'erreur. Il en est ainsi pour toute espèce de
bien véritable. L'homme ne doit pas faire autre chose qu'attendre le bien et
écarter le mal. Il ne doit faire d'effort musculaire que pour n'être pas
ébranlé par le mal. Dans le retournement qui constitue la condition humaine,
la vertu authentique dans tous les domaines est chose négative, au moins en
apparence. Mais cette attente du bien et de la vérité est quelque chose de
plus intense que toute recherche. La notion de grâce par opposition à la vertu
volontaire, celle d'inspiration par opposition au travail intellectuel ou
artistique, ces deux notions expriment, si elles sont bien comprises, cette
efficacité de l'attente et du désir. Les pratiques religieuses sont entièrement
constituées par de l'attention animée de désir. C'est pourquoi aucune morale
ne peut les remplacer. Mais la partie médiocre de l'âme a dans son arsenal
beaucoup de mensonges capables de la protéger même pendant la prière ou la
participation aux sacrements. Entre le regard et la présence de la pureté
parfaite elle met des voiles qu'elle est assez habile pour nommer Dieu. Ces
voiles, ce sont, par exemple, des états d'âme, sources de joies sensibles,
d'espérance, de réconfort, de consolation ou d'apaisement, ou bien un
ensemble d'habitudes, ou bien un ou plusieurs êtres humains, ou bien un
milieu social. Un piège difficile à éviter est l'effort pour
imaginer la perfection divine que la religion nous offre à aimer. En aucun
cas nous ne pouvons rien imaginer qui soit plus parfait que nous-mêmes. Cet
effort rend inutile la merveille de l'Eucharistie. Il faut une certaine formation de
l'intelligence pour pouvoir ne contempler dans l'Eucharistie que ce qui y est
enfermé par définition ; c'est-à-dire quelque chose que nous ignorons
totalement, dont nous savons seulement, comme dit Platon, que c'est quelque
chose, et que rien d'autre n'est jamais désiré sinon par erreur. Le piège des pièges, le piège presque
inévitable, est le piège social. Partout, toujours, en toutes choses, le
sentiment social procure une imitation parfaite de la foi, c'est-à-dire
parfaitement trompeuse. Cette imitation a le grand avantage de contenter
toutes les parties de l'âme. Celle qui désire le bien croit être nourrie.
Celle qui est médiocre n'est pas blessée par la lumière. Elle est tout à fait
à l'aise. Ainsi tout le monde est d'accord. L'âme est dans la paix. Mais le
Christ a dit qu'il ne venait pas apporter la paix. Il a apporté le glaive, le
glaive qui coupe en deux, comme dit Eschyle. Il est presque impossible de discerner la foi
de son imitation sociale. D'autant plus qu'il peut y avoir dans l'âme une
partie de foi authentique et une partie de foi imitée. C'est presque
impossible, mais non pas impossible. Dans les circonstances présentes, repousser
l'imitation sociale est peut-être pour la foi une question de vie et de mort. La nécessité d'une présence parfaitement pure
pour enlever les souillures n'est pas restreinte aux églises. Les gens
viennent apporter leurs souillures dans les églises, et cela est très bien.
Mais il serait bien plus conforme à l'esprit du christianisme qu'en plus de
cela le Christ allât porter sa présence dans les endroits les plus souillés
de honte, de misère, de crime et de malheur, dans les prisons, dans les
tribunaux, dans les refuges de miséreux. Une séance de tribunal devrait
commencer et finir par une prière commune des magistrats, de la police, de
l'accusé, du public. Le Christ devrait ne pas être absent des lieux où l'on
travaille, de ceux où l'on étudie. Tous les êtres humains devraient pouvoir,
quoi qu'ils fassent, où qu'ils soient, avoir le regard fixé tout le long de
chaque journée sur le serpent d'airain. Mais aussi il devrait être reconnu
publiquement, officiellement, que la religion ne consiste pas en autre chose
qu'en un regard. Tant qu'elle prétend être autre chose, il est inévitable ou
qu'elle soit enfermée à l'intérieur des églises, ou qu'elle étouffe tout en
tout autre lieu où elle se trouve. La religion ne doit pas prétendre occuper
dans la société une autre place que celle qui convient à l'amour surnaturel
dans l'âme. Mais il est vrai aussi que beaucoup de gens dégradent la charité
en eux-mêmes parce qu'ils veulent lui faire occuper dans leur âme une place
trop grande et trop visible. Notre Père ne réside que dans le secret. L'amour
ne va pas sans pudeur. La foi véritable implique une grande discrétion même
vis-à-vis de soi-même. Elle est un secret entre Dieu et nous auquel
nous-mêmes n'avons presque aucune part. L'amour du prochain, l'amour de la beauté du
monde, l'amour de la religion sont des amours en un sens tout à fait
impersonnels. L'amour de la religion pourrait facilement ne pas l'être, parce
que la religion a rapport à un milieu social. Il faut que la nature même des
pratiques religieuses y remédie. Au centre de la religion catholique se
trouve un peu de matière sans forme, un peu de pain. L'amour dirigé sur ce
morceau de matière est nécessairement impersonnel. Ce n'est pas la personne
humaine du Christ telle que nous l'imaginons, ce n'est pas la personne divine
du Père soumise elle aussi en nous à toutes les erreurs de notre imagination,
c'est ce fragment de matière qui est au centre de la religion catholique.
C'est ce qu'il y a en elle de plus scandaleux et c'est en quoi réside sa plus
merveilleuse vertu. Dans toutes les formes authentiques de vie religieuse il
y a de même quelque chose qui en garantit le caractère impersonnel. L'amour
de Dieu doit être impersonnel, tant qu'il n'y a pas encore eu contact direct
et personnel ; autrement c'est un amour imaginaire. Ensuite il doit être
à la fois personnel et de nouveau impersonnel en un sens plus élevé. "L'attente de Dieu" – éditions La
Colombe/Livre de poche – Paris 1963 - p. 175 à 197 Retour à l'index des thématiques |
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