Le jeudi 2 mai 1946.
504> 427.1 – Elles sont si précoces les
aubes d'été que bien court est le temps qui s'écoule entre le coucher de la
lune et l'apparition des premières clartés de l'aube. Aussi, ils ont eu beau
forcer la marche, le moment le plus obscur de la nuit les surprend encore aux
alentours de la ville de Césarée et une branche de broussailles allumée ne
donne pas une clarté suffisante, n faut s'arrêter un moment aussi parce que
la fillette, peu habituée à marcher dans la nuit, bute souvent contre les
pierres à moitié ensevelies dans la poussière.
"Il vaut mieux s'arrêter un moment. La fillette n'y voit pas, et elle est
fatiguée" dit Jésus.
"Non, non, je peux... Allons loin, loin... Il pourrait venir. C'est par
ici que nous sommes passés pour aller à cette maison" dit, en claquant des dents la fillette, en mêlant l'hébreu au latin en un
nouvel idiome pour se faire comprendre.
"Nous allons derrière ces arbres et personne ne nous
verra. Ne crains pas" lui répond Jésus.
"Oui, ne crains pas. Ce... romain, à cette heure est ivre mort sous la
table..." dit Barthélemy pour la rassurer.
"Et puis tu es avec nous, et nous t'aimons bien, nous ! Nous ne te
laisserons pas faire du mal. Ohé ! Nous sommes douze hommes
robustes..." dit Pierre.
Il est à peine plus grand qu'elle, mais trapu autant qu'elle est grêle, brûlé
par le soleil autant qu'elle est couleur de neige, pauvre fleur poussée à
l'ombre pour être plus attirante et plus précieuse.
"Tu es une petite sœur, et les frères défendent leurs sœurs..." dit
Jean.
La fillette, à la dernière lueur de la torche improvisée, lève vers ceux qui
la réconfortent le clair iris gris fer, à peine teinté de bleu, deux iris
limpides encore humides des pleurs qu'elle a versés peu avant... Elle est
méfiante. Pourtant elle se fie à eux et passe le ruisseau à sec au-delà de la
route pour entrer dans une propriété qui se termine là en un verger touffu.
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505> 427.2 – Ils s'assoient dans
l'obscurité et attendent. Les hommes dormiraient peut-être, mais le moindre
bruit fait pousser un gémissement à la fillette et le galop d'un cheval la
fait s'agripper convulsivement au cou de Barthélemy qui, peut-être parce qu'il
est plus âgé, attire sa confiance et la familiarité. Dans ces conditions, il
est impossible de dormir.
"Mais ne crains pas ! Quand on est avec Jésus, il n’arrive plus
rien de mal" dit Barthélemy.
"Pourquoi ?" demande la fillette tremblante et encore
accrochée au cou de l'apôtre.
"Parce que Jésus c'est Dieu sur la Terre, et Dieu est plus fort que les
hommes."
"Dieu? C’est quoi Dieu ?"
"Pauvre fille ! Mais comment t'ont-ils élevée ? Ils ne t'ont
rien enseigné ?"
"À garder ma peau blanche, mes cheveux brillants, à obéir aux maîtres...
à dire toujours oui... Mais je ne pouvais pas dire oui au romain... il était
laid et me faisait peur... Peur toute la journée... Toujours là... au bain,
quand on s'habillait... et ces yeux... ces mains... Oh !... Et qui ne
dit pas "oui" reçoit des coups de bâton..."
"On ne te donnera plus le bâton. Le romain n'est plus
là, ni ses mains... Il y a la paix..." lui répond
Jésus.
Et les autres commentent :
"Mais c'est une horreur ! Comme à des bêtes de prix, pas plus qu'à
des bêtes ! Et pis encore.., Car un animal sait au moins qu'on lui
apprend à labourer, à porter la selle et le mors car c'est son travail. Mais
cette enfant a été jetée là sans rien savoir !…"
"Si j'avais su, je me serais jetée à la mer. Il avait dit :
"Je te rendrai heureuse"..."
"En effet il t'a rendue heureuse, d'une manière qu'il n'imaginait pas;
Heureuse pour la Terre et pour le Ciel, car connaître Jésus, c'est le
bonheur" lui dit le
Zélote.
427.3 – Un silence pendant lequel
chacun médite sur les horreurs du monde. Puis à mi-voix, la fillette demande
à Barthélemy :
"Dis-moi c’est quoi Dieu ? Et. pourquoi Lui est Dieu ? Parce
qu'il est beau et bon ?"
"Dieu... Comment faire pour te l'apprendre à toi qui es tellement vide
de toute idée religieuse ?"
"Religieuse ? Qu'est-ce que c'est ?"
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"Très Haute Sagesse ! Je suis comme quelqu'un qui se noie dans une
mer immense ! Comment faire devant cet abîme ?"
"C'est si simple, Barthélemy, ce qui te paraît difficile. C'est un
abîme, oui, mais il est vide, et tu peux le combler avec le Vrai. C'est pire
quand les abîmes sont remplis de boue, de poisons, de serpents… Parle avec la
simplicité dont tu userais avec un enfant. Et elle te comprendra mieux que ne
le ferait un adulte."
"Oh ! Maître ! Mais ne pourrais-tu le faire, Toi ?"
"Je le pourrais. Mais la fillette
acceptera les paroles de l'un de ses semblables plus facilement que mes
paroles de Dieu. Et d'autre part... c'est devant ces abîmes que vous vous
trouverez dans l'avenir, pour les emplir de Moi. Vous devez aussi apprendre à
le faire."
"C'est vrai ! Je m'y essaierai. Écoute, fillette... Te souviens-tu
de ta mère, toi ?"
"Oui, seigneur, depuis sept printemps les fleurs ont fleuri sans qu'elle
soit près de moi. Mais avant, j'étais avec elle."
"C'est bien. Et tu t'en souviens ? Tu l'aimes bien ?"
"Oh !"
Un sanglot qui accompagne l'exclamation, dit tout.
"Ne pleure pas, pauvre enfant. Écoute. ..l'amour que tu as pour la
mère..."
"...et le père... et les petits frères..." dit en sanglotant la
fillette.
"Oui, pour ta famille, l'amour pour ta famille, ta pensée qui va vers
elle, le désir de retourner vers elle..."
"Jamais plus !!…"
"Tout cela c'est une chose que l'on
peut appeler la religion de la famille. Les religions, les idées religieuses
par conséquent, ce sont l'amour, la pensée et le désir d'aller là où se
trouve Celui ou ceux en qui nous croyons, que nous aimons et désirons."
"Ah ! Et si je crois en ce Dieu-là, j'aurai une religion... C'est
facile !"
"Bien. Qu'est-ce qui est facile ? Avoir une religion ou bien croire
en ce Dieu-là ?"
"Ceci et cela. Car on croit facilement en un Dieu bon comme Lui. Le
romain en nommait une quantité et il jurait... il disait : "par la
déesse Vénus !", "par le dieu Cupidon !". Mais ce
devait être des dieux qui n'étaient pas bons car lui, en les nommant, faisait
des choses qui n'étaient pas bonnes."
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"Elle n'est pas stupide la fillette" commente Pierre à voix basse.
427.4 – "Mais moi, je ne vois pas
encore ce qu'est Dieu. Je le vois homme comme toi... C'est un homme, Dieu,
alors ? Et comment alors peut-on le comprendre ? En quoi est-il
plus fort que tous ? il n'a ni épée, ni serviteurs..."
"Maître, aide-moi…"
"Mais non, Nathanaël ! Tu enseignes
si bien..."
"Tu le dis par bonté... Tâchons en tout cas d'aller de l'avant. Écoute,
fillette... Dieu n'est pas un homme. il est comme une lumière, un regard, un
son, si grand qu'il emplit ciel et terre, et éclaire tout, voit tout,
instruit tout et commande tout..."
"Même le romain ? Alors ce n'est pas un Dieu bon. J'ai
peur !"
"Dieu est bon et il donne des ordres qui sont bons, et il avait donné
aux hommes l'ordre de ne pas faire de guerres, de ne pas faire d'esclaves, de
laisser les petites à leurs mères et de ne pas épouvanter les fillettes. Mais
les hommes n'écoutent pas toujours les ordres de Dieu."
"Toi, oui, pourtant..."
"Moi, oui."
"Mais s'il est plus fort que tous, pourquoi ne se fait-il pas
obéir ? Et comment parle-t-Il s'il n'est pas homme ?"
"Dieu… Oh ! Maître !…"
"Va de l'avant, Barthélemy. Tu es un maître si sage, tu sais exprimer
avec simplicité les pensées les plus élevées, et tu as peur ? Ne sais-tu
pas que l'Esprit-Saint est sur les lèvres de ceux qui enseignent la
justice ?"
"Cela semble si facile quand on
t'écoute... et toutes tes paroles sont ici dedans...
Mais pour les faire sortir quand on doit faire ce que tu fais !...
Oh ! misère de nous, pauvres hommes ! Quels maîtres de
rien !"
"Reconnaître votre rien, c'est vous disposer à l'enseignement de
l'Esprit Paraclet..."
"C'est bien. Écoute, enfant. Dieu est fort, très fort, plus que César,
plus que tous les hommes ensemble avec leurs armées et leurs machines de
guerre. Mais ce n'est pas un maître impitoyable, qui fait toujours dire oui
sous peine du fouet pour qui ne le dit pas. C'est un père, Dieu. Ton père
t'aimait-t-il bien ?"
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"Tellement ! Il m'a appelée Aurea Galla parce que l'or est précieux
et que la Gaule c'est la patrie ,
et il disait que je lui étais plus chère que l'or qu'il avait possédé
autrefois et que la patrie..."
"Ton père te donnait le bâton ?"
"Non. Jamais. Même si j'étais méchante, il me disait : "Ma
pauvre fille !" et il pleurait..."
"Voilà ! C'est ainsi que Dieu
fait. Il est Père, Il nous aime et Il pleure si nous sommes mauvais, mais Il
ne nous force pas à obéir. Pourtant celui qui est mauvais sera châtié un jour
par des supplices horribles..."
"Oh ! très bien ! Le maître qui m'a enlevée à ma mère et
amenée dans l'île, et le romain dans les supplices ! Et je les
verrai ?"
"Et tu le verras d'auprès de Dieu, si tu crois en Lui et si tu es bonne.
Mais pour être bonne, tu ne dois pas haïr, même le romain."
"Non ? Comment faire ?!..."
"Prier pour lui ou..."
"Qu'est-ce que c'est prier ?"
"Parler à Dieu en Lui disant ce que nous voulons..."
"Mais moi, je veux une mauvaise mort pour les maîtres !" dit
la fillette avec une violence sauvage.
"Non, tu ne dois pas. Jésus ne t'aime pas si tu parles ainsi..."
"Pourquoi ?"
"Parce qu'on ne doit pas haïr celui qui nous a fait du mal"
"Mais je ne peux pas les aimer..."
"Pour le moment, oublie-les... Essaie de les oublier. Puis, quand tu
seras plus... instruite sur Dieu, tu prieras pour eux...
427.5 – Nous
disions donc que Dieu est puissant, mais qu'Il laisse ses fils libres."
"Moi, fille de Dieu ? J'ai deux pères ? Combien de fils
a-t-Il ?"
"Tous les hommes sont des fils de Dieu, parce que c'est
Lui qui les a faits. Tu vois les étoiles là-haut ? C'est Lui qui les a
faites. Et ces arbres ? Lui, les a faits. Et la terre sur laquelle nous
sommes assis, et cet oiseau qui chante, et la mer qui
est si grande, Il a tout fait, et tous les hommes. Et les hommes sont
davantage ses fils que toute autre chose, car ils sont fils pour cette chose
qu'on appelle âme et qui est lumière, son, regard, qui ne sont pas grands
comme les siens qui emplissent entièrement le Ciel et la Terre, mais qui
pourtant sont beaux et ne meurent jamais, comme Lui-même ne meurt pas."
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509>
"Où est l'âme ? Est-ce que je l'ai ?"
"Oui. Dans ton cœur, et c'est elle qui t'a fait comprendre que le romain
était mauvais, et qui ne te fera sûrement pas désirer d'être comme lui.
N'est-ce pas ?"
"Oui..."
La fillette réfléchit après son oui incertain... Puis elle dit avec
assurance :
"Oui ! C'était comme une voix à l'intérieur et un besoin d'avoir du
secours... et avec une autre voix à l'intérieur, mais c'était la mienne,
j'appelais maman... car je ne savais pas qu'il y avait Dieu, qu'il y avait
Jésus... Si je l'avais su, je l'aurais appelé avec cette voix que j'avais à
l'intérieur..."
"Tu as bien compris, fillette, et tu grandiras dans la Lumière. Je te le
dis. Crois dans le Dieu vrai, écoute la voix de ton âme, qui est vierge de
sagesse acquise, mais vierge aussi de volonté mauvaise, et tu auras en Dieu
un Père. Dans la mort, passage de la Terre au Ciel pour ceux qui croient au
Dieu vrai et qui sont bons, tu auras une place au Ciel, auprès de ton
Seigneur" dit Jésus en posant la main sur la tête de la fillette, qui
change de position et s'agenouille en disant :
"Près de Toi. Il est beau d'être avec Toi. Ne te sépare pas de moi,
Jésus. Maintenant je sais qui tu es et je me prosterne. À Césarée, j'avais
peur de le faire... Mais tu me paraissais un homme. Maintenant je sais que tu
es un Dieu caché dans un homme et que tu es pour moi Père et
Protecteur."
"Et Sauveur, Aurea Galla."
"Et Sauveur. Tu m'as sauvée."
"Et je te sauverai davantage. Tu auras un nom nouveau..."
"Tu m'enlèves le nom que m'a donné mon père ? Le maître, dans
l'île, m'appelait Aurea Quintillia car il nous répartissait par couleurs et
par numéros, et moi j'étais ainsi la cinquième blonde... Mais pourquoi ne me
laisses-tu pas le nom que m'a donné mon père ?"
"Je ne te l'enlève pas. Mais tu porteras, ajouté à ton ancien nom, le
nom nouveau, éternel."
"Lequel ?"
"Christiane, parce que le Christ t'a sauvée.
427.6 – Mais
voici que le ciel blanchit. Partons. ..Tu vois, Nathanaël, qu'il est facile
de parler de Dieu à des abîmes vides... Tu as très bien parlé. La fillette se
formera rapidement dans la Vérité... Va en avant avec mes frères,
Auréa..."
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La fillette obéit, mais avec crainte. Elle préférerait rester près de
Barthélemy qui comprend et promet :
"Je viens tout de suite, moi aussi, obéis..."
Et resté près de Jésus, avec Pierre,
Simon et Matthieu,
il observe :
"Dommage que Valeria la garde. C'est toujours une
païenne..."
"Je ne puis l'imposer à Lazare..."
"Il y a Nike, Maître" suggère Matthieu.
"Et Élise..." dit Pierre.
"Et Jeanne...
C'est une amie de Valeria et Valeria la lui céderait certainement volontiers.
Elle serait dans une bonne maison" dit le Zélote.
Jésus réfléchit et se tait...
"À Toi d'y penser... Moi je vais retrouver la fillette qui ne cesse de
se retourner. Elle se fie à moi, parce que je suis âgé... Je pourrais la
garder... une fille de plus... Mais elle n'est pas d'Israël..."
Et il s'en va, le bon mais trop israélite Nathanaël.
Jésus le regarde partir et il hoche la tête.
"Pourquoi ce geste, Maître ?" Lui demande le Zélote.
"Parce que... cela me fait de la peine de voir que même les sages sont
esclaves des préventions..."
"Cependant... soit dit entre nous... Barthélemy a raison.., et même...
tu devrais y penser... Rappelle-toi Syntica
et Jean...
Qu'il n'arrive pas la même chose... Envoie-la à Syntica..." dit Pierre
qui a peur d'ennuis à cause de la présence de la petite païenne parmi eux.
"Jean
sera bientôt mort... Syntica est encore trop peu formée pour être maîtresse
d'une fillette comme elle... L'ambiance ne lui convient pas..."
"Et pourtant, tu ne dois pas La garder. Pense que Judas va bientôt être
avec nous. Et Judas,
Maître, laisse-moi le dire, est un luxurieux et un... un qui parle facilement
pour en tirer profit... et qui a trop d'amis parmi les pharisiens..."
appuie le Zélote.
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511>
"Voilà, Simon a raison ! C'est justement ce que moi je
pensais !" s'exclame Pierre. "Écoute-le,
Maître !..."
Jésus réfléchit et se tait... Puis il dit : "Prions ! Et le
Père nous aidera..." et, en arrière des autres, ils prient avec
ferveur...
427.7 – L'aube
se change en aurore... Ils dépassent un petit village, pour reprendre la
route à travers les campagnes... Le soleil devient de plus en plus fort. Ils
s'arrêtent pour manger, à l'ombre d'un noyer géant.
"Tu es fatiguée ? demande Jésus à la fillette qui mange à
contrecœur. Dis-le et nous nous arrêterons."
"Non, non. Allons..."
"Nous le lui avons demandé plusieurs fois, mais elle dit toujours
non..." dit Jacques
d'Alphée.
"Je peux ! Je peux ! Allons loin..."
Ils reprennent la marche, mais Auréa se souvient :
"J'ai une bourse, Les dames m'ont dit : "Tu la donneras quand
commenceront les monts". Les monts sont ici, et je la donne"
Et elle fouille dans son sac où Livia a mis quelques vêtements... Elle en
sort la bourse et la donne à Jésus.
"L'obole... Elles n'ont pas voulu qu'on les remercie. Elles sont
meilleures que beaucoup d'entre nous... Prends, Matthieu, et conserve cet
argent. Il servira pour des aumônes secrètes."
"Je ne dois pas le dire à Judas de Kériot ?"
"Non."
"Il va voir la fillette..."
Jésus ne répond pas... Ils reprennent la marche fatigante à cause de la
grande chaleur, de la poussière, de la lumière éblouissante. Puis ils
commencent la montée sur les premiers contreforts du Carmel, je crois. Mais
bien qu'il y ait plus d'ombre et plus de fraîcheur, Aurea avance lentement en
trébuchant souvent.
Barthélemy revient en arrière, près du Maître :
"Maître, la fillette est fiévreuse et épuisée. Comment allons-nous
faire ?"
Ils se consultent. Faire halte ? La porter et continuer ? Oui… Non…
Enfin ils décident qu'il faut au moins rejoindre la route qui va à Sycaminon
pour demander de l'aide à quelque voyageur ayant une monture ou un char. Et
ils voudraient bien prendre la fillette dans leurs bras, mais elle, héroïque
dans sa volonté de s'éloigner, répète son : "Je peux ! Je
peux !" et veut marcher toute seule.
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512> Elle
est rouge, avec les yeux fiévreux, réellement épuisée. Mais elle ne cède
pas... Elle avance lentement, acceptant d'être soutenue par Barthélemy et
Philippe... Mais elle marche... Ils sont tous épuisés, mais ils comprennent
qu'il est nécessaire de marcher et ils vont...
La colline est franchie. Voici l'autre versant... La plaine d'Esdrelon tout
en bas, et au-delà les collines dans lesquelles se trouve Nazareth...
"Si nous ne trouvons pas, nous nous arrêterons chez des
paysans..." dit Jésus.
427.8 – Ils vont, ils vont... Arrivés
presque à la plaine, ils voient un groupe de disciples. Il y a Isaac d'Ephèse
avec sa mère ,
et Abel de Bethléem
avec la sienne parmi d'autres dont je ne connais pas les noms. Et il y a pour
les femmes un char rustique tiré par un fort mulet. Il y a aussi les bergers Daniel
et Benjamin, le passeur Joseph et d'autres.
"C'est la Providence qui nous secours !" s'exclame Jésus et il
ordonne de s'arrêter pendant que Lui va parler aux disciples et spécialement
aux femmes disciples.
Il les prend en particulier, avec Isaac, et raconte en partie les épreuves
d'Aurea :
"Nous l'avons soustraite à un maître immonde... Je voudrais l'amener à
Nazareth pour la soigner, car elle est malade de peur et de fatigue. Mais
nous n'avons pas de véhicule. Où alliez-vous ?"
"À Bethléem de Galilée, chez Myrta. Il est impossible de résister à la
chaleur de la plaine" répond Isaac.
"Allez d'abord à Nazareth, je vous le demande par charité. Amenez la
fillette à ma Mère et dites-lui que d'ici deux ou trois jours, je serai chez
elle. La fillette est fiévreuse, ne faites pas attention à ses délires. Je
vous dirai plus tard..."
"Oui, Maître, ce que tu veux. Nous partons de suite. Pauvre fille !
Il la frappait ?" demandent les trois.
"Il voulait la profaner."
"Oh !... Quel âge a-t-elle ?"
"Treize ans environ..."
"Le lâche ! L'immonde ! Mais nous l'aimerons. Nous sommes des
mères, n'est-ce pas, Noémi ?"
"Certainement, Myrta, Seigneur, tu la prends comme disciple ?"
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513/514>
"Je ne sais pas encore…"
"Si tu la gardes, nous sommes ici. Moi, je ne retourne pas à Éphèse. J'ai
envoyé des amis pour tout liquider. Je reste avec Myrta... Souviens-toi de
nous, pour la fillette. Tu as sauvé nos fils. Nous voulons la sauver."
"Nous verrons par la suite…"
"Maître, les deux disciples donnent toute garantie de sainteté..."
plaide Isaac.
"Cela ne dépend pas de Moi... Priez beaucoup et taisez-vous avec tout le monde. Vous entendez ?
Avec tout le monde."
"Nous nous tairons."
"Venez avec le char."
Et Jésus revient en arrière, suivi par Isaac qui conduit le char, et par les
deux femmes.
La fillette s'est allongée sur l'herbe pour y chercher un peu de fraîcheur
pour sa grande fièvre...
"Pauvre fille ! Mais elle ne va pas mourir, n'est-ce
pas ?"
"Quelle belle enfant !"
"Chérie, ne crains pas. Je suis une mère, sais-tu ? Viens...
Soutiens-la, Myrta... Elle vacille... Aide-nous, Isaac... Ici, où elle a
moins de secousses... Le sac sous la tête... Mettons nos manteaux par
dessous... Isaac, mouille ces linges pour les lui mettre sur le front...
Quelle fièvre, pauvre fille !..."
Les deux femmes sont empressées et maternelles. Aurea, étourdie par la
fièvre, est pour ainsi dire absente...
427.9 – Tout est en place. Le char
peut partir... Isaac, avant de fouetter, se rappelle :
"Maître, si tu vas au pont, tu vas trouver Judas de Kériot. Il t'y
attend comme un mendiant... C'est lui qui nous a dit que tu serais passé par
ici. Paix à toi, Maître. Nous serons dans la nuit à Nazareth !"
"Paix à Toi, Maître" disent les deux femmes disciples.
"Paix à vous !"…
Le char part au trot...
"Que soit remercié le Seigneur !..." dit Jésus.
"Oui, c'est bien pour la fillette et c'est bien à cause de Judas... Il
vaut mieux qu'il ne sache rien..."
"Oui. C'est mieux. Tellement mieux que je demande à votre cœur un
sacrifice. Nous nous séparerons avant d'être à Nazareth et vous, du lac, vous
irez avec Judas à Capharnaüm, alors qu'avec les frères, Thomas et Simon,
j'irai à Nazareth."
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