Le lundi 24 juin
1946.
113> 448.1 - "Où ? Maître ?" demande Pierre.
Il a terminé les manœuvres et les préparatifs de la navigation et se trouve
avec sa barque en tête de la petite flottille de barques qui, chargées
de gens, sont prêtes à suivre le Maître.
"À Magdala. Je l'ai promis à Marie de Lazare."
"C'est bien" répond Pierre et il manœuvre le timon de façon à
prendre la bonne direction, en tirant des bords.
Jeanne est dans la barque avec le Maître, Marie très Sainte et Marie de
Cléophas et en plus Marziam, Matthieu, Jacques d'Alphée et quelqu'un que je
ne connais pas. Elle montre les barques nombreuses qui sont sur le lac, dans
la tranquille soirée d'été qui tamise les feux du couchant en cascades de
voiles violacés, comme si du ciel il tombait des cascades d'améthystes ou des
grappes de glycines en fleurs. Elle dit :
"Peut-être parmi elles il y a aussi les barques des romaines. C'est un
de leurs passe-temps favoris de simuler une pêche dans ces soirées
tranquilles."
"Il y en aura pourtant davantage au sud" remarque l'homme que je ne
connais pas.
"Oh ! non, Benjamin. Ils ont des barques rapides et des bateliers
adroits. Ils viennent jusque là-haut."
"Pour ce qu'ils ont à faire..." bougonne Pierre.
Et il continue dans sa barbe, avec son intransigeance de pêcheur qui voit la
navigation et la pêche comme une profession et non comme un passe-temps,
presque comme une religion réglée par des lois sévères et utiles et il lui
semble que c'est une profanation de s'en servir maladroitement :
"Avec leurs encens et leurs fleurs et leurs parfums et autres choses
démoniaques, ils corrompent les eaux ; avec leurs musiques, leurs cris
stridents et leurs conversations, ils troublent les poissons; avec leurs
torches fumeuses, ils les épouvantent; avec leurs filets maudits jetés au
hasard, ils abîment les fonds et la reproduction... Cela devrait être
interdit. La Mer de Galilée appartient aux galiléens, aux pêcheurs du pays,
pas aux prostituées et à leurs compères...
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114> Si j'étais le maître ! Je vous ferais voir, fétides
barques païennes, sentines flottantes de vices, alcôves qui naviguent pour
apporter même ici, sur ces eaux de Dieu, de notre Dieu, à ses fils, vos...
Oh ! mais regardez ! Elles foncent justement vers nous ! Mais
peut-on voir !... Mais peut-on permettre... Mais..."
448.2 - Jésus interrompt ce réquisitoire, dans lequel Pierre
épanche tout son esprit d'Israélite et de pêcheur, rougissant, étouffé par le
mépris, haletant comme s'il luttait contre des forces infernales, et il lui
dit avec un sourire paisible :
"Mais il est bien que tu ne sois pas le maître. Heureusement tu ne l'es
pas ! Pour eux et pour toi. En effet tu les empêcherais de suivre une
bonne impulsion et donc une impulsion imprimée à leurs esprits - païens,
j'en conviens, mais naturellement bons - imprimée à leurs esprits par la
Miséricorde Éternelle qui guide ces créatures qui ne sont pas coupables
d'être nées dans la Nation romaine au lieu de l'être dans la Nation
hébraïque. Dieu jette sur eux un regard de pitié précisément parce qu'il les
voit tendre vers ce qui est bon. Et tu te ferais du mal à toi-même car tu
commettrais un acte contre la charité et un autre contre l'humilité..."
"Humilité ? Je ne vois pas... Étant maître du lac, il me serait
permis d'en disposer à mon gré."
"Non, Simon
de Jonas. Non. Tu te trompes. Même les choses qui nous appartiennent, nous
appartiennent parce que Dieu les accorde. Donc, en ayant la possession
pendant un temps limité, il faut toujours penser qu'il n'y a qu'un Seul qui
possède tout et sans limitation ni dans le temps, ni dans l'espace. Un Seul
est le Maître. Les hommes... Oh ! eux ne sont que les administrateurs de
petits morceaux de la grande Création. Mais le Maître c'est Lui, mon Père et
le tien et Celui de tous les vivants. De plus, Lui est Dieu, très Parfait par
conséquent dans toute sa pensée et dans toute son action. Si Dieu donc
regarde avec bienveillance le mouvement de ces cœurs païens vers la Vérité,
et non seulement regarde mais favorise ce mouvement en lui imprimant une
accélération de plus en plus forte vers le Bien, ne te paraît-il pas que toi,
homme, en voulant les empêcher, tu veux au fond empêcher à Dieu une
action ? Et quand empêche-t-on une chose ? Quand on estime qu'elle
n'est pas bonne. Tu penserais donc de ton Dieu qu'il fait une action qui
n'est pas bonne.
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115>
Si de juger ses frères n'est pas une bonne chose parce que tout homme a ses
défauts et possède une faculté de connaissance et de jugement si limitée que sept
fois sur dix son jugement est erroné, il sera absolument mauvais de juger
Dieu dans ses actions. Simon, Simon ! Lucifer a voulu juger Dieu dans une de ses pensées
et l'a estimée erronée et il a voulu se substituer à Dieu en se croyant plus
juste que Lui. Tu sais, Simon, à quoi Lucifer a réussi. Et tu sais que
toute la douleur dont nous souffrons est venue de cet orgueil..."
448.3 - "Tu as raison, Maître ! Je suis un grand
malheureux ! Pardonne-moi, Maître !"
Et Pierre, toujours impulsif, lâche la barre du timon pour se précipiter aux
pieds de Jésus. Alors, la barque subitement laissée à elle-même et justement
sur le fil du courant, dévie et fait une embardée effrayante au milieu des
cris de Marie de Cléophas et de Jeanne et des
occupants de la légère barque jumelle qui voient venir maintenant
contre eux la lourde barque de Pierre. Heureusement Matthieu reprend
rapidement le timon et la barque reprend sa route après avoir tangué d'une
manière effrayante, parce qu'aussi les autres se sont servis des rames pour
l'éloigner, lui imprimant des secousses brusques et produisant des remous.
"Ohé, Simon ! Une fois tu as insulté les romains en les traitant de
mauvais navigateurs, parce qu'ils venaient sur nous, mais aujourd'hui, c'est
toi qui fais triste figure... Et justement à leur vue. Regarde comme ils sont
tous debout sur les barques pour voir..." dit pour le piquer l'Iscariote
en montrant les barques romaines maintenant si proches, dans le miroir d'eau
en face de Magdala, qu'on peut les voir, bien que les voiles violacés du soir
soient devenus plus sombres en amortissant la lumière.
"Tu as perdu aussi une corbeille et un seau, Simon. Veux-tu que nous
cherchions à les repêcher avec les grappins ?" dit Jacques de
Zébédée d'une autre barque maintenant toute proche parce que, après
l'incident, tous se sont groupés autour de la barque de Pierre.
"Mais comment as-tu fait ? Cela ne t'arrive jamais !" dit
et s'exclame André, encore d'une autre barque.
Pierre répond à tous, les uns après les autres, alors qu'ils lui ont parlé
tous ensemble.
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116>
"Ils m'ont vu ? N'importe ! S'ils avaient vu aussi mon cœur
et... Bon, ne dis pas ça, Pierre... Pourtant, toi, sache que tu ne me fais
pas mal. Ce n'est pas une fausse manœuvre, c'est arrivé pour une bonne cause
celle de pouvoir me mortifier... Ne te tracasse pas, Jacques ! Des
vieilleries sont allées au fond... Si je pouvais jeter aussi à leur suite le
vieil homme qui résiste en moi ! Je voudrais perdre tout, même la
barque, mais être vraiment comme le Maître le veut... Comment ai-je
fait ? Hé ! Je me suis prouvé à moi-même, à mon orgueil qui veut
faire la leçon même à Dieu dans les choses de l'esprit, que je suis une
grosse bête, même pour les choses de la barque... C'est bien fait pour moi.
Je me suis fait une parabole, de moi-même à moi-même... Maître, n'est-il pas
vrai ?"
Jésus sourit pour montrer son accord... Assis à la poupe, à sa place
habituelle, blanc sur le fond de l'air qui s'assombrit, tranquille, les
cheveux ondulant légèrement au vent du soir, il se détache sur le crépuscule
comme un ange de lumière et de paix.
448.4 - Les barques romaines les ont rejoints.
"Elles ont des coques et des voiles parfaites... et puis, des
bateliers ! Ils vont rapides comme des alcyons ! Ils utilisent tout fil de vent, toute veine de
courant..."
"Les rameurs sont presque tous des esclaves de Crète ou du Nil"
explique Jeanne.
"Les marins du delta sont très adroits, et de même ceux de Crète.
Pourtant très bons aussi ceux d'Italie... Ils franchissent Scylla et Charybde... et cela suffit pour les dire excellents" avoue
l'inconnu du nom de Benjamin.
"Où allons-nous, Seigneur ? À Magdala, ou bien... Regarde, ceux de
Magdala viennent vers nous..."
En effet toutes les petites embarcations de cet endroit s'empressent de
quitter le rivage ou le petit port, chargées, surchargées de gens d'une
manière effrayante, si bien que le bord est presque au niveau de l'eau et
elles se dirigent vers les barques de Capharnaüm.
"Non. Restons ici au large en face de la ville. Je parlerai de la
barque..."
"C'est que... Ces imprudents veulent se noyer. Mais regarde,
Maître ! Il est vrai que le lac est tranquille comme une plaque
d'argent... mais l'eau, c'est toujours l'eau... et la charge, c'est toujours
la charge... et là... ils se croient sur la terre ferme et non pas sur
l'eau... Donne-leur l'ordre de s'en retourner... Ils vont se noyer..."
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117>
"Homme de peu de foi ! Et tu ne te rappelles pas que tant que tu as
cru, tu as marché sur l'eau, sur mon invitation, comme sur un terrain solide ? Ils ont la foi. Et alors, contre la loi de
l'équilibre entre la charge et l'enfoncement, les eaux soutiendront ces
barques surchargées."
"Si cela arrive... c'est vraiment un soir de grand miracle..."
murmure Pierre en haussant les épaules alors qu'il descend la petite ancre
pour arrêter la barque.
Elle reste ainsi au milieu d'un cercle de barques, en partie de Capharnaüm,
en partie de Magdala et en partie de Tibériade, et ces dernières sont celles
des romaines, qui prudemment se placent en arrière de celles de Capharnaüm,
vers le milieu du lac.
Jésus leur tourne le dos. Il regarde vers celles de Magdala, vers le jardin
vaste et ombragé de Marie de Lazare, vers les maisonnettes qui s'étendent sur
la rive et dont la blancheur ressort dans la nuit.
448.5 - Le lac, qui n'est plus agité par les proues et les rames,
reprend un aspect paisible : c'est une vaste plaque de cristal moirée
d'argent par un commencement de lumière lunaire et parsemée d'écaillés de topaze ou de rubis là où les feux des fanaux ou les
flammes des lanternes mises à toutes les proues se reflètent dans le lac.
Les visages semblent étranges par le contraste des lueurs rouges-jaunes ou
des rayons lunaires. Ils apparaissent en partie très nets, en partie à peine
visibles ; d'autres semblent coupés en deux, en long ou en large, avec
seulement le front ou le menton éclairés, ou bien avec une seule joue, une
moitié de visage qui se détache en un profil très net, l'autre côté étant
presque caché. Certains ont des yeux brillants alors que d'autres paraissent
avoir des orbites vides, et il en est ainsi des bouches ou pour certains les
dents s'éclairent d'un sourire alors que, pour d'autres, elles disparaissent
dans l'ombre.
Mais pour que tout le monde voie Jésus, voilà que des barques de Capharnaüm
et de Magdala on passe des quantités de fanaux que l'on met aux pieds de
Jésus, accrochés aux rames inutilisées, placés sur le bord de la proue et de
la poupe et jusque sur le mât dont la voile a été amenée.
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118> La
barque où se trouve Jésus brille ainsi dans un cercle de barques restées sans
lumières, et Jésus est maintenant bien visible, revêtu de tous côtés par la
lumière. Seules les barques romaines s'éclairent de leurs lanternes rouges
dont une brise très légère fait osciller la flamme.
448.6 - "La paix soit avec vous !" commence Jésus
en se mettant debout malgré le léger tangage de la barque et en ouvrant les
bras pour bénir. Puis il poursuit, en parlant lentement, pour que tout le
monde entende bien et, sur le lac silencieux, la voix se répand, puissante et
harmonieuse.
"Il y a un moment, un de mes apôtres m'a proposé une parabole et
maintenant je vous la propose, car elle peut être utile à tous, étant donné
que tous vous pouvez la comprendre. Écoutez-la.
Un homme naviguait sur un lac par une soirée
tranquille comme celle-ci et, se sentant sûr de lui-même, il eut la
prétention d'être sans défauts. C'était un homme très expérimenté dans les
manœuvres et, pour cette raison, il se sentait supérieur aux autres qu'il
rencontrait sur l'eau. Parmi eux, beaucoup venaient par plaisir et donc sans
l'expérience que donne le travail habituel et fait pour gagner sa vie. Par
ailleurs c'était un bon Israélite et, pour ce motif, il se croyait en
possession de toutes les vertus. Enfin, c'était réellement un brave homme.
Un soir donc qu'il s'en allait naviguant avec assurance, il se permit
d'exprimer des jugements sur son prochain. C'était, selon lui, un prochain si lointain qu'il n'avait plus à le considérer comme
prochain. Aucun lien de nationalité, de métier ou de foi, ne l'unissait à ce
prochain et ainsi lui, n'étant retenu par aucun lien de solidarité nationale,
religieuse ou professionnelle, le ridiculisait tranquillement, sévèrement
même, et il se lamentait de n'être pas le maître du lieu, car s'il l'avait
été, il aurait chassé de ce lieu le prochain, et dans sa foi intransigeante,
il reprochait presque au Très-Haut de permettre à ces gens différents de lui
de faire ce que lui faisait, et de vivre là où lui vivait.
Dans la barque il avait un ami, un très bon ami qui l'aimait avec justice et
pour cette raison le voulait sage, et quand il fallait le faire, il
corrigeait ses idées erronées. Ce soir-là, donc, cet ami dit au
batelier : "Pourquoi ces pensées ? N'est-il pas unique le Père
des hommes ? N'est-ce pas Lui le Seigneur de l'Univers ?
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119>
Est-ce que par hasard son soleil ne descend pas sur tous les hommes pour les réchauffer,
et est-ce que par hasard ses nuages n'arrosent pas les champs des gentils
comme ceux des hébreux ? Et s'il le fait pour les besoins matériels de
l'homme, n'aura-t-Il pas la même prévoyance pour ses besoins
spirituels ? Et voudrais-tu suggérer à Dieu ce qu'il doit faire ?
Qui est comme Dieu ?"
L'homme était bon. Dans son intransigeance il y avait beaucoup d'ignorance,
beaucoup d'idées erronées, mais il n'y avait pas de mauvaise volonté, il n'y
avait pas l'intention d'offenser Dieu mais, au contraire, l'intention d'en
défendre les intérêts. En entendant ces paroles, il se jeta aux pieds du sage
et il Lui demanda pardon d'avoir parlé comme un sot. Il le demanda avec tant
d'impétuosité, que pour un peu il provoquait une catastrophe en faisant périr
la barque et ceux qui s'y trouvaient. En effet dans son empressement à
demander pardon, il ne se soucia plus ni du timon, ni de la voile, ni du
courant. Ainsi, après la première erreur d'un jugement défectueux, il commit
une seconde erreur de mauvaise manœuvre, et il se prouva à lui-même que non
seulement il était un pauvre juge mais aussi un marin maladroit.
Voilà la parabole.
Maintenant, écoutez : selon vous, cet homme aura-t-il ou non le pardon
de Dieu ? Rappelez-vous : il avait péché contre Dieu et le prochain
en jugeant les actions de l'un et l'autre, et il s'en est fallu de peu qu'il
soit homicide de ses compagnons. Réfléchissez et répondez..."
Et Jésus croise les bras et il tourne son regard sur toutes les barques,
jusqu'aux plus lointaines, jusqu'aux romaines qui font voir une rangée de
visages attentifs de patriciennes et de rameurs qui dépassent
par-dessus les bords...
448.7 - Les gens parlottent et se consultent... Un murmure à peine
sensible de voix qui se confond avec le léger clapotis de l'eau contre les
embarcations. Il est difficile de juger. La plupart cependant sont d'avis que
l'homme ne sera pas pardonné, parce qu'il a péché. Non, du moins pour le
premier péché il ne sera pas pardonné...
Jésus entend le murmure qui s'amplifie en ce sens. Il sourit du regard de ses
yeux merveilleux qui brillent dans la nuit, elle-même, comme deux saphirs
sous le rayonnement de la lune de plus en plus belle et resplendissante au
point que plusieurs pensent à éteindre les lanternes et fanaux, pour rester
sous le seul éclairement de la lumière phosphorescente de la lune.
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120>
"Éteins aussi celles-là, Simon, dit Jésus à Pierre. Elles sont
misérables comme des étincelles en comparaison des étoiles sous ce ciel
rempli d'astres et de planètes."
Pierre est tendu pour entendre le jugement de la foule, et Jésus caresse son
apôtre, pendant qu'il allonge la main pour détacher les lanternes et il lui
demande tout bas :
"Pourquoi ce regard troublé ?"
"Parce que cette fois tu me fais juger par le peuple..."
"Oh ! pourquoi le crains-tu ?"
"Parce que... il est comme moi... injuste..."
"Mais c'est Dieu qui juge, Simon !"
"Oui. Mais Toi, tu ne m'as pas encore pardonné et maintenant tu attends
leur jugement pour le faire... Tu as raison, Maître... Je suis
incorrigible... Mais... Pourquoi à ton pauvre Simon ce jugement de
Dieu… ?"
Jésus lui met la main sur l'épaule et il le fait aisément car Pierre est en
bas dans la barque et Jésus debout à la poupe, par conséquent bien au-dessus
de Pierre. Et il sourit... mais ne lui répond pas. Au contraire, il demande
aux gens :
"Eh bien ? parlez fort, barque par barque."
Hélas ! Pauvre Pierre ! Si Dieu l'avait jugé d'après l'avis de ceux
qui étaient là, Il l'aurait condamné. Sauf trois barques, toutes les autres,
y compris celles des apôtres le condamnent. Les romaines ne se prononcent pas
et ne sont pas interrogées, mais il est visible qu'elles aussi jugent l'homme
condamnable, car d'une barque à l'autre - elles sont trois - elles font le
signe du pouce renversé.
Pierre lève ses yeux bovins, effrayés, vers le visage de Jésus, et il
rencontre un visage encore plus doux et de ses yeux de saphir s'écoule une
sorte de paix, et il voit se pencher sur lui un visage que l'amour fait
resplendir et il se sent attiré contre Jésus, de sorte que sa tête grisonnante se trouve appliquée au côté de Jésus alors que le
bras du Maître embrasse étroitement ses épaules.
448.8 - "C'est ainsi que juge l'homme, mais ce n'est pas
ainsi que Dieu juge, mes enfants ! Vous dites : "II ne sera pas
pardonné". Moi, je dis : "Le Seigneur ne voit même pas en lui
matière à pardon". En effet le pardon suppose une faute, mais ici, il
n'y avait pas de faute. *
Non, ne murmurez pas en hochant la tête. Je répète : ici, il n'y avait
pas de faute. La faute, quand est-ce qu'elle se
produit ? Quand il y a la volonté de pécher, la conscience que l'on
pécherait, et que l'on persiste à vouloir pécher même après que l'on a pris
conscience que telle action est un péché.
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121>
Tout est dans la volonté avec laquelle on accomplit un acte, que ce soit un
acte de vertu ou de péché. Même quand quelqu'un fait un acte évidemment bon
mais sans avoir conscience qu'il fait un acte bon, et croyant au contraire
qu'il fait un acte mauvais, il fait une faute comme s'il faisait un acte
mauvais, et réciproquement.
Réfléchissez sur un exemple. Quelqu'un a un ennemi et il sait qu'il est
malade. Il sait que par ordre du médecin il ne doit pas boire d'eau froide,
ni même aucun liquide. Il va le trouver, soi-disant par amour. Il l'entend
gémir : "J'ai soif, j'ai soif !" et, simulant la pitié,
il s'empresse de lui donner à boire de l'eau glacée du puits en disant :
"Bois, ami. Moi je t'aime et je ne puis te voir souffrir ainsi de ta
soif ardente. Regarde : je t'ai apporté exprès cette eau si fraîche.
Bois, bois, car une grande récompense est donnée à celui qui assiste les
malades et qui donne à boire à ceux qui ont soif" et en lui donnant à
boire, il amène sa mort. Croyez-vous que cet acte, bon en lui-même puisqu'il
est fait de deux œuvres de miséricorde, est bon alors qu'il est fait dans un
but mauvais ? Non, il ne l'est pas.
Et encore : un fils qui a un père ivrogne et qui pour le sauver de la
mort qu'amènerait son intempérance, ferme le cellier, enlève l'argent à son
père, et lui impose même sévèrement de ne pas aller au village pour boire et
ruiner sa santé, vous paraît-il qu'il manque au quatrième commandement du
seul fait qu'il fait des reproches à son père et les fait, lui, comme s'il
était chef de famille, à son propre père ? En apparence il fait souffrir
son père et semble coupable. En réalité, c'est un bon fils, car sa volonté
est bonne puisqu'il veut sauver son père de la mort. C'est toujours la
volonté qui donne à l'acte sa valeur.
Et encore : le soldat qui tue à la guerre est-il homicide ? Non, si son esprit ne consent
pas au massacre et s'il combat parce qu'il y est contraint, mais le
fait avec ce minimum d'humanité que la dure loi de la guerre et sa situation
subalterne lui imposent.
Par conséquent cet homme de la barque, qui par une bonne volonté de croyant,
de patriote et de pêcheur ne supportait pas ceux qui selon lui étaient des
profanateurs, ne faisait pas de péché contre l'amour du prochain, mais il
avait seulement une idée erronée de l'amour du prochain.
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122>
Et il ne faisait pas de péché d'irrespect envers Dieu, parce que son
ressentiment envers Dieu venait de son esprit de croyant qui était bon mais
n'était pas équilibré ni éclairé, et il ne commettait pas d'homicide parce
qu'il provoquait l'embardée par un bon désir de demander pardon.
448.9 - Sachez toujours faire la distinction. Dieu est
Miséricorde plutôt qu'intransigeance. Dieu est bon. Dieu est Père. Dieu est
Amour. C'est cela qu'est le vrai Dieu. Et le vrai Dieu ouvre son cœur à tous,
à tous, en disant : "Venez", à tous en indiquant son Royaume.
Et Il est libre de le faire car Il est le Seigneur Unique, Universel,
Créateur, Éternel.
Je vous en prie, vous d'Israël. Soyez justes, rappelez-vous ces choses. Ne
faites pas en sorte que les comprennent ceux qui pour vous sont immondes,
alors que vous vous ne les comprenez pas. Même l'amour excessif et désordonné
de la religion et de la patrie est un péché parce qu'il devient de l'égoïsme.
Et l'égoïsme est toujours une raison et une cause de péché.
Oui, l'égoïsme est un péché car il sème dans
le cœur une volonté mauvaise qui le rend rebelle à Dieu et à ses
commandements. L'esprit de l'égoïste ne voit plus nettement Dieu ni ses
vérités. L'orgueil fume chez l'égoïste et offusque les vérités. Dans la brume
l'esprit, qui ne voit plus la lumière franche de la vérité comme il la voyait
avant de devenir orgueilleux, commence le procès des pourquoi et, de là, il
passe au doute, du doute au détachement non seulement de l'amour et de la
confiance en Dieu et en sa justice, mais aussi de la crainte de Dieu et de
ses châtiments. Et, en conséquence, voilà la facilité de pécher, et de la
facilité de pécher voici la solitude de l'âme qui s'éloigne de Dieu, qui
n'ayant plus la volonté de Dieu pour la guider tombe sous la loi de sa
volonté de pécheur.
Oh ! c'est une bien dure chaîne la volonté du pécheur, Satan a dans sa
main une de ses extrémités, et l'autre extrémité tient attaché au pied de
l'homme un lourd boulet pour le retenir là, esclave, dans la boue, courbé,
dans les ténèbres.
L'homme peut-il
donc alors ne pas faire des fautes mortelles ? Peut-il ne pas les faire
s'il n'a plus que de la volonté mauvaise, en lui-même ? Alors, alors
seulement, Dieu ne pardonne pas. Mais quand l'homme a de la bonne volonté et
accomplit même des actes spontanés de vertu, il finit certainement par
arriver à posséder la Vérité, car la bonne volonté mène à Dieu, et Dieu, le
Père très Saint, se penche, plein d'amour, de pitié, d'indulgence, pour
aider, pour bénir, pour pardonner à ses enfants qui ont bonne volonté.
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123>
C'est pour cela que l'homme de cette barque a été pleinement aimé, car
n'ayant pas la volonté de pécher, il n'avait pas péché.
Allez maintenant en paix à vos maisons. Les étoiles ont occupé tout le ciel
et la lune revêt le monde de pureté. Allez, obéissants comme les étoiles et
rendez-vous purs comme la lune, car Dieu aime ceux qui sont obéissants et
purs d'esprit et Il bénit ceux qui mettent en chacune de leurs actions la
bonne volonté d'aimer Dieu et les frères et de travailler à sa gloire et à
leur profit.
La paix soit avec vous !"
Et Jésus rouvre ses bras pour bénir, pendant que s'éloignent les barques qui
l'entourent, qu'elles se séparent, chacune prenant sa propre direction.
448.10 - Pierre est si heureux qu'il ne pense pas au départ.
Matthieu le secoue :
"Tu ne fais pas attention, Simon ? Moi je ne suis pas au
courant..."
"C'est vrai... Oh ! mon Maître ! Alors tu ne m'avais pas
condamné ?! Et j'avais une telle crainte..."
"Ne crains pas, Simon de Jonas. Moi je t'ai pris pour te sauver, non
pour te perdre. Moi, je t'ai pris à cause de ta bonne volonté... Allons,
prends le timon et regarde la Polaire et va avec assurance, Simon de Jonas.
Toujours avec assurance... Dans toutes les navigations... Dieu, ton Jésus,
sera toujours debout à ton côté sur la proue de ta barque spirituelle. Et Il
te comprendra toujours, Simon de Jonas. Tu comprends ? Toujours. Et Il
n'aura pas à te pardonner parce que tu pourras même tomber comme un faible
enfant, mais tu n'auras jamais la volonté mauvaise de tomber... Sois content,
Simon de Jonas."
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