Le samedi 4 mars 1944.
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[…]
274.1 – La soirée est avancée. Il fait presque nuit car on voit à
peine sur le sentier qui grimpe sur un coteau où l'on voit ça et là des
arbres qui me semblent être des oliviers mais étant donné le peu de lumière,
je ne puis l'assurer. En somme, ce sont des arbres de taille moyenne, avec
une épaisse frondaison et tordus comme le sont d'ordinaire les oliviers.
Jésus est seul, habillé de blanc avec son manteau bleu foncé. Il monte et
s'enfonce parmi les arbres. Il chemine d'un pas allongé et tranquille, sans
hâte, mais à cause de la longueur de ses foulées il fait, sans se presser,
beaucoup de chemin. Il marche jusqu'à ce qu'il rejoigne une sorte de balcon
naturel d'où la vue s'étend sur le lac tout à fait paisible sous la lumière
des étoiles dont les yeux de lumière fourmillent maintenant dans le ciel. Le
silence enveloppe Jésus de son embrassement reposant. Il le détache des
foules et de la terre et les Lui fait oublier,
en l'unissant au ciel qui semble s'abaisser pour adorer le Verbe de Dieu et
le caresser de la lumière de ses astres.
Jésus prie dans sa pose habituelle : debout et les bras
en croix. Il a derrière Lui un olivier et paraît crucifié sur ce fût obscur.
La frondaison le dépasse de peu, grand comme il est, et remplace, par une
parole qui convient au Christ, l'inscription de la croix. Là-bas :
"Roi des juifs".
Ici : "Prince de la paix".
L'olivier pacifique s'exprime bien pour qui sait entendre.
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363> Jésus prie longuement, puis il
s'assied sur le balcon qui sert de base à l'olivier, sur une grosse racine
qui dépasse et il prend son attitude habituelle : les mains jointes et
les coudes sur les genoux. Il médite. Qui sait quelle divine conversation il
échange avec le Père et l'Esprit en ce moment où il est seul et peut être
tout à Dieu. Dieu avec Dieu !
Il me semble que plusieurs heures passent ainsi car je vois les étoiles se
déplacer et plusieurs sont déjà descendues à l'occident.
274.2 – Justement pendant qu'un semblant de
lumière, ou plutôt de luminosité parce que cela ne peut encore s'appeler
lumière, se dessine à l'extrême horizon du côté de l'orient, un frisson de
vent secoue l'olivier. Puis, c'est le calme. Puis, il reprend. plus fort.
Avec des pauses syncopées, il devient de plus en plus violent. La lumière de
l'aube qui commençait à peine, est arrêtée dans sa progression par une masse
de nuages noirs qui viennent occuper le ciel, poussée par des rafales de vent
toujours plus fortes. Le lac aussi a perdu sa tranquillité. Il me semble
qu'il va subir une bourrasque comme celle que j'ai déjà vue dans la vision de
la tempête .
Le bruissement des feuilles et le grondement des flots remplissent maintenant
l'espace, il y a un moment si tranquille.
Jésus sort de sa méditation. Il se lève. Il regarde le lac. Il y cherche, à
la lumière des étoiles qui restent et de l'aube malade, et il voit la barque
de Pierre qui avance péniblement vers la rive opposée, mais n'y arrive pas.
Jésus s'enveloppe étroitement dans son manteau dont il relève le bord, qui
traîne et qui le gênerait dans la descente, sur sa tête, comme si c'était un
capuchon, et il descend rapidement, non par la route qu'il avait suivie mais
par un sentier rapide qui rejoint directement le lac. Il va si vite qu'il
semble voler.
Il parvient à la rive fouettée par les
vagues qui font sur la grève une bordure bruyante et écumeuse. Il poursuit
rapidement son chemin comme s'il ne marchait pas sur l'élément liquide tout
agité, mais sur un plancher lisse et solide. Maintenant Lui devient lumière. Il semble que le peu de lumière qui arrive encore des rares
étoiles qui s'éteignent et de l'aube orageuse se concentre sur Lui et elle
forme une sorte de phosphorescence qui éclaire son corps élancé.
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364> Il vole sur les flots, sur les
crêtes écumeuses, dans les replis obscurs entre les vagues, les bras tendus
en avant avec son manteau qui se gonfle autour des joues et qui flotte, comme
il peut, serré comme il est autour du corps, avec un battement d'ailes.
274.3 – Les apôtres le voient et poussent un
cri d'effroi que le vent apporte à Jésus.
"Ne craignez pas. C'est Moi."
La voix de Jésus, malgré le vent contraire, se répand sans difficulté sur le
lac.
"Est-ce bien Toi, Maître ?" demande Pierre. "Si c'est
Toi, dis-moi de venir à ta rencontre en marchant comme Toi sur les
eaux."
Jésus sourit : "Viens" dit-il simplement, comme si c'était la
chose la plus naturelle du monde de marcher sur l'eau. Et Pierre, demi-nu
comme il est avec une courte tunique sans manches, fait un saut par-dessus
bord et va vers Jésus.
Mais, quand il est à une cinquantaine de mètres de la barque et à peu près
autant de Jésus, il est pris par la peur. Jusque-là, il a été soutenu par son
élan d'amour. Maintenant l'humanité a raison de lui et... il tremble pour sa
vie. Comme quelqu'un qui se trouve sur un sol qui se dérobe ou sur des sables
mouvants, il commence à chanceler, à s'agiter, à s'enfoncer. Plus il s'agite
et tremble de peur, plus il s'enfonce.
274.4 – Jésus s'est arrêté, et le regarde.
Sérieux, il attend mais il ne lui tend même pas la main. Il garde ses bras
croisés. Il ne fait plus un pas et ne dit plus un mot.
Pierre s'enfonce. Les chevilles disparaissent, puis les jambes, puis les
genoux. Les eaux arrivent à l'aine, la dépassent, montent vers la ceinture.
La terreur se lit sur son visage. Une terreur qui paralyse aussi sa pensée.
Ce n'est plus qu'une chair qui a peur de se noyer. Il ne pense même pas à se
jeter à l'eau. À rien. Il est hébété par la peur.
Finalement, il se décide à regarder Jésus. Et il suffit qu'il le regarde pour
que son esprit commence à raisonner, à saisir où se trouve le salut.
"Maître, Seigneur, sauve-moi."
Jésus desserre ses bras et, comme s'il était porté par le vent et par l'eau,
il se précipite vers l'apôtre et lui tend la main en disant :
"Oh ! homme de peu de foi.
Pourquoi as-tu douté de Moi ? Pourquoi as-tu voulu agir tout
seul ?"
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365> Pierre, qui s'est agrippé
convulsivement à la main de Jésus, ne répond pas. Il le regarde pour voir
s'il est en colère, il le regarde avec un reste de peur qui se mêle au
repentir qui s'éveille. Mais Jésus sourit et le tient étroitement par le
poignet jusqu'à ce que, après avoir rejoint la barque, ils en franchissent le
bord et y entrent. Et Jésus commande :
"Allez à la rive. Lui est tout trempé."
Et il sourit en regardant le disciple humilié.
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