Vision du vendredi 4 mai 1945
48> Jésus est
au milieu d'une place, grande et assez belle, que prolonge une route .très
large jusqu'au bord de la mer . Une
galère, depuis peu, a quitté le port et gagne le large poussée par le vent et
propulsée par les rames. Une autre, manœuvre pour entrer, car on cargue les
voiles et les rames se meuvent d'un seul côté pour faire tourner le navire
dans une position convenable. Le port ne se voit pas de la place, mais il
doit être proche. Sur les côtés de la place sont alignées de vastes demeures
aux murs extérieurs caractérisés par l'absence presque totale d'ouvertures.
Pas de boutiques.
"Où allons-nous, maintenant ? Tu as voulu venir ici plutôt qu'au
quartier oriental, ici ce sont des lieux de païens . Qui
veux-tu qui t'écoute ?" demande Pierre qui
en fait reproche à Jésus.
"Nous allons là-bas, dans cet angle, près de la mer, et là je
parlerai."
"Aux flots ?"
"Même eux ont été créés par Dieu."
Ils y vont. Maintenant, ils sont justement dans ce recoin et voient le port
où entre lentement la galère, vue auparavant, et qu'on amarre. Quelques
marins flânent le long des quais. Quelques marchands de fruits se risquent à
aller vers le bâtiment romain pour vendre leurs produits. Rien d'autre.
Jésus, le dos appuyé au mur, semble vraiment parler aux flots. Les apôtres,
peu satisfaits de la situation sont autour de Lui, les uns debout, les autres
assis sur des rochers dispersés çà et là qui semblent servir de sièges.
"Sot est l'homme qui se voyant puissant, en bonne santé et heureux
dit : "De quoi ai-je désormais besoin ? Et de qui ? De
personne. Rien ne me manque, je me suffis. Les lois ou les décrets de Dieu ou
ceux de la morale sont pour moi inexistants. Ma loi, c'est de faire ce qui
m'est possible sans réfléchir si c'est bien ou mal pour les autres."
Un vendeur se retourne en entendant cette voix sonore et vient vers Jésus qui
continue : "C'est ainsi que parle l'homme et la femme sans sagesse
et sans foi. Mais si, de cette façon, il manifeste qu'il possède une
puissance plus ou moins grande, il montre également sa parenté avec le
Mal."
Des hommes descendent de la galère et d’autres barques et viennent vers
Jésus.
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49> "L'homme
montre, non par des paroles mais par les faits, sa parenté avec Dieu et avec
la Vertu quand il réfléchit que la vie est plus changeante que la mer, qui
maintenant est tranquille et demain sera en fureur. De la même façon, le
bien-être et la puissance d'aujourd'hui peut être demain
misère et impuissance. Et que fera alors l'homme privé de l'union avec
Dieu ? Combien y en a-t-il sur cette galère qui furent un jour heureux
et puissants et qui maintenant sont esclaves et considérés comme
coupables ! Coupables, par conséquent esclaves deux fois : de la loi
humaine dont on s'est moqué en vain car elle existe et elle punit ceux qui la
transgressent, et de Satan qui éternellement prend possession des coupables
qui n'arrivent pas à haïr leur faute."
"Salut, Maître ! Toi ici ? Tu me reconnais ?"
"Que Dieu vienne à toi, Publius Quintilianus. Tu
le vois, je suis venu."
"Et justement ici, dans le quartier romain. Je n'espérais plus te voir, mais
j'ai plaisir à t'entendre."
"Moi aussi. Sur cette galère il y a beaucoup de rameurs ?"
"Beaucoup. Des prisonniers de guerre en majeure partie. Ils
t'intéressent ?"
"Je voudrais aller près du bateau."
"Viens. Faites place, vous autres" ordonne-t-il au peu de personnes
qui s'étaient approchés et qui s'écartent rapidement en marmonnant des
injures.
"Laisse-les donc. Je suis habitué à être serré parmi les gens."
"Jusqu'ici, c'est possible. Pas plus loin. Galère militaire."
"Ça suffit : Dieu t'en récompense !"
Jésus recommence à parler pendant que le romain semble monter la garde à ses
côtés, dans sa tenue magnifique.
"Esclaves par
suite d'un douloureux événement, c'est-à-dire esclaves une seule fois.
Esclaves pour toute la vie. Mais chaque larme qui tombe sur leurs chaînes,
tout coup qui vient marquer une douleur sur leur chair desserre les menottes,
orne ce qui ne meurt pas, leur ouvre enfin la paix de Dieu qui est l'ami de
ses pauvres fils malheureux et qui leur donnera tant de joie en échange de
tout ce qui ici a été la douleur."
De l'intérieur de la galère avancent des hommes de la chiourme qui écoutent.
Naturellement, les galériens ne sont pas parmi eux. Mais certainement, par
les ouvertures où passent les rames, ils entendent arriver jusqu'à eux la
voix puissante de Jésus qui se propage dans l'air tranquille à cette heure de
marée basse. Publius Quintilianus, appelé par un soldat, est parti.
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50> "Je veux dire à ces
malheureux, que Dieu aime, d'être résignés dans leur souffrance, d'en faire
seulement une flamme qui rompt plus vite les chaînes de la galère et de la
vie en consumant dans le désir de Dieu cette pauvre journée qu'est la vie,
journée sombre, orageuse, remplie de peurs et de privations, pour entrer dans
le jour de Dieu lumineux, serein, sans plus jamais de peurs ni de
souffrances. Vous entrerez dans la grande paix, dans l'infinie liberté du
Paradis, ô martyrs d'un sort douloureux, pourvu que dans votre souffrance
vous sachiez être bons et aspiriez à Dieu."
Publius Quintilianus revient avec d'autres soldats et derrière lui arrive une
litière portée par des esclaves et à laquelle les soldats font faire une
place.
"Qui est Dieu ? Je parle aux gentils qui ne savent pas qui est
Dieu. Je parle aux fils des peuples soumis qui ne savent pas qui est Dieu.
Dans vos forêts, ô Gaulois, ô Ibères, ô Thraces, ô Germains, ô Celtes , vous
avez quelque chose qui manifeste Dieu. L'âme tend spontanément vers l'adoration, car elle se souvient
du Ciel. Mais vous ne savez pas trouver le Dieu Vrai qui a mis une âme dans
nos corps, une âme égale à la nôtre, fils d'Israël, égale à celle des Romains
puissants qui vous ont subjugués, une âme qui a les mêmes devoirs et les
mêmes droits à l'égard du Bien et à laquelle le Bien, c'est-à-dire le Dieu
vrai, sera fidèle. Soyez-le également, vous aussi à l'égard du Bien. Le dieu
ou les dieux que vous avez jusqu'à présent adorés, dont vous avez appris le
nom ou les noms sur les genoux maternels, le dieu auquel peut-être maintenant
vous ne pensez plus parce que de lui vous ne voyez pas venir un réconfort
dans vos souffrances, que peut-être vous arrivez à haïr et à maudire dans le
désespoir de votre journée, n'est pas le vrai Dieu.
Le vrai Dieu est Amour et Pitié. Étaient-ils
cela, par hasard, vos dieux ? Non. ils n'étaient que dureté, férocité,
mensonge, hypocrisie, vice, vol. Et maintenant ils vous ont laissé sans le
minimum de réconfort qu'est l'espérance d'être aimés et la certitude du repos
après tant de souffrances. Il en est ainsi, car vos dieux n'existent pas.
Mais Dieu, le Dieu vrai qui est Amour et Pitié, et dont je vous affirme
l'existence, c'est Celui qui a fait les cieux, les mers, les montagnes, les
forêts, les arbres, les fleurs, les animaux, l'homme. C'est Celui qui
inculque à l'homme victorieux de la pitié et un amour, semblables aux siens,
à l'égard des pauvres de la terre. O puissants, ô maîtres, pensez que vous
avez tous la même origine. Ne vous acharnez pas sur ceux qu'un malheur a fait
tomber entre vos mains et soyez humains aussi envers ceux qu'une faute a
attachés aux bancs de la galère.
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51> De nombreuses fois
l'homme pèche. Personne n'est sans fautes plus ou moins secrètes. Si vous y réfléchissez,
vous serez bons pour des frères qui, moins chanceux que vous, ont été punis pour des
fautes que vous aussi vous avez commises, tout en restant impunis. La justice
humaine est tellement incertaine dans ses jugements qu'il serait malheureux
que la justice divine le fût également. Il y a des coupables qui ne semblent
pas l'être, et des innocents que l'on estime coupables. Ne cherchons pas à
savoir pourquoi. Ce serait trop d'accusation pour l'homme injuste et rempli
de haine envers son semblable ! Il y a des coupables qui le sont bien
réellement mais qui ont été portés au crime par des forces puissantes qui
excusent en partie leur faute. Vous, par conséquent, qui êtes préposés aux
galères, soyez humains. Au-dessus de la justice humaine, il y a la justice
divine qui est bien plus élevée. Celle du Dieu vrai, de Celui qui a créé le
roi et l'esclave, le rocher et le grain de sable. Il vous regarde : vous
les rameurs, et vous préposés à la chiourme, et malheur à vous si vous êtes
cruels sans raisons. Moi, Jésus le Christ, le Messie du Dieu vrai, je vous en
donne la certitude : Lui, à votre mort, vous attachera à une galère
éternelle en confiant le fouet maculé de sang aux démons et vous subirez les
mêmes tortures et les mêmes coups que vous avez infligés. Car s'il y a une
loi humaine qui prévoit la punition du coupable, il faut dans la punition ne
pas dépasser la mesure. Sachez vous en souvenir. Celui qui est puissant
aujourd'hui peut être misérable demain. Dieu seul est éternel.
Je voudrais changer le cœur et je voudrais surtout rompre les chaînes, vous
rendre la liberté et vos patries perdues. Mais, frères galériens; si vous ne
voyez pas mon visage, je n'ignore pas votre cœur avec toutes ses blessures.
En échange de la liberté et de la patrie terrestre que je ne puis vous
donner, ô pauvres hommes esclaves des puissants, je vous donnerai une plus
haute liberté et une meilleure Patrie. Pour vous, je me suis fait prisonnier
et j'ai quitté ma patrie, pour vous racheter je me donnerai Moi-même, pour
vous, même pour vous qui n'êtes pas l'opprobre de la terre comme on vous
appelle, mais la honte de l'homme oublieux de la mesure, dans la rigueur de
la guerre et de la justice, je ferai une nouvelle Loi sur la terre et une
douce demeure au Ciel. Rappelez-vous mon nom, fils de Dieu, qui pleurez.
C'est le nom de l'Ami. Dites-le dans vos peines. Soyez assurés que si vous
m'aimez, vous me posséderez même si sur la terre nous ne nous voyons jamais.
Je suis Jésus Christ, le Sauveur, votre Ami.
Au nom du Dieu vrai, je vous réconforte. Que la paix, vite, vienne sur
vous."
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52> La foule, en majeure
partie romaine s'est groupée autour de Jésus dont les idées nouvelles ont
étonné tout le monde.
"Par Jupiter ! Tu m'as fait penser à des choses nouvelles. Je n'y
avais jamais pensé, mais je sens qu'elles sont vraies..."
Publius Quintilianus, à la fois pensif et enthousiasmé, regarde Jésus.
"C'est ainsi, ami. Si l'homme s'adonnait à la réflexion, il n'arriverait
jamais à commettre le crime."
"Par Jupiter, par Jupiter ! Quelles paroles ! Il faut que je
m'en souvienne et Tu as dit: "Si l'homme s'adonnait à la réflexion...'
"
"...il n'arriverait jamais à commettre le crime."
"Mais, c'est vrai ! Par Jupiter ! Mais sais-tu que tu es
grand ?!"
"Tout homme qui le voudrait, pourrait l'être comme Moi, s'il n'était
qu'un avec Dieu."
Le romain continue sa litanie de "par Jupiter" l'un plus admiratif
que l'autre. Mais Jésus lui dit: "Pourrais-je donner un réconfort à ces
galériens ? J'ai de l'argent... Un fruit, une douceur pour qu'ils
sachent que je les aime."
"Donne-le ici, je puis le faire. Et du reste, il y a là une dame qui a
de grands pouvoirs: Je vais le lui demander." Publius va vers la litière
et il parle près du rideau à peine entrouvert. Il revient : "J'ai
pleins pouvoirs. Je vais surveiller la distribution pour que les argousins ne
fassent pas d'abus. Et ce sera l'unique fois qu'un soldat de l'empire usera
de pitié envers des esclaves de guerre."
"La première fois. Pas la seule. Il
viendra un jour où n'y aura plus d'esclaves; mais
auparavant mes disciples seront descendus parmi les galériens et les esclaves
pour les appeler frères."
Une autre série de "par Jupiter" traverse l'air calme, pendant que
Publius attend d'avoir suffisamment de fruits et de vin pour les galériens.
Puis, avant de monter sur la galère, il dit à l'oreille de Jésus: "Là, à
l'intérieur, se trouve Claudia Procula. Elle
voudrait t'entendre encore mais, en attendant, elle veut te demander quelque
chose. Va."
Jésus va vers la litière.
"Salut, Maître." Le rideau s'écarte à peine, laissant voir une
belle femme sur les trente ans.
"Que le désir de la sagesse vienne en toi."
"Tu as dit que l'âme se souvient des Cieux. Elle est donc éternelle,
cette chose que vous dites exister en nous ?"
"Elle est éternelle. C'est pour cela qu'elle se souvient de Dieu, de
Dieu qui l'a créée."
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53> "Qu'est-ce que c'est que
l'âme ?"
"L'âme est
la vraie noblesse de l'homme. Tu es fière d'appartenir à la gens Claudia .
L'homme est quelque chose de plus, car il appartient à la famille de Dieu. Tu
as en toi le sang de la gens Claudia, une famille puissante qui a eu une
origine et aura une fin. En l'homme par l'âme il y a le sang de Dieu. Car
l'âme est le sang spirituel - Dieu étant un très pur Esprit - du Créateur de
l'homme : de Dieu éternel, puissant, saint. L'homme est donc éternel,
puissant, saint par l'âme qui est en lui et qui est vivante tant qu'elle est
unie à Dieu."
"Je suis païenne. Je n'ai donc pas d'âme..."
"Tu en as une, mais elle est tombée en léthargie. Éveille-la à la Vérité
et à la Vie..."
"Adieu, Maître."
"Que la Justice te conquière. Adieu."
"Comme vous voyez, ici aussi j'ai eu des auditeurs" dit Jésus à ses
disciples.
"Oui, mais à part les romains, qui t'aura compris? Ce sont des
barbares !"
"Qui ? Tous. La paix est en eux et ils se souviendront de Moi
beaucoup plus que beaucoup d'autres en Israël. Allons pour le repas dans la
maison qui nous donne l'hospitalité."
"Maître, cette femme est la même qui m'a parlé le jour où tu as guéri ce
malade: Je l'ai vue et reconnue." dit
Jean.
"Vous voyez donc qu'il y avait aussi ici quelqu'un qui nous attendait.
Mais vous ne semblez pas très satisfaits. J'aurai beaucoup fait, le jour où
je vous aurai persuadés que ce n'est pas seulement pour Israël, mais pour
tous les peuples que je suis venu et
que c'est pour tous que je vous ai préparés. Je vous dis donc : mettez
en votre mémoire tout ce qui vient de votre Maître. Il n'y a pas de fait,
pour insignifiant qu'il soit, qui ne doive devenir un jour une règle pour
l'apostolat."
Personne ne répond, et Jésus a un sourire triste, plein de compassion.
Dictée
du 5 mai 1945
Le passage fait aussi partie des Cahiers
de 1945 à 1950.
Ce
matin, Il en a eu un aussi pour moi... J'étais prise par un tel découragement
que je me suis mise à pleurer pour tant de choses. La dernière n'était pas la
fatigue d'écrire et d'écrire avec la conviction que tant de bonté de la part
de Dieu et tant de fatigue pour le petit Jean étaient bien inutiles. Et en
pleurant j'ai appelé mon Maître. Et puisque, par bonté. Il est venu tout pour
moi, je Lui ai dit ma pensée, Il a eu un haussement d’épaules qui équivalait
à : « Laisse tomber le monde et ses histoires » et puis Il m'a
caressée en me disant :
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54> « Et quoi ?
Tu ne voudrais plus m'aider ? Le monde ne veut pas connaître mes paroles ?
Eh bien, racontons-les-nous entre nous pour la joie que j'ai de les répéter à
un cœur fidèle et pour celle que tu as de les entendre. Les lassitudes de
l’apostolat :.. Plus accablantes que celles de
n'importe quel travail ! Elles assombrissent le jour le plus serein et
remplissent d'amertume la plus douce nourriture. Tout devient cendre et boue,
nausée et fiel. Mais, mon âme, ce sont les heures où nous prenons sur
nous le fardeau de la lassitude, du doute, de la misère des mondains qui
meurent de ne pas posséder ce que nous avons. Ce sont les heures où nous
agissons davantage. Je te l'ai déjà dit l'an passé. « À quoi bon ? »
se demande l’âme submergée par tout ce qui submerge le monde, c'est-à-dire
les flots qu'envoie Satan et où le monde se noie. Mais l'âme, clouée avec son
Dieu sur la croix, ne se noie pas. Elle perd pour un instant la lumière et
s'engloutit sous les eaux nauséeuses de la lassitude spirituelle, et puis se
dégage, plus fraîche et plus belle.
Ce que tu dis : « Je ne suis plus bonne à rien » est une
conséquence de cette lassitude. Tu ne serais jamais bonne à rien, Mais Moi,
je suis toujours Moi et tu seras donc toujours bonne pour ton office de
porte-parole. Certainement si je voyais que comme une pesante et très
précieuse gemme mon don est égoïstement enfoui, imprudemment utilisé ou que,
par paresse, on ne cherche pas à le protéger sous ces garanties que la
méchanceté humaine impose de prendre dans certains cas pour protéger le don
et la créature à travers laquelle il arrive, je dirais mon « ça suffit ».
Et cette fois, sans retour. Ça suffit pour tous, excepté pour ma petite âme
qui aujourd'hui semble exactement une petite fleur sous une averse. Et
peux-tu, avec ces caresses douter que Moi, je t'aime ? Allons ! Tu
m'as aidé en temps de guerre. Aide-moi, maintenant, encore... Il y a tant à
faire ».
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