Le mercredi 22 janvier 1947.
44> 559.1 – La
nouvelle que Jésus est à Éphraïm, peut-être parce que les habitants eux-mêmes
s'en sont vantés ou pour d'autres motifs que j'ignore, doit s'être répandue
car désormais nombreux sont ceux qui viennent chercher Jésus, des malades
pour la plupart, des affligés et aussi des gens désireux de le voir. Je m'en
rends compte car j'entends l'Iscariote dire à un groupe de pèlerins venus de
la Décapole :
"Le Maître n'est pas là. Mais il y a Jean et moi, et c'est la même
chose. Dites donc ce que voulez et nous le ferons."
"Mais vous ne pourrez jamais enseigner ce que le Maître enseigne"
objecte quelqu'un.
"Nous sommes d'autres Lui, homme. Souviens-t'en toujours. Mais si tu
tiens à entendre le Maître reviens avant le sabbat et retourne chez toi
après. Le Maître est maintenant un vrai maître. Il ne parle plus sur tous les
chemins, ni dans les bois, ni sur les rochers comme un vagabond, et à toute
heure comme un esclave. Il parle ici au sabbat comme il Lui convient. Et il
fait bien ! Pour ce que cela Lui a servi de s'épuiser de fatigue et d'amour
!"
"Mais ce n'est pas notre faute si les juifs..."
"Tous ! Tous ! Aussi bien juifs que non juifs ! Vous avez été et serez
tous pareils. Lui est tout à vous. Vous rien pour Lui. Lui donne. Vous, vous
ne donnez pas, même pas l'aumône que l'on donne au mendiant."
"Mais nous l'avons l'offrande pour Lui. La voilà, si tu ne nous crois
pas."
559.2 – Jean, qui s'est toujours tu
mais souffre visiblement, tout en regardant avec des yeux qui supplient et
réprimandent, ou mieux qui sollicitent, ne peut plus se taire. Alors que
Judas allonge déjà la main pour prendre l'offrande, il met une main sur le
bras de son compagnon pour le retenir et il lui dit :
"Non, Judas. Cela, non. Tu sais l'ordre du Maître" et il se tourne
vers ceux qui sont venus pour dire : "Judas s'est mal expliqué et vous avez
mal compris. Ce n'est pas cela que voulait dire mon compagnon. C'est
seulement une offrande de
foi sincère, d'amour fidèle que nous, moi, mes compagnons, vous, tous nous
devons donner pour tout ce que le Maître nous donne.
Haut
de page.
45> Quand nous marchions à travers la
Palestine, il acceptait vos offrandes parce qu'elles nous étaient nécessaires
dans nos déplacements et parce qu'il se trouvait de nombreux mendiants sur
notre route, et que se faisaient connaître à nous des misères cachées. Maintenant, ici, nous n'avons besoin de rien — en soit louée la
Providence — et nous ne rencontrons pas de mendiants. Reprenez, reprenez
votre offrande et donnez-la, au nom de Jésus, à des malheureux. Ce sont les
désirs de notre Seigneur et Maître, et ses ordres à ceux d'entre nous qui
s'en vont évangéliser à travers les villes. Si ensuite vous avez des malades
avec vous ou si quelqu'un a un vrai besoin de parler au Maître, dites-le. Et
j'irai le chercher à l'endroit où il s'isole pour prier, car son esprit a un
grand besoin de se recueillir dans le Seigneur."
Judas bougonne quelque chose entre ses dents, mais ne contredit pas
ouvertement. Il s'assoit près du foyer allumé comme pour se désintéresser de
la chose.
"Vraiment... nous n'avons pas un grand besoin. Mais nous avons su qu'il
était ici, et nous avons traversé le fleuve pour venir le voir. Mais si nous
avons mal fait..."
"Non, frères. Ce n'est pas mal de l'aimer et de le chercher, même si
cela est difficile et fatigant. Et votre bonne volonté aura sa récompense. Je
vais annoncer au Seigneur votre venue, et certainement Lui viendra. Mais si
vraiment il ne venait pas, je vous apporterai sa bénédiction."
Jean sort dans le jardin pour aller à la recherche du Maître.
"Laisse ! J'y vais, moi" dit Judas impérieusement et il se lève
pour courir dehors.
Jean le regarde aller et n'objecte rien. Il rentre dans la cuisine où sont
entassés les pèlerins. Mais immédiatement il leur propose :
"Allons-nous à la rencontre du Maître ?"
"Mais si Lui ne voulait pas..."
"Oh ! ne donnez pas d'importance à un malentendu, je vous en prie.
559.3 – Vous connaissez certainement
les raisons pour lesquelles nous sommes ici. Ce sont les autres qui obligent
le Maître à ces mesures de prudence, ce n'est pas la volonté de son cœur. Lui
a toujours les mêmes sentiments pour vous tous."
Haut
de page.
46> "Nous le savons. Les premiers
jours, après la lecture du décret, ce fut toute une recherche au-delà du
Jourdain et dans les endroits où ils pouvaient penser qu'il se trouvait : à Bethabara, comme à Béthanie,
à Pella et à Ramoth-Galaad
et aussi ailleurs. Et nous savons qu'il en a été ainsi pour la Judée et la
Galilée. Les maisons de ses amis ont été très surveillées car... si ses amis
et ses disciples sont nombreux, nombreux aussi sont ceux qui ne le sont pas
et qui croient servir le Très-Haut en persécutant le Maître. Puis les
recherches ont subitement cessé et le bruit s'est répandu qu'il était
ici."
"Mais vous, de qui l'avez-vous su ?"
"De ses disciples."
"Mes compagnons ? Où ?"
"Non. Aucun d'eux. D'autres. Nouveaux, car nous ne les avons jamais vus
avec le Maître ni avec des anciens disciples. Et même nous avons été étonnés
que Lui ait envoyé des inconnus pour dire où il était, mais ensuite aussi
nous avons pensé qu'il l'avait fait parce que les nouveaux n'étaient pas
connus par les juifs comme disciples."
"Je ne sais pas ce que vous dira le Maître, Mais je vous dis que
dorénavant vous ne devez ajouter foi qu'à des disciples connus. Soyez
prudents. Tous ceux de cette nation savent ce qui est arrivé au
Baptiste..."
"Tu penses que..."
"Si Jean, haï par une seule femme, fut pris et mis à mort, qu'en
sera-t-il de Jésus également haï par le Palais royal et le Temple, et par les
pharisiens, et les scribes, les prêtres et les hérodiens ? Soyez donc
vigilants pour ne pas avoir de remords... Mais le voilà qui vient. Allons à
sa rencontre."
559.4 – C'est une nuit profonde et
sans lune, mais éclairée par les étoiles. Je ne pourrais dire l'heure ne
voyant pas la position de la lune ni à quelle phase elle en est. Je vois
uniquement que c'est une nuit sereine, Éphraïm toute entière est disparue dans
le voile noir de la nuit. Le torrent lui-même est une voix, pas autre chose.
Son écume et son scintillement disparaissent totalement sous la voûte verte
des arbres des rives qui interdisent même cette lumière, qui n'en est pas
une, qui vient des étoiles.
Haut
de page.
47> Un oiseau de nuit se lamente
quelque part. Puis il se tait à cause d'un bruissement de feuillage et un
bruit de roseaux rompus qui se rapproche de la maison en suivant le torrent
et en venant du côté de la montagne. Puis une forme élancée et robuste émerge
de la rive sur le sentier qui monte vers la maison. Elle s'arrête un moment
comme pour s'orienter. Elle rase le mur en tâtant avec les mains. Elle trouve
la porte, l'effleure et la dépasse, tourne, toujours en tâtonnant au coin de
la maison, jusqu'à rejoindre l'entrée du jardin. Le visiteur nocturne
l'essaie, l'ouvre, la pousse, entre. Il rase les murs qui donnent sur le
jardin. Il reste perplexe devant la porte de la cuisine. Puis il poursuit
jusqu'à l'escalier extérieur, le monte à tâtons et s'assoit sur la dernière
marche, ombre noire dans l'ombre.
Mais là-bas, vers l'orient, la couleur du ciel nocturne : un voile noir dont
on remarque seulement qu'il est tel à cause des étoiles qui le piquent,
commence à changer de couleur, c'est-à-dire à prendre une couleur que l'œil
arrive à percevoir comme telle : un gris d'ardoise qui paraît un brouillard
épais et fumeux et qui est seulement une première clarté de l'aube qui
s'avance. Et c'est lentement le miracle journalier, toujours nouveau, de la
lumière qui revient.
Le visiteur qui s'était accroupi par terre, tout recouvert par un manteau
foncé, remue, étend les bras, lève la tête, rejette son manteau un peu en
arrière. C'est Manahen.
Vêtu comme un homme quelconque, d'un lourd vêtement marron et d'un manteau
assorti. Une étoffe rude de travailleur ou de pèlerin, toute unie, sans
boucles ni ceinture. Un cordon de laine retient son habit à la taille. Il se
lève, déploie sa stature. Il regarde le ciel où la lumière qui avance permet
de voir ce qui l'entoure.
559.5 – En bas, une porte s'ouvre en
grinçant. Manahen se penche sans faire de bruit pour voir qui sort de la
maison. C'est Jésus qui avec précaution referme la porte et se dirige vers
l'escalier. Manahen rentre un peu et s'éclaircît la gorge pour attirer l'attention
de Jésus qui lève la tête et s'arrête au milieu de l'escalier.
"C'est moi, Maître. C'est Manahen. Viens vite car je dois te parler. Je
t'ai attendu..." chuchote-t-il et il se penche pour le saluer.
Jésus monte les dernières marches :
"Paix à toi. Quand es-tu venu ? Comment ? Pourquoi ?" demande-t-il.
Haut
de page.
48> "Je crois qu'à peine était passé
le chant du coq, quand j'ai mis pied ici. Mais j'étais dans les buissons,
là-bas au fond, depuis hier à la seconde veille."
"Toute la nuit dehors !"
"Il n'y avait pas moyen de faire autrement. Je devais te parler, à Toi
seul. Je devais connaître le chemin pour venir, la maison et n'être pas vu.
Aussi je suis venu de jour et je me suis caché là-haut. J'ai vu s'apaiser la
vie dans la ville. J'ai vu Judas et Jean rentrer à la maison, et même Jean
est passé presque à côté de moi avec sa charge de bois, mais il ne m'a pas
vu, car j'étais bien caché dans le fourré. J'ai vu, tant qu'il a fait assez
clair pour y voir, une petite vieille qui entrait et
sortait, et le feu qui brillait dans la cuisine, et je t'ai vu descendre de
là-haut quand le crépuscule était déjà terminé, et la porte se fermer. Alors
je suis venu à la lumière de la lune nouvelle et j'ai reconnu le chemin. Je
suis même entré dans le jardin. La porte est plus inutile que s'il n'y en
avait pas. J'ai entendu vos voix, mais je devais parler à
Toi seul. Je suis reparti pour revenir à la troisième veille et être ici. Je
sais que tu te lèves habituellement avant le jour pour prier, et j'ai espéré
qu'aujourd'hui aussi tu le ferais. Je loue le Très-Haut qu'il en soit
ainsi."
559.6 – "Mais quel motif de
devoir me voir avec tant de difficultés ?"
"Maître, Joseph et Nicodème veulent te parler
et ils ont pensé le faire de manière à esquiver toute surveillance.
Ils ont essayé d'autres fois, mais Belzébuth doit aider beaucoup tes ennemis.
Ils devaient toujours renoncer à venir car leur maison n'était pas laissée
sans surveillance, et de même celle de Nikê.
Et même la femme devait venir avant moi. C'est une femme courageuse et elle
s'était mise en route seule par l'Hadomin. Mais elle fut suivie et arrêtée
près de la "Montée du sang" ,
et elle, pour ne pas trahir ta demeure et pour justifier les vivres qu'elle
avait sur sa monture, dit : "Je monte chez un de mes frères qui est
dans une grotte sur les monts. Si vous voulez venir, vous qui enseignez Dieu,
vous ferez une œuvre sainte car il est malade et il a besoin de Dieu".
Et avec cette audace, elle les persuada de s'en aller. Mais elle n'osa plus
venir ici et elle alla réellement trouver quelqu'un qu'elle dit être
dans une grotte et que tu lui as confié."
Haut
de page.
49> "C'est vrai. Mais comment Nikê
a-t-elle pu le faire savoir aux autres ?"
"En allant à Béthanie. Lazare n'y
est pas, mais les sœurs y sont. Il y a Marie. Et Marie est-elle une femme à
s'effrayer de quelque chose ? Elle s'est habillée comme peut-être ne le fit
pas Judith pour aller trouver le roi, et elle est allée au Temple,
publiquement avec Sara
et Noémi,
et puis à son palais de Sion. Et de là elle a envoyé Noémi chez Joseph avec
ce qu'il fallait dire. Et pendant... qu'astucieusement les juifs allaient
chez elle ou envoyaient des gens pour... lui rendre honneur, la petite
vieille Noémi, en habits négligés, allait à Bézèta
chez l'Ancien .
Nous nous sommes mis d'accord pour m'envoyer moi, le nomade que personne ne
soupçonne quand on le voit chevaucher à toute allure de l'une à l'autre des
résidences d'Hérode, ici pour te dire que la nuit entre le vendredi et le
sabbat Joseph et Nicodème, venant l'un d'Arimathie
l'autre de Rama avant le coucher du soleil, se
rencontreraient à Goféna et qu'ils t'attendraient là. Je
connais l'endroit et la route, et je viendrai ici le soir pour te conduire. À
moi, tu peux te fier, mais ne te fie qu'à moi, Maître. Joseph recommande que
personne ne connaisse notre rencontre. Pour le bien de tous."
"Même le tien, Manahen ?"
"Seigneur... moi, je suis moi. Mais je n'ai pas à sauvegarder des biens
et des intérêts de famille comme Joseph."
"Et cela confirme mes dires que les richesses matérielles sont toujours
un fardeau... Mais dis bien à Joseph que personne ne connaîtra notre
rencontre."
"Alors je puis aller, Maître. Le soleil est levé et tes disciples
pourraient se lever."
"Va et que Dieu soit avec toi. Et même je t'accompagne pour te faire
voir l'endroit où nous nous trouverons la nuit du sabbat..."
|