Le mardi 21 janvier 1947.
38> 558.1 – Jésus
est en train de marcher sur une route solitaire. Il a devant Lui les parents
des enfants et à ses côtés les gens de Sichem. Ils sont dans une région
déserte, pas de ville en vue. Les enfants ont été mis en selle sur des ânes,
et un parent tient la bride tout en surveillant l'enfant. Les autres ânes qui
n'ont pas de cavaliers, car ceux de Sichem ont préféré marcher à pied pour
rester près de Jésus, précèdent le groupe des hommes, marchant en bande et
brayant de temps à autre par la joie de revenir à leurs écuries sans être
chargés, par une splendide journée, entre des talus bordés d'herbe nouvelle
où de temps en temps ils plongent leurs museaux pour en goûter une bouchée,
et puis en un pas amusant caracolent pour rejoindre leurs compagnons montés.
Ce qui fait rire les enfants.
Jésus parle avec les sichémites ou écoute leurs conversations. Il est visible
que les samaritains sont fiers d'avoir avec eux le Maître et rêvent plus
qu'il ne convient. Au point de dire à Jésus, en montrant les hautes montagnes
qui sont à la gauche des voyageurs qui vont vers le nord :
"Tu vois ? Ils ont une mauvaise renommée l'Ebal et le Garizim ,
mais pour Toi, au moins, ils sont meilleurs que Sion de beaucoup et ils le
seraient totalement si tu le voulais, en les choisissant pour y demeurer. Sion est toujours un repaire de jébuséens, et ceux de maintenant sont
pour Toi encore plus hostiles que les anciens pour David .
Lui, en usant de violence prit la citadelle; mais Toi qui n'uses pas de
violence, tu n'y régneras pas. Jamais. Reste parmi nous, Seigneur, et nous
t'honorerons."
Jésus répond :
"Dites-moi : m'auriez-vous aimé si j'avais voulu vous conquérir par
la violence ?"
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39> "Vraiment... non. Nous
t'aimons justement parce que tu es tout amour."
"C'est pour cela donc, à cause de l'amour, que je règne en vos cœurs
?"
"Oui, Maître. Mais c'est parce que nous avons accueilli ton amour. Eux,
ceux de Jérusalem, ne t'aiment pas."
558.2 – "C'est vrai. Ils ne
m'aiment pas. Mais vous, qui êtes tous d'habiles commerçants, dites-moi :
quand vous voulez vendre, acheter, faire des bénéfices, perdez-vous peut-être
courage parce qu'en certains endroits on ne vous aime pas, ou bien faites-vous,
malgré cela, vos affaires en vous préoccupant uniquement de faire de bons
achats et de bonnes ventes sans vous demander si de l'argent que vous gagnez
est absent l'amour de vos acheteurs ou de vos vendeurs ?"
"C'est seulement de l'affaire que nous nous préoccupons. Peu nous
importe s'il y manque l'amour de ceux qui traitent avec nous. Finie
l'affaire, fini le contact. Le profit reste... Le reste n'a pas de
valeur."
"Eh bien, Moi aussi, Moi qui suis venu servir les intérêts de mon Père,
je ne dois pas me préoccuper de cela. Qu’ensuite, là où je les sers, je
trouve amour ou mépris ou dureté, je ne m'en préoccupe pas. Dans une ville de
commerce, ce n'est pas avec tous que l'on fait des profits et que l'on fait
des achats et des ventes. Mais même si on traite avec un seul et si on fait
un bon gain, on dit que le voyage n'a pas été inutile et on y retourne et y
retourne encore. Car ce que l'on n'obtient qu'avec un seul la première fois,
on l'obtient avec trois la seconde, avec sept la quatrième, avec des dizaines
les autres fois. N'est-ce pas ainsi ? Moi aussi, pour les conquêtes du Ciel,
je fais comme vous pour vos marchés. J'insiste, je persévère, je trouve
suffisant le peu, en nombre, le grand, car une seule âme
sauvée c'est une grande chose, le grand gain pour ma fatigue.
Chaque fois que j'y vais et que je surmonte tout ce qui peut être réaction de
l'Homme, quand il s'agit de conquérir, comme Roi de l'esprit, même un seul
sujet, non, je ne dis pas qu'ont été inutiles ma démarche, ma souffrance, mes fatigues, mais j'appelle saints, aimables et
désirables les mépris, les injures, les accusations. Je ne serais pas un bon
conquérant si je m'arrêtais devant les obstacles des forteresses de
granit."
"Mais il te faudrait des siècles pour les vaincre. Toi... tu es un
homme. Tu ne vivras pas des siècles. Pourquoi perdre ton temps là où on ne
veut pas de Toi ?"
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40> "Je vivrai beaucoup moins. Et même
bientôt je ne serai plus parmi vous, je ne verrai plus les aubes et les
couchers de soleil comme les pierres milliaires des jours qui commencent et
des jours qui s'achèvent, mais je les contemplerai uniquement comme des
beautés de la Création et je louerai pour eux le Créateur qui les a faits et
qui est mon Père; je ne verrai plus fleurir les arbres et mûrir les récoltes,
et je n'aurai pas besoin des fruits de la terre pour me conserver en vie, car
revenu dans mon Royaume, je me nourrirai d'amour. Et pourtant j'abattrai les
nombreuses forteresses fermées que sont les cœurs des hommes.
558.3 – Observez cette pierre-là,
au-dessous de la source, au flanc de la montagne. La source est bien faible,
elle ne court pas, mais donne l'eau goutte à goutte, une goutte qui tombe
depuis des siècles sur cette pierre en saillie sur le flanc de la montagne,
et la pierre est bien dure. Ce n'est pas du calcaire friable ni de l'albâtre
mou, c'est du basalte très dur .
Et pourtant regardez comment au centre de la masse convexe, et malgré cette
forme, il s'est formé un minuscule miroir d'eau, pas plus large que le calice
d'un nénuphar, mais suffisant pour refléter le ciel bleu et désaltérer les
oiseaux. Cette concavité dans la masse convexe, est-ce par hasard l'homme qui
l'a faite pour mettre une gemme d'azur dans la pierre sombre et une coupe
d'eau fraîche pour les oiseaux ? Non, l'homme ne s'en est pas occupé. Au
cours des nombreux siècles que les hommes passent devant ce rocher que depuis
des siècles une goutte creuse par un travail incessant et régulier, nous
sommes peut-être les premiers à l'observer, ce basalte noir avec au milieu ce
liquide couleur de turquoise. Nous en admirons la beauté et nous louons
l'Éternel de l'avoir voulu pour charmer nos yeux et rafraîchir les oiseaux
qui font leurs nids près d'ici. Mais dites-moi : est-ce par hasard la
première goutte, qui a coulé en dessous de cette corniche basaltique qui
surmonte le rocher et qui est tombée de sa hauteur sur la roche, qui a creusé
la coupe qui reflète le ciel, le soleil, les nuages et les étoiles ?
Non. Des millions et des millions de gouttes, l'une après l'autre, l'une
après l'autre se sont succédées, jaillissant comme une larme de là-haut, tombant avec un scintillement pour frapper le rocher et y mourir avec
une note d'harpe, et ont creusé d'une profondeur inappréciable tant elle
était nulle, la matière dure.
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41> Et ainsi pendant des siècles, avec
le mouvement régulier du sable dans un sablier, pour marquer le temps : tant
de gouttes à l'heure, tant au cours d'une veille, tant entre l'aube et le
couchant, et la nuit et l'aurore, tant par jour, tant d'un sabbat à un
sabbat, tant d'une nouvelle lune à une nouvelle lune, tant d'un mois de Nisan
à un mois de Nisan, et d'un siècle à un siècle. Le rocher résistait, la
goutte persistait.
L'homme qui est orgueilleux et donc impatient et peu partisan de l'effort,
aurait jeté la masse et la gouge après les premiers coups en disant :
"C'est une chose qu'on ne peut creuser". La goutte a creusé.
C'était ce qu'elle devait faire, ce pourquoi elle a été créée. Et elle a
coulé, une goutte après l'autre, pendant des siècles, pour arriver à creuser
le rocher. Et elle ne s'est pas arrêtée ensuite en disant : "Maintenant
c'est le ciel qui pensera à nourrir la coupe que j'ai creusée, avec les
rosées et les pluies, les gelées et les neiges". Mais elle a continué de
tomber et c'est elle seule qui emplit la coupe minuscule pendant les chaleurs
de l'été, pendant les rigueurs de l'hiver, alors que les pluies violentes ou
légères plissent le miroir, mais ne peuvent ni l'embellir ni l'élargir ni
l'approfondir parce qu'il est déjà comble, utile, beau. La source sait que
ses filles, les gouttes, s'en vont mourir là dans le petit bassin, mais elle
ne les retient pas. Elle les pousse, au contraire, vers leur sacrifice, et
pour qu'elles ne restent pas seules en tombant ainsi dans la tristesse, elle
leur envoie de nouvelles sœurs pour que celle qui meurt ne soit pas seule et
se voit perpétuée en d'autres.
558.4 – Moi aussi, en frappant des
centaines et des milliers de fois les dures forteresses des cœurs durs et en
me perpétuant dans mes successeurs que j'enverrai jusqu'à la fin des siècles,
j'ouvrirai en eux des passages et ma Loi entrera comme un soleil partout où
il y a des créatures. Que si ensuite elles ne veulent pas de la Lumière et
ferment les passages qu'un inépuisable effort a ouverts, mes successeurs et
Moi, nous n'en serons pas coupables aux yeux de notre Père. Si cette source
s'était ouvert un autre chemin, en voyant la dureté du rocher, et s'était
égouttée plus loin où il y a un terrain herbeux, vous, dites-moi, si nous
aurions eu cette gemme brillante et les oiseaux ce limpide réconfort ?"
"On ne l'aurait même pas vue, Maître."
"Tout au plus... un peu d'herbe plus touffue même en été aurait indiqué
l'endroit où la source s'égouttait."
"Ou... moins d'herbe qu'ailleurs, les racines pourrissant par suite
d'une humidité continuelle."
"Et de la boue. Rien de plus. Des gouttes inutiles."
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42> "Vous l'avez dit : un égouttement
inutile ou du moins oiseux. Moi aussi, si je devais m'attacher uniquement aux
endroits où les cœurs sont disposés à m'accueillir par justice ou par
sympathie, je ferais un travail imparfait. En effet je travaillerais, cela
oui, mais sans fatigue, et même en donnant à mon moi une grande satisfaction,
en un compromis agréable entre le devoir et le plaisir. Ce n'est pas
accablant de travailler là où l'amour vous entoure et où l'amour rend dociles
les âmes à travailler. Mais s'il n'y a pas de fatigue, il n'y a pas de mérite, et il n'y
a pas beaucoup de profit, parce que l'on fait peu de conquêtes et que l'on se
borne à ceux qui sont déjà dans la justice. Je ne serais pas Moi si je ne
cherchais pas à racheter d'abord à la Vérité, puis à la Grâce tous les
hommes."
558.5 – "Et tu crois y réussir ?
Que pourras-tu faire de plus que tu n'as déjà fait pour amener tes
adversaires à ta parole ? Quoi ? Si même la résurrection de l'homme de
Béthanie n'a pas suffi pour faire dire aux juifs que tu es le Messie de Dieu
?"
"J'ai encore quelque chose à faire de plus grand, de beaucoup plus grand
que ce que j'ai déjà fait."
"Quand, Seigneur ?"
"Quand la lune de Nisan sera pleine .
Faites attention alors."
"Y aura-t-il un signe dans le ciel ? On dit que quand tu es né, le ciel
se fit entendre par des lumières, des chants et des étoiles
extraordinaires."
"C'est vrai. Pour dire que la Lumière était venue dans le monde. Alors,
en Nisan, le ciel et la terre auront des signes, et cela semblera la fin du
monde, à cause des ténèbres et des secousses et du rugissement de la foudre
dans le firmament et des tremblements dans les entrailles ouvertes de la
Terre. Mais ce ne sera pas la fin. Ce sera le commencement, au contraire.
D'abord, à ma venue, le Ciel enfanta pour les hommes le Sauveur, et comme
c'était une action de Dieu, la paix accompagnait l'événement. Au nisan, ce
sera la Terre qui par sa propre volonté enfantera pour elle le Rédempteur, et
comme ce sera une action des hommes, elle ne sera pas accompagnée de la paix.
Mais il y aura une convulsion horrible. Et dans l'horreur de l'heure du
siècle et de l'enfer, la Terre déchirera son sein sous les flèches enflammées
de la colère divine, et elle criera sa volonté, trop ivre pour en comprendre
la portée, trop possédée par Satan pour l'empêcher.
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43> Comme une folle qui enfante, elle croira détruire le fruit considéré comme maudit, et elle ne
comprendra pas qu'au contraire elle relèvera ainsi en des lieux où jamais
plus la douleur et les embûches ne le rejoindront. L'arbre, le nouvel arbre,
à partir de ce moment étendra ses branches sur toute la Terre, à travers tous
les siècles, et Celui qui vous parle, avec amour ou avec haine, sera reconnu
pour le vrai Fils de Dieu et le Messie du Seigneur. Et malheur à ceux qui le
reconnaîtront sans vouloir l'avouer, et sans se convertir à Moi."
558.6 – "Où cela arrivera-t-il,
Seigneur ?"
"À Jérusalem. Elle est bien la cité du Seigneur."
"Alors nous n'y serons pas car au Nisan, la Pâque nous retient ici. Nous
sommes fidèles à notre Temple."
"Il vaudrait mieux que vous soyez fidèles au Temple vivant qui n'est ni
sur le Moriah ni sur le Garizim, mais qui, étant divin, est universel. Mais
Moi je sais attendre votre heure, celle où vous aimerez Dieu et son Messie en
esprit et en vérité."
"Nous croyons que tu es le Christ. C'est pour cela que nous
t'aimons."
"Aimer, c'est laisser le passé pour entrer dans mon présent. Vous ne
m'aimez pas encore parfaitement."
Les samaritains se regardent par en dessous, silencieusement. Puis l'un d'eux
dit :
"Pour Toi, pour venir à Toi, nous le ferions. Mais nous ne pourrions
pas, même si nous le voulions, entrer là où sont les juifs. Tu le sais. Eux
ne veulent pas de nous..."
"Et vous ne voulez pas d'eux. Mais soyez en paix. D'ici peu il n'y aura
plus deux régions, deux Temples, deux pensées opposées. Mais un unique
peuple, un unique Temple, une unique foi pour tous ceux qui veulent la
Vérité.
558.7 – Mais maintenant je vous
quitte. Les enfants sont désormais consolés et distraits, et long est pour
Moi le chemin de retour à Éphraïm pour arriver avant la nuit. Ne vous agitez
pas. Cela pourrait attirer l'attention des petits et il ne faut pas qu'ils
remarquent mon départ. Continuez. Moi je m'arrête ici. Que le Seigneur vous
guide sur les sentiers de la Terre et sur les sentiers de sa Voie.
Allez."
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